Page images
PDF
EPUB

comme un Prince qui auroit pris dans fa difgrace les deux engagemens dont nous venons de parler. Il fe fit inftruire & il publia fa Loi Gombette. La feconde, c'eft qu'il lui eft très-utile de promettre durant fon infortune, tout ce qu'il executa fi-tôt qu'elle fut ceffée. Il est donc question feulement de bien prouver les deux faits qui viennent d'être avancés.

[ocr errors]

Gregoire de Tours immédiatement après avoir raconté le rétabliffement de Gondebaud, rapporte la publication de la Loi Gombette, & la demande que fit ce Prince d'être réconcilié fecretement à l'Eglife Catholique, comme les deux premieres chofes qu'il avoit faites dés qu'il fût rentré en poffeffion de fes Etats. (4) Gondebaud, dit notre Hiftorien, recouvra toute » la Bourgogne, & il publia une nouvelle rédaction des Loix » des Bourguignons, faite afin de garantir les Romains fes Sujets, des vexations de ces Barbares. Ce Prince ayant auffi >> reconnu que les dogmes des Ariens étoient faux, il voulut les » abjurer fecretement entre les mains de Saint Avitus, Evêque » de Vienne.

[ocr errors]

Cet Evêque dont le crédit étoit fi grand dans les Gaules & même en Orient, (b) devint donc le Catéchiste de Gondebaud, & nous avons encore les Lettres (c) qu'il écrivit à ce Prince pour le convaincre de la verité, mais ce Saint Evêque (d) ne voulut point réconcilier le Roi des Bourguignons à l'Eglife à moins que ce Prince ne fît une abjuration publique de les erreurs. Il eut beau alleguer qu'il lui convenoit de garder des ménagemens avec fa Nation, Avitus traita tous les égards que Gon

(a) Ipfe vero regionem omnem quæ nunc Burgundia dicitur, in fuo dominio reftauravit. Burgundionibus Leges mitiores inftituit ne Romanos opprimerent. Cum autem agnoviffet affertiones Hæregicorum, nihil effe à fancto Avito Epifcopo Viennenfi, ut clam chrifmaretur expetiit.

Greg. Tur. Hift. libro fecundo, capite trigefimo tertio.

(b) Magna enim erat facundiæ tunc temporis Avitus. Namque infurgente Hærefi apud Urbem Conftantinopolitanam : tam illa quam Eutyches quam illa quam Sabellus docuit, rogante Gondobado Rege ipfe contra cas fcripfit. Extant exinde nunc apud nos Epiftolæ admirabiles quæ ficut tunc hærefim opprefferunt ita nunc Ecclefiam Dei ædificant.

Ibid. cap. 34

|

(c) Solebat Avitus, & Agobardus teftatur & hoc exemplo manifeftum eft, cum Rege Gondobaldo frequenter de fide non fo lum coram differere, fed abfenti quoque per Epiftolas refpondere.

Sirmond. in notis ad Epift. Aviti 19. & 20. pag. 21. Not.

(d) Cui ait facerdos, fi vere credis hoc quod nos ipfe Dominus docuit, exequere. Ait autem, fi quis me confeffus fuerit coram hominibus, &c. ..... Tu vero cum fis Rex feditionem pavefcis Populi ne creatorem om◄ nium in publico fatearis. Relinque hanc ftultitiam & quod corde te dicis credere, ore profer in plebe......... Ifta ille ratione confufus, ufque ad exitum vitæ fuæ in hac infania perduravit, nec publice æqualitatem Trinitatis voluit confiteri.

Greg. Tur. Hift. lib. 2. cap. 34.

debaud vouloit avoir pour les hommes au préjudice de ce qu'il devoit à Dieu, de foibleffe, & de foibleffe dont un Roi devroit être incapable. » C'est à vous, lui disoit - il, à faire » la loi à vos Bourguignons & non pas à la recevoir d'eux. » Ces raifons terraffoient bien Gondebaud, mais elles ne le gagnoient pas, & il mourut enfin fans avoir pû fe réfoudre à faire une abjuration de l'Arianifme telle qu'on l'exigeoit de lui, avant que de le réconcilier à l'Eglife.

Si les Romains Sujets du Roi des Bourguignons n'étoient rentrés dans fes interêts que par l'efperance de le voir bien-tôt Catholique; comment, dira-t'on, ne s'en féparerent-ils point de nouveau quand ils fe virent fruftrés de leur attente? Comment ne rappellerent-ils point les Francs? Je réponds que jufqu'à la mort de Gondebaud, nos Romains n'auront point délefperé de fa converfion. L'Evêque de Vienne qui fe faifoit un merite d'être l'Apôtre des Bourguignons, comme l'Evêque de Reims étoit celui des Francs, fe fera toujours flatté qu'avec l'aide du Ciel il ameneroit enfin fon Profélite à faire une profeffion publique de la veritable Religion, & il aura fait efperer la même chose aux Romains durant un grand nombre d'années. D'ailleurs & cela devoit leur faire fouffrir avec patience les délais & les incertitudes de Gondebaud; Sigifmond le fils & le fucceffeur néceffaire de ce Prince avoit fait publiquement profeffion de la Religion Catholique. Il paroît par plufieurs Lettres écrites à Sigifmond du vivant de fon pere par Avitus, que dès-lors Sigifmond s'étoit réuni publiquement à l'Eglife. Nous avons même parmi les Lettres de ce Prélat, celle qu'il écrivit au nom de Sigifmond au Pape (4) Symmaque mort plufieurs années avant Gondebaud, & dans cette Lettre Sigifmond après avoir rendu l'obédience à Sa Sainteté & l'avoir remerciée des reliques qu'elle lui avoit envoyées, lui en demande encore de nouvelles. Ainfi les Romains Sujets de Gondebaud étant contens de fon adminiftration, Clovis qui fans eux ne pouvoit rien contre lui, aura diffimulé l'infraction du Traité d'Avignon. Il l'aura foufferte d'autant plus patiemment que ces mêmes Romains lui auront dèslors propofé peut-être, la ligue qu'il fit en cinq cens fix avec Gondebaud contre Alaric Hérétique endurci & fils d'Euric le perfécuteur.

(a) Epiftola ab Avito Epifcopo dictata fub nomine Domini Sigifmundi Regis ad Symmachum Papam..... Nec nunc paginæ præfentis obfequium, reperta oportunitas com

|

plectitur, fed deftinato ad vos Diacono portitore viro Venerabili Juliano ad univerfa

lis Ecclefiæ Præfulem fpiritu repræfentante concurrimus. Aviti Epift. vigefima feptima.

[ocr errors]

Voilà donc comment Gondebaud aura été rétabli dans fon Royaume & comment il s'y fera maintenu en paix. Ce qu'il fera arrivé de plus, c'eft que ceux des Romains fes Sujets qui s'étoient déclarés en l'année cinq cens, les Chefs du Parti formé en faveur des Francs, ou qui étoient notés pour avoir fait de ces démarches que les Souverains ne pardonnent point & qui font toujours exceptées dans les amnifties génerales, fe feront bannis de leur Patrie pour chercher un azile dans les Pays de l'obéiffance de Clovis. Suivant les apparences Theodore, Proculus & Dinifius trois Romains qui après avoir été chaffés de leurs Evêchés dont le Siege étoit dans les limites de la Bourgogne, fe réfugierent dans les Etats de Clovis, étoient tous trois de ce nombre. L'Historien Ecclefiaftique des Francs (4) en parlant de la vocation de ces Prélats à l'Evêché de Tours où ils furent promus les deux premiers vers l'année cinq cens dix-neuf, & le dernier vers l'année cinq cens vingt & un, dit qu'ils étoient fort âgés dans le tems de leur élection, qu'ils avoient auparavant eu des Evêchés dans le Pays poffedé par les Bourguignons, mais qu'ayant été expulfés de leurs Sieges en haine de la guerre, ils s'étoient réfugiés auprès de la Reine Clotilde, qui par un motif de reconnoiffance contribua beaucoup à les faire choisir. Comme les Francs n'ont point eu la guerre avec les Bourguignons depuis la paix d'Avignon faite en cinq cens, jufqu'en l'année cinq cens vingt-trois, il faut que ces trois Evêques inftallés fur le Siege de Tours en cinq cens dix-neuf & en cinq cens vingt-un, & qui avoient été précedemment chaffés de leurs Diocèles en haine de la guerre, en euffent été chaffés à l'occafion de la guerre commencée & terminée dans le cours de l'année cinq cens. Que Sainte Clotilde ait procuré par un motif de reconnoiffance, l'élevation de nos trois Prélats fur le Siege Epifcopal de Tours, c'est une nouvelle preuve de tout ce que nous avons avancé. Nous avons déja parlé des juftes fujets que cette Princeffe avoit de vouloir la perte de Gondebaud, & nous verrons dans le Livre fuivant que ce fut elle qui porta en cinq cens vingt-trois les Rois fes enfans à faire la guerre aux Bourguignons. Ainfi l'on doit penfer qu'ayant la confiance de Clovis, elle contribua beaucoup à lui faire entreprendre de déthroner Gondebaud en l'an

(a) Decimo loco Theodorus & Proculus jubente beata Chrotechilde Regina fubrogantur eo quod de Burgundia Epifcopi ordinati, ipfam fecuti fuiffent & ab hoftilitate de urbibus fuis expulfi fuerant. Erant autem

ambo fenes valde, rexeruntque Ecclefiam Turonicam fimul annis duobus. Undecimus Dinifius Epifcopus & ipfe à Burgundia veniens qui, &c.

Gr. Tur. Hift. libro decimo in calce.

née cinq cens, & qu'elle eut alors beaucoup de part aux progrès
des Francs par l'ufage qu'elle aura fçû faire de fon crédit fur l'ef-
prit des Romains Sujets du Roi des Bourguignons. Suivant tou-
tes les
apparences, nos trois Evêques auront été de ceux que
Clotilde avoit pour lors engagés dans le Parti des Francs, & ils
fe feront déclarés fi violemment, qu'après la révolution qui
remit Gondebaud fur le Thrône, ils n'auront ofé rester dans
fes Etats.

On peut conjecturer encore qu'Eptadius, Prêtre de l'Eglife d'Autun, étoit auffi un des Romains, Sujets de Gondebaud, qui furent après fon rétabliffement réduits à s'exiler de Les Etats, parce qu'ils s'étoient déclarés avec trop de chaleur pour les Francs, & qu'ils avoient commis contre leur Souverain naturel de ces attentats, dont les coupables font toujours exceptés des amnisties generales que les Princes accordent à la fin des guerres, qui font à la fois guerre civile & guerre étrangere. On Ann. Eccl. peut voir dans le Pere le Cointe que lorfqu'il fut question d'élire Franc. tom. 1. cet Eptadius Evêque d'Auxerre, dont le Diocèse qui appartenoit aux Francs confinoit avec le Pays des Bourguignons, & fe trouvoit par conféquent expofé à leurs infultes, Clovis qui les ménageoit dans ce tems-là, ne voulut point confentir à l'élection propofée, avant que d'avoir fait trouver bon à Gondebaud qu'on y procedât.

P. 210.

Enfin pour confirmer nos conjectures fur les causes des deux révolutions qui arriverent en cinq cens dans le Royaume de Bourgogne, nous rapporterons le contenu d'une Lettre d'Avitus à Aurelien, Perfonnage illuftre. On a vû que ce Ministre de Clovis avoit fait plufieurs voyages en Bourgogne pour y négocier le mariage de fon maître avec Clotilde. Or la Lettre d'Avitus paroît être la réponse à une Lettre qu'Aurelien qui ne fçavoit point encore tout ce qu'Avitus fçavoit déja, lui avoit écrite pendant le fiege d'Avignon, & dans le tems que Gondebaud paroiffoit terraffé de maniere qu'on ne devoit pas croire à moins que d'être du fecret, que ce Prince dût fi-tôt fe relever.

" (a) C'eft un heureux préfage que nos amis profitent de la »férenité paffagere qui nous luit, pour nous donner de leurs

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

"nouvelles. Néanmoins les flots excités par la tempête que vous » comparez fi bien avec les orages ordinaires, ne font pas en» tierement calmés. Il ne faut point prendre la bonace où » nous fommes pour une preuve que le vent foit entierement » tombé, mais plûtôt comme une marque qui montre qu'il veut » varier. Que le calme, s'il continue, que le vent s'il vous de» vient contraire, n'alterent point votre amitié, & que vos fen» timens pour nous ne dépendent jamais des tems que vous » aurez. Aimez toujours vos amis: fi les conjonctures le per» mettent donnez-leur de vos nouvelles; fi cela ne fe peut point » confervez-leur au moins votre amitié, rien ne fçauroit l'empêcher. Nous fommes dans un fiecle où vous devez efperer que le vaiffeau après avoir paffé fur le bord des abîmes que » vous décrivez fi bien dans votre Lettre, entrera enfin dans » un port où il n'aura plus à craindre le naufrage.

[ocr errors]
[ocr errors]

Toutes les phrases de cette Lettre dans laquelle Avitus affecte de s'expliquer en langage figuré, parce que le ftyle métaphorique épargne à celui qui s'en fert, la néceffité de nommer par leur nom & les chofes & les perfonnes dont il entend parler, conviennent bien aux ménagemens que l'Evêque de Vienne devoit garder, pendant qu'on ajuftoit & qu'on fe difpofoit à faire jouer tous les refforts de la révolution qui remît le Roi Gondebaud en poffeffion de fes Etats. On y apperçoit l'embarras d'un homme qui fe doit du refpect à lui-même, & qui dans la fituation où il fe trouve, ne fçait ce qu'il convient d'écrire à d'anciens amis, dont il veut en tous évenemens conferver l'affection, & dont il va quitter le parti. Si d'un côté il n'ofe dire clairement les faits dont fes nouveaux amis lui ont fait confidence, parce qu'il ne veut point les trahir, d'un autre côté il est bien aise de faire deux choses. La premiere, pour s'expliquer ainfi, c'eft de prendre date en mandant à ses anciens amis des chofes telles, qu'il puiffe en les expliquant un jour, fe faire auprès d'eux le mérite de leur avoir du moins donné avant l'évenement, des lumieres fur tout ce qui alloit arriver. La feconde eft de preparer fes anciens amis à n'imputer fa conduite, lorfqu'ils le verront changer de parti, qu'à la destinée qui s'eft plû à le mettre dans une fituation telle, qu'il ne pouvoit s'empêcher de fe laiffer entraîner au torrent. On voit enfin dans la dépêche d'Avitus, que quoiqu'il arrive, il veut toujours conferver des liaifons particulieres avec une perfonne en grand crédit dans le parti qu'il eft prêt d'abandonner, & même, s'il eft poffible, entretenir avec elle une correspondance reglée.

Tome II.

X

[ocr errors]
« PreviousContinue »