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3° L'époux contre lequel la séparation de corps a été prononcée perd son droit au préciput (arg., art. 1518). Cette déchéance doit être appliquée, car il y a même raison de décider, aux autres droits de survie sur les biens de la communauté, v. gr. l'attribution au survivant d'une part de la communauté plus forte que la moitié.

Doit-elle être étendue aussi à tous les autres avantages, qui ont été faits à l'époux coupable par son conjoint soit par le contrat de mariage soit depuis le mariage contracté? En d'autres termes faut-il appliquer à la séparation de corps les articles 299 et 300, ainsi conçus :

Art. 299. « Pour quelque cause que le divorce ait lieu, hors le cas du consentement mu« tuel, l'époux contre lequel le divorce aura été admis, perdra tous les avantages que » l'autre époux lui avait faits, soit par contrat de mariage, soit depuis le mariage » contracté ».

Art. 300. « L'époux qui aura obtenu le divorce, conservera les avantages à lui faits par » l'autre époux, encore qu'ils aient été stipulés réciproques et que la réciprocité n'ait pas » lieu ».

La jurisprudence paraît définitivement fixée dans le sens de l'affirmative depuis l'arrêt solennel du 23 mai 1845 (Sir., 45. 4. 321), par lequel la Cour de cassation a condamné sa jurisprudence antérieure sur ce point. Cet arrêt fut rendu contrairement aux conclusions du procureur-général Dupin, et Troplong raconte (Traité des Donations, no 4357) que ce ne fut qu'après un délibéré de sept heures et demie, qu'une majorité de 18 voix contre 46 put se former pour repousser les conclusions du procureur-général. Rien ne saurait mieux prouver la difficulté de la question.— La jurisprudence se fonde principalement sur ce que le législateur, n'ayant pas indiqué les effets de la séparation de corps, a dû vouloir s'en référer sur ce point au titre du Divorce; on doit donc appliquer à la séparation de corps tous les effets du divorce, à l'exception bien entendu de ceux qui sont une conséquence de la dissolution du mariage opérée par le divorce; or la déchéance établie par l'article 299 n'est pas une conséquence de la dissolution du mariage, c'est une sorte de peine prononcée contre l'époux ingrat; donc elle est applicable à la séparation de corps. La jurisprudence invoque en outre un argument a fortiori tiré de l'article 15:8 et l'autorité de notre ancien Droit.-Malgré ces raisons, un parti important dans la doctrine persiste à soutenir que l'article 299 n'est pas applicable à la séparation de corps. A quelque point de vue qu'on se place, dit-on, il est certain que l'article 299 contient une déchéance; or les dispositions qui établissent des déchéances sont de droit étroit, elles ne peuvent pas être étendues d'un cas à un autre. D'ailleurs plusieurs textes nous prou. vent que l'intention du législateur n'a pas été d'appliquer à la séparation de corps toutes les déchéances pécuniaires qu'entraîne le divorce; c'est ainsi que la séparation de corps, à la différence du divorce, laisse subsister le droit de successibilité réciproque entre époux (arg., art. 767), et ne fait pas perdre, comme le divorce, à l'époux contre lequel elle a été prononcée la jouissance légale de l'article 384 (arg., art. 386).

VI. De la cessation de la séparation de corps.

663. La séparation de corps peut cesser quant aux personnes par le consentement mutuel des époux; tout le monde admet qu'il n'y a pas lieu d'appliquer à la séparation de corps l'article 295, aux termes duquel <<< les époux qui divorceront pour quelque cause que ce soit ne pourront plus se réunir ». On conçoit que la loi n'ait pas voulu favoriser le caprice de deux époux qui, après avoir fait rompre leur union, demandent à la renouer. Mais la séparation de corps ne dissout pas le mariage, et la loi

ne pouvait voir que d'un œil favorable les tentatives faites par les époux pour en resserrer le lien qui est seulement relâché. Aussi ne prescrit-elle aucune forme solennelle pour la manifestation de la volonté des époux qui veulent faire cesser la séparation de corps. Le simple fait du rétablissement de la vie commune suffit : il prouve en effet d'une manière non équivoque la volonté des époux de renoncer à la séparation de corps, puisqu'ils abandonnent d'un commun accord la situation que cette séparation leur avait créée.

Le consentement des deux époux est nécessaire pour faire cesser la séparation de corps; la volonté de l'époux qui l'a obtenue ne suffirait pas. Inutilement dit-on que, la séparation constituant un bénéfice pour l'époux qui l'a obtenue, il est libre d'y renoncer et de forcer son conjoint au rétablissement de la vie commune. Il faut répondre que le jugement qui a prononcé la séparation de corps a fait naître une situation nouvelle pour les époux; elle appartient à chacun d'eux comme leur appartiendrait la situation qu'ils se seraient créée par un contrat. In judiciis quasi contrahimus. Et de même que le contrat ne peut être révoqué que d'un commun accord (art. 1434), de même un commun accord est nécessaire pour révoquer la séparation de corps. Cette idée apparaît bien dans l'article 309, qu'on invoque tout à fait à tort au soutien de l'opinion adverse. Cet article, supposant que la séparation de corps a été prononcée contre la femme pour cause d'adultère et que celle-ci a en outre été condamnée à la peine édictée par l'article 308, dit : « Le mari restera le » maitre d'arrêter l'effet de cette condamnation en CONSENTANT à reprendre sa femme ». En CONSENTANT, ce qui suppose un accord entre la femme et le mari; car consentir, c'est vouloir ce qu'un autre veut, sentire cum alio. Ce texte ne dit donc pas, comme quelques-uns le prétendent, que le mari peut par sa seule volonté forcer sa femme à reprendre la vie commune; il signifie plutôt le contraire.

Le rétablissement de la vie commune, qui suffit, comme on vient de le voir, pour faire cesser les effets de la séparation de corps quant à la personne des époux, ne suffit pas pour faire cesser les effets de cette même séparation quant à leurs biens. En d'autres termes, les époux qui ont rétabli la vie commune cesseront d'être séparés de corps, mais ils continueront à être séparés de biens; leur régime matrimonial brisé par la séparation de corps ne revivra pas. Pour qu'il puisse revivre, il faut une convention passée dans la forme prescrite par l'article 4451.

TITRE VII

De la paternité et de la filiation.

664. « Le lien de parenté qui existe entre le père ou la mère et l'enfant, disent MM. Aubry et Rau, se nomme paternité ou maternité quand on l'envisage dans la personne du père ou de la mère, et filiation quand on le considère dans la personne de l'enfant. » On aurait donc pu se borner à intituler notre titre : De la filiation.

665. On distingue trois espèces de filiation, savoir: la filiation légitime, la filiation illégitime et la filiation adoptive. Les deux premières

sont l'œuvre de la nature, la troisième le résultat d'une fiction légale.

a). La filiation légitime est le fruit du mariage. Sont donc légitimes les enfants conçus des œuvres de deux personnes légitimement mariées. Toutefois la loi regarde aussi comme légitime l'enfant qui, conçu avant le mariage, est né pendant (art. 314); et d'un autre côté elle autorise la légitimation par mariage subséquent des enfants illégitimes, pourvu qu'ils ne soient pas le fruit d'un adultère ou d'un inceste (art. 331).

b). La filiation illégitime est le fruit du commerce de deux personnes qui ne sont pas légitimement mariées l'une avec l'autre au moment de la conception ou tout au moins de la naissance de l'enfant. Suivant la nature des rapports qui ont existé entre les parents de l'enfant au moment de sa conception, elle se subdivise en :

Filiation naturelle simple, résultant du commerce de deux personnes qui auraient pu valablement se marier l'une avec l'autre au moment de la conception de l'enfant;

Filiation adultérine, fruit d'un adultère;

Filiation incestueuse, fruit d'un inceste, c'est-à-dire du commerce de deux personnes parentes au degré où le mariage est prohibé.

c). La filiation adoptive résulte de l'adoption. C'est une filiation purement fictive.

Il n'est question dans notre titre (titre VII) que de la filiation légitime, dont le législateur traite dans les chapitres I et II consacrés l'un à la filiation paternelle, l'autre à la filiation maternelle, et de la filiation naturelle dont s'occupe le chapitre II. La filiation adoptive est reléguée dans le chapitre VIII. Cette division est assez vicieuse. Il aurait fallu, ou bien traiter dans un même titre divisé en trois chapitres des trois espèces de filiation, ou bien traiter de chaque espèce de filiation dans un titre distinct. A moins qu'on ne dise que le législateur a voulu réunir dans un même titre les deux filiations qui dérivent de la nature, et consacrer un titre spécial à celle qui ne résulte que d'une fiction de la loi.

CHAPITRE I

DE LA FILIATION DES ENFANTS LÉGITIMES OU NÉS PENDANT LE MARIAGE

I. Généralités.

666. La légitimité est le fruit du mariage. L'enfant qui se prétend légitime soutient donc qu'il a été conçu des œuvres de deux personnes légitimement mariées l'une avec l'autre au moment de sa conception

ou tout au moins de sa naissance. Prétention complexe, que par l'analyse on peut décomposer de la manière suivante : l'enfant qui se prétend légitime dit :

1° La femme que je soutiens être ma mère est ou a été mariée ;

2o Cette femme a eu un enfant, et c'est moi qui suis cet enfant (filiation maternelle);

3o J'ai été conçu ou tout au moins je suis né (art. 314) pendant le mariage de ma mère;

4° C'est le mari de ma mère qui est mon père (filiation paternelle).

L'enfant, qui se prétend légitime et à qui cette qualité est déniée, doit, d'après les principes du Droit commun (Actori incumbit probatio, Reus excipiendo fit actor) démontrer que cette qualité lui appartient, et faire par suite la preuve des différents faits qui viennent d'être indiqués, savoir le mariage de la femme qu'il prétend être sa mère, sa filiation maternelle, sa conception ou au moins sa naissance pendant le mariage, enfin sa filiation paternelle.

667. Les deux premiers faits, c'est-à-dire le mariage et la filiation maternelle, sont susceptibles d'une preuve directe et positive. Le mariage s'annonce en effet par une cérémonie solennelle, et la filiation maternelle par l'accouchement, faits susceptibles de tomber sous nos sens. Nous savons comment se prouve le mariage. Quant à la preuve de la filiation maternelle, le législateur s'en occupe dans le chapitre II. Nous pouvons dire tout de suite qu'elle se fait par l'acte de naissance (art. 319). 668. Il n'en est pas de même des deux derniers faits: la conception de l'enfant pendant le mariage de sa mère, et sa conception des œuvres du mari de sa mère (filiation paternelle). Le mystère de la conception échappe à nos investigations; aucun fait extérieur ne révèle à nos sens ni sa date ni son auteur. Aussi la loi a-t-elle établi cette présomption que L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari» (art. 312). Une présomption est une induction que la loi tire d'un fait connu à un fait inconnu, Le fait connu dans le cas qui nous occupe, c'est la maternité, c'est-à-dire la filiation de l'enfant par rapport à sa mère; le fait inconnu c'est la paternité, c'est-à-dire la filiation de l'enfant par rapport à son père. Eh bien ! de la maternité de la femme la loi conclut à la paternité de son mari; de ce fait connu qu'une femme mariée est devenue mère la loi tire cette induction que son mari est le père de l'enfant. Cette présomption, comme toutes les autres, est basée sur l'ordre naturel des choses, c'est-à-dire sur ce qui arrive le plus ordinairement. Presumptio sumitur ex eo quod plerumque fit. La règle générale, c'est la fidélité de la femme à son mari; la loi présume cette fidélité, et la conséquence nécessaire en est la paternité du mari. Admettre une solution

contraire, ce serait présumer l'adultère de la femme; or l'adultère est un délit, et heureusement il ne constitue pas la règle générale; en le présumant la loi aurait manifestement renversé l'ordre naturel des choses. Aussi la règle que « l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari », règle que les Romains formulaient en ces termes : Pater is est quem nuptiæ demonstrant, est vraisemblablement aussi ancienne que le mariage, dont elle est à vrai dire le complément nécessaire parce que sans elle il perdrait toute sa dignité.

669. Mais la règle Pater is est quem nuptiæ demonstrant n'est applicable d'après l'article 312 qu'à l'enfant conçu pendant le mariage. L'enfant qui l'invoque doit donc prouver sa conception pendant le mariage. Comment fera-t-il cette preuve ? Rien ne serait plus facile, si la nature avai assigné à la gestation des femmes une durée fixe et invariable. Supposons par exemple que toutes les gestations aient une durée fixe de 270 jours, soit 9 mois, il suffirait, le jour de la naissance étant connu, de remonter à 270 jours en arrière, et on trouverait, ainsi avec une précision mathématique le jour de la conception; il serait facile de savoir par suite si la conception se place ou non pendant le mariage.

Mais en cette matière comme en bien d'autres la nature a ses caprices. La durée des gestations varie. Fallait-il alors laisser au juge le soin de la déterminer dans tous les cas où quelque difficulté s'élèverait sur ce point? C'était le système admis dans notre ancien Droit; mais il a donné lieu à des décisions judiciaires tellement fabuleuses que le législateur de 1804 n'a pas été tenté de le reproduire. On vit des parlements déclarer légitimes des enfants nés dans le douzième, dans le treizième et même dans le dix-huitième mois après la mort du mari de la mère, et assigner ainsi à la grossesse une durée hors de toute proportion avec les données fournies par les lois de la nature. Sans rechercher si le Parlement de Grenoble a réellement jugé, comme on le prétendit dans une brochure imprimée en 1637 et dont le Parlement de Paris crut devoir interdire la publication: « qu'une femme avait pu concevoir par la seule force de son imagination », ce qu'on ne saurait contester, c'est qu'il existait alors en cette matière une anarchie complète. On vit des hommes, sensés pourtant, soutenir que les longues gestations pouvaient durer trois années! Il fallait mettre un peu d'ordre dans ce chaos; il fallait surtout tarir dans leur source un grand nombre de procès, auxquels l'absence d'une règle précise ne pouvait manquer de donner naissance. Voici ce qu'a décidé notre législateur.

S'inspirant des données fournies par la science physiologique, et même dépassant un peu dans l'intérêt de la légitimité les limites du cercle tracé par cette science, il a fixé la durée maximum et la durée minimum de la gestation. La conception de l'enfant ne peut pas être antérieure

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