Page images
PDF
EPUB

A nous donc la tâche de préparer l'avenir ! dussent nos efforts être vains, c'est la mission que nous devons accepter si nous voulons être utiles. Appuyés sur la loi du progrès, forts d'une sympathie sincère pour l'humanité, c'est à travailler pour l'intérêt du grand nombre que nous devons passer nos veilles. Lois, éducation, arts, mœurs, préjugés, tout est à examiner, à étudier, à reconstruire dans cet intérêt nouveau. Et c'est là la préoccupation pacifique de notre jeunesse, qu'on se plaît à représenter comme si turbulente, et si empreinte de passions qui n'existent plus! Puisse la tourmente politique, en s'apaisant, nous laisser tout entiers à ces études d'avenir, qui ont seules du charme, jusqu'au moment où le vieux monde fera taire ses rancunes pour contempler le prolétariat, marchant à son tour à la conquête de droits méconnus et sacrés!

Nous nous sommes laissé entraîner loin des sophismes dont nous nous étions proposé la réfutation. Concluons, pour y revenir, que les prosopopées de 93 n'ont été jetées au milieu de débats sérieux que pour éviter d'aborder avec franchise des questions sur lesquelles la rhétorique du passé était impuissante. Concluons que, reconnaissans des travaux accomplis par nos pères, nous ne pouvons songer à les imiter, parce que nous n'avons ni les mêmes intérêts, ni les mêmes devoirs, ni les mêmes passions. Concluons, enfin, que les idées démocratiques ne peuvent pas de nos jours conduire à la violence, parce que notre victoire est trop complète et trop décisive pour nous laisser des ennemis bien sérieux et quant à la question sociale qui déjà s'agite, elle n'est encore qu'à se poser et n'aura pas de longtems scs héros, ses fanatiques et ses martyrs.

ACHILLE ROCHE.

DE L'INFLUENCE DE LA DÉCLARATION DE LA DIÈTE

GERMANIQUE SUR L'ALLEMAGNE.

Un des plus graves événemens que la politique ait produits de nos jours vient de se passer au sein de l'Allemagne. Le despotisme, jetant le masque, fait la déclaration solennelle de ses principes, et par l'organe de la diète germanique annonce hautement à l'Allemagne moderne quels sont ses prétentions et ses projets. Ce serait sans doute se tromper étrangement que de penser que cet événement touche uniquement à l'existence de l'Allemagne, et n'est pas dans un rapport intime avec la France; depuis que les principes de la philosophie du dix-huitième siècle sont devenus le domaine de toutes les nations européennes, toutes les nations n'ont plus fait qu'un seul corps; l'Europe est la grande nation dont les royaumes sont les provinces. Il est donc bien évi dent, pour tout esprit sérieux et réfléchi, qu'il s'agit aujourd'hui de la destinée du dix-neuvième siècle que deux grands partis se disputent, et que si la révolution de juillet et la réforme de l'Angleterre sont des déclarations de la puissance libérale, le décret de la diète de Francfort est le résumé de la réponse que les rois s'apprêtent à faire. La menace plane sur nous tous, et il n'est permis à personne de détourner les yeux du danger, afin de s'endormir plus tranquille.

La diète de Francfort voudrait mettre aujourd'hui l'Allemagne dans un état semblable à celui où elle fut placée par l'acte final de Vienne, en 1819, et par les résolutions des congrès de Carlsbad, de Troppau, de Laybach et de Vérone. La presse française qui, à cette époque, s'était montrée si fidèle à la cause de la liberté générale, ne l'a point abandonnée aujourd'hui que les circonstances sont plus graves encore, et, généreusement soute

nue par la presse de l'Angleterre, elle a justement flétri, sous les coups de son indignation et de sa colère, l'acte de vandalisme de Francfort. Mais jusqu'ici sa pensée n'a point pris un caractère plus précis, et elle est demeurée en dehors de l'étude positive des événemens qui se préparent, et dont la prévision réside tout entière dans l'appréciation de l'état intérieur de l'Allemagne. Bien des voix se sont écriées que, par l'ordonnance de Francfort, l'Allemagne était mise dans la même situation que la France par les ordonnances de juillet, et qu'elle devait savoir conquérir à son tour sa position parmi les peuples, ou s'attendre à retomber sous une servitude plus pesante encore que celle qui l'accable. Sans doute cette opinion est fondée, le décret décide de l'avenir de l'Allemagne, et l'on peut même regarder son importance comme plus grande que celle du décret de Charles X; en juillet, c'était un seul prince qui se mettait arbitrairement en avant, c'était un de ces éclairs précurseurs qui éclatent à l'horizon sous un ciel serein, et dont on n'aperçoit pas les relations et l'entourage : aujourd'hui toute la ligne des princes se déploie sur la scène po¬ litique, leur bannière est levée, et il font savoir à l'Europe quel est le droit public d'après lequel ils entendent régler le sort des peuples. Les nations qui se flattaient de l'espoir que la dernière révolution de la France aurait servi d'enseignement aux rois, et leur aurait appris à sacrifier sagement à la nécessité des tems quelques-uns des dogmes du catéchisme monarchique, les nations peuvent voir aujourd'hui que la ligue des souverains n'a rien perdu ni de ses principes ni de ses antipathies, et que l'exemple de deux grandes nations constitutionelles n'a fait que les confirmer encore davantage dans leur ténacité et dans leur arrogance.

Le parallèle entre les ordonnances de Charles X et les ordonnances de la diète est donc certainement bien fondé s'il ne s'agit que de l'importance de la mesure; et sans doute aussi, nous en avons la ferme conviction, il est permis de suivre le parallèle sur une étendue plus grande, et de prédire pour les mouvemens qui doi

:

vent naître les mêmes conséquences finales. Mais ce serait se méprendre étrangement sur la position matérielle et le caractère intellectuel de l'Allemagne que de penser qu'il n'y ait pour elle d'autre alternative que celle d'une insurrection vigoureuse ou d'une lâche soumission. Certes, il n'y a place aujourd'hui ni pour l'inertie ni pour la patience; mais si jamais l'emploi d'une sérieuse réflexion est chose utile et nécessaire, c'est ici, car de la moindre imprudence pourrait naître une longue détresse. Cette prévoyance est d'autant plus nécessaire à l'Allemagne que l'expérience peut lui montrer avec quelle certitude il faut compter sur la main voisine d'un ami, et combien, avant de rien entreprendre, il lui faut s'assurer de sa propre force et de ses propres moyens. C'est pour la première fois qu'elle se voit appelée à un essai dans une carrière dont l'idée ne lni est même pas encore familière, et cet essai est une révolution capitale, car il doit clore la carrière. Point d'exemple qui puisse la guider dans cette route nouvelle la France repose sur une base trop différente par ses antécédens, ses habitudes, son caractère, pour qu'elle puisse songer à l'imiter; l'Angleterre est soutenue par une longue pratique de ses droits, et d'ailleurs sa position aristocratique et populaire la tranche par trop de tout le reste pour qu'on puisse y chercher des analogues. L'Allemagne est donc réduite à sa propre force et à sa propre intelligence; et son génie politique qui ne fait que de naître est réduit à créer pour son début une tactique intérieure toute nouvelle. Mais quels seront les élémens dont elle peut disposer pour ses combinaisons, les moyens qui sont à son ordre pour exécuter le mouvement? Voilà où est aujourd'hui la question, et l'on ne peut y répondre qu'en s'appuyant sur une sage appréciation de l'état social des peuples germaniques, tel que l'ont fait les principaux événemens de nos jours. C'est donc surtout sur la déclaration de Francfort qu'il convient d'insister; car, étant par elle-même la cause provocatrice des mouvemens qui vont suivre, c'est autour d'elle que tout le reste doit venir se grouper, et c'est en balançant avec

[ocr errors]

soin son but et son influence que l'on peut arriver à comprendre quelles sont ses chances de réussite et ses chances de défaite.

Cette déclaration est un fait trop grave pour être un anneau isolé de cette chaîne politique qui, depuis le congrès de Vienne, s'est déroulée avec une si incroyable rapidité; les principes qui lui servent de base en effet sont les mêmes que ceux qui motivèrent ce fameux acte de Vienne, que ses auteurs avaient nommé final, dans leur chimérique espoir d'avoir enfin consommé l'acte de despotisme paternellement préparé par eux pour le bonheur des peuples, et qu'aujourd'hui encore ils encensent avec une sollicitude pleine d'amour, se plaisant à le récompenser, par de nouveaux perfectionnemens, de n'avoir point entièrement trompé leur première attente. C'est par un large système d'interprétation des principes établis en 1819 qu'on est arrivé logiquement aux dernières conséquences proclamées aujourd'hui. Tous les pouvoirs, avait-on dit alors, devant rester réunis dans le chef de l'état, le souverain ne doit être astreint à la coopération des chambres que pour l'exercice de certains droits. Le principe démocratique dans toute sa pureté étant ainsi posé en première ligne, la détermination des certains droits lui demeurait entièrement subordonnée, et n'avait d'autre règle que l'arbitraire monarchique. C'est en vertu de ces certains droits laissés au peuple par la constitution que l'on déclare aujourd'hui que les états ne peuvent en aucun cas refuser les impôts, que l'initiative ne leur appartient pas, et que leurs discussions enfin doivent être surveillées par une commission de la diète. Rien n'empêche que demain, en suivant le cours de cette logique si dégagée dans sa marche, on ne vienne à établir que la convocation des chambres dépend entièrement de la volonté du prince; et alors, tout en demeurant fidèle à la direction suprême de l'acte final, on arriverait avant peu, l'ordre de choses ne s'y opposant pas, à mettre les états constitutionnels dans la même position que les anciens états-généraux de la France; et sans doute aussi convoqués tôt ou tard pour mettre fin aux embarras financiers, ils sauraient comme ceux de la France reprendre leur droit

« PreviousContinue »