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quelle Saint Epiphane fit la rédemption des captifs dont nous
avons parlé ci-deffus, duroit encore, & il paroît même que
Gondebaud la faifoit avec avantage. En effet, dès que Theodo-
ric étoit obligé de racheter à prix d'argent fes Sujets que les Bour-
guignons avoient faits prifonniers de guerre, il faut
il faut que Theo-
doric cût pris un nombre des Sujets de Gondebaud moindre
le nombre des Sujets de Theodoric que Gondebaud avoit pris. Si
le nombre des uns & des autres avoit été égal, Theodoric eût
propofé un échange, & non point un rachat.

que

Theodoric avoit donc befoin, s'il vouloit réuffir dans fes nouveaux projets, d'avoir un Allié qui portât la guerre dans le centre de celles des Provinces de la Gaule qui étoient occupées par les Bourguignons, & qui fit ainfi une diverfion capable de les obliger à dégarnir leur frontiere du côté de l'Italie, ce qui devoit faciliter aux Oftrogots le moyen de la franchir. Propofer aux Vifigots de fe charger de faire cette diverfion fans les affurer en même - tems que Clovis feroit de la partie, c'étoit faire une démarche inutile. Les efprits des Romains des Gaules étant auffi mal difpofés en faveur des Ariens qu'ils l'étoient,les Vifigots devoient craindre que Clovis ne les attaquât dès qu'il les verroit embaraffés dans une guerre contre Gondebaud. Nous avons vû quelle étoit la jaloufie des Vifigots contre le Roi des Francs, dont les Etats touchoient aux leurs, ou n'en étoient féparés que par la Loire, le plus guayable de tous les Fleuves. Le Roi des Oftrogots prit donc le parti de s'allier avec Clovis dont il avoit déja comme nous l'avons dit, époufé la four Audéflede ou Angoflede (4) Quant aux motifs qui auront fait entrer le Roi des Francs dans cette ligue, & peut-être la propofer le premier, il eft facile de les deviner. L'envie de s'agrandir, & de faire quelque chofe d'agreable à la Reine Clotilde, qui, comme le dit Hift. lib. 3. Gregoire de Tours, gardoit un vif reffentiment du traitement inhumain fait à fes Parens par Gondebaud. D'un autre côté Clovis n'avoit rien à craindre des Vifigots tant qu'il feroit l'Allié de Theodoric. Voyons ce que dit Procope de ce Traité de ligue offenfive contre les Bourguignons, & quelles furent les conjonctures qui donnerent lieu à fa conclufion.

cap. 6.

Cet Hiftorien contemporain, après avoir raconté tout ce qu'on a lû ci-deffus concernant la ceffion des Gaules faite aux Vifigots par Odoacer, parle de l'agrandiffement des Turin

(4) Poftea vero accepit uxorem de Fran- Excerp. in Amm. Mar. H. Valesi, pag. cis nomine Angofledam.

481.

giens de la Germanie qui s'emparerent de l'ancienne France, & s'étendirent jufques au Moein dans le même tems que Theodoric s'établiffoit en Italie. Il écrit enfuite que dès-lors, c'est-àdire, vers l'année quatre cens quatre-vingt-dix-huit, les Vifigots craignoient déja le pouvoir des Francs qui étoient la Nation la plus guerriere, comme la plus inquiéte, & qu'elle leur étoit d'autant plus fufpecte qu'elle venoit d'augmenter confidérablement fes forces. En effet elle venoit de s'unir avec les Armoriques & d'attacher à fon fervice, comme nous l'avons vû ce qui reftoit de troupes Romaines dans les Gaules. Procope ajoute que les Turingiens & les Vifigots à qui la puiffance des Francs étoit également fufpecte, firent propofer à Theodoric de fe liguer avec eux contre cette Nation entreprenante, mais que Theodoric fe fit alors une loi de ne point figner aucune ligue particuliere avec aucune Nation. Il fe contenta, fuivant Procope, de nouer avec elles des liaisons generales de bonne correfpondance, & à tout évenement, de fortifier ces liaisons par des mariages. Voilà ce qui lui fit donner dans ce tems-là fa fille Theodegote au Roi Alaric fecond, & ce qui lui fit donner encore Amalberge fille de fa fœur Amalafride, à Hermanfroy Roi des Turingiens. Ces Alliances obligerent donc Clovis à laiffer en paix les Vifigots & les Turingiens, & le réduifirent à chercher l'occafion d'employer fes forces contre quelqu'autre Na tion. Voilà ce qui fut cause enfin que le Roi des Francs tira l'épée contre les Bourguignons.

que

Le Traité de ligue qui fut fait avant la guerre entre Clovis & Theodoric contre Gondebaud, portoit: (4) Que les Al» liés entreroient dans le même tems en campagne pour atta. » quer chacun de fon côté les Bourguignons: Que fi l'un des » Alliés manquoit à fe mettre en campagne au jour convenu » de maniere' faute de la diverfion qu'il auroit dû operer, » l'autre Allié cût affaire à toutes les forces des Bourguignons, >> alors celui des deux Alliés qui n'auroit pas rempli fon enga »gement, feroit tenu de compter à l'autre qui auroit combattur » feul contre l'ennemi commun, une certaine fomme. Que » l'Allié qui devroit ce dédommagement en deniers, ne pour>> roit pas jouir du Benefice du Traité avant que d'avoir fatis

(a) Deinde Francos inter & Gothos initur focietas in Burgundionum pernitiem pactoque convenit ut gentem debellent & "ditionis illius terras obtineant. Qui vicerint à fo

ciis non adjuti, ubi multæ nomine certam auri fummam ab illis acceperint, participes faciant bello captæ regionis.

Procop. de Bell. Goth, lib. pr. cap. 125

» fait l'Allié auquel il feroit dû, & il étoit énoncé dans ce » Traité que les Francs & les Oftrogots partageroient entr'eux » les Pays que les Bourguignons tenoient alors.

On peut bien croire que le Traité dont Procope ne nous donne qu'une notion generale, contenoit des articles qui énonçoient diftinctement quelle partie du Pays tenu par les Bourguignons devoit demeurer aux Francs, & quelle partie devoit appartenir aux Oftrogots. Suivant les apparences chacun des deux Peuples ligués devoit avoir la partie de ce Pays-là, qui étoit le plus à fa bienféance. Theodoric devoit avoir pour fa part la Viennoife, la feconde Narbonnoife & la Province des Alpes. Clovis aura eu pour la fienne la premiere Lyonnoise, la Sequanoife & quelques Cités adjacentes.

Gregoire de Tours a jugé à propos en parlant de la guerre des Francs & des Oftrogots contre les Bourguignons, de se renfermer dans ce qui regardoit particulierement les Francs. Ce qui concerne les Oftrogots dans l'Hiftoire de cette guerre-là, lui a paru étranger au fujet qui lui avoit fait mettre la main à la plume. Il va parler.

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(a) Gondebaud & fon frere Godégifile, étoient alors Rois » des Bourguignons qui occupoient les contrées affifes fur le » Rhône & fur la Saone, & même la Province Marseilloife. » L'un & l'autre ils étoient Ariens auffi-bien que les Barbares

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leurs Sujets. Il y avoit entre ces deux freres des brouilleries qui » furent caufe que Godégifile rechercha l'alliance de Clovis, » dont les Troupes étoient en grande réputation. Ce Roi des Bourguignons fit donc propofer au Roi des Francs de con» clure un Traité de Ligue offenfive contre Gondebaud, aux » conditions fuivantes. Que premierement on fe déferoit de » Gondebaud par les voyes les plus convenables. Secondement, » que lui Godégifile, dès qu'il feroit défait de fon frere, paye» roit annuellement au Roi des Francs un tribut tel qu'il plai>> roit à ce Prince de l'arbitrer. « Il faut que Godégifile pour propofer une pareille convention fe crut à la veille d'être traité par Gondebaud d'une maniere auffi cruelle que l'avoient été leurs freres Chilperic & Gondomar. Clovis agréa les conditions qui lui étoient offertes par Godégifile, & bientôt il fe mit en campagne pour fatisfaire aux engagemens qu'il avoit pris.

(4) Tunc Gondobadus & Godegifelus fratres, regnum circa Rhodanum ac Ararim sum Maffilienfi Provincia retinebant. Erant

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autem tam illi quam Populi illorum Arianz fecta subjecti.

Greg. Tur. Hift. lib. 2. cap. 32.

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(a) Gondebaud mal informé de tout ce qui s'étoit traité à » fon préjudice, n'eut pas plûtôt eu nouvelle que les Francs >> entroient hoftilement dans fon Pays, qu'il manda à son frere » de venir le joindre pour l'aider à les repouffer. Deffendonsnous de concert, écrivit-il à Godégifile, afin de ne tomber point dans l'inconvénient funefte où nous avons vû tomber » tant de Nations, détruites parce que leurs Chefs n'ayant pas fçu fe réunir à tems pour faire face à leur ennemi commun, » ils ne l'ont combattu que l'un après l'autre. La réponse de Godégifile à l'invitation de fon frere, fut qu'il alloit raffem»bler inceffamment fes Troupes, & qu'à leur tête il marche » roit à son secours. Bientôt après l'armée des Francs & celle » des Bourguignons furent en prefence auprès de Dijon, Châ»teau bâti fur la riviere d'Oufche, & là elles en vinrent aux » mains. Dès qu'on eut commencé à fe charger, Godégifile au » lieu de donner fur les troupes de Clovis, attaqua celles de Gondebaud, qui fe voyant ainfi prifes en tête & en queue, » à quoi elles ne s'attendoient point, fe rompirent & furent » défaites. Pour Gondebaud, dès qu'il eût vû la trahison de fon » frere, il ne fongea plus qu'à fe fauver, & prenant fa route le long du Rhône, il gagna la Ville d'Avignon où il fe jetta.

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Il eft aifé de remarquer, en lifant la narration de Gregoire de Tours, que la bataille de Dijon fe donna peu de jours après que les Francs eurent commencé la guerre contre Gondebaud, & que ce ne fut qu'après cette bataille qu'ils firent des conquêtes fur lui. D'un autre côté il eft certain par le témoignage de Marius Aventicenfis, que cette bataille fe donna en l'année cinq cens. Voici ce qu'il en dit : » (b) Sous le Confulat de

(a) Et ftatuto tempore exercitum contra Gondobabum commovit Chlodovechus. Quo audito Gondobadus ignorans dolum fratris mifit ad eum dicens: Veni in adjutorium meum quia Franci fe commovent contra nos & regionem noftram adeunt ut cam capiant, ideoque fimus unanimes adverfus gentem inimicam nobis, ne feparati ab invicem, quod aliæ gentes paffæ funt, perferamus. At ille, vadam, inquit, cum exercitu meo & tibi auxilium præbebo. Moventefque fimul hi tres exercitum, id eft Chlodovechus contra Gondobadum & Go. degifelum cum omni inftrumento belli, ad caftrum cui Divione nomen eft pervenerunt. Confligentefque fuper Ofcaram fluvium, Godegifelus Chlodovecho conjungi

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tur ac uterque exercitus Gondobadi popur. lum atterit. At ille dolum fratris quem non fufpicabatur advertens, terga dedit fugamque iniit, Rhodanitidefque ripas paludelque percurrens, Avenionem urbem ingre ditur.

Gr. Tur. Hift. lib. 2. cap. 3.2.

(b) Patritio & Hypatio Confulibus, pugna facta eft Divione inter Francos & Burgundiones, Godegefelo hoc dolofe contra Fratrem fuum Gondobadum machinante. In co prælio, Godegefelus cum fuis adverfus. fratrem fuum cum Francis dimicavit, & poft fugatum fratrem fuum Gondobagaudum, regnum ipfius paulifper obtinuit, & Gondobagaudus Avenione latebram dedit. Mar-Aven. Ch. ad ann. 5oo.

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" Patritius & d'Hypatius, il fe donna auprès de Dijon entre les Bourguignons & les Francs, une bataille. Godégifile qui avoit prémedité de trahir fon frere, fe joignit lui & les fiens aux » Francs dans le tems que commençoit la mêlée. Après la dé>route de Gondebaud, Godégifile fut maître pour un tems des >> Etats de ce Prince infortuné, qui s'étoit jetté dans Avignon. Ainfi l'on voit combien le Pere Rouyer a eu tort de croire que ce fut dans l'année d'après le Baptême de Clovis,c'eft-à-dire en l'année quatre cens quatre-vingt-dix-fept, que ce Prince fit les conquêtes qu'il dit dans fa Chartre octroyée à faint Jean de Reomay, avoir faites la premiere année de fon Chriftianifme. Reprenons la narration de Gregoire de Tours.

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lui dit

Godégifile fe mit en poffeffion des Etats de fon frere, & » comptant la guerre finie, il fe fit reconnoître pour Roi dans » la Ville de Vienne, qui en étoit la Capitale. Il promit de » nouveau d'accomplir fincérement (a) fon traité avec Clovis, » & de lui remettre une partie du Pays tenu par les Bourgui»gnons. Clovis de fon côté pourfuivit Gondebaud dans le def» fein de le faire prifonnier, & d'en difpofer enfuite comme >> il le trouveroit à propos. Ainfi la crainte qu'avoit le Roi des Bourguignons de perdre la vie de la même maniere que Syagrius l'avoit perdue, fi jamais il tomboit entre les mains des » Francs, devint extrême lorfqu'il vit leurs Pavillons tendus » devant la Ville d'Avignon où il s'étoit renfermé. Il s'adreffa » pour être tiré d'embarras à un de fes Miniftres nommé Aré»dius ou Aridius, perfonnage d'une prudence rare & capable »neanmoins des actions les plus hardies. Vous voyez, » Gondebaud, à quelle extrêmité me voilà réduit par ces Bar» bares qui en veulent également à ma Couronne & à ma vie: » Confeillez-moi? Quel parti prendre. Je ne vois, répon» dit Arédius, qu'un moyen de nous fauver du naufrage, c'eft » de calmer Clovis. Je vais donc, fi vous approuvez mon projet, feindre d'abandonner votre fervice pour m'attacher au » fien, & j'efpere venir à bout de l'amener au point de vous r laiffer la vie & même la Couronne. Il faudra feulement que » vous acceptiez toutes les conditions dont je conviendrai avec lui, & vous les tiendrez jufqu'aux tems où la Providence vous » fera plus favorable qu'aujourd'hui. Gondebaud agréa le pro» jet d'Aridius, qui, bientôt après fe fit prefenter à Clovis (4) Godegefilus vero obtenta victoria, | fui cum pace difceffit, &c. promiffa Chlodovecho aliqua parte, regni Gr. Tur, hift. lib. 2. cap. 32.

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›› comme

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