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peut soutenir qu'il a un droit acquis à n'être pas protégé. De plus ce sont des lois d'intérêt général, et l'intérêt général l'emporte sur l'intérêt particulier. Tout ce qu'exige ici le principe de non-rétroactivité, c'est que le sort des actes accomplis sous l'empire de la loi ancienne ne soit pas modifié par la loi nouvelle, car de ces actes résultent des droits acquis.

Voyons quelques applications de cette règle.

* 54. 1° Lois relatives à la majorité et à l'interdiction.

a). La plupart de nos anciennes coutumes fixaient la majorité à 25 ans. La loi du 20 septembre 1792, dont la disposition a été reproduite par le Code civil (art. 488), fixa la majorité à 21 ans. Cette loi a rendu immédiatement majeurs tous ceux qui avaient plus de 21 ans et moins de 25 ans, mais elle n'a pas pu avoir pour résultat de valider les actes par eux accomplis sous l'empire de la loi ancienne et qui étaient nuls d'après cette loi.

b). La coutume de Normandie fixait la majorité à 20 ans. La loi du 20 septembre 1792, qui la recula jusqu'à 21 ans, a eu pour conséquence de faire redevenir mineurs tous ceux qui avaient plus de 20 ans et moins de 21 ans lors de sa promulgation; mais elle n'a porté aucune atteinte à la validité des actes par eux accomplis sous l'empire de la loi ancienne.

c). Dans notre ancien Droit, on interdisait les prodigues qui se trouvaient ainsi frappés d'une incapacité générale. Le Code civil ne permet plus de les interdire, mais seulement de leur nommer un conseil judiciaire sans l'assistance duquel ils ne peuvent pas accomplir les actes limitativement énumérés par l'article 513. Il est certain que les prodigues, qui étaient interdits lors de la promulgation du Code civil, ont pu demander la main-levée de leur interdiction. Mais la Cour de cassation n'est-elle pas allée trop loin en décidant que de plein droit l'interdiction des prodigues a été levée par le Code civil et leurs curateurs transformés en conseils judiciaires? Le législateur aurait pu le décider ainsi; mais dans son silence il paraît difficile d'admettre cette solution, qui a pour résultat de détruire de plein droit l'autorité d'un jugement rendu sous l'empire de la loi ancienne.

* 55. 2° Lois relatives à la capacité des femmes mariées.

Dans les pays de Droit écrit les femmes mariées pouvaient contracter et ester en justice sans l'autorisation de leurs maris. La publication du titre du mariage qui frappe la femme mariée d'une incapacité générale leur a fait perdre ce droit pour l'avenir (art. 215 et s.). Mais les actes valablement accomplis sous l'empire de l'ancienne loi n'ont pas été atteints par la loi nouvelle. En Bourgogne les femmes ne pouvaient pas tester sans l'autorisation de leurs maris. L'article 226 du Code civil a rendu

toutes les femmes de ce pays, qui étaient mariées à l'époque où il est devenu obligatoire, capables de tester sans autorisation; mais il n'a pas validé les testaments faits par elles antérieurement et nuls d'après l'ancienne loi pour défaut d'autorisation.

B. Lois relatives aux biens.

* 56. 1o Lois qui déterminent les conditions de validité des contrats. Les contrats sont toujours régis, en ce qui concerne les conditions requises pour leur validité, par la loi existante à l'époque où ils sont faits. Un contrat est la source de droits acquis aussitôt qu'il est devenu parfait, et ces droits ne doivent par suite recevoir aucune atteinte d'une loi nouvelle qui viendrait changer les conditions de validité exigées par la loi sous l'empire de laquelle le contrat a été fait. Ainsi notre ancien Droit admettait la validité des renonciations anticipées à succession faites par contrat de mariage; les renonciations de ce genre, valablement faites d'après la loi alors en vigueur, n'ont pas cessé d'être valables sous l'empire du Code civil, bien qu'il contienne un article qui les prohibe (art. 791).

*

57. 2 Lois relatives aux effets des contrats. Les effets des contrats sont régis par la loi en vigueur à l'époque où ils ont été passés. Ils ne seraient pas modifiés par une loi nouvelle qui viendrait régler ces effets d'une manière différente. Les effets des contrats dépendent de la volonté des parties contractantes; et, si la loi les détermine, c'est pour éviter aux parties le soin de les indiquer elles-mêmes. Quand les parties font un contrat, une vente par exemple, sans entrer dans aucune explication relativement aux effets que le contrat doit produire, elles sont censées s'être référées à la loi sur ce point; elles n'ont besoin de s'expliquer que quand elles veulent faire produire au contrat des effets autres que ceux qui sont indiqués par la loi. Cela posé, les parties, qui contractent sans préciser les effets que le contrat doit produire, ne peuvent s'en être référées qu'à la loi en vigueur à l'époque où elles ont contracté. C'est donc cette loi qui devra être appliquée pour déterminer les effets du contrat, à quelqu'époque qu'ils se produisent et alors même qu'ils se produiraient sous l'empire d'une loi nouvelle.

Ainsi la plupart de nos anciennes coutumes accordaient à l'époux survivant des droits dits de survie. Le survivant de deux époux, mariés sous l'empire d'une de ces coutumes, a pu réclamer ces droits de survie même sous l'empire du Code civil, bien que le Code civil ne les accorde plus de plein droit à l'époux survivant. En effet, si ces droits de survie avaient été stipulés par les époux dans leur contrat de mariage, il est incontestable qu'ils pourraient être réclamés même sous l'empire du Code civil qui autorise une stipulation de ce genre. Or, par cela même

que la coutume en vigueur au moment du mariage les accordait de plein droit, les époux sont censés les avoir stipulés; il y a à cet égard une convention tacite que la loi nouvelle doit respecter. De même on doit décider, quoique il y ait quelque difficulté sur ce point, que les immeubles dotaux d'une femme, mariée sous le régime dotal avant le Code civil dans un pays où les immeubles dotaux étaient aliénables, sont demeurés tels même sous l'empire du Code civil, malgré l'article 1554 qui déclare les immeubles dotaux in aliénables. On objecte que c'est là une question de capacité, et que les lois relatives à la capacité saisissent immédiatement les individus; donc, dit-on, les époux, qui étaient capables d'aliéner les immeubles dotaux avant le Code civil, sont devenus incapables de les aliéner depuis sa promulgation. N'est-ce pas une question de régime plutôt qu'une question de capacité? Même sous le Code civil les époux qui se marient sous le régime dotal peuvent stipuler que leurs immeubles do taux seront aliénables (art. 1557). Ne peut-on pas dire qu'ils sont censés avoir fait cette stipulation par cela seul que la loi en vigueur lors de leur mariage déclarait les immeubles dotaux aliénables?

Si la question inverse se présentait, elle devrait recevoir une solution analogue pour les mêmes motifs.

58. 3o Lois relatives à la résolution des contrats. La résolution des contrats comme leurs effets dépend de la volonté des parties contractantes; elle doit donc être régie par la loi qui était en vigueur lors de la convention, car les parties sont censées avoir stipulé la résolution dans les termes où la loi alors en vigueur l'établissait.

On doit décider par application de ce principe (mais il y a controverse sur ce point) que l'article 1978 du Code civil, aux termes duquel « le seul défaut du paiement des arrérages de la rente (viagère) n'autorise point celui en faveur de qui elle est constituée à demander le remboursement du capital ou à rentrer dans le fonds par lui aliéné...........,» n'est pas applicable aux contrats de constitution de rente viagère faits avant le Code civil sous l'empire d'une législation qui autorisait la résolution du contrat pour défaut de paiement des arrérages.

En sens inverse l'article 1912, qui introduit une cause de résolution inconnue dans notre ancien Droit, ne doit pas être appliqué aux contrats de constitution de rentes perpétuelles faits avant que cet article soit devenu obligatoire. Sur ce point cependant la doctrine en général et la jurisprudence sont en sens contraire.

59. 4° Lois relatives à la forme des actes. Quand il s'agit de savoir si un acte est valable en la forme, il faut appliquer la loi en vigueur à l'époque où l'acte a été fait. Tempus regit actum. Un acte sera donc toujours valable quand il aura été fait suivant les formes prescrites par la loi alors

existante, alors même qu'une loi nouvelle viendrait à exiger des formes différentes; car les parties n'ont pu suivre que les prescriptions de la loi en vigueur à l'époque où elles ont fait l'acte, et elles ont un droit acquis à ce qu'il soit maintenu quand il a été fait conformément à cette loi. En sens inverse un acte, qui est nul en la forme d'après la loi en vigueur à l'époque où il a été fait, restera tel même sous l'empire d'une loi postérieure, aux prescriptions de laquelle il se trouverait satisfaire en ce qui concerne la forme. Ainsi la coutume du Poitou permettait de faire les contrats de mariage par acte sous seing privé. Les contrats faits en cette forme sous l'empire de cette coutume n'ont pas cessé d'être valables sous l'empire du Code civil, bien que l'article 1394 exige a peine de nullité que les contrats de mariage soient faits par acte notarié.

Réciproquement, si l'on suppose qu'une loi nouvelle vienne un jour autoriser l'emploi de la forme sous seing privé pour les contrats de mariage, cela ne sauvera pas de la nullité les contrats de mariage faits en cette forme sous l'empire du Code civil.

La règle que la validité d'un acte quant à la forme s'apprécie d'après la loi en vigueur à l'époque où l'acte a été fait, s'applique même aux testaments. Après quelques variations, la doctrine et la jurisprudence sont depuis longtemps fixées en ce sens.

*60. 5° Lois relatives à la preuve des actes. C'est encore la loi en vigueur à l'époque où un acte a été accompli qu'on devra appliquer, quand il s'agira de savoir de quelle manière l'existence de cet acte peut être prouvée; car, à l'époque où il a été accompli, les parties ont dû avoir égard à la loi alors existante pour s'assurer les moyens de le prouver le cas échéant, et on pourrait les mettre dans l'impossibilité d'en établir l'existence si on appliquait en ce qui concerne la preuve une loi autre que celle qui était en vigueur lors de l'acte. Ainsi la loi actuelle autorise l'emploi de la preuve testimoniale jusqu'à 150 fr. (art. 1341). Si je fais aujourd'hui une vente moyennant 120 fr., je pourrai en établir l'existence par témoins même sous l'empire d'une loi postérieure qui supprimerait la preuve testimoniale ou qui en restreindrait l'usage.

61. 6° Lois relatives à la procédure à suivre pour faire valoir un droit. On appliquera la loi en vigueur à l'époque où l'action est intentée, de sorte que la procédure à suivre, pour l'exécution d'un contrat par exemple, pourra être différente de celle organisée par la loi en vigueur à l'époque où le contrat a été fait. Les parties ont bien un droit acquis à l'exécution de leur contrat, mais non au mode d'exécution. Il n'est pas vraisemblable d'ailleurs qu'en contractant elles se soient préoccupées de la procédure qu'elles auraient à suivre si elles avaient à réclamer judiciairement plus tard l'exécution du contrat. Tout au plus

ont-elles pu concevoir à cet égard une espérance que la loi nouvelle peut leur ravir.

62. Il en est de même, et pour les mêmes motifs, en ce qui regarde l'exécution forcée des contrats. On devra toujours appliquer la loi existante au moment où cette exécution est réclamée. Ce ne sont pas les parties qui exécutent, c'est la puissance publique, et il est clair qu'elle ne doit prêter son concours que dans les conditions prescrites par la loi de l'époque où ce concours est réclamé. Ainsi l'exécution forcée d'un contrat, pour lequel la loi en vigueur lors de sa formation autorisait l'emploi de la contrainte par corps, ne peut plus être obtenue aujourd'hui par ce moyen, la contrainte par corps ayant été abolie en matière civile et commerciale par la loi du 22 juillet 1867.

* 63. 7° Lois relatives à la prescription. Une prescription accomplie, qu'elle soit acquisitive ou libératoire, constitue un droit acquis. Les droits résultant d'une prescription accomplie ne recevront donc aucune atteinte d'une loi nouvelle, qui viendrait changer les conditions exigées par la loi ancienne pour l'accomplissement de la prescription. Ainsi j'acquiers par prescription la propriété d'un bien que j'ai possédé pendant trente ans ; la prescription accomplie, survient une loi nouvelle qui décide que la prescription ne s'accomplira plus désormais que par quarante ans. Cette loi nouvelle ne portera aucune atteinte au droit que j'ai acquis.

Mais tant que la prescription n'est pas accomplie, celui qui est en voie de prescrire n'a qu'une simple espérance ou expectative qu'une loi nouvelle peut lui ravir. C'est donc la loi nouvelle qui devra être appliquée à toutes les prescriptions qui étaient seulement commencées lors de sa promulgation.

Une loi nouvelle peut rendre prescriptibles des biens que la législation antérieure déclarait imprescriptibles. Réciproquement, une loi nouvelle peut rendre imprescriptibles des biens qui auparavant pouvaient être prescrits, sauf à respecter les prescriptions accomplies lors de la mise a exécution de la loi nouvelle.

64. 8° Lois relatives aux droits d'hérédité. On ne peut avoir de droit acquis sur une hérédité que lorsqu'elle est ouverte. Jusque-là il n'y a place que pour une espérance ou expectative plus ou moins incertaine que le législateur peut nous ravir. Une loi nouvelle, qui modifie la législation en ce qui concerne la dévolution des successions, s'appliquera donc à toutes les successions non encore ouvertes à l'époque où elle devient obligatoire. Les autres seront régies par la loi ancienne, parce que ceux auxquels la loi ancienne les déférait sont devenus propriétaires irrévocables des biens qui en faisaient partie et ont ainsi un droit acquis à les conserver. Par exemple, d'après la législation actuelle, l'époux survivant n'est

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