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TITRE X

De la minorité, de la tutelle et de
l'émancipation.

824. Le législateur doit protection aux personnes qui sont incapables de se gouverner et de se défendre elles-mêmes. C'est un principe admis dans toutes les législations.

L'incapacité des personnes peut tenir à trois causes :

1o Au sexe. Nous savons que dans notre Droit les filles et les veuves sont aussi capables que les hommes quand elles sont majeures. Mais les femmes mariées sont frappées d'incapacité,en ce sens qu'elles ne peuvent pas accomplir les actes civils sans une autorisation qui en principe doit émaner du mari, mais peut exceptionnellement être accordée par la justice (art. 215 et s.).

2o A l'âge. L'homme ne se développe que graduellement, au moral comme au physique ; le développement moral suit même une progression plus lente que le développement physique. Tant que l'homme n'a pas atteint le développement complet de ses facultés morales, il a besoin d'un protecteur. La loi lui donne suivant les cas, tantôt un tuteur qui le représente dans tous les actes civils, tantôt un curateur qui l'assiste dans les actes importants de la vie civile.

3o A l'altération plus ou moins grave des facultés intellectuelles. Ici le législateur, proportionnant l'énergie du remède à la gravité du mal, autorise, suivant l'état mental de la personne, des mesures plus ou moins radicales: l'interdiction ou le placement dans une maison d'aliénés pour ceux qui sont atteints d'aliénation mentale; la nomination d'un conseil judiciaire, sorte de demi-interdiction, pour les simples d'esprit et les prodigues.

Il y a donc trois catégories d'incapables: 1o les femmes mariées ; 2o les mineurs; 3o les interdits et ceux qui leur sont plus ou moins assimilés, savoir les personnes placées dans une maison d'aliénés et les personnes munies d'un conseil judiciaire (Cpr. art. 1124).

Nous nous sommes occupé de l'incapacité des femmes mariées (supra, no 559 et s.); nous allons maintenant parler de celle des mineurs et des interdits. Le mode de protection établi par la loi est le même pour les mineurs non émancipés et les interdits : c'est la tutelle.

825. Définition de la tutelle. La tutelle (de tueri, tueor, dé

fendre, protéger) est un mandat imposé par la loi ou par la volonté de l'homme, et en vertu duquel une personne capable se trouve obligée de prendre soin d'un mineur non émancipé ou d'un interdit, d'administrer ses biens et de le représenter dans tous les actes civils.

On voit, d'après cette définition, qu'il y a deux espèces de tutelles: la tutelle des mineurs et celle des interdits. Le législateur s'occupe de la première dans le titre X, et de la deuxième dans le titre XI.

La tutelle, disons-nous, est un mandat. Donc elle constitue une charge gratuite, car le mandat est gratuit de sa nature (art. 1986). Mais à la différence du mandat ordinaire, la tutelle est obligatoire pour celui à qui elle est déférée. Il le fallait bien! autrement il aurait été souvent impossible de trouver un protecteur aux incapables.

826. Généralités sur la tutelle. Le mécanisme de la tutelle contient trois rouages principaux : le tuteur, le conseil de famille et le subrogé tuteur.

A. Le tuteur, principal acteur de la tutelle. Il représente le mineur ou l'interdit dans tous les actes civils (art. 450), c'est-à-dire qu'il agit pour le mineur dont il est le mandataire légal.

En Droit romain le tuteur ne représentait pas le pupille, il l'assistait seulement, auctoritatem interponebat. Le pupille figurait par conséquent lui-même, en règle générale du moins, dans les actes civils qui l'intéressaient; le tuteur intervenait seulement pour compléter sa personne, augebat personam pupilli. Notre législateur est plus d'accord avec la réalité des choses en faisant du tuteur le représentant du mineur, son mandataire.

En principe il n'y a dans toute tutelle qu'un seul tuteur; il le fallait pour assurer l'unité dans l'administration tutélaire. Ce principe souffre toutefois exception dans le cas prévu par l'article 396 et dans celui prévu par l'article 417.

En comporte-t-il d'autres? On trouve quelques décisions judiciaires qui ont validé la nomination faite par le dernier mourant des père et mère de deux tuteurs, un chargé de prendre soin de la personne du mineur, l'autre chargé d'administrer ses biens. Ces décisions se fondent principalement sur l'autorité de notre ancien Droit qui admettait cette double nomination, et sur le silence de notre loi actuelle qui, dit-on, l'autorise par cela seul qu'elle ne la prohibe pas. Ces raisons sont-elles suffisantes? Le Code civil établit implicitement, sinon explicitement, le principe de l'unité de la tutelle; car partout il suppose l'existence d'un tuteur unique. A cette règle il formule deux exceptions (voy. art. 396 et 417). En admettre d'autres, n'est-ce pas violer la règle Exceptio est strictissimæ interpretationis?

B. Le conseil de famille. On désigne sous ce nom une assemblée composée de parents ou d'alliés du mineur (ou de l'interdit), et présidée par le juge de paix. Le conseil de famille est chargé du contrôle de la tutelle. A cet effet il peut obliger le tuteur à lui fournir chaque année des états de situation de sa gestion (art. 470). De plus il est appelé dans de nombreux cas à donner sur les actes importants de la tutelle des avis auxquels le tuteur doit se conformer.

C. Le subrogé tuteur, qui est investi d'une triple mission: surveiller

la gestion du tuteur (arg. art. 470), représenter le mineur ou l'interdit dans les cas où ses intérêts sont en opposition avec ceux du tuteur (art. 420), enfin provoquer la nomination d'un nouveau tuteur lorsque la tutelle devient vacante (art. 424).

CHAPITRE I

DE LA MINORITÉ

827. « Le mineur est l'individu de l'un et de l'autre sexe qui n'a point > encore l'âge de vingt-un ans accomplis » (art. 388).

Dans notre ancien Droit, la minorité se prolongeait en général jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. C'est la loi du 29 septembre 1792, qui la première fixa la majorité à l'âge de vingt-un ans accomplis. Notre Code civil a reproduit sa disposition sur ce point.

La doctrine désigne indifféremment sous le nom de pupille ou sous celui de mineur l'individu âgé de moins de vingt-un ans. La loi paraît avoir affecté d'employer le mot pupille dans les articles consacrés à la tutelle officieuse (art. 361-370); partout ailleurs, et notamment dans tout notre titre, elle emploie à peu près exclusivement la dénomination de mineur.

En Droit romain, il importait de distinguer les pupilles des mineurs. On était pupille jusqu'à l'âge de la puberté; on était mineur depuis cette époque jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans accomplis. Les pupilles seuls étaient en tutelle; quant aux mineurs de vingt-cinq ans, ils étaient en curatelle. Le législateur du Code civil n'a pas admis ce système.

828. On distingue dans notre Droit deux catégories de mineurs : les mineurs non émancipés qui sont en tutelle, les mineurs émancipés qui sont en curatelle. De là la division de notre titre qui, après avoir traité de la Minorité dans le chapitre I, traite de la Tutelle dans le chapitre II et de l'Emancipation dans le chapitre III.

CHAPITRE II

DE LA TUTELLE

829. Malgré la généralité de cette rubrique, le législateur ne s'occupe dans ce chapitre que de la tutelle des mineurs. C'est dans le titre XI qu'il sera question de la tutelle des interdits.

Introduction.

I. De l'ouverture de la tutelle et de l'administration légale à laquelle il peut y avoir lieu avant cette ouverture.

830. L'événement, qui donne ouverture à la tutelle pour un mineur, est la mort de l'un de ses auteurs, ou en d'autres termes la dissolution du

mariaze. Le mécanisme assez compliqué de la tutelle a paru inutile au législateur pendant toute la durée du mariage, soit parce qu'alors l'enfant trouve une protection suffisante dans la sollicitude et l'affection de son père et de sa mère, soit parce qu'il a rarement un patrimoine propre et par suite des intérêts pécuniaires à sauvegarder, le premier événement qui rend un mineur propriétaire étant ordinairement la mort d'un de ses auteurs.

Exceptionnellement cependant, un mineur qui a encore ses père et mère peut avoir des biens personnels, par exemple par suite de donations entre vifs ou testamentaires dues à la générosité de parents ou d'étrangers, ou par suite de quelque don de fortune comme l'invention d'un trésor. A qui appartiendra l'administration de ces biens? L'article 383, placé à tort dans le chapitre de la tutelle, répond: « Le père est, > durant le mariage, administrateur des biens personnels de ses enfants > mineurs. Il est comptable, quant à la propriété et aux revenus, des » biens dont il n'a pas la jouissance; et, quant à la propriété seulement, » de ceux des biens dont la loi lui donne l'usufruit ».

L'administration dont il s'agit est dite légale, parce qu'elle est conférée de plein droit par la loi. Elle forme un attribut de la puissance paternelle, c'est pour ce motif que la loi l'accorde au père, qui seul a l'exercice de cette puissance pendant la durée du mariage (art 373).

On sait que, dans certains cas exceptionnels, l'exercice de la puissance paternelle passe à la mère durant le mariage (supra, no 800). Naturellement la mère en pareil cas serait investie du droit d'administration légale.

831. Différences entre l'administration légale et la tutelle.— Le Tribunat, auquel nous devons l'article 389 qui ne figurait pas dans le projet primitif du Code civil, en a signalé un certain nombre:

1o Dans toute tutelle il y a un subrogé tuteur nommé par le conseil de famille (art. 420, supra no 826). Au contraire il n'y a pas lieu d'adjoindre au père administrateur légal un subrogé administrateur.

Quel en est le motif? Le subrogé tuteur est principalement chargé : 4o de surveiller la gestion du tuteur; 2o de représenter le mineur quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du tuteur. Il a pu paraître inutile au législateur d'organiser une surveillance spéciale de la gestion du père administrateur légal; l'affectueuse sollicitude de la mère vaut à ses yeux le contrôle d'un subrogé tuteur. Mais voilà qu'une opposition d'intérêts surgit e ntre le père et l'enfant, par exemple un procès éclate entre eux. Qui représentera l'enfant mineur dans ce procès ? Ce ne peut être son père, puisqu'il est son adversaire. Se figure-t-on un père jouant dans un même procès le double rôle de demandeur pour son propre compte et défendeur pour le compte de son enfant mineur? En pareil cas il doit être nommé à l'enfant un administrateur ad hoc. Nous disons un administrateur ad hoc, et non un tuteur ad hoc, comme le font la plupart des auteurs, à l'imitation d'ailleurs de l'article 318; en effet pendant le mariage il ne peut pas y avoir lieu à une véritable tutelle, pas plus à la tutelle ad hoc qu'à la tutelle ordinaire. L'observation a quelque importance; car, l'administrateur dont il s'agit n'étant pas un tuteur, il n'y aurait pas lieu de lui adjoindre

un subrogé tuteur, ainsi que l'a fort bien jugé la Cour de cassation par un arrêt en date du 14 janvier 1878 (Sir., 78. 4. 248.)

2o Les biens du tuteur sont grevés d'une hypothèque légale au profit du mineur (art. 2121); cette hypothèque légale garantit au mineur le paiement de tout ce que son tuteur pourra lui devoir par son compte de tutelle. Au contraire le père administrateur légal n'est pas, en cette qualité, grevé d'une hypothèque légale sur ses biens. On a peut-être considéré que, le père étant déjà grevé d'une hypothèque légale au profit de sa femme, on courrait le risque d'anéantir complétement son crédit en doublant cette hypothèque d'une autre de même nature au profit de son enfant mineur.

3o Le conseil de famille est un des rouages de la tutelle. Le mécanisme de l'administration légale est moins compliqué; le père administrateur légal n'est pas soumis à l'autorité d'un conseil de famille.

832. Quels sont les pouvoirs du père administrateur légal ? Cette question n'est pas sans difficulté. Voici la solution qu'elle nous paraît comporter. La loi n'ayant établi ici aucune règle spéciale, il y a lieu d'appliquer les règles du Droit commun, c'est-à-dire que les pouvoirs du père administrateur légal sont les mêmes que ceux d'un administrateur ordinaire. D'après cette donnée, on doit décider que le père a pleine capacité pour accomplir au nom de son enfant tous les actes d'administration, mais non les actes de disposition. On sait que les actes d'administration sont ceux qui ont pour but de conserver les biens et de leur faire produire ce qu'ils sont susceptibles de donner; les actes de disposition sont les actes d'aliénation et les actes équivalents, par exemple les constitutions d'hypothèque.

Est-ce à dire qu'il sera impossible d'accomplir aucun acte de disposition pour le compte d'un mineur soumis à l'administration paternelle, quelque intérêt qu'il puisse y avoir ? Rigoureusement on devrait l'admettre. Quand la loi déclare un propriétaire incapable d'aliéner, elle seule peut déterminer par qui et sous quelles conditions il pourra être procédé à l'aliénation de ses biens; si elle ne le fait pas, il faut en conclure que ses biens sont inaliénables. Mais si cette solution est d'accord avec les principes, elle est loin de l'être avec les nécessités de la pratique, et même aussi avec l'intérêt social qui exige que les biens puissent circuler librement. Aussi la jurisprudence, empiétant peut-être sur le domaine du législateur qui seul a le droit de combler les lacunes que son œuvre présente, décide-t-elle que le père pourra valablement accomplir les actes de disposition pour le compte de son enfant mineur, mais avec l'autorisation de la justice. On ne peut guère songer à appliquer ici les règles établies au titre de la tutelle; car autre chose est la tutelle, autre chose l'administration légale.

833. Comment l'administration légale prend fin.- L'administration légale prend fin par la majorité ou par l'émancipation de l'enfant.

Comme tout administrateur, le père doit rendre compte de sa gestion

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