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royauté décrépite et déjà penchée vers sa tombe: cette année, pour la première fois, elles saluaient une royauté récemment sortie du berceau. Le nonce du pape, portant la parole au nom du corps diplomatique, se prononça en faveur de «tout ce qui @pourrait contribuer à raffermir de plus en plus le repos dans ela France, et par cela même l'état de paix et de bonne intelliagence avec l'Europe entière. » Ainsi l'Europe faisait du calme de la France une condition de la paix! Parmi les réponses de Louis-Philippe, on remarqua celle qu'il adressa au président de la Chambre des pairs, et dans laquelle il félicitait cette Chambre de sa conduite aussi courageuse qu'honorable. En général, on se plut à reconnaître dans le style des allocutions royales un notable changement: aux phrases où Charles X plaçait habituellement les expressions de religion et de providence, Louis-Philippe en avait substitué d'autres, qui reproduisaient fréquemment les mots de droits du peuple et de la liberté.

Cependant la Chambre des députés poursuivait le cours de ses travaux : le 6 janvier, elle adopta le projet de loi relatif à la garde nationale, dont la discussion durait depuis le 11 décembre de l'année précédente, et sur laquelle nous reviendrons lors des débats approfondis et tout nouveaux dont elle devint l'objet à la Chambre des pairs. La Chambre élective passa immédiatement à la délibération du projet de loi sur la composition des cours d'assises et les déclarations du jury. Ce projet, qui touchait à l'un des points capitaux de notre législation criminelle, aux intérêts les plus chers de l'homme, la vie, la liberté, l'honneur, appela faiblement l'attention publique, déjà préoccupée de l'examen de la loi électorale. Composé de quatre articles seulement, il avait été présenté à la Chambre des députés dans la séance du 1er décembre 1830, par M. Dupont de l'Eure, alors ministre de la justice. Le premier et le second article tendaient à réduire à trois le nombre des conseillers ou juges tenant les cours d'assises, fixé à cinq par l'art. 92 de la loi du 6 juillet 1810; le troisième, à établir que désormais la décision du jury se formerait à la majorité de

huit voix contre quatre pour tous les cas de condamnation ; le quatrième abrogeait la loi du 24 mai 1821 et les articles du code d'instruction criminelle auxquels il était dérogé.

Des deux innovations introduites par ce projet de loi, la plus importante était celle qui réintégrait le jury dans la souveraineté de la décision du fait soumis à son appréciation, et corrigeait cette partie vicieuse de notre législation criminelle, laquelle, réservant aux juges le pouvoir de délibérer et de vider le partage du jury, lorsque ce dernier ne se prononçait pour la culpabilité qu'à la majorité de sept contre cinq, ne respectait pas assez la distinction entre les juges du fait et les juges du droit, l'une des bases principales de l'institution. C'est ce que le ministre expliquait très clairement dans l'exposé des motifs de la loi:

Le code d'instruction criminelle, disait-il, a porté atteinte à cette distinction fondamentale, lorsqu'il a voulu que les juges du droit participassent à la déclaration du fait, dans tous les cas où le jury ne se prononcerait sur la culpabilité de l'accusé, relativement au fait principal, qu'à une simple majorité de sept contre cinq.

La combinaison de l'article 351 du code d'instruction criminelle était fort bizarre: elle consistait à additionner les voix des juges avec celles des jurés, en telle sorte que, très-fréquemment, après que le doute avait été solennellement proclamé par le partage des jurés, ce doute se résolvait ensuite contre l'accusé, bien que celui-ci eût en sa faveur l'opinion de la majorité des juges. En effet, l'on recourait à compter les voix des juges dans les cas de doute légal où les jurés ne se prononçaient pour la culpabilité qu'à une majorité de sept contre cinq: or, en additionnant les voix des juges avec celles des jurés, si deux voix de juges se prononçaient pour la culpabilité, et trois pour l'innocence, l'accusé était déclaré coupable, parce que les deux voix de la minorité des juges formaient avec celles des sept jurés un total de neuf voix, tandis que huit voix seulement proclamaient l'innocence. Ainsi l'on arrivait à ce résultat inconcevable de proclamer d'abord le doute, et de prononcer ensuite la culpabilité, lorsqu'une grave présomption d'innocence était venue donner à ce doute un caractère plus problématique encore.»

A la vérité, le ministre reconnaissait que la loi du 24 mai 1821 avait réformé cette combinaison choquante, en ordonnant que toutes les fois que les juges auraient à délibérer sur une déclaration du jury, formée à la majorité simple, l'avis favorable à l'accusé prévaudrait, lorsqu'il serait adopté par la majorité des juges mais il faisait observer que cette loi, quoi

que plus humaine, portait encore une grave atteinte à l'institution du jury:

Sous le code d'instruction criminelle, ajoutait-il, l'addition des voix des juges avec les voix des jurés laissait les uns et les autres sur un pied d'égalité. Sous la loi de 1821, la délibération des juges forme un véritable jugement complétement indépendant du jury, qui, par le fait d'un partage de sept voix contre cinq, n'arrive à d'autre résultat qu'à résigner son pouvoir et son caractère pour en investir les juges. Ceux-ci, appelés seuls à juger lorsque le doute du jury le dessaisit et le constitue incapable, sont par cela seul, de fait comme de droit, les supérieurs du jury et les suprêmes arbitres. >>

Le ministre terminait en disant qu'il fallait abroger la loi du 24 mai 1821, comme on avait abrogé l'art. 351 du code d'instruction criminelle, la supériorité attribuée aux magistrats sur les jurés, la confusion entre les pouvoirs des juges du fait et des juges du droit étant réellement destructive du jury.

Quant à la réduction du nombre des conseillers ou juges tenant les cours d'assises, une longue justification de cette mesure semblait superflue: accréditée depuis long-temps parmi les magistrats, elle s'appuyait d'ailleurs sur le besoin de simplifier l'administration de la justice, sur la suppression récente des conseillers-auditeurs, et sur cette considération, que le jury demeurant seul chargé de l'appréciation du fait, le rôle des magistrats formant la cour, à l'exception du président, deviendrait presque nul.

La commission chargée de l'examen de la proposition du gouvernement en adopta entièrement le fond. Dans son rapport, présenté à la Chambre par M. Bernard (7 décembre 1830) on ne remarquait que quelques modifications légères, uniquement relatives à la forme; mais elle ajoutait deux dispositions nouvelles. La première portait « qu'un tableau des membres de «chaque cour royale qui devraient présider les assises serait «arrêté tous les ans au mois d'août, par le garde-des-sceaux, « et que les présidents seraient pris à tour de rôle sur ce tableau. >> C'était l'abrogation d'un article de la loi du 20 avril 1810, attribuant au ministre de la justice, et, à son défaut, au premier président de chaque cour royale, la nomination et le choix des

présidents des cours d'assises. La commission voyait dans ce droit donné au ministre une preuve de la tendance du gouvernement impérial à placer tous les pouvoirs sous sa dépendance. La seconde disposition établissait que, «dans le cas de réponse <«< affirmative de la part de la majorité du jury sur la culpabi«lité, la peine la plus forte, applicable d'après la loi, ne pour <<rait être prononcée contre l'accusé qu'à l'unanimité des trois «juges formant la cour, et que lorsqu'il y aurait dissentiment << entre eux, l'opinion la plus douce devrait prévaloir. >> Cet article contenait un vice manifeste, en ce qu'il attribuait une influence peut-être dangereuse à l'avis de la minorité, réduite, dans l'hypothèse, à l'unité: aussi fut-il généralement désapprouvé et rejeté sans contradiction. L'autre article, après avoir soulevé de longs débats, et donné lieu à plusieurs amendements, fut également rejeté : nous nous dispenserons donc d'y revenir.

6, 7, 8 janvier. Dans la discussion générale du projet de loi, la réduction du nombre des magistrats tenant les cours d'assises éprouva une opposition sérieuse. M. Gillon, premier orateur inscrit, s'éleva avec force contre ce système. Prévenant l'argument qu'on pourrait tirer de ce qu'en Augleterre un seul juge préside aux assises et détermine la peine, il fit observer que dans ce pays la culpabilité du prévenu, pour être constatée, exige l'unanimité du jury, et que d'ailleurs la peine est tellement mesurée sur chaque crime, qu'elle ne peut, comme en France, s'étendre et se resserrer à la volonté du juge. Enfin il trouvait des inconvénients graves à remettre à trois hommes seulement, et peut-être à un seul, à cause de son influence sur ses collègues, le choix des châtiments dans la vaste échelle des peines déterminées par notre Code, la fixation des amendes, la décision sur les incidents, les questions si épineuses d'identité, les circonstances atténuantes, enfin les condamnations à des dommages-intérêts ou réparations civiles, toutes matières sur lesquelles le président doit délibérer avec ses assesseurs, et à l'occasion desquelles

le magistrat se voit forcé d'avoir égard au fait même, et de l'apprécier comme le juré.

Voyez, ajoutait l'orateur, quelle rassurante garantie s'attache, devant nos tribunaux civils, à nos procès ordinaires, dans lesquels cependant ne s'engagent presque jamais des questions d'honneur. Sans avoir eu lé malheur de plaider, chacun de vous sait que si l'intérêt dépasse 1,000 francs, on a le droit d'appeler du jugement de première instance, rendu par trois juges au moins, devant la cour royale, qui donne sept magistrats pour juges suprêmes. Et la cour d'assises, où s'agitent des intérêts de fortune, de vie, d'honneur, n'offrirait que trois magistrats prononçant en juges souverains un arrêt de premier et dernier ressort ! »

MM. Martin, Dumont - Saint-Priest, Jacquinot- Pampelune, parlèrent dans le même sens.

Au contraire, M. Isambert soutenait que la réduction du nombre des juges était une mesure nécessaire et avantageuse dans l'état actuel des choses; que la responsabilité moins éten due serait plus réelle; que l'on aurait toujours ainsi l'élité des tribunaux ; que d'ailleurs le projet du gouvernement s'étayait de l'expérience du passé, puisque, jusqu'à la mise en activité du code d'instruction criminelle, trois magistrats seulement avaient composé les cours. Aujourd'hui qu'on rendait au jury toute sa pureté, qu'on le dégageait de toute intervention étrangère, ne fallait-il pas en revenir à l'ancienne combinaison ?

Deux objections, entre autres, étaient encore faites par les adversaires du projet : suivant eux, il portait atteinte à la faculté donnée aux magistrats des cours d'assises, par l'article 352 du code d'instruction criminelle, de surseoir au jugement d'une affaire et de la renvoyer à une autre session, s'ils sont unanimement convaincus que le jury s'est trompé au fond, de plus, il affaiblissait les cours. M. Renouard, commissaire du gouvernement, répondait à ces objections, qu'il était plus facile de convaincre trois personnes que cinq donc l'accusé ne pouvait que gagner au changement; ensuite, qu'il s'agissait des juges du droit, et qu'ici la garantie était moins dans le nombre que dans le choix. Un autre orateur (M. Gaujal), tout en appuyant le projet

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