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L'historique de la confection de la loi confirme cette solution. On a supprimé dans sa rédaction définitive un article du projet, qui était ainsi conçu : « Le registre de l'état civil qui constate la naissance d'un enfant né de la mère réclamée, et duquel le décès n'est pas prouvé, pourra servir de commencement de preuve par écrit. »

771. D'après la Cour de cassation, l'action en recherche de la maternité est exclusivement attachée à la personne de l'enfant; elle ne pourrait donc pas être exer cée par ses ayant-cause, notamment par ses héritiers. Mais les raisons que la Cour donne à l'appui de cette solution semblent être d'une extrême faiblesse. Elle dit dans son dernier arrêt sur la question (Civ. Cass., 3 avril 1872, Sir., 72. 4. 426) que, « si l'article 341 admet la recherche de la maternité, il résulte aussi des termes de cet article et des principes de la matière que cette action, lorsqu'il ne l'a pas exercée lui-même, ne passe pas à ceux qui se prétendent ses héritiers ». Ainsi la Cour de cassation invoque d'abord les termes de l'article 341, ensuite les principes de la matière. - En ce qui concerne les termes de l'article 341, cet article suppose en effet que l'action en recherche de la maternité est exercée par l'enfant. Mais d'abord les expressions de la loi n'ont rien d'exclusif. La loi ne dit pas que l'action ne pourra être exercée que par l'enfant ; elle la suppose exercée par lui, parce qu'ici comme ailleurs statuit de eo quod plerumque fit. Voici d'ailleurs une considération qui enlève à cet argument presque toute sa valeur les deux derniers alinéa de l'article 344, où la loi suppose l'action intentée par l'enfant, n'ont nullement pour but de déterminer les personnes à qui l'action appartient, mais bien les conditions auxquelles est subordonné son exercice. C'est donc sur ce dernier point que le législateur a dû concentrer son attention en écrivant la disposition dont il s'agit, et on comprend à merveille qu'il n'ait pas pesé avec une précision rigoureuse les expressions relatives au premier, dont il ne parlait qu'incidemment. C'est bien plutôt dans l'alinéa 1 de l'article que le législateur a dû se préoccuper des personnes auxquelles appartient l'action en recherche de la maternité; or ici il s'exprime dans des termes assez larges pour comprendre tous les intéressés, il dit : « la recherche de la maternité est admise ». Cette induction acquiert une très-grande force, si on rapproche la disposition qui vient d'être rapportée de celle qui la précède im médiatement. Dans le cas exceptionnel où le législateur admet la recherche de la paternité, il accorde l'action aux «< parties intéressées » (art. 340); or comprendraiton que, si l'action en recherche de la paternité, qui est interdite en règle générale, appartient à tout intéressé dans les cas exceptionnels où la loi l'admet, l'action en recherche de la maternité, qui est admise en principe, ne fût accordée qu'à un seul intéressé, c'est-à-dire à l'enfant? Voilà pour les textes. La Cour de cassation invoque aussi les principes de la matière. Quels sont ces principes? La Cour ne le dit pas, et elle a peut-être ses raisons pour cela. En l'absence de dispositions spéciales, c'est le Droit commun qui doit s'appliquer; or de Droit commun une action appartient à tout intéressé quand la loi ne détermine pas limitativement ceux qui peuvent l'intenter. Voilà, ce semble, les principes de la matière; ils ne sont pas plus favorables que les textes au sentiment de la Cour de cassation. La solution qui vient d'être développée est généralement admise dans la doctrine. La règle que l'action en recherche de la maternité (et aussi de la paternité dans le cas exceptionnel où la loi l'admet) peut être intentée par tout intéressé, ne souffrirait même pas exception, au cas où l'action serait intentée par les adversaires d'un enfant qui voudraient établir sa filiation à l'effet de faire réduire aux limites déterminées par l'article 908 une donation qui lui a été faite par son auteur. En d'autres termes, la recherche de la maternité ou de la paternité, dans les cas exceptionnels où la loi l'autorise, est admise contre l'enfant aussi bien qu'à son profit.

Outre les raisons qui viennent d'être déduites, on peut invoquer cette considération que l'incapacité édictée par l'article 908 est établie contre les enfants naturels en général. Sans doute, pour qu'il y ait lieu d'invoquer contre un enfant la disposition de l'article 908, il faut que la filiation de cet enfant soit légalement établie. Mais on ne concevrait guère que l'application de l'article 908 pût être paralysée par suite d'une entente entre les parties intéressées, c'est-à-dire entre l'enfant donataire et son père naturel ou sa mère naturelle auteur de la donation. Or c'est ce qui arriverait, si la preuve de la filiation de l'enfant ne pouvait résulter que d'une reconnaissance volontaire faite par l'auteur de l'enfant ou d'une action en recherche de la paternité ou de la maternité intentée par l'enfant, puisque l'enfant et ses auteurs seraient les seuls qui pussent fournir la preuve de la filiation et qu'il leur suffirait de se concerter pour la rendre impossible. La jurisprudence est fixée en sens contraire; mais c'est à peine si elle motive ses décisions sur ce point. Voy. notamment Req. Rej., 23 juillet 1878, Sir., 79. 4. 455.

772. La loi n'ayant pas indiqué les effets de la reconnaissance judiciaire ou forcée, on doit admettre qu'ils sont les mêmes que ceux de la reconnaissance volontaire. Toute autre solution serait plus ou moins arbitraire.

773. Tels sont les modes de preuve de la filiation naturelle. Si on compare les textes qui les organisent (art. 334 à 342) avec ceux relatifs à la preuve de la filiation légitime (art. 319 et s.), on voit que, tandis que le législateur admet trois modes de preuve de la filiation légitime, savoir: 4o la preuve par l'acte de naissance (art. 319), 2o la preuve par la possession d'état (art. 320 et s.), et 3o la preuve par témoins (art. 323 et s.), il ne nous en indique plus que deux en ce qui concerne la filiation naturelle, savoir: la preuve par l'acte de reconnaissance (art. 334), qui correspond à la preuve par l'acte de naissance pour les enfants légitimes (preuve par titre), et la preuve par témoins (art. 341). Il n'est plus question de la possession d'état: silence qu'il est difficile de ne pas considérer comme calculé à l'effet d'exclure ce mode de preuve en matière de filiation naturelle. D'ailleurs admettre la preuve de la filiation naturelle par la possession d'état, c'est renverser la disposition de l'article 340 qui interdit en principe la recherche de la paternité, et celle de l'article 341 qui ne permet la preuve par témoins de la maternité naturelle que moyennant un commencement de preuve par écrit. Car en définitive qu'arrivera-t-il si l'on admet la preuve par la possession d'état de la paternité ou de la maternité naturelle? c'est que l'enfant qui prétendra avoir cette possession d'état sera admis à la prouver, et par suite à prouver sa filiation paternelle ou maternelle par la preuve testimoniale toute nue: ce que prohibe l'article 340 pour la paternité et ce que prohibe également l'article 344 pour la maternité, puisqu'il n'admet la preuve par témoins de la maternité que moyennant la garantie préalable d'un commencement de preuve par écrit. La jurisprudence paraît se fixer en ce sens (Civ. Cass., 3 avril 1872, Sir., 72. 1. 126, et Paris, 2 août 1876, Sir., 79. 2. 250). Le premier de ces deux arrêts décide que la possession d'état ne forme même pas preuve de la filiation naturelle quand elle est conforme à l'acte de naiss ance de l'enfant.

Quant à la doctrine, elle est divisée. Quelques-uns admettent que la possession d'état fait preuve de la maternité, mais non de la paternité naturelle. Cette opinion bâtarde doit être rejetée sans hésiter; en effet on ne comprendrait pas que le législateur eût pu admettre la possession d'état comme moyen de preuve dans un cas et la rejeter dans l'autre; d'ailleurs les textes ne contiennent aucune trace de cette distinction. D'après une autre opinion, la possession d'état ferait preuve complète soit de la paternité soit de la maternité naturelle. En législation il est possible

que cette solution soit la meilleure : c'est cependant fort contestable. Mais il semble difficile de s'y rallier sous l'empire de la loi qui nous régit actuellement.

774. Aux termes de l'article 342 : « Un enfant ne sera jamais admis à » la recherche, soit de la paternité, soit de la maternité, dans les cas où, > suivant l'article 335, la reconnaissance n'est pas admise ». Cet article se réduit à ceci : la loi n'autorise pas plus la recherche de la filiation adultérine ou incestueuse qu'elle n'admet sa constatation par une reconnaissance volontaire. Ainsi un enfant est reconnu par son père; il ne pourra pas rechercher sa filiation vis-à-vis de sa mère, si celle-ci est parente de son père au degré où le mariage est prohibé; car, en supposant que sa demande fût accueillie, elle aurait pour résultat la constatation d'une filiation incestueuse. Du moins il ne pourra rechercher sa filiation vis-à-vis de sa mère qu'après avoir fait tomber préalablement la reconnaissance dont il a été l'objet de la part de son père.

TITRE VIII

De l'adoption et de la tutelle officieuse.

775. Après avoir traité de la filiation légitime et de la filiation naturelle, le législateur va s'occuper de la filiation adoptive, filiation purement civile et par suite fictive.

L'adoption était inconnue dans notre ancien Droit. C'est l'Assemblée législative qui la première en posa le principe. Le 18 janvier 1792, elle décréta « que son comité de législation comprendra dans son plan général des lois civiles celles relatives à l'adoption ». Le projet, préparé par la commission chargée de la rédaction d'un projet de Code civil, était muet sur l'adoption; elle y fut introduite, non sans de vives résistances, par la section de législation du Conseil d'Etat, qui paraît s'être inspirée sur ce point du Code prussien.

Le titre du Code civil consacré à cette matière est divisé en deux chapitres : l'un consacré à l'adoption, l'autre à la tutelle officieuse qui, dans le système du législateur de 1804, n'est qu'une institution destinée à servir de préparation à l'adoption.

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76. On peut définir l'adoption : un contrat solennel dont le ministre est le juge de paix et qui, sans faire sortir l'adopté de sa famille naturelle,

crée entre lui et l'adoptant un rapport analogue à celui qui résulte de la paternité et de la filiation.

L'adoption a été admise pour procurer les douceurs d'une paternité fictive à ceux qui ne peuvent plus raisonnablement espérer une paternité réelle.

On distingue trois espèces d'adoption : l'adoption ordinaire, l'adoption rémunératoire et l'adoption testamentaire. Ces deux dernières sont dispensées de quelques-unes des conditions exigées pour l'adoption ordinaire, ce qui les a fait désigner sous la dénomination commune d'adoption privilégiée. Au surplus les trois variétés d'adoption produisent les mêmes effets.

Nous traiterons dans deux paragraphes distincts des conditions requises pour l'adoption et des effets de l'adoption.

§1. Des conditions requises pour l'adoption.

777. Ces conditions varient suivant qu'il s'agit de l'adoption ordinaire, de l'adoption rémunératoire ou de l'adoption testamentaire. Elles sont indiquées par les articles 343-346, ainsi conçus:

Art. 343. « L'adoption n'est permise qu'aux personnes de l'un ou de » l'autre sexe, âgées de plus de cinquante ans, qui n'auront, à l'époque de » l'adoption, ni enfants, ni descendants légitimes, et qui auront au moins » quinze ans de plus que les individus qu'elles se proposent d'adop> ter. »

Art. 344. « Nul ne peut être adopté par plusieurs, si ce n'est par deux » époux.— Hors le cas de l'article 566, nul époux ne peut adopter qu'avec » le consentement de l'autre conjoint. »

Art. 345. « La faculté d'adopter ne pourra être exercée qu'envers l'indi» vidu à qui l'on aura, dans sa minorité et pendant six ans au moins > fourni des secours et donné des soins non interrompus, ou envers celui » qui aurait sauvé la vie à l'adoptant, soit dans un combat, soit en le » retirant des flammes ou des flots.- Il suffira, dans ce deuxième cas, » que l'adoptant soit majeur, plus âgé que l'adopté, sans enfants ni des»cendants légitimes; et s'il est marié, que son conjoint consente à l'adop> tion. »

Art. 346. « L'adoption ne pourra, en aucun cas, avoir lieu avant la » majorité de l'adopté. Si l'adopté, ayant encore ses père et mère, ou l'un » des deux, n'a point accompli sa vingt-cinquième année, il sera tenu de » rapporter le consentement donné à l'adoption par ses père et mère, ou ➤ par le survivant; et s'il est majeur de vingt-cinq ans, de requérir leur » conseil. »

No 1. Des conditions requises pour l'adoption ordinaire.

778. Il y a des conditions communes aux deux parties contractantes, l'adoptant et l'adopté, d'autres particulières à l'adoptant, d'autres enfin spéciales à l'adopté.

I. Conditions communes aux deux parties contractantes. 779. Elles sont au nombre de deux :

1o L'adoptant et l'adopté doivent donner leur consentement à l'adoption, car l'adoption est un contrat (arg., art. 353).

2o L'adoptant et l'adopté doivent avoir la jouissance des droits civils stricto sensu.

L'adoption est en effet une institution du pur Droit civil; la preuve en est que pendant longtemps cette institution n'a pas existé dans notre Droit, et beaucoup de peuples ne la possèdent pas. Un étranger ne peut donc ni adopter ni être adopté en France, à moins qu'il ne puise ce droit dans la réciprocité d'un traité ou qu'il n'ait en France un domicile autorisé (arg., art. 11 et 13). La doctrine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point.

II. Conditions requises chez l'adoptant.

780. Elles sont au nombre de six indiquées par les articles 343,344 et 345, al. 1:

1o L'adoptant doit avoir plus de cinquante ans », c'est-à-dire au moins cinquante ans accomplis. En autorisant l'adoption avant cet âge, le législateur aurait peut-être détourné un certain nombre de citoyens du mariage: telle paraît du moins avoir été sa crainte. Aucune dispense d'âge ne saurait être accordée à l'adoptant.

2o Il faut que l'adoptant n'ait ni enfants ni descendants légitimes à l'époque de l'adoption (art. 343). L'illusion d'une paternité fictive était inutile pour celui qui jouit des douceurs de la paternité réelle. D ́ailleurs il convenait de sauvegarder les droits des enfants ou descendants légitimes, auxquels l'adoption aurait causé préjudice, principalement en les menaçant du concours d'un cohéritier dans la succession de l'adoptant.

La naissance d'un enfant légitime, qui surviendrait à l'adoptant postérieurement à l'adoption, n'en entraînerait pas la nullité. Un acte, qui au moment de sa formation satisfait aux conditions exigées par la lo pour sa validité, ne peut pas cesser d'être valable par suite de faits survenus postérieurement. Cette solution résulte d'ailleurs formellement de l'article 350, d'après lequel la survenance d'enfants légitimes de l'adoptant postérieurement à l'adoption ne prive pas l'adopté du droit le plus important que l'adoption lui confère : celui de pouvoir réclamer sur la succession de l'adoptant les mêmes droits qu'un enfant légitime. Et toutefois cette règle devrait, d'après l'avis général, souffrir exception au cas où l'enfant, qui survient à l'adoptant après l'adoption, était déjà conçu au moment où

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