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L'action en contestation de légitimité n'appartenant qu'à ceux qui ont un intérêt pécuniaire né et actuel à contester la légitimité de l'enfant, il faut en conclure que cette action ne doit être envisagée que comme l'auxiliaire d'un intérêt pécuniaire, et que par suite sa durée se mesurera exactement sur celle de l'intérêt pécuniaire auquel elle se rattache. L'extinction de ce dernier, notamment par la prescription, entraînerait donc l'extinction de l'action en contestation de légitimité. Mais si l'action en contestation de légitimité est prescriptible comme l'intérêt pécuniaire dont elle est le soutien, l'action en réclamation d'état au contraire est imprescriptible à l'égard de l'enfant (art. 328). L'enfant pourrait donc, même après trente ans, exercer une action tendant à faire reconnaître sa légitimité, et alors bien évidemment ceux contre lesquels il intente l'action seraient reçus à contester sa légitimité; car, tant qu'une action peut être exercée, il faut que celui contre lequel elle est dirigée puisse contredire la prétention du demandeur.

699. Différences entre l'action en désaveu et l'action en contestation de légitimité. L'indication de ces différences va nous permettre de résumer ce que nous avons dit relativement à ces deux actions.

1o L'action en désaveu est dirigée contre un enfant qui est né sous la protection de la maxime Pater is est quem nuptiæ demonstrant; elle tend donc à chasser de la famille un enfant qui y est entré. L'action en contestation de légitimité a pour but au contraire d'interdire l'entrée de la famille à un enfant qui veut s'y introduire, car elle s'applique à un enfant qui ne peut pas invoquer la présomption Pater is est...

2o L'action en désaveu n'appartient qu'à certaines personnes limitativement déterminées par la loi, c'est-à-dire au mari et à ses héritiers. L'action en contestation de légitimité appartient à tout intéressé.

3o L'action en désaveu doit être exercée dans les délais très-brefs déterminés par les articles 316-318, tandis que l'action en contestation de légitimité reste soumise au Droit commun en ce qui concerne le délai dans lequel elle doit être intentée.

Les mots réclamer, réclamation, contester la légitimité, qu'on trouve dans les articles 316 et 317, pourraient au premier abord faire croire que ces articles sont applicables à l'action en contestation de légitimité; mais l'article 318 prouve d'une manière péremptoire que le législateur ne s'occupe dans ces dispositions que de l'action en désaveu. C'est donc le Droit commun qui devra être appliqué en ce qui concerne la durée du délai pendant lequel la légitimité peut être contestée. On se trouve ainsi conduit à décider que, si la légitimité est contestée par voie d'action, comme il arrivera par exemple lorsque l'enfant est en possession des biens du mari et que les héritiers de celui-ci veulent en obtenir la restitution, l'action pourra être exercée tant que subsistera l'intérêt pécuniaire dont elle doit assurer le triomphe. Si au contraire la contestation de légitimité est opposée par voie d'exception à une action en réclamation d'état intentée par l'enfant, elle sera possible à quelqu'époque que l'enfant intente son action: ce qui pourra avoir lieu même après trente ans, puisque l'action en réclamation d'état est imprescriptible à l'égard de l'enfant (art. 328.)

CHAPITRE II

DES PREUVES DE LA FILIATION DES ENFANTS LÉGITIMES

La loi s'occupe dans ce chapitre : 1o des divers modes de preuve de la filiation des enfants légitimes (art. 319-325); 2o des actions en réclamation et en contestation d'état (art. 326-330). Nous en traiterons dans deux paragraphes distincts.

§ I. Des divers modes de preuve de la filiation des enfants légitimes.

700. On sait que l'enfant qui se dit légitime doit prouver : 1o le mariage de sa mère; 2° sa conception ou au moins sa naissance pendant le mariage; 3° sa filiation maternelle; 4° sa filiation paternelle. Nous savons comment se prouve le mariage (art. 191 et suiv.) et la conception pendant le mariage (art. 312 et s.). Quant à la filiation paternelle, elle n'est pas susceptible d'une preuve directe, aussi la loi la fait-elle résulter d'une présomption. Mais, pour que l'enfant puisse invoquer cette présomption, il faut évidemment que sa filiation maternelle soit prouvée. Comment la prouvera-t-il? Telle est la question que le législateur résout dans notre chapitre, intitulé: « De la preuve de la filiation des enfants légitimes »; lisez des enfants QUI SE PRÉTENDENT LÉGITIMES, car l'enfant n'est pas légitime quand sa filiation n'est pas encore prouvée.

On pourrait formuler une autre critique au sujet de cet intitulé. Il est conçu dans des termes tellement généraux qu'on pourrait penser que le chapitre est consacré à la preuve de la filiation paternelle et de la filiation maternelle tout à la fois; or le législateur ne traite ici que de la filiation maternelle; il s'est occupé de la filiation paternelle dans le chapitre précédent. Toutefois, comme d'une part la preuve de la filiation maternelle conduit à celle de la filiation paternelle pour les enfants qui se prétendent légitimes, puisque la première étant prouvée la seconde se présume, et comme d'autre part, parmi les modes de preuve dont le législateur s'occupe ici, il y en a un, la preuve par la possession d'état, qui peut être considéré comme prouvant la paternité aussi bien que la maternité, et un autre, la preuve testimoniale, qui pourra quelquefois conduire à la preuve plus ou moins directe de la paternité, somme toute la généralité des termes de la rubrique peut paraître suffisamment justifiée. Il y a un reproche plus grave à adresser au législalateur: c'est d'avoir traité de la filiation paternelle (chapitre I) avant d'avoir traité de la filiation maternelle. Puisque la filiation paternelle s'induit d'une présomption établie par la loi au profit de l'enfant dont la filiation maternelle est établie, l'ordre logique des idées commandait de s'occuper d'abord de celle-ci.

701. La loi se montre plus favorable pour la preuve de la filiation des enfants légitimes que pour celle des enfants illégitimes. En d'autres

termes, quand l'enfant qui veut établir sa filiation se dit légitime, la loi est plus disposée à écouter sa prétention que lorsqu'il se dit illégitime; elle autorise en effet trois modes de preuve pour établir la filiation légitime, savoir l'acte de naissance, la possession d'état et la preuve testimoniale; tandis qu'elle n'en admet que deux pour la filiation illégitime l'acte de reconnaissance, et exceptionnellement la preuve testimoniale quand elle n'interdit pas complétement la preuve de cette filiation. Il y a deux raisons de cette préférence. D'abord la filiation légitime est le fondement de la société, tandis que la filiation illégitime est une des causes qui la ruinent. D'un autre côté, l'action qui tend à établir une filiation légitime ne porte aucune atteinte à l'honneur de ceux contre qui elle est dirigée bien au contraire, la paternité et la maternité légitimes sont des faits honorables. Il en est autrement de l'action qui tend à établir une filiation illégitime : elle porte toujours une atteinte plus ou moins grave à la considération de celui ou de celle contre qui elle est dirigée. A ce double point de vue, le législateur devait se montrer plus sympathique à la cau-e des enfants légitimes qu'à celle des enfants naturels.

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Mais alors n'est-il pas à craindre que l'enfant, qui sait que sa filiation est illégitime et qui veut la prouver, s'annonce comme étant un enfant légitime, et qu'il arrive à usurper ainsi un mode de preuve réservé à la filiation légitime? Non; car il ne suffit pas à l'enfant de dire qu'il est légitime pour être admis à user des modes de preuve réservés à la filiation légitime; il faut qu'il y ait en sa faveur une présomption de légitimité; or cette présomption n'existe qu'autant que l'enfant prouve le mariage de la femme qu'il prétend être sa mère et sa conception ou tout au moins sa naissance pendant le mariage.

Ces préliminaires posés, étudions successivement les trois modes de preuve admis pour la filiation légitime, savoir: 1o l'acte de naissance; 2o la possession d'état ; 3o la preuve par témoins.

I. Preuve par l'acte de naissance.

702. La filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de nais» sance inscrits sur le registre de l'état civil » (art. 319).

L'acte de naissance est le mode de preuve régulier et normal de la filliation légitime. C'est le passeport que la loi délivre à chacun de nous lors de son entrée dans la société civile, ainsi que l'a dit le tribun Lahary.

L'acte de naissance d'un enfant légitime prouve sa naissance et sa filiation maternelle.

1o Sa naissance, c'est-à-dire le fait de son entrée dans le monde; 2° Sa filiation maternelle, c'est-à-dire sa naissance de telle femme. La filiation maternelle ainsi prouvée par l'acte de naissance, la filiation pater

nelle se trouve par cela même établie en vertu de la règle Pater is est quem nuptiæ demonstrant (art. 312). On s'explique ainsi, d'une part comment l'article 319 a pu dire que l'acte de naissance prouve la filiation des enfants légitimes (ce qui semble comprendre la filiation paternelle et la filiation maternelle tout à la fois), et d'autre part comment l'article 57 a pu exiger dans l'acte de naissance, non-seulement l'indication du nom de la mère, mais aussi l'indication de celui du père, bien que l'acte de naissance ne prouve et ne soit destiné à prouver que la filiation maternelle.

703. L'acte de naissance n'étant pas destiné à prouver la filiation paternelle, il en résulte que les omissions ou les indications contraires à la présomption de la loi, qu'il pourrait contenir au sujet de cette filiation, ne tireraient pas à conséquence. Ainsi l'acte de naissance n'indique pas le nom du père, comme le veut l'article 57; peu importe, la présomption Pater is est... suppléera à cette lacune. Ou bien l'acte de naissance indique comme père de l'enfant un homme autre que le mari de la mère; peu importe encore, c'est là une indication contraire à la loi que l'officier de l'état civil n'aurait pas dû mentionner dans l'acte, qui est due peut-être à la malveillance d'une sage-femme et qui ne doit pas nuire à l'enfant. La présomption de la loi a plus d'autorité que les dires des déclarants, et d'ailleurs les déclarants ne peuvent pas être les arbitres du sort de l'enfant. Tout cela résulte de l'article 323, qui ne considère le titre (acte de naissance) comme insuffisant pour établir la filiation de l'enfant, et n'oblige celui-ci à avoir recours à la preuve testimoniale que lorsqu'il a été inscrit sous de faux noms (ce pluriel exclut le cas où, le nom du père étant faussement indiqué, celui de la mère le serait d'une manière exacte), ou comme né « de père et mère inconnus », ce qui exclut le cas où l'acte de naissance déclare seulement l'enfant né d'un père inconnu.

L'acte de naissance n'est pas non plus destiné à fournir la preuve du mariage. Il importerait donc peu, si la mère est réellement mariée, que l'acte de naissance contint à cet égard des indications inexactes en la désignant comme fille ou comme veuve, ou à plus forte raison en la désignant sous son nom de fille, sans dire si elle est ou non mariée.

704. Bien entendu, pour que l'acte de naissance dont je produis un extrait prouve ma filiation, il doit être constant que cet acte de naissance est bien le mien, c'est-à-dire que je suis l'enfant même en vue duquel cet acte a été dressé; autrement je pourrais facilement usurper la filiation qui vous appartient en me faisant délivrer un extrait de votre acte de naissance. En cas de contestation, je devrai donc, conformément à la règle Probatio incumbit ei qui agit, prouver mon identité, c'est-àdire démontrer que je suis identiquement le même que l'enfant auquel s'applique l'acte de naissance dont je me prévaux.

Cette preuve pourra être faite par la possession d'état et à défaut par témoins; car la preuve testimoniale est admise, quel que soit l'intérêt engagé, pour prouver de simples faits qui par eux-mêmes ne produisent ni droit ni obligation.

*Toutefois la jurisprudence n'admet le réclamant à faire par témoins la preuve de son identité qu'autant qu'il possède un commencement de preuve par écrit. Elle fonde cette exigence sur l'article 323. Mais on ne saurait faire une plus fausse application de ce texte. L'article 323 n'est relatif qu'au cas où l'enfant veut faire la preuve de sa filiation par témoins; or, dans notre hypothèse, ce n'est pas la preuve de sa filiation que l'enfant demande à faire, mais celle de son identité. Appliquer ici

l'article 323, c'est donc confondre la preuve de l'identité avec celle de la filiation. Où est le danger d'ailleurs d'admettre la preuve testimoniale toute nue dans l'espèce dont il s'agit? L'acte de naissance, que présente le réclamant pour établir sa filia tion, constate que telle femme a mis au monde un enfant légitime. Si le réclamant n'est pas cet enfant comme il le prétend, et s'il fait entendre des témoins qui viennent faussement l'affirmer à la justice, sera-t-il bien difficile à ses adversaires de le convaincre d'imposture? Il y a eu un enfant légitime, c'est un fait constant. Qu'est-il devenu? Les parents doivent le savoir. S'il est mort, ils présenteront son acte de décès; et s'il est vivant, ils le désigneront et prouveront que c'est à lui que l'acte de naissance s'applique.

705. L'acte de naissance ne prouve la filiation légitime qu'autant qu'il est « inscrit sur le registre de l'état civil » (art. 319). Donc un acte inscrit sur une feuille volante n'aurait aucune force probante en ce qui concerne la filiation.

II. Preuve par la possession d'état.

706. Art. 320. « A défaut de ce titre, la possession constante de l'étal » d'enfant légitime suffit. »

La rédaction primitive de cet article portait : « Si les registres sont perdus ou s't n'en a pas été tenu, la possession constante de l'état d'enfant légitime suffit. » C'était dire en d'autres termes que l'enfant n'était autorisé à faire preuve de sa filiation par la possession d'état que lorsqu'il se trouvait dans l'un des cas prévus par l'article 46. Mais on fit remarquer qu'il y a d'autres cas encore dans lesquels il est impossible à l'enfant de rapporter son titre, par exemple celui où, les registres de l'état civil ayant été régulièrement tenus, sa naissance n'aurait pas été déclarée à l'officier de l'état civil qui par suite n'en aurait pas dressé acte; aussi remplaça-t-on les mots : « si les registres sont perdus ou s'il n'en a point été tenu » par ceux-ci qui sont beaucoup plus généraux : « à défaut de ce titre ». L'enfant légitime peut donc faire preuve de sa filiation par la possession d'état, toutes les fois qu'il n'a pas de titre, quelle qu'en soit la cause, et sans être obligé de démontrer l'existence de cette cause ni même de l'indiquer. En un mot il suffit à l'enfant, qui veut prouver sa filiation légitime par la possession d'état, de dire: je n'ai pas de titre; sauf à ses adversaires de prouver qu'il en existe un et qu'il est contraire à sa prétention, ce qui rendrait inutile la preuve que l'enfant voudrait faire de sa possession d'état; car, en cas de contradiction entre le titre et la possession d'état, c'est le titre qui l'emporte, la loi ne reconnaissant à la possession d'état la vertu de prouver la filiation légitime qu'à défaut de titre.

707. L'acte de naissance prouve que la qualité, l'état d'enfant légitime appartient au réclamant, qu'il en est propriétaire. La possession d'état prouve seulement qu'il est en possession de cet état, c'est-à-dire qu'il a toujours été considéré et traité comme enfant légitime, et qu'il a joui en fait des prérogatives de la légitimité. Mais comment peut-il résulter de là que l'enfant est véritablement légitime? La loi suppose volontiers que le fait est ici d'accord avec le droit, parce que c'est ce qui arrive le plus souvent. Quand un enfant a été traité comme légitime par ses père et mère, quand il a été présenté comme tel à la famille qui est intéressée à méconnaître sa légitimité et accepté par elle, quand le public enfin, se faisant l'écho de la voix des parents et de celle de la famille, a toujours reconnu à l'enfant la qualité de légitime, toutes les apparences sont pour lui; et comme il y a toutes chances pour que ces

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