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Une pareille lettre fut adressée à M. l'archevêque de Cambrai, et elle commençoit ainsi : « Monsieur l'archevêque de Cambrai, ayant vu par le mandement que vous avez fait publier dans votre diocèse, et dont vous m'avez envoyé un exemplaire, votre soumission pour la condamnation prononcée par N. S. P. le pape, contre le livre que vous avez fait imprimer en l'an 1697, sous le titre d'Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure; etc.

Toutes les paroles de cette lettre du Roi aux Métropolitains sont dictées par la religion et par la sagesse : mais ce qu'elle a de plus remarquable, c'est que sa Majesté voulut exprimer que ce seroit seulement après qu'elle auroit été informée de l'acceptation de la constitution, et des résolutions qui auroient été prises dans toutes les provinces ecclésiastiques, qu'elle feroit expédier ses lettrespatentes pour la publication et exécution de la même constitution par tout son royaume. Par ce moyen, dans une matière où il s'agissoit de la foi, ce prince, aussi habile et intelligent que pieux, sut sagement prendre le parti que lui inspiroit la religion, et voulut que le sentiment des évêques précédât ses lettres-patentes.

La vérité qui parle au cœur, et tourne ceux des rois comme il lui plaît, lui fit reconnoître, que si dans les affaires temporelles la puissance royale doit marcher devant, comme celle qui est préposée de Dieu pour les gouverner; dans les affaires de Dieu même et qui dépendent de sa révélation, elle ne fait que venir au secours de ses ministres sacrés, qui sont par leur caractère les dépositaires de la doctrine inspirée de Dieu. Ainsi, en cette occasion, ce grand Roi ne s'attribue d'autre autorité que celle d'assembler les évêques, selon . la pratique perpétuelle des empereurs et des rois chrétiens, et en même temps il les assemble par la voie la plus canonique, c'est-àdire par l'autorité sacrée de leurs métropolitains, qui, reconnue de tout temps dans toute l'Eglise, ne pouvoit venir que de la tradition des apôtres.

Toute l'Eglise de France s'épancha en actions de grâces, et reconnut plus que jamais qu'elle avoit un roi à qui la sagesse étoit envoyée d'en haut pour présider à ses conseils. Le succès répondit, à son attente. On vit toutes les provinces, dans un pieux mouvement, par des assemblées ou la force de la vérité se rendit sensible' dans la parfaite unanimité de tant de provinces, sans autre concert que celui que leur inspiroit la même lumière de la foi, la même suite de la tradition et le même esprit de la grâce. C'est ce qu'on va reconnoître dans le recueil des procès-verbaux des assemblées provinciales.; et on avouera qu'il ne falloit pas laisser perdre, faute de les avoir ramassés ensemble, tant de témoignages de la foi, et tant de pré

cieux monuments de la discipline ecclésiastique renouvelés en nos jours, sous la protection d'un prince si religieux.

(Suit l'analyse des procès-verbaux des assemblées provinciales, pour l'acceptation du Bref de N. S. P. le pape, après quoi Bossuet continue : )

L'uniformité des provinces, et, pour parler encore plus précisément, le consentement unanime de tous les évêques de l'Eglise gallicane, paroît principalement en trois choses dans la manière de recevoir la constitution apostolique dans le fond de la doctrine, et dans l'examen des formalités.

Pour ce qui regarde l'acceptation solennelle de la constitution, les évêques toujours attachés à la tradition, après avoir recherché les exemples des siècles passés, et en particulier ce qui s'étoit fait en la dernière occasion', qui étoit l'acceptation solennelle des constitutions d'Innocent X, et Alexandre VII, sur les cinq propositions, résolurent d'un commun accord, qu'à ce grand exemple et pour maintenir les droits sacrés des évêques, on y devoit procéder non par une simple exécution, mais toujours avec connoissance, et par forme de jugement ecclésiastique. Ainsi l'avoient entendu ces grands papes saint Innocent, saint Léon I, saint Simplice, saint Grégoire, saint Martin, saint Léon III, Jean VIII, Victor II, Eugène III, et les autres, dont les provinces alléguoient les autorités. Les Eglises tenoient à honneur de citer les lettres des papes qui leur étoient adressées, et celles que nos ancêtres leur avoient autrefois écrites dans le même esprit.

Le pape, comme le chef et la bouche de toute l'Eglise, du haut de la chaire de saint Pierre, dans laquelle toutes les Eglises gardent l'unité, annonçoit à tous les fidèles la commune tradition avec toute l'autorité du prince des apôtres : les évêques reconnoissoient dans le décret du premier Siége la tradition de leurs saints prédecesseurs toute vivante dans leurs Eglises; et ce consentement parfait étoit la dernière marque de l'assistance du Saint-Esprit qui animoit tout le corps de l'Eglise catholique : c'étoit là cet examen que le grand pape saint Léon avoit tant loué. Ainsi, en reconnoissant la divine supériorité du premier Siége, les évêques se conservoient le dépôt de la tradition que Jésus-Christ leur avoit mis entre les mains; et même selon l'ordre naturel, le premier jugement dans les questions de la foi. Mais en même temps ils avouoient que le premier Siége, lorsque le besoin de l'Eglise le demandoit, pouvoient commencer, pour être suivi avec connoissance par les siéges subordonnés, en sorte que tout aboutît à l'unité catholique. On trouva même dans l'antiquité, et avec le consentement du grand pape saint Léon, un con

cours des provinces de l'empire, semblable à celui qui venoit de se pratiquer. Enfin les actes de ces assemblées sont un trésor d'érudition ecclésiastique, qui ne laisse rien à désirer sur l'ancien ordre de l'Eglise, sur l'autorité des canons, et sur les libertés aussi saintes que modestes et respectueuses que Jésus-Christ nous a acquises par son sang, et dont aussi les Eglises chrétiennes ont toujours été si jalouses.

La chose étoit facile par le fond: les évêques étoient instruits de la matière par les disputes précédentes. Aussi les assemblées n'ont rien oublié de ce qui servoit à illustrer la matière. On est entré dans l'esprit de la censure apostolique en comparant les vingt-trois propositions condamnées, pour en bien connoître le sens par la liaison des principes. Tous ont remarqué dans le livre, avec une nouvelle doctrine, une source d'illusions et de pratiques pernicieuses; des prétextes à la négligence, de vaines précisions, des subtilités inconnues à toute la tradition, qui ôtoient le goût des vérités et des vertus évangéliques; un desséchement de l'oraison au lieu de la perfection qu'on en promettoit; une flatteuse nourriture de la vanité; la ruine de l'espérance, et un affoiblissement de l'attention qu'on doit avoir à Jésus-Christ et à ses mystères. On a pénétré à fond la nature du faux amour pur, qui effaçoit toutes les anciennes et les véritables idées de l'amour de Dieu, que nous trouvons répandues dans l'Ecriture et dans la tradition: celui qu'on veut introduire et établir à sa place est contraire à l'essence de l'amour, qui veut toujours posséder son objet, et à la nature de l'homme, qui désire nécessairement d'être heureux: On condamne distinctement sur ce principe la prétendue sainte indifférence, et ce prétendu abandon total, où sous prétexte de soumission à la volonté de Dieu, qu'on appelle de bon plaisir, on fait consister le plus saint exercice de la religion à sacrifier les âmes à la damnation éternelle: d'où suit une altération des véritables maximes et du langage des saints.

Le fond si bien pénétré fit passer unanimement toutes les provinces par-dessus certaines formalités, qui néanmoins furent remarquées avec autant de solidité que de respect, pour en éviter les conséquences. Il fut même sagement observé que M. l'archevêque de Cambrai, qui avoit le plus d'intérêt à rechercher les moyens d'affoiblir', s'il se pouvoit, la sentence qui le condamnoit, s'y étoit le premier soumis par acte exprès. On remarqua avec joie les noms illustres des grands évêques qu'il avoit suivis dans cette action : et à l'exemple du roi, toutes les provinces s'unirent à louer cette soumission, mon

1 Procès-verb. de Rouen, d'Albi.—2 De Narbonne, de Bourges.-3 De Rouen.-4 D'Aix. -5 De Tours, d'Aix.-6 De Paris.

trant à l'envi que tout ce qu'on avoit dit par nécessité contre le livre, étoit prononcé sans aucune altération de la charité.

Après que les provinces eurent accepté unanimement avec respect et soumission la constitution apostolique, il restoit encore, que, selon la coutume immémoriale de tous les royaumes chrétiens, il plût à sa Majesté d'appuyer de sa main royale, et d'ordonner l'exécution d'une décision si authentique. Ce qui fut fait en cette forme:

DÉCLARATION DU ROI,

Qui ordonne l'exécution de la constitution de N. S. P. le pape, en forme de bref, du 12 mars 1699, portant condamnation d'un livre intitulé: Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, composé par M. l'archevêque de Cambrai.

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : A tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Les plaintes qui s'élevèrent en l'année 1697, en différents endroits de notre royaume, et particulièrement en notre bonne ville de Paris, au sujet du livre intitulé: Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure, composé par le sieur de Salignac-Fénélon, archevêque de Cambrai, l'ayant engagé de porter d'abord au saint Siége cette affaire qui étoit née dans le royaume, et de soumettre au jugement de notre saint Père le pape la doctrine qu'il y avoit expliquée, sa Sainteté auroit fait examiner ce livre avec toute l'exactitude que méritent les choses qui regardent la foi; et après y avoir travaillé elle-même durant un très-long temps avec beaucoup de zèle et d'application, elle l'auroit condamné par sa constitution donnée en forme de bref le 12 mars dernier, et auroit ordonné en même temps au sieur Delphini, són nonce, de nous en présenter de sa part un exemplaire, et de nous demander notre protection pour la faire exécuter. Nous l'avons reçue avec le respect que nous avons pour le saint Siége et pour la personne de notre saint Père le pape, et nous avons estimé à propos d'en envoyer des copies à tous les archevêques de notre royaume, avec ordre d'assembler les évêques leurs suffragants, afin qu'ils pussent accepter cette constitution dans les formes ordinaires, et que, joignant ainsi leurs suffrages à l'autorité du jugement de notre saint Père le pape, le concours de ces puissances pût étouffer entièrement des nouveautés qui blessoient la pureté de la foi, et dont on pouvoit abuser pour la corruption de la morale chrétienne. Ces assemblées ont eu le succès que nous en avions espéré, et nous avons vu avec beaucoup de plaisir, par les procès-verbaux qui nous ont été présentés, que les prélats de notre royaume, et même ledit sieur archevêque de Cambrai, reconnoissant dans la constitution de notre saint Père le pape, la doctrine apostolique, l'ont reçue avec le respect et la soumission qui est due au chef qu'il a plu à Dieu de donner sur la terre à son Eglise; et nous ont supplié en même temps de faire expédier nos lettres-patentes pour la faire publier et exécuter dans notre royaume. Et comme nous ne nous servons jamais avec une plus grande satisfaction de la puissance qu'il a plu à Dieu de nous donner, que lorsque nous l'employons pour maintenir la pureté de la foi, comme un Roi très-chrétien, redevable à la bonté divine d'une si longue suite de grâces et de prospérités, est obligé de le faire: A CES CAUSES, nous avons dit, déclaré

et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, par ces présentes, signées de notre main, voulons et nous plaît, que ladite constitution de notre saint Père le pape en forme de bref, attachée sous le contre-scel de notre chancellerie, acceptée par les archevêques et évêques de notre royaume, y soit reçue et publiée, pour y être exécutée, gardée et observée selon sa forme et teneur. Exhortons à cette fin, et néanmoins enjoignons à tous les archevêques et évêques, conformément aux résolutions qu'ils ont prises eux-mêmes, de la faire lire et publier incessamment dans toutes les églises de leurs diocèses, enregistrer dans les greffes de leurs officialités, et de donner tous les ordres qu'ils estimeront les plus efficaces pour la faire exécuter ponctuellement. Ordonnons en outre que ledit livre, ensemble que tous les écrits qui ont été faits, imprimés et publiés pour la défense des propositions qui y sont contenues, et qui ont été condamnées, seront supprimés. Défendons à toutes sortes de personnes à peine de punition exemplaire, de les débiter, imprimer, et même de les retenir. Enjoignons à ceux qui en ont de les rapporter aux greffes des justices dans le ressort desquelles ils demeurent, ou en ceux des officialités, pour y être supprimés et à tous nos officiers et autres, auxquels la police appartient, de faire toutes les diligences et perquisitions nécessaires pour l'exécution de cette présente disposition. Défendons pareillement à toutes sortes de personnes, de composer, imprimer et débiter à l'avenir aucuns écrits, lettres ou autres ouvrages, sous quelque titre et en quelque forme que ce puisse être, pour soutenir, favoriser et renouveler lesdites propositions condamnées, à peine d'être procédé contre eux comme perturbateurs du repos public.

⚫ SI DONNONS EN MANDEMENT à nos ames et féaux les gens tenant notre cour de par- . lement, que s'il leur appert que dans ladite constitution en forme de bref il n'y ait ríen de contraire aux saints décrets, constitutions canoniques, aux droits et prééminences de notre couronne, et aux libertés de l'Eglise gallicane, ils aient à faire lire, publier et enregistrer nos présentes lettres, ensemble ladite constitution; et le contenu en icelles garder et faire garder, et observer par tous nos sujets dans l'étendue du ressort de notredite cour, en ce qui dépend de l'autorité que nous lui donnons. Enjoignons en outre à notredite cour, et à tous nos autres officiers chacun en droit soi, de donner auxdits archevêques et évêques et à leurs officiaux le secours et aide du bras séculier, lorsqu'ils en seront requis dans le cas de droit, pour l'exécution de ladite constitution car tel est notre plaisir; en témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à ces présentes.

:

Donné à Versailles le quatrième jour du mois d'août, l'an de grâce mil six cent quatre-vingt-dix-neuf, et de notre règne le cinquante-septième.

Et plus bas :

Par le roi,

Signé LOUIS. PHÉLIPPEAUX.

Et scellé du grand sceau de cire jaune. Registrées, oui et ce requérant le procureur général du roi, pour être exécutées selon leur forme et teneur, et copies collationnées envoyées aux bailliages et séné chaussées du ressort, pour y être lues, publiées et registrées. Enjoint aux substituts du procureur général du roi d'y tenir la main, et d'en certifier la cour dans un mois, suivant et aux charges portées par l'arrêt de ce jour. A Paris, en parlement, le quatorzième jour d'août mil six cent quatre-vingt-dix-neuf.

Signé DONGOIS.

Cetté déclaration a été aussi enregistrée dans tous les autres parlements du royaume.

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