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En d'autres termes, l'esprit de la loi prévaut sur son texte en tant qu'il s'agit de mesurer la portée de la loi, c'est-à-dire de déterminer les hypothèses auxquelles elle est applicable.

101. B. La deuxième partie de la mission de l'interprète consiste à résoudre les questions qui n'ont pas été prévues par la loi, en faisant l'application des principes qu'elle contient. Les principaux moyens à employer dans ce but sont :

1o L'argument d'analogie qui est formulé dans l'adage suivant: Ubi eadem est legis ratio, ibi eadem est legis dispositio. L'analogie, nous l'avons déjà dit, est la boussole du juge et de l'interprète. Toutefois l'argument qu'on en tire n'est pas admissible, lorsque la disposition qu'il s'agit d'étendre d'un cas à un autre est exceptionnelle. « Exceptio est strictissimæ interpretationis. »

2° L'argument à contrario sensu qui est formulé dans les adages suivants Qui dicit de uno negat de altero, Inclusione unius fit exclusio alterius. L'argument à contrario est dangereux; il n'est ordinairement concluant que lorsque, pris d'une disposition exceptionnelle, il a pour résultat de favoriser le retour au Droit commun (Cpr. art. 1164).

30 L'argument à fortiori ou argument à majori ad minus et à minori ad majus. En vertu de cet argument on étend la disposition de la loi à un cas qu'elle ne prévoit pas, mais où les motifs de la loi se retrouvent avec plus de force que dans le cas prévu.

LIVRE I

Des personnes.

102. On sait que le Code civil est divisé en trois livres. Le premier traite des personnes, le deuxième des biens et des différentes modifications de la propriété, et le troisième des différentes manières d'acquérir la propriété. Le législateur a parlé des personnes tout d'abord, parce que, le Droit tout entier étant créé en vue des personnes, la première place leur était tout naturellement réservée. « Quum igitur hominum gratia omne jus constitutum sit, primo de personarum statu ac post de cæteris dicemus. » (L. 2., D., I, 5, de statu hominum).

Notre mot personne est la traduction du mot latin persona, qui désignait originairement le masque dont se servaient les acteurs pour jouer sur la scène. Ce masque était disposé de manière à rendre la voix plus retentissante: vox PERSONABAT, d'où le nom de persona donné au masque. Plus tard on employa le mot persona pour désigner le rôle lui-même que jouait l'acteur, parce que ce rôle était souvent représenté sur le masque. Enfin on en arriva à désigner sous le nom de persona le rôle que tout individu joue dans la société ou l'individu lui-même envisagé au point de vue de ce rôle. C'est en ce sens que nous prenons dans la langue juridique le mot personne.

103. On a dit avec exactitude: la personne c'est l'homme envisagé au point de vue du Droit. Chez les Romains tous les hommes n'étaient pas des personnes. On refusait ce titre aux esclaves, qui, au point de vue du Droit, étaient assimilés à des bêtes de somme. Chez nous tous les hommes (et cette expression comprend les deux moitiés du genre humain, genus masculinum complectitur et femininum) sont des personnes. Il en est surtout ainsi depuis que le Décret du 27 avril 1848 a aboli l'esclavage dans toutes les colonies et possessions françaises.

104. L'homme constitue une personne dès le moment même de sa naissance, à la condition qu'il naisse vivant et viable.

Vivant. L'enfant mort-né n'est qu'un fruit avorté. Qui mortui nascuntur, liberorum loco non sunt.

Viable, c'est-à-dire ayant l'aptitude à vivre, vitæ habilis, ce qui est une question de fait à résoudre en cas de difficulté par les juges. N'est pas viable l'enfant qui naît avec une conformation tellement imparfaite que la prolongation de son existence est matériellement impossible

et qui se trouve ainsi condamné à mort à très-courte échéance. Cet enfant ne devrait donc pas être considéré comme une personne; aucun droit n'aurait pu se fixer sur sa tête, notamment un droit de succession (art. 725). On assimile l'enfant qui naît non viable à celui qui naît mort, parce qu'au point de vue du droit c'est la même chose d'être mort ou de ne pouvoir vivre.

L'enfant n'a d'existence propre qu'après sa naissance. Jusque-là il n'est encore que pars viscerum matris, et ne constitue pas une personne distincte de celle de sa mère. En Droit romain cependant, on considérait, en vertu d'une fiction de droit, l'enfant simplement conçu comme étant déjà né lorsque son intérêt l'exigeait. Ce principe, qui avait aussi été admis dans notre ancien Droit, est formulé dans l'adage suivant: « Infans conceptus pro nato habetur, quoties de commodis ejus agitur.» Le Code civil en consacre plusieurs applications (Voyez notamment les art. 725 et 906); d'où l'on est fondé à conclure qu'il a maintenu le principe lui-même dans toute sa généralité. Il est bien entendu toutefois que le bénéfice de la maxime Infans conceptus..... ne peut être invoqué par les ayants-cause d'un enfant qu'autant qu'il est né vivant et viable.

105. Les personnes étant seules susceptibles d'avoir des droits, les jurisconsultes ont été conduits tout naturellement à personnifier certaines agrégations d'intérêts ou d'individus, telles que l'Etat, les communes, les sociétés commerciales, etc., auxquelles la loi reconnaît divers droits. Et pour les distinguer des personnes physiques ou réelles, on les a désignées sous le nom de personnes morales ou personnes civiles. Ce sont des personnes fictives. Elles jouent le rôle de personnes relativement à certains actes de la vie civile, persona vice funguntur.

:

Mais les personnes morales ne sont pas des personnes à proprement parler. Aussi la loi s'est-elle bien gardée de les désigner sous cette dénomination, qui aurait pu donner à entendre qu'elles ont les mêmes droits que des personnes véritables. Or, il y a des droits, qui par leur nature même ne peuvent pas appartenir aux personnes morales tels sont les droits de famille, et par suite le droit de succession qui dérive de la parenté. En ce qui concerne les droits relatifs aux biens, leur nature ne s'oppose pas à ce qu'ils appartiennent aux personnes morales, mais elles ne les possèdent pas tous. Elles ne peuvent avoir que ceux que la loi leur accorde, soit explicitement, soit implicitement en tant qu'ils sont nécessaires à la réalisation du but en vue duquel elles ont été créées. Ils se résument dans le droit d'acquérir à titre gratuit ou onéreux, de faire certains contrats et d'ester en justice (stare in judicio).

Une personne morale ne peut exister qu'en vertu d'une loi. La loi, qui seule peut donner l'existence aux personnes morales, peut aussi la leur retirer.

Les personnes morales sont publiques ou privées : publiques quand leur existence se lie à l'organisation politique du pays; telles sont l'État, les départements, les communes; privées quand elles ne mettent en jeu que des intérêts privés comme les sociétés commerciales, les congrégations religieuses dûment autorisées.

106. L'idée de personne est inséparable de celle de droits, puisque

les personnes sont les seuls êtres susceptibles de droits. Elle est étroitement associée aussi avec l'idée de l'état et de la capacité. Nous nous trouvons ainsi tout naturellement conduit à définir les droits, l'état et la capacité.

107. Les droits sont les facultés ou avantages que la loi accorde aux personnes. On les divise en droits politiques et en droits civils.

Les droits politiques sont ceux que la loi confère aux particuliers dans leurs rapports avec l'Etat. Ils consistent tous plus ou moins dans la participation à la puissance publique; tels sont les droits d'élection et d'éligibilité législative, le droit d'être juré, etc..

Pour avoir la jouissance des droits politiques, il faut être citoyen français. Est citoyen français tout Français mâle et majeur de vingt et un ans. La justification de cette proposition appartient au Droit constitutionnel plutôt qu'au Droit civil.

Les droits civils sont ceux que la loi accorde aux personnes dans leurs rapports privés avec les autres personnes, tous les droits en un mot qui dérivent du Droit privé ou civil. Telle est du moins la signification qu'on donne à l'expression droits civils quand on l'oppose à celle de droits politiques. Mais cette expression se prend quelquefois en un sens beaucoup plus restreint, comme désignant une certaine partie seulement des droits privés, ceux qui sont une création du Droit civil, de la loi positive et qui n'existeraient pas sans elle (v. gr. le droit d'adopter), par opposition aux droits naturels qui sont les droits privés dérivant du Droit naturel ou Droit des gens v. gr. le droit de se marier.

En résumé l'expression droits civils a deux sens. Lato sensu, et par opposition aux droits politiques, elle désigne tous les droits privés, c'està-dire tous les droits qui s'exercent de particulier à particulier. Stricto sensu, et par opposition aux droits naturels, elle désigne une petite partie seulement des droits privés, ceux qui ont leur source dans la loi civile positive et non dans la loi naturelle. C'est dans ce sens restreint que les mots droits civils paraissent avoir été pris par le législateur dans les articles 8, 11 et 13.

108. L'état d'une personne, status, c'est la place, le rang qu'elle occupe dans la société (status vient de stare). C'est, si l'on veut, le rôle qu'une personne joue dans la société, sa condition juridique au sein de la société. Ce rôle, cette condition varie suivant qu'on est du sexe masculin ou du sexe féminin Français ou étranger, célibataire, marié ou veuf, enfant légitime ou enfant naturel, majeur ou mineur..... L'ensemsemble de ces différentes qualités, qui assignent à chacun de nous sa manière d'être, son rôle juridique au sein de la société, constitue précisément l'état des personnes. Elles forment pour chacun une propriété protégée par des actions analogues à celles qui protègent le droit de

propriété sur les biens matériels. Ces actions, qui portaient en Droit romair le nom d'actions préjudicielles, n'ont pas chez nous de nom particulier. On est obligé de les désigner par une périphrase: actions relatives à l'état des personnes.

109. La capacité juridique est l'aptitude légale à devenir le sujet de droits et d'obligations. Ainsi quand on dit: la capacité de se marier, cela veut dire l'aptitude légale à devenir le sujet des droits et des obligations qu'engendre le mariage.

La capacité ést politique ou civile suivant la nature des droits par rapport auxquels on l'envisage.

TITRE I

De la jouissance et de la privation des droits

civils.

CHAPITRE I

DE LA JOUISSANCE DES DROITS CIVILS

SI. Généralités.

110. On distingue, en ce qui concerne les droits civils, la jouissance et l'exercice. La jouissance d'un droit consiste dans la propriété de ce droit ou dans la possibilité de l'acquérir. L'exercice consiste dans la mise en œuvre du droit, dans la pratique du droit. En d'autres termes, l'idée de jouissance s'applique aux droits considérés quant à leur acquisition, l'idée d'exercice à ces mêmes droits considérés quant à leur mise en œuvre, quant à leur usage. Ainsi nous verrons tout à l'heure que tous les Français ont la jouissance de leurs droits civils, mais que tous n'en ont pas l'exercice. Voici ce que cela signifie. Un Français vient de naître. Tous les droits civils peuvent immédiatement se fixer sur sa tête. Que sa mère vienne à mourir par exemple aussitôt après sa naissance, peutêtre en le mettant au monde, il sera son héritier et deviendra propriétaire en cette qualité de tous les biens qui lui appartenaient. Le droit de propriété se sera fixé sur sa tête, parce qu'il a la jouissance de tous ses droits civils au nombre desquels figure le droit d'acquérir par succession. Mais cet enfant ne pourra pas exercer immédiatement son droit de propriété, vendre par exemple les biens qui lui appartiennent. Il ne le pourra qu'à sa majorité. Jusque-là ses droits seront exercés, s'il y a lieu, par son représentant légal, par sou tuteur.

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