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tante depuis la révolution de 1830, combattez toutes les mesures de prohibition, provoquez l'abolition de toutes douanes.

Discutez les bases mêmes de la société, car le mal est au cœur, la constitution de la propriété, la nature de la distribution des produits, l'assiette de l'impôt; étudiez toutes les idées nouvelles d'économie politique, les causes réelles des désastres de l'industrie, la concurrence, l'absence de direction et de combinaison de travaux.

Embrassez la grande question du prolétariat, celle qui enveloppe toutes les autres, question palpitante, de la solution de laquelle dépend le sort de l'humanité tout entière, de l'humanité qui ne veut plus souffrir dans son sein un seul être condamné, en naissant, à la misère, à l'ignorance, à l'immoralité. Proposez la création de lois qui augmentent le salaire du peuple, l'entreprise de vastes travaux publics qui puissent occuper tant de bras oisifs, oisiveté fatale qui tue des familles entières; faites appel à l'institution d'immenses établissemens destinés à l'éducation des enfans du prolétaire; que pas un citoyen français ne puisse naître sans avoir la faculté de recevoir les lumières qui le rendraient capable de développer sa dignité d'homme et toutes les facultés de son être!

Cherchez surtout à relever l'état moral des hommes qui vous entourent, à les rendre à l'enthousiasme, à la poésie, au dévouement!

Voilà le terrain politique sur lequel nous appelons le journalisme; qu'il y vienne, et alors il sera puissant et populaire, parce qu'il sera le représentant des intérêts de l'immense majorité de la nation; alors il en aura bientôt fini avec les gouvernemens incapables, et il ne s'usera plus à lutter des années entières sans pouvoir faire avancer d'un pas la cause de la civilisation; alors les partis pourront facilement se classer entre ceux qui voudront les institutions nouvelles destinées à réaliser l'affranchissement et l'amélioration du peuple, et ceux qui voudront maintenir son état d'exploitation; et si l'on se tue, au moins on saura

pourquoi; et la guerre sera bientôt terminée, car, ou bien tous devront se réconcilier dans le but sublime de l'émancipation universelle, ou bien l'élan populaire saura vaincre les résis

tances.

Nous le répétons en terminant le tems presse, la crise est imminente; le pouvoir se livre à toutes les folies de la faiblesse et de la peur; les partis n'ont pas de chefs, parce qu'ils n'ont pas d'idées, pas de but; la société marche au hasard, sans guide, sans direction; il faut la sauver sur l'heure, et le journalisme seul en a la puissance.

ALEX. SAINT-CHERON.

PHILOSOPHIE.

En insérant dans notre dernier numéro la Lettre Encyclique qui a condamné les ouvrages de M. de Lamennais, nous avons déjà exprimé notre opinion sur cette déclaration du pontife romain. La Lettre de Grégoire XVI, pour être violente dans sa forme et pour repousser tout accommodement avec l'esprit du siècle, ne nous a pas paru une déviation ni une erreur de logique, mais conforme au contraire à la pure doctrine catholique et dictée parelle; comme la doctrine de M. de Lamennais, pour être généreuse et progressive, ne pous paraît pourtant qu'une inconséquence. Cette doctrine qui, s'accommodant aux difficultés des tems, sépare la religion du gouvernement temporel de la société, proclame l'individualisme, et établit deux ordres de vérités, un ordre de science et un ordre de foi, n'a jamais été la doctrine de l'Église; et, même de la part de ceux qui l'ont élevée et qui la soutiennent, elle ne pouvait guère être présentée à l'approbation du pape que comme une théorie de transition et une tactique commandée par la situation présente des esprits et des choses, pour opérer plus tard l'unité nouvelle. Il était donc bien naturel qu'elle fût condamnée à Rome; car elle est anti-catholique basée primitivement sur l'autorité, elle en est venue à détruire l'autorité; et elle ne se tire de la contradiction la plus grave et la plus fondamentale que par un sophisme et une subtilité. Du reste, M. de Lamennais, en se soumettant à la condamnation portée contre lui, a été tout simplement vaincu par le principe qu'il avait posé lui-même. Ayant autrefois placé uniquement la certitude dans la tradition, et conservant encore le même principe pour ce qu'il nomme l'ordre de foi, c'est-à-dire incarnant la vérité religieuse dans la personne du chef de l'Église, il est clair que du moment où il résisterait, sa doctrine

tout entière s'écroulerait, et que sa parole perdrait toute puis

sance.

Nous persistons donc dans l'opinion que nous avons exprimée à ce sujet dans notre précédente livraison. Cependant on ne peut trop considérer, quant à la réforme tentée par M. de Lamennais dans le christianisme, quelle est la fausse situation et l'impuissance où tombent ceux qui veulent concilier avec le catholicisme les idées modernes et les sentimens religieux rénovateurs que la réforme, la philosophie et la révolution ont engendrés dans le cours de quatre siècles, et qui fermentent aujourd'hui dans les cœurs; et quant à la papauté, il est bon aussi de contempler à quel état elle est réduite, faisant alliance avec le czar de Russie contre les Polonais, avec le protestantisme anglican contre l'Irlande, avec le roi Guillaume de Hollande contre les Belges. Ainsi les deux principes de l'ordre chrétien-féodal, le droit de la légitimité de naissance et le principe de l'autorité spirituelle par tradition, après avoir vécu et gouverné le monde ensemble, devaient venir expirer ensemble dans une coalition contre l'esprit moderne, l'esprit d'égalité, de liberté et de science, qui renferme le germe de la religion de l'avenir.

Sous ce double rapport, l'article suivant, que M. De Potter nous adresse, ne peut qu'intéresser vivement nos lecteurs; car il caractérise, avec une grande vérité et une généreuse indignation, l'influence de la diplomatie russe et autrichienne à Rome, et la situation des catholiques en Belgique, pays où la doctrine de M. de Lameupais a le plus de partisans, et où l'Encyclique de Grégoire produira le plus d'effet.

LETTRE D'UN BELGE, AMI DE LA LIBERTÉ,

A M. DE LAMENNAIS.

Paris, septembre 1832.

MONSIEUR,

Vous venez de remplir le devoir que vous vous étiez imposé. Vous aviez déclaré votre soumission à l'autorité quand même; cette autorité a parlé, elle vous a condamné avec vos idées, vos

principes, et les efforts que vous faites depuis si long-tems pour la sauver elle-même des attaques que, chaque jour, renouvelle contre elle la raison de chaque individu: et vous avez accepté, sinon la condamnation, du moins le silence. A Dieu ne plaise que je blâme un acte de conscience qui est en même tems un acte de courage! car il vous en a fallu du courage pour déposer, dans un moment aussi critique que celui-ci, la plume puissante qui aurait pu confondre vos juges, qui aurait dû même (il vous était permis de le croire) réfuter leur sentence, dans l'intérêt surtout du catholicisme pour lequel vous combattez depuis tant d'années, et dont le dernier ukase pontifical consomme, autant qu'il est en lui, le déshonneur et la ruine. Mais votre désobéissance, qui n'aurait rien ajouté à votre gloire, vous aurait ôté pour l'avenir les moyens de faire le bien que vous méditez.

Que n'avez-vous du moins pu joindre à votre acte de soumission quelques mots d'explication de votre conduite! aux yeux des catholiques raisonnables et de bonne foi, ils auraient suffi pour calmer bien des inquiétudes, dissiper bien des doutes, empêcher bien des résolutions précipitées que la crainte et le manque de direction leur feront peut-être prendre, et qui peuvent avoir les conséquences les plus graves. Vous leur auriez fait toucher du doigt l'insignifiance radicale, comme jugement dogmatique, de l'opinion émise par le pape, de son propre et seul mouvement, rien n'y étant décidé sous le rapport de la foi, et aucune des formes voulues pour ces espèces de décision n'ayant été observée. Vous auriez démontré plus clair que le jour qu'un manifeste politique sorti du cabinet du Saint-Père n'oblige pas plus les catholiques que les protestans et les incrédules, et que, pour être daté de Rome, il ne s'adresse pas plus à leur conscience que s'il l'était de Constantinople ou de Genève. Vous leur auriez dit : « Prêtre catholique, j'obéis à un supérieur qui me ferme la >> bouche; mais, plus inébranlable que jamais, je garde mes con»victions. La doctrine que j'ai professée, les principes que j'ai proclamés, n'en sont pas moins immuables, qu'ils conviennent

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