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Inutilement le défendeur à l'action en nullité offrirait-il de prouver que l'acte attaqué a été accompli pendant un intervalle lucide; on lui répondrait : la loi présume que l'interdit est dans un état d'aliénation mentale continu; c'est sur le fondement de cette présomption qu'elle déclare les actes passés par lui nuls de droit, et cette présomption n'est pas susceptible d'être combattue par la preuve contraire; car aux termes de l'article 1352 al. 2: « nulle preuve n'est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ». Le défendeur à l'action en nullité allèguerait plus vainement encore que l'acte accompli par l'interdit ne lui cause pas de préjudice, qu'il n'est pas lésif pour lui. L'action en nullité accordée à l'interdit est indépendante de toute lésion, à la différence de celle qui est accordée au mineur contre les actes qu'il a passés sans l'assistance de son tuteur (art. 4305). Cette différence s'explique d'ailleurs facilement. L'action en nullité accordée au mineur est fondée sur l'inexpérience de son âge; mais les mineurs ne sont pas des insensés, les actes qu'ils accomplissent peuvent être raisonnables; pourquoi donc les annuler, s'ils ne leur causent pas de préjudice? Au contraire l'action en nullité accordée à l'interdit est fondée sur son insanité d'esprit, qui en fait peut présenter des rémittences, mais que la loi présume continue. L'interdiction supprime en droit les intervalles lucides; d'après la présomption légale, l'acte accompli par un interdit sera donc toujours l'acte d'un fou; qu'importe à ce point de vue qu'il soit ou ne soit pas lésif?

Les actes passés par un interdit n'étant pas inexistants, mais seulement nuls ou aunulables, il en résulte :

a). Que l'interdit seul ou ses représentants peuvent se prévaloir de la nullité (arg., art. 1125). Le même droit n'appartient pas à ceux qui ont traité avec l'interdit; car la nullité n'a pas été introduite en leur faveur.

b). Que la nullité édictée par l'article 502 est susceptible de se couvrir par une confirmation ou ratification émanée de l'incapable, quand il aura recouvré sa capacité, ou de ses représentants.

c). Que l'action en nullité se prescrira par dix ans conformément à l'article 1304.

988. Bien que la règle, qui annule les actes passés par l'interdit postérieurement à l'interdiction, soit formulée dans les termes les plus généraux : « Tous actes passés...par l'interdit... seront nuls de droit », la plupart des auteurs décident qu'elle comporte des exceptions. En d'autres termes, il y aurait certains actes que l'interdit pourrait valablement accomplir, dans un intervalle lucide bien entendu, malgré l'incapacité générale dont la loi paraît le frapper. Mais on est loin d'être d'accord sur les actes qui doivent être exceptés de la règle. Chaque auteur a sa liste. Sur presque toutes on voit figurer le mariage et la reconnaissance d'enfants naturels; d'autres ajoutent l'adoption, le testament. Ce désaccord vient de la difficulté qu'il y a d'établir un criterium certain pour déterminer les limites de l'exception. D'après les uns, elle comprendrait tous les actes, qui ne sont pas susceptibles d'être accomplis par un mandataire général, et qui à ce titre échappent au mandat du tuteur; car, dit-on, l'interdit n'est privé que de l'exercice de ses droits civils, et, si on ne lui permet pas d'exercer personnellement les droits dont il s'agit, on lui en retire par le fait la jouissance, puisqu'ils ne pourront être exercés ni par lui ni pour lui. Mais ce criterium conduirait notamment à décider que l'interdit peut faire des donations entre-vifs, solution qui paraît absolument inacceptable (voyez art. 901). D'autres

ont dit : le but de l'interdiction est de protéger les intérêts pécuniaires de l'interdit et de sa famille; donc ce sont seulement les actes pécuniaires qui tombent sous le coup de l'article 502; les actes moraux sont en dehors de son domaine, notamment, dit-on, le mariage et la reconnaissance d'enfants naturels, mais non le testament qui est un acte pécuniaire.

Ne serait-il pas préférable d'admettre, comme le font quelques rares auteurs, que la disposition de l'article 502 ne comporte aucune restriction, d'après la règle Ubi lex non distin juit, nec nos distinguere debemus? Le cas pour lequel il y a le plus de doute est le mariage. Mais nous voyons précisément que l'article 174 consacre l'opposition à mariage fondée sur la démence du futur époux, et ajoute que cette opposition ne sera admise qu'à la charge par l'opposant de provoquer l'interdiction du futur, et d'y faire statuer dans le délai qui sera fixé par le jugement: ce qui semble bien signi fier que, si l'interdiction est prononcée, l'opposition sera maintenue, et par suite le mariage impossible. On se récrie contre la dureté de cette solution: le malheureux qui a été frappé d'interdiction sera donc privé des douceurs du mariage, des joies de la famille...! On oublie qu'il y a un intérêt social en cause, et que cet intérêt l'emporte sur les intérêts particuliers. Si l'on permet à l'interdit de se marier, il faut bien lui permettre aussi d'avoir des enfants; or les fous engendrent ordinairement des fous (la folie est malheureusement héréditaire), et la société a intérêt à ce que la race des fous ne se multiplie pas. Ainsi s'expliquerait très-rationnellement la prohibition de la loi. Quant à la reconnaissance d'enfant naturel, ce n'est pas seulement un acte moral; elle peut causer un préjudice pécuniaire à son auteur. Pourquoi donc celui qui l'a faite en état d'interdiction n'en pourrait-il pas demander la nullité?

B. Actes accomplis dans le passé.

989. Aux termes de l'article 503: « Les actes antérieurs à l'interdic» tion pourront être annulés, si la cause de l'interdiction existait notoire➤ment à l'époque où ces actes ont été faits. »

Si notre article n'existait pas, les actes antérieurs à l'interdiction seraient restés soumis au Droit commun, c'est-à-dire que l'interdit ou ses représentants n'auraient pu en faire prononcer la nullité qu'à la condition de prouver la démence au moment même de l'acte, preuve sinon impossible, au moins très-difficile à fournir.

D'après notre article, l'interdit ou ses représentants pourront obtenir la nullité des actes antérieurs à l'interdiction, «si la cause de l'interdiction existait notoirement à l'époque où ces actes ont été faits »; il suffira donc de prouver que l'auteur de l'acte était, à l'époque où il l'a accompli, dans un état notoire d'imbécillité, de démence ou de fureur, preuve beaucoup plus facile à faire que celle de la démence au moment même de l'acte.

Et remarquez: 1o que la loi exige seulement, pour qu'il y ait lieu de prononcer la nullité des actes antérieurs à l'interdiction, que l'aliénation mentale de l'auteur de l'acte constituât un fait notoire; elle n'exige pas que celui qui a traité à vec l'insensé ait connu son état : il est d'ailleurs inexcusable de n'en avoir pas eu connaissance puisque tout le monde le connaissait; 2° que le juge, auquel il est démontré que la cause de l'interdiction existait notoirement à l'époque où l'acte a été accompli, ne doit pas nécessairement par cela seul en prononcer la nullité; la loi

dit : pourront être annulés; l'annulation est donc facultative pour le juge, qui se décidera d'après les circonstances, en tenant compte principalement du mérite de l'acte et de la bonne foi des tiers qui ont traité avec l'interdit; 3° que l'article 503, à la différence de l'article 502, ne dit pas tous actes, mais bien les actes; il y a en effet certains actes antérieurs à l'interdiction que le juge ne pourrait pas annuler, notamment les significations faites à l'insensé et les jugements obtenus contre lui. Il ne dépendait peut-être pas des tiers, qui ont fait ces significations ou obtenu ces jugements, de provoquer l'interdiction, et il fallait bien pourtant qu'ils pussent conserver leurs droits ou les faire valoir en justice.

990. Comme l'article 503, l'article 504 déroge au Droit commun, mais à un autre point de vue : « Après la mort d'un individu, les actes par lui > faits ne pourront être attaqués pour cause de démence, qu'autant que > son interdiction aurait été prononcée ou provoquée avant son décès, à » moins que la preuve de la démence ne résulte de l'acte même qui est > attaqué. »

Les héritiers d'un individu décédé viennent attaquer pour cause de démence un acte par lui accompli. Devront-ils être écoutés ? Si l'auteur de l'acte attaqué a été de son vivant frappé d'interdiction, il n'y a pas de difficulté: on appliquera les articles 502 et 503, qui peuvent être invoqués par les héritiers de l'interdit comme par l'interdit lui-même. Si l'interdiction a seulement été « provoquée avant son décès », ou en d'autres termes si la demande en interdiction formée contre l'auteur de l'acte n'a pas pu recevoir une solution définitive avant sa mort, on appliquera le Droit commun, c'est-à-dire que ses héritiers pourront faire annuler l'acte en prouvant sa démence au moment même où il a été accompli. Mais il en sera autrement, si l'interdiction n'a été ni prononcée ni provoquée du vivant de l'auteur de l'acte attaqué; la loi, dérogeant ici au Droit commun, décide que la nullité n'en pourra être prononcée pour cause de démence qu'autant que la preuve de la démence résultera de l'acte luimême. Tout autre moyen de preuve devrait donc être écarté. Ce qui préoccupe ici le législateur très-évidemment, c'est la difficulté de prouver le fait allégué. Et en effet comment savoir, après la mort d'un individu, s'il était en état de démence, et surtout s'il y était à tel moment déterminé ? On n'a plus ici la ressource de l'interrogatoire, qui est le meilleur moyen de constater l'aliénation mentale. D'un autre côté, précisément parce que le principal moyen d'investigation manque au juge, n'était-il pas à craindre que, dans l'espoir de le circonvenir, on attaquàt souvent sans motif, sous couleur de démence, des actes accomplis par un individu décédé ? Les questions, qui donnent lieu au plus grand nombre de procès, ne sont-elles pas celles où il est le plus difficile au juge d'y voir clair? Tel est probablement le double motif qui a fait édicter la disposition de l'article 504. On a voulu, comme le dit Demante, écarter ainsi une multitude de procès très-difficiles à juger.

Mais, s'il en est ainsi, comment expliquer que notre article se relâche de sa rigueur lorsque l'interdiction a seulement été provoquée du vivant de l'auteur de l'acte ? Sera-t-il donc plus facile au juge en pareil cas d'apprécier l'état mental de l'individu décédé? - D'abord il peut se faire que la procédure fournisse à cet égard d'utiles enseignements, par exemple s'il a été procédé à l'interrogatoire du défendeur. Et puis le seul fait de la demande en interdiction donne une certaine couleur de vérité à la prétention de ceux qui allèguent aujourd'hui l'aliénation mentale. Il est donc tout simple que la loi se soit montrée moins sévère.

L'interdiction est considérée comme provoquée à partir du moment où la requête, dont parle l'article 890 Pr., a été présentée au président du tribunal, sauf aux juges à examiner s'il n'y a pas quelque fraude de la part du provoquant.

Si la demande en interdiction avait été rejetée, ou si l'instance avait été éteinte par le désistement ou par la péremption, la situation serait la même que si l'interdiction n'avait pas été provoquée, et par suite l'article 504 recevrait son application.

No 5. De la cessation de l'interdiction.

991. Deux causes peuvent mettre fin à l'interdiction: 1o La mort de l'interdit. Mors omnia solvit.

2o La main-levée de l'interdiction. Cette main-levée ne peut être prononcée que par la justice, lorsque les causes de l'interdiction ont cessé, c'est-à-dire lorsque l'interdit est redevenu compos mentis. L'article 512 dit à ce sujet : « L'interdiction cesse avec les causes qui l'ont déterminée: > néanmoins la main-levée ne sera prononcée qu'en observant les formalités » prescrites pour parvenir à l'interdiction, et l'interdit ne pourra répren» dre l'exercice de ses droits qu'après le jugement de main-levée. »

On admet en doctrine et en jurisprudence que la demande en main-levée peut être formée par l'interdit lui-même. Cette solution, que la nécessité a dictée, n'est pas cependant très-conforme aux principes; car, tant que dure l'interdiction, l'interdit est incapable de tous les actes civils.

Dans la pratique la demande en main-levée est dirigée contre le tuteur à l'interdiction, qui joue ainsi le rôle de défendeur à l'action, tandis que les principes sembleraient plutôt lui assigner celui de demandeur, puisqu'il a mission de représenter l'interdit dans tous les actes civils (art. 450 et 509 cbn).

Le tribunal compétent pour statuer sur la demande en main-levée

est celui du domicile de l'interdit.

«La demande en main-levée d'interdiction sera instruite et jugée dans la même forme que l'interdiction. » Pr. art. 896.

CHAPITRE III

DU CONSEIL JUDICIAIRE

992. Le conseil judiciaire est un curateur nommé par la justice, et chargé d'assister un prodigue ou un faible d'esprit dans certains actes civils.

On voit par cette définition que le mot conseil est ici pris dans le sens de conseiller et non dans celui d'assemblée.

On voit aussi que les personnes soumises à l'autorité d'un conseil judiciaire doivent être considérées comme pourvues d'un curateur : ce qui leur rend applicable l'article 83-6° du Code de procédure civile qui déclare communicables au ministère public les causes des personnes pourvues d'un curateur.

993. A quelles personnes il peut être nommé un conseil judiciaire. Il peut être nommé un conseil judiciaire aux faibles d'esprit et aux prodigues.

1° Aux faibles d'esprit ou simples d'esprit, comme on dit quelquefois, c'est-à-dire aux personnes dont les facultés mentales, sans être complétement désorganisées, sont cependant gravement troublées. Rappelons le texte de l'article 499 qui régit cette hypothèse : « En rejetant la demande » en interdiction, le tribunal pourra néanmoins, si les circonstances l'exigent, ordonner que le défendeur ne pourra désormais plaider, transiger, › emprunter, recevoir un capital mobilier, ni en donner décharge, aliéner, »ni grever ses biens d'hypothèques, sans l'assistance d'un conseil qui lui › sera nommé par le même jugement. »

Si les circonstances l'exigent. La loi ne dit pas quelles sont ces circonstances, et elle laisse par conséquent aux tribunaux la plus grande latitude pour leur appréciation : ce qui n'est peut-être pas un mal, ces circonstances pouvant varier à l'infini. Des infirmités physiques, par exemple le surdi-mutisme, pourraient donc servir de cause à la nomination d'un conseil judiciaire aussi bien que des infirmités morales.

Bien que notre article nous représente la nomination d'un conseil judiciaire pour cause de faiblesse d'esprit comme intervenant sur une demande en interdiction, on admet généralement que les personnes, auxquelles la loi donne qualité pour provoquer l'interdiction, pourraient demander directement la nomination d'un conseil judiciaire, si elles estimaient que l'état du défendeur ne comporte que l'application de cette mesure. Pourquoi les forcer en pareil cas de demander le plus pour obtenir le moins?

2° Aux prodigues. - « Il peut être défendu aux prodigues de plaider, de > transiger, d'emprunter, de recevoir un capital mobilier et d'en donner décharge, d'aliéner, ni de grever leurs biens d'hypothèques, sans l'ass is> tance d'un conseil qui leur est nommé par le tribunal. »

On appelle prodigue, dit M. Berriat Saint-Prix, le propriétaire qui consomme en dépenses improductives, non-seulement la totalité de ses revenus, mais une portion de son capital, de manière à amener sa ruine dans un délai plus ou moins court. Celui qui empiète sur son capital, alors que ses revenus ne suffisent pas pour le faire subsister, n'est pas un prodigue. » C'est bien là le sens ordinaire du mot prodigue. Toute

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