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des publications vulgaires. C'est avec une sorte de plaisir que nous avons suivi sa reconstruction, non-seulement des idées et des travaux de la Montagne, mais encore des passions et des partialités haineuses de ce gigantesque parti. Mais un homme de sa force ne doit pas vouloir ínspirer une curiosité stérile. Il a droit de prétendre à être utile à ses concitoyens, et il ne peut manquer d'atteindre ce but de toute ame noble, quand il se sera dégagé de préoccupations singulières, d'autant plus dignes de blâme qu'il a dépensé plus de facultés honorables et brillantes.

M. Hauréau n'est pas seulement démocrate, comme nous le sommes en 1832, songeant plus au fond qu'à la forme, marchant par toutes les voies à l'affranchissement des peuples, et prêt à combattre la contrerévolution sous quelque forme qu'elle se présente : il est encore montagnard, et montagnard du parti de Robespierre, flétrissant de son mépris et poursuivant de sa haine la moindre divergence d'opinion, et ne comprenant pas qu'au milieu de la confusion anarchique, suscitée par la lutte de 93, on ait pu se tromper honorablement, et servir avec conviction l'un ou l'autre parti. Les dissidens, pour lui, sont criminels, et tout crime est digne de mort : « Va, s'écrie-t-il, en s'adressant à l'ombre de Camille Desmoulins, je te dirai encore honte quand ta tête sautera dans le panier d'osier. »

Ce sont là, il faut l'avouer, de graves égaremens. Mais, nous ne saurions en douter, M. Hauréau est jeune, et doit revenir un jour à des idées plus saines. Ou nous nous trompons fort, ou nous avons deviné la cause de ses étranges colères. Il appartient sans doute à quelqu'une de ces nouvelles sectes philosophiques qui se croient parvenues à l'état de sociétés religieuses, et il s'est habitué à reconnaître une vérité absolue, jetée à quelques privilégiés par une favcur divine et incarnée pour ainsi dire dans la personne d'un révélateur. C'est au travers de cette préoccupation que tout le passé lui apparaît. Robespierre est pour lui le chef d'un concile, et il lui accorde le droit d'extirper l'hérésie par le fer et par le feu; car l'hérésie, c'est l'erreur, c'est le mal, et la vertu n'a pas de mission plus haute que de lui imposer silence.

Nous devions signaler une si déplorable marche, mais nous n'avons pas besoin de perdre, contre ceux qui l'entreprennent, des argumens auxquels chaque lecteur suppléera. Nous en appelons à M. Hauréau

lui-même, lorsqu'il sera entré plus avant dans la vie. Dès aujourd'hui même, nous ne consentons pas à prendre au sérieux l'effervescence, de ses haines et son admiration pour les violences gouvernementales. Loin de là, quelque distance qui sépare nos opinions des siennes, nous lui confierions volontiers notre sort au milieu de la crise la plus violente, sans craindre la guillotine si souvent invoquée dans ses écrits. C'est qu'aucun homme ne se laisse conduire par la théorie pure; et si l'auteur de la Montagne a de mauvaises théories, il a une ame noble et généreuse, qui le ferait reculer devant l'application de ce qu'il croit être ses principes. Au reste, nous sommes loin de désespérer de cet écrivain; il conservera au contraire en tout tems les sympathies élevées, source de son talent, quand disparaîtra cette exaspération de jeunesse, dont nous aimons la cause tout en blâmant les écarts qu'elle produit.

Quant aux gravures qui ornent ce recueil, nous ne croyons pas devoir entrer dans un examen approfondi. Nous aimons trop le talent de M. Jeanron, pour vouloir le juger sur de pareilles esquisses, où l'on retrouve, il est vrai, toute sa facilité et tout son abandon d'artiste, mais où l'on ne rencontre guère les qualités par lesquelles il s'est déjà acquis des droits au beau nom de peintre.

82. COURS D'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION, depuis 1789 jusqu'en 1830, par LAPONNERAYE. Paris, 1832; l'auteur, rue Thévenot, n° 12. In-8°; prix de la leçon, 25 c. (Vingt-deux leçons ont paru.)

De la conviction, du talent, une candeur républicaine digne d'intérêt, distinguent surtout le livre de M. Laponneraye, qui, d'ailleurs, tombe dans quelques-uns des écarts du précédent. Nous respectons ses convictions, nous aimons son talent; mais nous ne saurions admettre toutes ses théories. Nous croyons trop à l'avenir de l'humanité, pour appeler à son secours les violences et les passions haineuses. Nous croyons trop au progrès pour ne pas voir un pas rétrograde dans un retour vers 93; nous sommes trop sérieusement démocrates, enfin, pour tenir beaucoup à d'insignifiantes formes, comme par exemple à prendre la qualification de citoyen, dans nos relations privées, quand l'usage consacre la dénomination banale de monsieur. Nous ne pouvons pas non plus voir, comme M. Laponneraye, dans le parti de la Gironde tout entier, un amas de conspirateurs royalistes, Nous reconnais

sons dans Vergniaud, dans Louvet, dans Pétion, de bien sincères républicains; et, tout en déplorant qu'ils aient rendu puissans, en ne les comprenant pas, les traîtres cachés au milieu d'eux, nous ne saurions, au grand jour de l'impartialité, consentir à les laisser confondre avec les Wimpfen ou les Henri Larivière. Autant vaudrait écouter le bon M. Dulaure découvrant dans Robespierre un royaliste déguisé.

Chez M. Laponneraye comme chez l'auteur de la Montagne, nous devons faire entrer en considération, pour juger son ouvrage, la grande jeunesse, et la bouillante ardeur qu'elle produit. Toutefois, il y a déjà dans le jeune professeur une raison plus sérieuse, qui se développera avec le tems et produira les plus beaux fruits. C'est avec un véritable plaisir que nous avons lu dans sa dernière leçon cette page pleine de sens et de justesse : « On peut faire l'éloge de 93, on peut même applau dir aux moyens qui ont amené ses résultats, sans désirer que les mêmes moyens soient employés aujourd'hui. N'est-il donc qu'une voie unique pour arriver au même but? Depuis qu'il se livre des batailles, je le demande, deux batailles ont-elles eu des dispositions semblables?.... N'y a-t-il pas mille moyens d'aller à la victoire ?... Aujourd'hui, l'ennemi ne disputera plus un terrain qui s'enfonce sous ses pas. Dans ce grand combat entre l'aristocratie et la démocratie, entre le privilége et le droit commun, la victoire sera facile à la démocratic et au droit commun.... Au reste, si des excès ont été commis, je ne prétends pas me faire l'apologiste de ces excès........»

Nous le répétons, ces lignes sont pleines de raison, et il n'y a pas un scul mot qu'on en voulût retrancher: pourquoi faut-il que dans la même livraison on trouve cette inconcevable phrase : « les Girondins et tous leurs adhérens, voilà quels étaient ceux qui méritaient plus particulièrement les rigueurs du tribunal révolutionnaire; et quand le tribunal n'eût fait que frapper les Girondins, il aurait rendu à la patrie un service immense! >>

Au reste, M. Laponneraye, malgré ses erreurs, est digne, à plus d'un titre, de tout l'intérêt des patriotes. Consciencieux et courageux écrivain, il a commencé devant un public nombreux des leçons qu'il continue sous les verroux, malgré les brutales et excessives sévérités du parquet. Nous sentons, en parlant de lui, le besoin de rappeler l'étrange et odieux procédé dont on l'a rendu victime. Incarcéré préventivement

et avant jugement, on ne s'est pas borné, à son égard, à cette rigneur inaccoutumée; on a encore apporté à la tribune quelques unes de ses phrases pour les faire condamner par la chambre avant de les soumettre au jury! et c'est le ministre de la justice qui s'est permis cette manœuvre inexcusable! et un député patriote a eu la faiblesse de faire à la tribune parade de sa désapprobation du jeune professeur! et le côté gauche s'est hâté d'applaudir, ainsi que le centre, à celui qui condamnait d'avance un accusé non encore traduit devant ses juges! Dans quel tems vivons-nous, et qu'est devenue la décence publique, puisqu'on peut se permettre de tels scandales, sans qu'ils soient à l'instant réprimés par l'instinct général? A. ROCHE.

83. UN DERNIER MOT SUR LOUIS XVII, et observations, en ce qui concerne ce prince, sur un ouvrage intitulé: Le passé et l'avenir, etc.; par M. ECKARD. Paris, 1832; Ducollet, quai des Augustins n° 15. In-8° de 60 pages; prix, 1 fr. 50 c.

M. Eckard se donne réellement trop de peine à réfuter les charlatans ou les imbécilles qui veulent à toute force ressusciter un Louis XVII, pour le plus grand honueur de la légitimité et pour le plus grand bien de la France. Louis XVII est mort, l'histoire l'a dit, l'histoire le dira toujours, si toutefois elle trouve convenable d'intercaler cet infortuné dans la nomenclature des rois qui ont occupé le trône de la France. 84. L'ermite au PALAIS, mœurs judiciaires du dix-neuvième siècle, faisant suite à la collection des mœurs françaises, anglaises, italiennes, espagnoles, etc.; par l'auteur des Mémoires d'un page. Paris, Verney, éditeur, rue du Four-Saint-Honoré, n° 47; Guizot, éditeur, place du Louvre, no 18. 1832, 2 vol.

« Le Palais-de-Justice, dit l'auteur, est bien certainement le théâtre le plus curieux : comédies de caractère, esquisses de mœurs, tableaux de grève, il y en a pour tous les goûts; et là, ce n'est pas cette nature de convention telle que nous la font nos auteurs d'aujourd'hui, mais une nature vraie, un développement de passions mises à nu, sans préparation et sans fard. »

Nous croyons que cette pensée suffit pour laisser comprendre la manière dont le plan de cet ouvrage est conçu. Le Palais-de-Justice est un cadre de narrations, qu'on a trouvé aussi heureux qu'aucun autre titre

du Livre des Cent-et-un. Nous aurions mieux aimé une satire sérieuse des vieilles idées et des vieux costumes qui semblent avoir élu pour domicile éternel ces vieilles murailles d'où s'échappent cependant à tout instant plus de fléaux qu'il n'en faudrait pour jeter le désordre dans une société moins facile à troubler que la nôtre, savoir, par exemple, l'éloquence de mots qui égare le bon sens, la soumission aveugle aux traditions et aux paroles du maître qui inspire une haine fanatique contre toute tentative progressive, une répugnance invincible contre toute idée générale, etc.

85. ESSAIS HISTORIQUES SUR LES PROGRÈS DE LA VILLE DE Nantes; par M. A, GUÉPIN, D.-M. Nantes, 1832; Prosper Sebire, place du Pilori, no 4; et à Paris, chez Pesron, rue Pavée-Saint-Andrédes-Arts, no 13. In- 12 de 360 pages, avec un plan historique de la ville, et cette épigraphe :

« La science, la morale, les arts, l'industrie, sont étroitement liés. L'histoire de leurs progrès, c'est l'histoire des progrès du bien-être dans toutes les classes de la société. »

Nantes est pour moi une ville à part, un lieu empreint de doux et poétiques souvenirs. Je n'y sais rien que de beau et d'attrayant. Je ne revois ses quais que dorés du soleil, ses campagnes que vertes et fleuries, ses caux qu'étincelantes et vives. Le secret de ce prestige, c'est qu'après un long et affreux cauchemar j'y arrivai pour me reposer près d'excellens amis, et que j'y fus heureuse, et m'y sentis revivre deux mois et quelques jours. Si je reviens sur cette disposition toute personnelle, c'est que je crains qu'elle ne me rende peu propre à juger un livre sur Nantes. Je sais qu'il me faut sacrifier beaucoup d'illusions, et que je ne puis demander à M. Guépin de continuer mes rêves sur la vieille tour ruinée de Pirmil, de me peindre les fraîches îles, les larges et limpides rivières de Loire et de Sèvre, l'Erdre au cours sombre et mystérieux, qui encadrent et enserrent sa ville natale, de me faire apparaître de nouveau ces édifices, ces ponts baignés dans les riches lueurs du soleil couchant, sous un ciel magique, comme je les vis en mai, il y a un an et plus, alors qu'une population tout émue se pressait, s'agitait pour voir arriver « les brigands », Diot et Robert, qu'on disait arrêtés. C'était un beau et curieux spectacle. L'occident, d'un rouge ar

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