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nulé? Non; car le seul obstacle qui s'opposait à sa validité était l'existence du conjoint absent, et cette existence n'est pas démontrée. En un mot on ne permet pas à l'époux présent de contracter un nouveau mariage tant que dure l'absence de son conjoint, parce que la mort de celui-ci n'est pas certaine; mais si en fait l'époux présent a contracté un nouveau mariage, sa nullité ne pourra pas être demandée tant que l'absence durera, parce que l'existence du conjoint absent à l'époque de la célébration de ce deuxième mariage n'est pas démontrée. C'est ce qui résulte de l'article 139, ainsi conçu : « L'époux absent dont le con«joint a contracté une nouvelle union, sera seul recevable à attaquer « ce mariage par lui-même ou par un fondé de pouvoirs muni de la « preuve de son existence ».

Bien que ce texte parle de l'époux absent, expression qui dans la rigueur du langage juridique désigne l'époux déclaré absent, on admet en général que l'article 139 est applicable même au cas où l'époux au préjudice duquel le nouveau mariage a été contracté est simplement présumé absent. Eadem est ratio. Nous avons d'ailleurs déjà remarqué que le langage de la loi n'est pas toujours en cette matière d'une précision rigoureuse.

On admet généralement aussi que le mandataire dont parle l'article 139 est un mandataire spécial, c'est-à-dire un mandataire spécialement chargé par l'absent d'attaquer le mariage contracté par le conjoint présent, et non un mandataire général. En effet le mandat ne comprend que ce qu'il a été dans l'intention des parties d'y faire entrer; or le mandat général donné par l'absent avant son départ n'était vraisemblablement relatif dans son idée qu'à l'administration de ses biens; il ne comprenait pas par conséquent le droit d'attaquer le mariage que pourrait contracter son conjoint. Coinment supposer, quand il ne s'en est pas expiiqué, que l'absent ait prévu le cas tout à fait extraordinaire où son conjoint viendrait à contracter un nouveau mariage à son préjudice, et ait entendu charger son mandataire général du soin d'attaquer ce mariage le cas échéant?

Il s'agit donc d'un mandataire spécial.

La loi dit que la demande en nullité formée par ce mandataire ne sera recevable qu'autant qu'il sera muni de la preuve de l'existence de l'absent. Mais la procuration donnée par l'absent n'est-elle pas une preuve certaine de son existence? Un mort peut-il donc donner une procuration? O Cela est vrai. Mais d'abord la procuration peut avoir été donnée par l'absent, avant que le mariage fût contracté et alors qu'il était seulement projeté. En ce cas la procuration ne prouve pas que l'absent fût vivant au moment de la célébration du mariage, ce qui est cependant nécessaire pour que le mariage soit nul. Et puis le mandat s'éteint

par la mort du mandant; or cette mort peut être probable, si la procuration est de date ancienne. Dans ces deux cas le mandataire pourra être obligé de se munir de la preuve de l'existence de l'absent.

383. Voici une question qui est beaucoup plus délicate. Tant que l'absence dure, l'application de l'article 439 est sans difficulté : dans l'incertitude où l'on est sur le point de savoir si l'absent existait ou s'il était décédé lors du mariage de son conjoint, la loi ne permet pas que ce mariage soit attaqué. Mais voilà que l'absence cesse on reçoit des nouvelles de l'absent, ou même il est là, de retour, sur les lieux. Faudra-t-il dire encore que lui seul est recevable à attaquer le mariage contracté par son conjoint, et que s'il juge bon de garder le silence nul ne pourra l'attaquer à sa place? On l'a soutenu. Mais l'exposé seul des conséquences auxquelles ce système conduirait ne doit-il pas suffire pour le faire rejeter? Comment! parce que l'absent trouve à propos de garder le silence, il faudra que tous les intéressés se taisent aussi! La société elle-même, représentée par le ministère public, n'aura pas le droit d'élever la voix pour faire cesser le scandale que cause la situation d'un homme qui a légalement deux femmes présentes, ou d'une femme qui a deux maris! Il faudrait un texte bien formel pour que l'on fût condamné à accepter une solution aussi immorale! L'article 439 l'est-il suffisamment, ainsi que l'ont prétendu plusieurs auteurs et tout récemment M. Laurent? S'il en était ainsi, on devrait s'incliner; car il n'appartient pas à l'interprète de réformer la loi, sous prétexte que son application peut entraîner des inconvénients. Mais il nous semble que la loi ne dit pas ce qu'on lui fait dire. Elle parle de l'époux absent; or l'époux absent c'est celui dont l'existence est incertaine. Tant que cette incertitude durera, personne ne pourra attaquer le mariage, excepté l'absent lui-même ou son fondé de pouvoirs. Mais une fois que l'absence aura cessé, le droit commun reprendra son empire, et la nullité du mariage pourra être demandée par toutes les personnes désignées en l'article 184.

D'après une autre interprétation, la nullité du mariage contracté par le conjoint de l'absent ne pourrait être demandée que par l'absent ou son fondé de pouvoirs tant que l'absent n'est pas de retour sur les lieux, et cela alors même que son existence serait démontrée. Aussitôt que l'absent serait de retour sur les lieux, toutes les personnes que désigne l'article 484 pourraient demander la nullité. Au point de vue rationnel, ce système est assez satisfaisant; car aussitôt que l'absent est de retour sur les lieux, il y a un scandale à faire cesser, et on ne comprendrait pas que la société elle-même eût les mains liées quand l'absent garde le silence; tandis qu'il n'y a pas de scandale, ou du moins le scandale est beaucoup moins grave, quand l'absent n'a pas encore reparu à son domicile, bien qu'on ait de ses nouvelles, et on comprendrait que cette circonstance eût pu déterminer le législateur à refuser à tout autre qu'à l'absent le droit d'attaquer le mariage. Mais la question est de savoir, non pas ce que le législateur aurait pu ou dû faire, mais bien ce qu'il a fait. Pour que l'interprétation qui vient d'être indiquée fût admissible, il faudrait que les mots « l'époux absent » de l'article 439 signifiassent « l'époux qui n'est pas présent sur les lieux ». Or cette interprétation est bien difficile à admettre, non-seulement parce que ce n'est pas le sens ordinaire de ces expressions, mais aussi parce que dans l'article suivant (art. 140) elles n'ont pas ce sens. Est-il probable que, dans deux articles voisins et relatifs à un même ordre d'idées, le législateur ait employé les mêmes expressions en leur donnant un sens différent?

384. La femme dont le mari est absent n'est pas relevée de l'incapacité dont elle est atteinte en sa qualité de femme mariée. Seulement, comme il lui est impos sible d'obtenir l'autorisation de son mari, cette autorisation devra être suppléée par celle de la justice (art. 222).

Mais supposons qu'en fait la femme ait contracté sans l'autorisation de la justice; devra-t-elle pour ce seul motif obtenir sur sa demande la nullité du contrat? Non, surtout si en contractant elle s'est déclarée veuve; car peut être le mari était-il mort à l'époque où le contrat a été passé, cas auquel il est certainement valable, l'incapacité de la femme cessant avec le mariage. La femme demanderesse en nullité devra donc prouver que son mari était vivant à l'époque où elle a contracté; cette condition est en effet nécessaire au succès de son action, et tout demandeur doit prouver le bien-fondé de sa demande. A défaut de cette preuve elle devrait succomber. En ce sens, Caen, 43 décembre 1875, S., 76. 2. 137.

385. Aux termes de l'article 140 : « Si l'époux absent n'a point laissé de parents » habiles à lui succéder, l'autre époux peut demander l'envoi en possession provisoire ». Ce texte se borne à forrauler une solution que l'on aurait très-facilement déduite des articles 120 et 767 combinés; il est donc tout à fait inutile.

CHAPITRE IV

DE LA SURVEILLANCE DES ENFANTS MINEURS DU PÈRE QUI A DISPARU

386. Un père ou une mère dont les enfants sont mineurs disparaît. Comment sera réglé le sort des enfants? Qui exercera sur eux la puissance paternelle ou la puissance tutélaire? Telle est la question que prévoit et règle notre chapitre. Il la règle incomplétement toutefois; car d'une part il ne s'occupe que de la disparition du père, et d'autre part il ne parle que du cas où l'absence est présumée, laissant de côté celui où elle est déclarée. Nous aurons à combler ces lacunes.

I. Le père ou la mère qui a disparu est en état d'absence présumée. 387. Toutes les dispositions de notre chapitre sont exclusivement relatives à ce cas (argument des mots disparu, disparition, qu'on trouve dans la rubrique et dans les articles 141, 142, 143, et de ces mots de l'art. 142: avant que l'absence ait été déclarée). Toutes aussi, sauf celle de l'article 143, sont relatives à la disparition du père seulement. Nous allons examiner successivement les conséquences de la disparition du père et de celle de la mère.

A. Disparition du père.

388. La loi prévoit trois hypothèses :

1° Disparition du père, la mère étant vivante. - Ce cas est régi par l'article 141, ainsi conçu : « Si le père qui a disparu laissant des enfants › mineurs issus d'un commun mariage, la mère en aura la surveillance, » et elle exercera tous les droits du mari quant à leur éducation et à l'ad» ministration de leurs biens. » Tant que dure le mariage, la puissance paternelle sur la personne et sur les biens des enfants mineurs appartient collectivement au père et à la mère (art. 372). Il est donc tout naturel que, lorsque le père, qui seul a l'exercice de cette puissance pendant la durée du mariage (art. 373), vient à disparaître, cet exercice

passe à la mère. C'est ce que dit en substance notre article, qui permet à la mère d'exercer « tous les droits du mari relativement à l'éducation des enfants et à l'administration de leurs biens», c'est-à-dire tous les droits résultant de la puissance paternelle sur la personne et sur les biens des enfants; car les droits sur la personne des enfants se résument dans le droit d'éducation, et les droits sur leurs biens dans le droit d'administration.

La mère aura donc sur la personne de ses enfants le droit de correction, l'un des corollaires du droit d'éducation. Toutefois elle ne pourra l'exercer qu'avec la restriction qui lui est imposée pour le cas où elle est veuve par l'article 384, car cette restriction tient au sexe. Il impliquerait d'ailleurs contradiction que la femme pût exercer le droit de correction avec plus de plénitude quand son mari est absent que quand il est mort. La loi, il est vrai, dit que la femme exerce «< tous les droits du mari», par conséquent le droit de correction; mais elle ne dit pas qu'elle les exercera de la même manière que lui.

Sur les biens de ses enfants la femme aura le droit d'administration qui appartenait au père (art. 389). Aura-t-elle besoin, pour accomplir les différents actes que cette administration comporte, de l'autorisation de la justice par application de l'article 222? Non : cette exigence rendrait l'administration impossible. Nous voyons d'ailleurs que, dans tous les cas où la femme est autorisée par la loi ou par contrat à administrer son propre patrimoine, elle n'a pas besoin d'une autorisation spéciale pour chaque acte d'administration (C. art. 223, 1449, 1536, 1576; Co., art. 5).

La femme aura aussi sur les biens de ses enfants le droit de jouissance légale de l'article 384; puisque la mère a les charges de l'administration, il est juste qu'elle en ait les émoluments. Et toutefois cette solution est gravement contestée, principalement parce que l'article 384 n'accorde le droit de jouissance légale à la mère qu'après la dissolution du mariage. Cela est vrai; mais ici comme partout lex statuit de eo quod plerumque fit. Le cas d'absence du mari, précisément parce qu'il est fort rare, ne s'est pas présenté à l'esprit du législateur. C'est ainsi qu'il a pu dire dans l'article 384 que le droit de jouissance légale appartient au père durant le mariage, de même qu'il a dit dans l'article 373 que le père seul exerce la puissance paternelle durant le mariage. Et puisque les termes de l'article 373 ne font pas obstacle à ce que la puissance paternelle passe à la mère durant le mariage en cas d'absence du mari, ceux de l'article 384 ne doivent pas non plus faire obstacle à ce que dans la même hypothèse la femme ait le droit de jouissance légale.

Le pouvoir, que la femme exerce en cas d'absence présumée de son mari sur la personne et sur les biens de ses enfants, n'est pas une tutelle. La tutelle ne s'ouvre que par la mort de l'un des époux (art. 390), et la mort de l'absent n'est pas prouvée, elle n'est même pas présumée. D'ailleurs la loi décide qne la femme exerce « les droits du mari». Or le mari n'était pas tuteur, mais administrateur légal (art. 389). Il en résulte qu'il n'y aura pas lieu de nommer un subrogé-tuteur à la mère, et que ses biens ne seront pas grevés d'une hypothèque légale au profit de ses enfants mineurs.

389. 2o Disparition du père, la mère étant déjà décédée. Cette hypothèse, ainsi que la suivante, est régie par l'article 142, ainsi conçu : « Six mois après la disparition du père, si la mère était décédée lors de » cette disparition, ou si elle vient à décéder avant que l'absence du père » ait été déclarée, la surveillance des enfants sera déférée, par le conseil

» de famille, aux ascendants les plus proches, et à leur défaut, à un tu>teur provisoire. »

Ici le père était tuteur au moment où il a disparu; car la tutelle avait été ouverte par la mort de la mère, et le père avait été de plein droit investi des fonctions de tuteur (art. 390). La loi dispose qu'avant de prendre les mesures dont il va être parlé on attendra pendant six mois; il ne faut pas que l'on s'ingère précipitamment dans les affaires de l'absent. Pendant ces six mois il pourra y avoir lieu, sur la réquisition des parties intéressées, à l'application des mesures conservatoires prescrites par les articles 112 et s. Une fois les six mois expirés, « la surveil>> lance des enfants sera déférée par le conseil de famille aux ascendants >> les plus proches et à leur défaut à un tuteur provisoire. »

Ici c'est d'une véritable tutelle qu'il s'agit, bien que la loi emploie le mot surveillance. Ce n'est guère douteux, quand, à défaut d'ascendants, le conseil de fa mille défère la surveillance des enfants à un collatéral ou même à un étranger: la loi le désigne en effet sous le nom de TUTEUR provisoire. Et comment dès lors en serait-il autrement quand la surveillance a été déférée à un ascendant? Comment le même mot surveillance pourrait-il désigner une tutelle quand elle est confiée à un autre qu'à un ascendant et autre chose qu'une tutelle quand elle est déférée à un ascendant? Il y a donc tutelle; par suite il y a lieu à la nomination d'un subrogétuteur (arg., art. 420) et le tuteur sera grevé sur ses biens d'une hypothèque légale (arg., art. 2424). D'ailleurs cette tutelle est provisoire, ce qui signifie qu'elle devra être restituée au père s'il reparaît.

* On peut se demander pourquoi la loi, au lieu de désigner elle-même l'ascendant qui devra gérer la tutelle à la place du père, comme elle le fait dans les autres cas où il y a lieu à la tutelle des ascendants (art. 402 et s.), laisse au conseil de famille le soin de faire cette désignation. Il y a là, on ne peut se le dissimuler, un défaut de concordance dans la loi. Voici d'où il vient. Le projet du titre De la tulelle laissait au conseil de famille, dans tous les cas où il y avait lieu à la tutelle des ascendants, le soin de désigner celui des ascendants qui serait tuteur. L'article 442 contient une application de ce système, et s'il eût été maintenu la loi aurait offert en cette matière une parfaite harmonie dans ses dispositions. Mais lors de la discussion du titre De la tutelle on adopta un système nouveau d'après lequel l'ascendant chargé de gérer la tutelle était désigné de plein droit par la loi elle-même et non par le conseil de famille. Les articles 402 et suivants furent rédigés et votés en ce sens. Ce changement aurait dû entrainer comme conséquence logique le remaniement de l'article 442 en vue de le mettre en harmonie avec le nouvel état de choses; mais on n'y a pas songé.

Quoi qu'il en soit, quelques auteurs estiment que l'interprète doit réparer cet oubli; ils décident en conséquence que l'ascendant, chargé de gérer provisoirement la tutelle en cas d'absence du père, sera celui que les articles 402 et suivants désigneraient de plein droit pour remplacer le père si son décès était prouvé. Mais cette solution, qui a pour résultat d'abroger l'article 142 in parte qua, paraît inadmissible. Au législateur seul il appartient d'abroger la loi : ce qu'il peut faire expressément ou tacitement. D'abrogation expresse, il n'y en a pas ici, et d'abrogation tacite non plus; car l'article 442 n'est pas incompatible avec les articles 402 et suivants, ni avec aucun autre texte de loi. Donc cet article subsiste tel qu'il est.

390. 3o Disparition du père suivie du décès de la mère avant la déclara

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