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parce que la première est susceptible d'une constatation directe et matérielle, tandis que la seconde résulte d'une induction qui peut être fautive.

En principe, la loi ne permet pas au mari de désavouer l'enfant de sa femme pour cause d'impossibilité morale de cohabitation avec celle-ci. Cette règle souffre cependant exception dans deux cas prévus l'un et l'autre par l'article 313.

678. Premier cas. Après avoir dit que « le mari ne pourra en alléguant son impuissance naturelle désavouer l'enfant », l'article 313 ajoute : « Il ne pourra le désavouer même pour cause d'adultère, à moins » que la naissance ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à pro»poser tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père ». Ainsi l'impossibilité morale de cohabitation (c'est à elle que l'article fait allusion quand il parle des faits propres à justifier que le mari n'est pas le père) devient une cause de désaveu, lorsque l'induction qu'elle fournit en faveur de la non-paternité du mari est corroborée par cette double circonstance que la mère a commis un adultère et qu'elle a caché à son mari la naissance de l'enfant. Le mari doit donc, pour réussir dans son action en désaveu, faire une triple preuve; il doit prouver: 1o l'adultère de la mère; 2o le recèlement de la naissance de l'enfant; 3° l'impossibilité morale de cohabitation pendant le temps légal de la conception.

1o Adultère de la mère. Quoique la loi ne le dise pas, on doit admettre, parce que le bon sens l'exige, que l'adultère dont le mari fait la preuve doit coïncider ou à peu près avec la conception de l'enfant. Quelle induction pourrait-on tirer pour la non-paternité du mari d'un adultère commis par la femme à une époque éloignée de celle où se place la conception de l'enfant ?

La preuve d'un adultère de la femme, même coïncidant avec l'époque de la conception, ébranle fortement la présomption de paternité du mari; mais elle ne suffit pas pour la détruire. La loi romaine nous en donne la raison : Quum possit mater adultera esse et impubes maritum patrem habuisse. L'adultère commis par la femme rend seulement la paternité douteuse; car la femme a pu avoir aussi des relations avec son mari, et l'enfant peut être le fruit de ces relations. Aussi la loi exige-telle en outre la preuve des deux autres faits dont il nous reste à parler. 2o Recel de la naissance de l'enfant. La femme, qui cache à son mari sa grossesse et son accouchement, dresse par sa conduite un acte d'accusation contre elle-même. Pourquoi donc agirait-elle de la sorte, si elle pensait que son mari est le père de son enfant, ou même si elle croyait possible de le lui persuader?-La loi veut qu'il y ait eu recèlement de la naissance, ce qui implique un recèlement de la grossesse. Mais le recèlement de la grossesse ne suffirait pas, si la naissance de l'enfant n'avait pas été cachée; tout est de droit étroit en cette matière. La Cour de

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Paris paraît donc s'être laissé guider plutôt par l'inspiration du sentiment que par des considérations juridiques, en admettant le désaveu dans un cas où la femme, après avoir dissimulé sa grossesse pendant sept mois, l'avait ensuite annoncée, « par bravade et défi » il est vrai, au moment où la discorde avait éclaté entre elle et son mari. La loi exige positivement que « la naissance de l'enfant ait été cachée ». Il importe peu d'ailleurs, du moment que cette condition se trouve remplie, que le mari ait ou non connu la naissance de l'enfant.

Quant à savoir quelles sont les circonstances d'où peut résulter le recèlement de la naissance, ce n'est plus là qu'une question de fait à résoudre par le juge dans les divers cas où il y aura contestation sur ce point. Un des faits les plus significatifs est l'inscription de l'enfant sur les registres de l'état civil comme appartenant à un père autre que le mari ou comme né de père et mère inconnus.

On est d'accord pour admettre que l'aveu exprès fait par la mère de la non-paternité du mari n'équivaudrait pas à l'aveu tacite résultant du recèlement de la naissance. Outre que le texte de la loi manque, il peut y avoir quelques bonnes raisons de se défier de cet aveu qui a peut-être été fait dans un moment de colère et de dépit. En tout cas il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas seulement de l'honneur de la mère, mais aussi de la légitimité de l'enfant que la mère ne doit pas pouvoir compromettre par une simple déclaration.

3o Impossibilité morale de cohabitation. C'est à la preuve de cette impossibilité que la loi fait allusion, lorsqu'elle dit auquel cas le mari sera admis à proposer tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père ». Quels sont ces faits? La loi ne le dit pas, et elle ne pouvait pas le dire, car ils varieront suivant les cas. On peut indiquer à titre d'exemples le grand âge du mari, son état valétudinaire, ses mésintelligences avec sa femme, sa résidence dans une habitation séparée et et enfin (ce serait le fait qui fournirait l'induction la plus puissante) la couleur de la peau de l'enfant au cas où la femme, étant convaincue d'adultère avec un homme de couleur, aurait mis au monde un mulâtre.

679. C'est au demandeur en désaveu, nous l'avons déjà dit, qu'incombe la preuve des différents faits dont l'existence est requise par la loi pour le succès de la demande en désaveu, savoir l'adultère de la mère, le recèlement de la naissance et l'impossibilité morale de cohabitation. Probatio incumbit ei qui agit. Il n'est pas nécessaire, quoique le contraire ait été soutenu, que l'adultère de la mère soit prouvé préalablement dans une instance distincte qui précéderait l'instance en désaveu, ni même que son existence soit constatée par un jugement préalable et distinct de celui qui admet le désaveu. La loi n'exige rien de semblable, et son vœu paraît rempli du moment que ce dernier jugement constate la preuve de l'adultère ainsi que des autres faits dont parle l'article 313. L'adultère pourrait donc être prouvé dans la même enquête que celle dans laquelle le mari établit les faits qui attestent sa nonpaternité.

Mais la jurisprudence paraît être allée trop loin en décidant qu'il n'est pas nécessaire que l'adultère soit l'objet d'une preuve spéciale et distincte, d'une preuve directe, cet adultère se trouvant suffisamment établi par la preuve des faits qui dé montrent la non-paternité du mari. A quoi bon, dit la jurisprudence, exiger que

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mari prouve directement l'adultère de sa femme? Quand il aura prouvé qu'il n'est pas le père de l'enfant, n'aura-t-il pas prouvé par cela même que la paternité appartient à un autre, et par suite que sa femme a commis un adultère? - Sans doute; mais, qu'on le remarque bien, les faits que le mari prouvera pour établir sa non-paternité ne fourniront jamais à cet égard qu'une induction. La loi parle de « faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père » ; on n'a pas osé dire: à prouver. Or l'induction, résultant des faits que le mari propose à l'appui de sa non-paternité, n'est considérée par la loi comme ayant une puissance suffisante qu'autant qu'elle est corroborée par l'induction, très-puissante aussi, que fournissent l'adultère de la mère et le recelde la naissance de l'enfant. Donc le mari doit prouver ces faits, et il doit les prouver directement, l'adultère aussi bien que le recel de la naissance. Permettre au mari d'invoquer comme preuve de l'adultère les faits propres à justifier qu'il n'est pas le père de l'enfant, ce serait en réalité le dispenser d'établir l'adultère. D'ailleurs le système, qui dispense le mari de prouver directement l'adultère de la femme, n'est pas moins contraire au texte de la loi qu'à son esprit. L'article 313 semble en effet considérer l'adultère de la mère comme la base fondamentale de l'action du mari, puisqu'il le présente comme la cause du désaveu. Or, dans le système qui vient d'être exposé, on tient l'adultère pour un élément tout à fait secondaire du débat. La doctrine en général se prononce en ce sens.

La preuve de l'adultère pourrait d'ailleurs être faite par tous les moyens possibles, même par présomptions. Ainsi le mari prouvera que sa femme a accepté des rendezvous, qu'elle a fait de fréquentes absences...; de ces faits les magistrats pourront induire l'existence de l'adultère.

680. Deuxième cas. Impossibilité morale de cohabitation résultant de la séparation de corps. D'après le Code civil, la séparation de corps. laissait subsister dans toute son énergie la présomption Pater is est... Un mari séparé de corps était donc légalement présumé être le père des enfants que sa femme mettait au monde, et ne pouvait les désavouer que suivant le Droit commun, c'est-à-dire pour l'une des deux causes indiquées jusqu'ici, savoir: l'impossibilité physique de cohabitatiou pendant le temps légal de la conception, ou l'impossibilité morale accompagnée de la preuve de l'adultère de la mère et du recel de la naissance de l'enfant. Une femme séparée de corps pouvait ainsi, en ayant soin de ne pas dissimuler sa grossesse et son accouchement, c'est-à-dire en vivant publiquement dans l'inconduite, infliger à son mari la paternité d'enfant qui ne lui appartenaient pas. C'était une sorte de prime accordée au cynisme de la femme ! Cet état de choses, déjà fort regrettable à l'époque où le divorce existait, le devint beaucoup plus encore, quand son abolition rendit les séparations de corps plus fréquentes. Il a cependant subsisté jusqu'en 1850. A cette époque, une loi due à l'initiative de Demante, la loi du 6 décembre 1850, est venue ajouter à l'article 313 un alinéa ainsi conçu: « En cas de séparation de corps pro› noncée, ou même demandée, le mari pourra désavouer l'enfant qui sera » né trois cents jours après l'ordonnance du président, rendue aux termes » de l'article 878 du Code de procédure civile, et moins de cent quatre» vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou depuis la récon

» ciliation. L'action en désaveu ne sera pas admise s'il y a eu réunion de » fait entre les époux. >

Ainsi, cette loi admet qu'il existe une impossibilité morale de cohabitation entre les époux à dater du jour où le président du tribunal a rendu, aux termes de l'article 878 Pr., l'ordonnance autorisant la femme à résider séparément de son mari. Cette impossibilité morale continue d'exister, aux yeux du législateur, jusqu'au jour du rejet définitif de la demande ou jusqu'à celui de la réconciliation; elle subsiste donc indéfiniment, si la séparation est prononcée et que les époux ne se réconcilient pas. Cela posé, tout enfant conçu dans les conditions déterminées par notre texte peut être désavoué par le mari, et son désaveu est péremptoire en ce sens qu'il n'a pas à justifier de sa non-paternité; il lui suffit d'établir que la conception de l'enfant se place nécessairement pendant la période où existait l'impossibilité morale de cohabitation, ce qui se réduit à une question de date. Demante qui a proposé la loi ne demandait pas autant; il voulait seulement que le mari fût dispensé de prouver l'adultère de sa femme, mais pour le surplus l'action en désaveu devait rester soumise au Droit commun. La commission chargée d'examiner le projet de loi l'a modifié ou pour mieux dire transformé en accordant au mari un droit péremptoire de désaveu. Cela résulte formellement des explications qui ont accompagné la présentation de la loi.

Une seule fin de non-recevoir peut être opposée à la demande en désaveu du mari: c'est celle résultant d'une réunion de fait entre les époux. Conformément aux principes du Droit commun, ce serait au défendeur à l'action en désaveu de prouver cette réunion de fait. En ce sens, Cass., 19 août 1872, Sir., 73. 1. 75.

681. TROISIÈME CAUSE DE DÉSAVEU. Naissance précoce de l'enfant. - La durée minimum de la gestation étant de 179 jours pleins (arg., art. 312), il en résulte que la conception de l'enfant qui naît avant le 180° jour du mariage remonte à une époque antérieure à sa célébration. C'est au mari de juger s'il en est le père; seul il peut le savoir, et la loi s'en rapporte à lui sur ce point. S'il se considère comme n'étant pas le père de l'enfant, il le désavouera (arg., art. 314), et l'enfant sera regardé comme illégitime. Remarquez que le désaveu est ici péremptoire le mari n'a aucune preuve à fournir de sa non-paternité. S'il se considère comme étant l'auteur de l'enfant, il gardera le silence, et l'enfant jouira en paix du bénéfice de la légitimité.

On voit que l'enfant qui vient au monde avant le 180 jour du mariage nalt légitime. Cela est certain; car c'est par l'action en désaveu que le mari doit procéder contre lui quand il veut le rejeter du sein de la famille. Or l'action en désaveu, qui a pour but de faire tomber l'autorité de la présomption Pater is est..., suppose nécessairement un enfant

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né sous le bénéfice de cette présomption, par conséquent un enfant qui est en possession de l'état d'enfant légitime, puisque la présomption Pater is est... est le fondement de la légitimité.

682. Mais comment la loi a-t-elle pu considérer l'enfant dont il s'agit comme légitime, puisqu'il a été conçu en dehors du mariage? Ce ne peut être évidemment qu'en vertu d'une fiction; car la vraie légitimité n'appartient qu'à l'enfant né du mariage, c'est-à-dire à l'enfant conçu pendant le mariage, et non à l'enfant né en mariage et conçu en dehors. Reste à savoir quelle est cette fiction, et ce point est l'objet d'une grave difficulté. Voici à cet égard les diverses opinions qui se sont fait jour.

I. D'après la majorité des auteurs, cette fiction ne serait autre que celle de la légitimation (art. 331 et s.). En d'autres termes, l'enfant dont il s'agit est illégitime par son origine; s'il était né avant le mariage de ses parents, ceux-ci auraient pu le légitimer par leur mariage subséquent (art. 331); la mère s'étant mariée pendant sa grossesse avec un homme que la loi suppose être le père de l'enfant, celui-ci se trouve immédiatement légitimé dans le sein de sa mère, et il naît ainsi en possession de la légitimité, sauf le droit qui appartient au mari de le désavouer. Cette doctrine conduit aux conséquences suivantes :

10 L'enfant qui naît avant le 180o jour du mariage naîtra illégitime, si pendant toute la durée de la période où peut se placer sa conception le mari de sa mère était engagé dans les liens d'un autre mariage non dissous. Exemple: un homme veuf depuis quatre mois se remarie; un mois après, sa nouvelle femme accouche. L'enfant naîtra illégitime; car on ne pourrait le supposer conçu des œuvres du mari de sa mère sans lui donner une origine adultérine, et d'après l'article 334 les enfants issus d'un commerce adultérin ne peuvent pas être légitimés.

2. L'enfant qui naît avant le 180 jour du mariage naîtra illégitime, si le mari de sa mère n'a pu l'épouser qu'en vertu de dispenses, à raison du lien de parenté ou d'alliance qui l'unissait à celle-ci. Exemple: un oncle épouse sa nièce après avoir obtenu une dispense du chef de l'Etat; un enfant naît avant le 180 jour du mariage. Il naîtra illégitime; cn effet sa conception remontant à une époque antérieure au mariage, on ne peut l'attribuer au mari de la mère sans donner à l'enfant une origine incestueuse, et d'après l'article 331 les enfants issus d'un commerce incestueux ne peuvent pas être légitimés.

* 3° L'enfant qui naît avant le 180 jour du mariage naissant illégitime quand sa conception, en supposant qu'elle soit l'œuvre du mari, est entachée d'adultère ou d'inceste, il en résulte que la légitimité de l'enfant né dans ces conditions pourra être contestée par tous les intéressés, et non pas seulement par le mari, et que leur action ne sera pas soumise aux exceptions et prescriptions particulières à l'action en désaveu.

*La Cour de cassation, qui admet ce système, en accepte la première conséquence, mais elle rejette la deuxième. Cette particularité tient à ce que la Cour suprême, ainsi qu'on le verra plus loin, considère les enfants nés d'un commerce incestueux comme pouvant être légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère contracté en vertu de dispenses. Certains auteurs, qui ne partagent pas sur ce dernier point l'avis de la Cour de cassation, arrivent cependant par un autre chemin au même résultat; mais il leur est difficile d'échapper au reproche de contradiction.

II. Une autre opinion, qui prend tout à fait le contre-pied de la précédente, raisonne de la manière suivante. Il est incontestable que l'enfant né avant le 180° jour du mariage est illégitime par sa conception; il est non moins incontestable qu'il

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