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CHAPITRE III

DE L'ÉMANCIPATION

§ I. Notions générales.

940. Le mineur non émancipé est frappé d'une incapacité générale; le majeur au contraire est doué d'une capacité complète. Le passage brusque de l'incapacité à la pleine capacité peut n'être pas sans dangers. A ce point de vue l'émancipation offre de précieux avantages: elle permet au mineur, grâce à la demi-capacité qu'elle lui confère, d'acquérir une certaine expérience des affaires, et constitue ainsi, comme l'a dit Berlier, une sorte de stage ayant pour but de préparer le mineur à l'avènement de sa majorité. Il aurait été désirable que ce stage fût imposé à tous les mineurs parvenus à un certain âge. C'était la première idée des rédacteurs du Code civil: le projet, à l'imitation de notre ancienne jurisprudence, établissait une émancipation de droit qui se produisait lorsque le mineur était parvenu à l'âge de dix-huit ans. Malheureusement ce projet n'a pas été converti en loi. L'émancipation, telle que notre législateur l'a définitivement conçue, n'est plus qu'une faveur individuelle, accordée en général aux mineurs qui ont fait preuve d'une sagesse et d'une maturité précoces.

941. Définition de l'émancipation.- On a défini l'émancipation: « un acte juridique par lequel un mineur est affranchi, soit de la puissance paternelle ou de l'autorité tutélaire, soit de l'une et de l'autre, lorsqu'il s'y trouvait simultanément soumis ».

On voit par cette définition que notre émancipation n'a rien de commun avec celle des Romains. A Rome, l'émancipation faisait cesser seulement la puissance paternelle, et, loin de mettre fin à la tutelle, elle y donnait au contraire ouverture lorsque l'émancipé était impubère. Le Code civil distingue deux sortes d'émancipation, l'émancipation tacite et l'émancipation expresse.

I. Emancipation tacite.

942. L'émancipatlon tacite ou légale est celle qui résulte du mariage. « Le mineur est émancipé DE PLEIN DROIT par le mariage, » dit l'article 476.

De plein droit. L'émancipation est donc une conséquence implicite et forcée du mariage. Elle se produit en vertu des seules dispositions de la loi, sans qu'aucune manifestation de volonté soit nécessaire de la part de l'époux ou des époux mineurs.

Bien plus, les parties ne pourraient pas, en manifestant une volonté contraire, empêcher l'émancipation de se produire; car la loi règle souverainement les effets du mariage, et la volonté des époux ne peut les modifier (arg., art. 6).

Dans nos mœurs, le mariage, supposant une certaine maturité d'esprit, devait entraîner pour ceux qui le contractent une certaine indépendance: l'état de mineur en tutelle a pu paraître à ce titre incompatible avec celui d'époux. Aussi le principe que l'émancipation résulte du mariage est-il absolu; il ne souffrirait même pas exception au cas d'un mariage contracté avec dispense d'âge.

Bien entendu le mariage ne produit l'émancipation qu'autant qu'il est valable. Un mariage nul ne produit aucun effet, pas plus l'émancipation que tout autre. Quod nullum est nullum producit effectum. Il faudrait excepter toutefois le cas où le mariage nul aurait été contracté de bonne foi; car le mariage putatif produit tous les effets civils au profit de l'époux de bonne foi; donc aussi l'émancipation s'il est mineur (art. 201 et 202).

II. Emancipation expresse.

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943. L'émancipation expresse est ainsi appelée, parce qu'elle résulte d'une volonté exprimée par certaines personnes auxquelles la loi donne le pouvoir d'émanciper le mineur. Ces personnes sont le père; à son défaut la mère; à défaut de l'un et de l'autre, le conseil de famille. C'est ce qui résulte des articles 477 et 478 ainsi conçus : « Le mineur, même › non marié, pourra être émancipé par son père, ou, à défaut de père, par > sa mère, lorsqu'il aura atteint l'âge de quinze ans récolus. Cette éman» cipation s'opérera par la seule déclaration du père ou de la mère, reçue » par le juge de paix assisté de son greffier » (art. 477). Dans ce texte les mots << même non marié » n'ont pas de sens : ils doivent être supprimés. L'article 478 ajoute : « Le mineur, resté sans père ni mère, pourra aussi, » mais seulement à l'âge de dix-huit ans accomplis, être émancipé, si le » conseil de famille l'en juge capable. En ce cas, l'émancipation résul» tera de la délibération qui l'aura autorisée, et de la déclaration que le » juge de paix, comme président du conseil de famille, aura faite dans le » même acte, que le mineur est émancipé ».

944. Le droit d'émanciper l'enfant mineur appartient en premier lieu au père, et à lui seul en principe tant qu'il vit; car d'une part, l'article 477 n'accorde le droit d'émancipation à la mère qu'à défaut du père, et d'autre part, l'article 478 ne l'accorde au conseil de famille qu'à défaut des père et mère. Il devait en être ainsi le droit d'émanciper l'enfant miueur est un attribut de la puissance paternelle; or le père seul l'exerce pendant le mariage (art. 373), et après sa dissolution il en demeure seul investi si c'est lui qui survit.

945. Après la mort du père, le droit d'émanciper l'enfant mineur passe à la mère qui en est investie à l'exclusion du conseil de famille.

Le survivant des père et mère, qui ne serait pas tuteur de son enfant mineur, conserverait-il néanmoins le droit de l'émanciper? Oui, car ce droit est un attribut de la puissance paternelle, et le survivant conserve cette puissance même quand il n'est pas tuteur. Cette solution devrait être maintenue, malgré les objections théoriques qu'elle peut soulever, même au cas où le survivant aurait été exclu ou destitué de la tutelle, et, s'il s'agit de la mère, au cas où s'étant remariée elle n'aurait pas été maintenue dans la tutelle de ses enfants du premier lit (art. 395).

Plus délicate est la question de savoir si le droit d'émancipation appartient à la mère, quand le père se trouve dans l'impossibilité de droit ou de fait d'exercer la puissance paternelle; - dans l'impossibilité de droit, par exemple par suite de la dégradation civique (P., art. 34) ou de l'interdiction judiciaire dont il est frappé;dans l'impossibilité de fait, par exemple par suite d'aliénation mentale ou d'absence. L'affirmative ne serait pas douteuse si l'article 477 disait : « à défaut DU père». Il dit : « à défaut DE père »; et comme ces expressions signifient rigoureusement: quand le père est mort, plusieurs auteurs en ont conclu que le droit d'émancipation n'appartient pas à la mère quand le père est vivant, mais incapable d'exercer la puissance paternelle. On s'accorde cependant à reconnaître que le droit d'émancipation appartient à la mère, quand le père est privé de l'exercice de la puissance paternelle par suite de la dégradation civique (P., art.34). Mais si les mots « à défaut de père » ne s'opposent pas à ce que le droit d'émancipation passe à la mère dans ce dernier cas, pourquoi donc y feraient-ils obstacle dans les autres? D'ailleurs ne pourrait-on pas dire que la loi envisage ici le père en tant qu'il est investi de la puissance paternelle, et que par suite dans la pensée du législateur les mots « à défaut de père » signifient : à défaut de père pouvant exercer la puissance paternelle. On objecte que cette solution va permettre à la mère de mettre fin au droit d'usufruit légal qui appartient au père sur les biens de l'enfant (art. 381). Mais d'abord on pourrait fort bien soutenir que le droit de jouissance légale passe à la mère avec l'exercice de la puissance paternelle dont il est un attribut. Même en admettant quele père le conserve, l'objection tomberait devant cette considération : que la puissance paternelle est organisée dans l'intérêt de l'enfant beaucoup plus que dans celui des parents, et que par suite le légistateur a dû vouloir que l'enfant pât être émancipé quand son intérêt l'exige, dût l'émancipation mettre fin à l'usufruit paternel. Enfin n'est-il pas bien probable que si le père était en état d'exercer la puissance paternelle, il n'hésiterait pas à sacrifier son intérêt à celui de l'enfant ?

Le droit d'émancipation appartient-il au père et à la mère naturels? Oui, puisqu'ils ont la puissance paternelle dont le droit d'émancipation est un attribut. Mais par qui ce droit sera-t-il exercé si l'enfant a été reconnu par son père et par sa mère tout à la fois? Cela dépend du parti que l'on prend sur le point de savoir à qui appartient en ce cas l'exercice de la puissance paternelle. Voy. supra, no 823.

946. A défaut du père et de la mère, le droit d'émancipation passe au conseil de famille. La loi dispose à ce sujet : « Le mineur resté sans père ni mère pourra... être émancipé si le conseil de famille l'en juge capable ».

Les mots « sans père ni mère» ont un sens analogue à celui des mots « à défaut de père» de l'article précédent. Ils signifient donc quand le père et la mère sont morts ou dans l'impossibilité de fait ou de droit d'exercer la puissance paternelle. Cette solution se justifie par des raisons analogues à celles qui viennent d'être déduites au sujet de la question précédente.

Quand le père et la mère sont morts ou dans l'impossibilité d'exercer la puissance paternelle, l'émancipation ne peut avoir pour résultat d'affranchir le mineur que de l'autorité tutélaire, la seule à laquelle il soit soumis en ce cas. Alors pourquoi n'a-t-on pas conféré au tuteur le droit d'émanciper l'enfant, puisque c'est lui qui est investi de la puissance à laquelle l'émancipation doit mettre fin? On a craint sans doute que le tuteur ne se laissât guider beaucoup plus par son intérêt personnel que par celui du mineur. Souvent le tuteur aurait été tenté d'émanciper prématurément le mineur pour se décharger plus tôt du fardeau de la tutelle. En sens inverse il aurait pu arriver quelquefois qu'un tuteur infidèle ne retardât plus que de raison l'émancipation de son pupille, pour bénéficier plus longtemps des profits illicites qu'il retire de la tutelle. Le législateur a cru devoir pour ces motifs confier à une autorité plus impartiale le soin de statuer sur l'émancipation du mineur; il a désigné le conseil de famille. Et comme le tuteur peut avoir intérêt, ainsi qu'on vient de le voir, à conserver la tutelle, le législateur n'a pas voulu qu'à lui seul appartînt le droit de provoquer l'émancipation qui doit y mettre fin en requérant la convocation du conseil de famille. L'article 479 dit à ce sujet : « Lorsque le tuteur n'aura fait au»cune diligence pour l'émancipation du mineur dont il est parlé dans » l'article précédent, et qu'un ou plusieurs parents ou alliés de ce mineur, » au degré de cousin germain ou à des degrés plus proches, le jugeront ca»pable d'être émancipé, ils pourront requérir le juge de paix de convoquer » le conseil de famille pour délibérer à ce sujet. Le juge de paix devra » déférer à cette réquisition. » La convocation du conseil de famille est donc obligatoire pour le juge de paix dès qu'elle est requise par l'une des personnes indiquées en notre article.

947. A quel âge le mineur peut être émancipé. Il y a lieu de distinguer à cet égard si l'émancipation est conférée par les père et mère ou par le conseil de famille. Dans le premier cas le mineur peut être émancipé à quinze ans révolus; dans le deuxième, à dix-huit ans seulement (art. 477 et 478). Cette différence vient probablement de ce que l'enfant a, dans le premier cas, un protecteur naturel qui lui manque dans le second, pour guider ses premiers pas dans la nouvelle étape de la vie que l'émancipation va lui ouvrir.

L'émancipation

948. Formes de l'émancipation expresse. est un acte solennel, c'est-à-dire un acte qui ne peut valablement être accompli que dans les formes prescrites par la loi; elles sont d'ailleurs d'une extrême simplicité. Si l'émancipation émane du père ou de la mère, elle résulte de leur simple déclaration reçue par le juge de paix assisté de son greffier (art. 477). Si l'émancipation émane du conseil de famille, elle résulte de la délibération qui l'autorise et de la déclaration

faite par le juge de paix, en qualité de président du conseil, que le mineur est émancipé. Dans tous les cas l'émancipation doit être constatée sur les registres de la justice de paix.

949. Nomination d'un curateur au mineur émancipé. — Aux termes de l'article 480: « Le compte de tutelle sera rendu au mineur » émancipé assisté d'un curateur qui lui sera nommé par le conseil de »famille. » Le curateur dont la loi nous parle ici n'est pas un curateur ad hoc spécialement nommé pour la réception du compte de tutelle, et dont les fonctions cesseraient de plein droit, cette mission particulière une fois remplie. Ce curateur est investi d'une mission permanente, qui durera normalement jusqu'à la mort ou la majorité de l'émancipé. C'est ce qu'on peut induire avec certitude de plusieurs textes, notamment de l'article 482 qui nous représente le mineur émancipé comme agissant avec l'assistance, non d'un curateur, mais bien de son curateur : ce qui suppose qu'il en a un, et qu'on ne le lui nomme pas à chaque fois.

Et toutefois, si le conseil de famille voulait, comme il arrivera souvent, confier les fonctions de curateur à l'ancien tuteur du mineur émancipé, il y aurait lieu de lui nommer un curateur ad hoc pour la réception de son compte de tutelle, l'ancien tuteur ne pouvant pas, bien évidemment, être appelé à assister le mineur pour cet acte auquel il est lui-même partie.

Le curateur est toujours nommé par le conseil de famille (art. 480). Le père ou la mère qui émancipe son enfant n'aurait pas le droit de le pourvoir d'un curateur, car aucun texte ne l'y autorise. En aucun cas non plus, nous ne voyons la loi désigner de plein droit le curateur du mineur émancipé. Il y a bien une tutelle légitime, mais il n'y a pas de curatelle légitime. On enseigne cependant en général que, par exception à cette règle, le mari est curateur légal, c'est-à-dire curateur de droit de sa femme mineure émancipée par le mariage.

* A l'appui de cette solution on invoque d'abord des raisons de convenance; puis un argument d'analogie tiré de l'article 506 qui dit : « Le mari est de droit tuteur de sa femme interdite ». On invoque enfin l'article 2208, al. 3, relatif à l'expropriation forcée des immeubles de la femme mineure, aux termes duquel : « en cas de minorité du mari et de la femme ou de minorité de la femme seule, si son mari majeur refuse de procéder avec elle, il est nommé par le tribunal un tuteur à la femme contre lequel la poursuite est exercée ». C'est seulement, dit-on, quand le mari majeur refuse de procéder avec sa femme sur la poursuite en expropriation dirigée eontre celle-ci, qu'il y a lieu de nommer à la femme un tuteur; donc cette nomination n'est pas nécessaire, quand le mari procède avec la femme. Et pourquoi cela? parce qu'elle est alors assistée de son curateur, que la loi suppose ici ne pouvoir être autre que le mari, et dont l'assistance est nécessaire et suffisante pour qu'elle puisse défendre à l'action dont il s'agit (art. 482). Donc le mari est de droit curateur de sa femme la loi le désigne implicitement comme tel en supposant que la femme ne peut pas avoir un autre curateur que lui.

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