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Pour reprendre le fil de l'Hiftoire, je conclurai de tout ce qui vient d'être expofé, que Clovis défefperant de faire des conquê tes fur Gondebaud nouvellement réconcilié avec fes Sujets Romains, aura fait la paix avec lui, à condition que chacun demeureroit en poffeffion des Pays qu'il tenoit avant la rupture. Quant à Theodoric, ce Prince le voyant abandonné de Clovis, aura fait auffi fa paix avec Gondebaud, à condition que ce dernier lui cederoit la Cité de Marfeille & quelques Cités adjacentes. Il feroit inutile de rechercher quelles étoient ces Cités par une raison; c'est que Theodoric qui affectionnoit beaucoup la Province qu'il avoit acquife dans les Gaules, travailla fans ceffe à l'agrandir, & qu'en effet dans les tems pofterieurs à l'année cinq cens, il l'agrandit à plusieurs reprises. Ainfi l'on ne sçauroit fçavoir pofitivement tout ce qu'il acquit cette année-là. Le mariage d'Oftrogothe, l'une des filles de Theodoric avec Sigifmond fils de Gondebaud, aura été une des conditions du Traité dont nous venons de parler, ou du moins il en fut une fuite. Voilà donc la tranquillité rétablie dans les Gaules pour quelque tems.

CHAPITRE XIII.

Theodoric s'érige en Pacificateur des Nations Barbares établies dans les Gaules. Ses négociations pour empêcher une rupture entre les Francs & les Vifigots. Entrevûe de Clovis & d'Alaric fous les murs d'Amboife.

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E's que Theodoric fe vit maître d'une espece d'Etat dans les Gaules, il ne négligea rien pour maintenir la paix dans cette grande Province. Il avoit deux raifons de tenir cette conduite. En premier lieu, la confervation de la paix étoit le moyen le plus affuré d'empêcher les Francs, la Nation les autres que Barbares craignoient davantage à cause de fa valeur & de fon inquiétude, d'augmenter fon territoire par de nouvelles conquêtes. En fecond lieu, Theodoric ne pouvoit faire valoir qu'en tems de paix, l'autorité qu'il croyoit lui appartenir fur tous les Romains, Sujets de l'Empire d'Occident, parce qu'il étoit maître de la Capitale de ce Partage, où fon pouvoir étoit reconnu par le Senat & par le Peuple. En effet, on croit volontiers, en lifant les Lettres de Caffiodore & les Édits du Roi des

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Oftrogots, qu'il n'étoit pas fans efperance que les Romains des Provinces tenues par les Vifigots, par les Bourguignons & par les Francs, s'accoûtumaffent infenfiblement à recourir aux Confuls & aux Préfets du Prétoire, comme aux autres Officiers de l'Empire, que ce Prince inftituoit. Mais il ne falloit point pour cela qu'il y eût aucune guerre dans les Gaules, parce que Theodoric ne pouvant plus fe difpenfer de prendre part à celles qui s'y allumeroient à l'avenir, ceux des Barbares dont il se déclareroit ennemi, ne manqueroient pas de défendre à leurs Sujets Romains toute forte de relation avec fes Officiers. Les alliances de famille que Theodoric avoit faites en époufant la fœur de Clovis, & en donnant fes filles en mariage, l'une au Roi des Vifigots, & l'autre au fils aîné du Roi des Bourguignons, favorifoient encore le projet de s'acquerir une grande confidération dans les Gaules. On peut dire la même chole d'un autre mariage qu'il avoit fait, en donnant Amalberge la fille de fa fœur Amalafréde à Hermanfroy, (a) un des Rois des Turingiens de la Germanie. Ces Turingiens après avoir uni avec eux plufieurs autres Nations, avoient, comme il a été déja dit, occupé une partie de l'ancienne France. Mais d'autant que nous ignorons le tems précis de la fondation de ce Royaume, nous remettrons à en parler, que nous foyons à l'endroit de notre Ouvrage, où nous raconterons le fuccès de la guerre que les enfans de Clovis firent contre nos Turingiens.

· La dureté dont Alaric avoit ufé contre les amis du Roi des Francs, fuffifoit pour le brouiller avec le dernier, quand bien même ce dernier n'auroit point eu autant d'ambition qu'il en avoit. On croira donc fans peine que Clovis n'eut pas plûtôt perdu l'efperance de fe rendre maître de la partie des Gaules tenuë par les Bourguignons, qu'il forma le projet de faire la guerre aux Vifigots, & de s'allier contr'eux avec Gondebaud, comme il le fit au plus tard en cinq cens fix. Un Souverain peut-il avoir une pareille intention, fans faire de tems en tems contre un voifin, qu'il regarde déja comme fon ennemi, des entreprises qui reffemblent à des hoftilités, ou du moins fans laiffer échapper quelques menaces.

Dès que Theodoric vit que les démêlés qui étoient entre Alaric & Clovis pourroient bien dégenerer en une rupture, il s'entremit pour la prévenir, & nous avons encore les Lettres qu'il

(a) Porro apud Thoringos tres fratres | dericus, Herminfredus atque Bertharius regnum Gentis illius obtinebant, id eft Ba Gr. Tur. Hift. lib. 3. cap. 4.

écrivit à nos deux Princes en cette occafion. Elles fe trouvent dans les Ouvrages de Caffiodore qui les avoit compofées. Voici la fubftance de celle qui fut envoyée au Roi des Vifigots.

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Quoique vos ancêtres vous ayent tranfmis leur courage, & >>que vous foyez à la tête de la Nation qui défit Attila, n'allez point cependant l'expofer inconfidérement aux hazards des » combats après une paix auffi longue que celle dont elle a joui. » Remettre en haleine des Soldats qui ont paffé plufieurs années » fans effuyer les fatigues, & fans s'expofer aux perils de la guer»re, ce n'eft pas l'ouvrage d'un jour. D'ailleurs la paffion eft un » mauvais Confeiller; non-feulement elle fait prendre de mé» chans partis, mais elle aveugle encore les hommes dans le » choix des moyens propres à les conduire au but où ils fe propofent de parvenir. La guerre eft enfin le dernier moyen auquel les Princes doivent avoir recours, pour fe faire donner » les fatisfactions qui peuvent leur être dûes. Differez donc à » commencer des hoftilités contre le Roi des Francs, jusqu'à » ce que vous foyez informés de la réponse qu'il aura faite aux » Ambaffadeurs que j'envoye lui offrir ma médiation, dans le deffein d'empêcher que de deux Princes qui me font alliés de fi près, l'un augmente fes Etats aux dépens des Etats de l'au» tre. Vos démêlés n'ont point pour origine le meurtre du pere » de l'un de vous deux, égorgé par le pere de l'autre, qui auroit » encore après ce meurtre envahi les Provinces du mort. Vos » démêlés ne viennent que de quelques paroles, & bien-tôt ils » feront terminés, fi vous ne les envenimez point par des hofti»lités prématurées. (4) Donnez-moi donc le loifir de faire fçavoir à Clovis qu'il m'aura en tête, quoique fon beau-frere, » s'il agit offenfivement contre vous, & qu'ainfi il aura plus d'une Nation belliqueufe à combattre, s'il vous attaque. Quand »la Juftice parle aux Princes une épée redoutable à la main, » ils entendent volontiers fa voix. Nous vous envoyons donc en qualité de nos ambaffadeurs Tel & Tel, qui vous expoferont plus au long nos intentions, & qui ont ordre de fe rendre en» fuite auprès du Roi des Bourguignons & des autres Princes

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(a) Alarico Regi Vifigothorum, Theo- | doricus Rex..... Quapropter fuftinete donec ad Francorum Regem Legatos noftros dirigere debeamus ut litem veftram amicorum debeant amputare judicia. Inter duos enim affinitate conjunctos non optamus aliquid tale fieri unde unum minorem contin

gat forfitan inveniri. Non vos parentum fufus fanguis inflammat, non graviter urit occupata Provincia....... Commune malum veftrum, judicamus inimicum. Nam ille ine jure fuftinebit adverfarium qui vobis nititur effe contrarius.

Caff. var. lib. 2. Ep. prima.

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» que vous leur direz d'aller trouver, pour y agir conformément aux inftructions particulieres qu'ils recevront de vous à ce fujet » là. Sur-tout évitons de rompre les premiers, & ne nous expo>> fons point à l'averfion univerfelle qu'encourent les infracteurs » des Traités de paix. Du refte foyez convaincu que nous fom» mes tellement éloignés du fentiment de ceux qui ne cherchent qu'à femer la difcorde, pour tirer de l'avantage du malheur » des autres, que nous réputerons votre agreffeur, pour l'en» nemi de tout le monde, & que nous nous déclarerons contre quelque Puiffance que ce foit qui fe déclarera contre vous.

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La Lettre que Theodoric écrivit à Clovis concernant fes démêlés avec Alaric, débute par faire au Roi des Francs une efpece de reproche fur ce qu'étant oncle de Theodégote femme d'Alaric, il eft néanmoins fi mal avec ce Prince pour un fujet bien leger. Theodoric ajoute enfuite qu'ils ne fçauroient l'un & l'autre donner une plus grande fatisfaction.à leurs ennemis communs, que celle de voir aux mains les Francs & les Vifigots.» (4) Chacun de vous, continue Theodoric, eft Roi d'une puiffante Nation, & vous êtes l'un & l'autre dans la force de l'âge. Si vous prêtez l'oreille à ceux qui ne cherchent qu'à >> vous mettre aux mains, vous ferez l'un contre l'autre de tels » efforts, que vous ébranlercz réciproquement vos Trônes. » N'allez point donner à vos Peuples, un fujet de faire des imprécations contre votre valeur; ce qui ne manqueroit pas d'ar» river, fi pour des interêts peu importans, vous allumiez une » guerre qui leur feroit funefte. A vous dire mon fentiment avec » franchife; c'eft montrer trop d'impatience que de rompre la paix, parce que les premiers Ambaffadeurs que vous avez en» voyez demander fatisfaction, ne vous ont point rapporté celle » que vous croyez vous être dûe. Dans un differend qui eft en

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(a) Luduin Regi Francorum Theodoricus | Rex..... Quæ cum ita fint miramur animos veftros fic caufis mediocribus excitatos ut cum filio noftro Alarico rege duriffimum velitis fubire conflictum...... Ambo eftis fummarum Gentium reges, ambo ætate florentes. Non leviter veftra regna quaffatis, fi data partibus libertate confligitis. Virtus veftra non fiat inopinata patriæ calamitas, quia grandis invidia eft Regum, in caufis levibus gravis ruina populorum. Dicam libere, dicam affectuofe quod fentio. Impatiens fenfus eft ad primam legationem protinus arma movere. A parentibus quod quæ

ritur, electis judicibus expectatur..... Ille nos & amicos noftros patietur adverfos, qui talia monita crediderit efle temnenda. Quapropter ad Excellentiam veftram illum & illum, Legatos noftros magnopere credidimus dirigendos per quos etiam ad fratrem veftrum filium noftrum Regem Alaricum fcripta noftra direximus, ut nulla inter vos fcandala feminet aliena malignitas, fed in pace perfeverantes quæ funt inter vos mediis amicis placabiliter finire debeatis. Per eos etiam verbo aliqua dicenda mandavimus, &c.

Caffiod, variar. lib. 2. Ep. prima.

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»tre parens, on prend des Arbitres. Vous-même n'avez-vous » pas quelque fcrupule fur la justice de vos prétentions, quand » vous voyez que nous doutons qu'elles foient bien fondées, » & que nous ne ferons point de votre parti? Mais fi nous fom» mes réfolus de nous déclarer contre vous, nous & tous nos » amis, au cas que vous ne déferiez point à nos representations; nous fommes auffi réfolus de nous déclarer contre Alaric, s'il paffoit outre nonobftant les remontrances que nous lui » avons faites. Nous envoyons donc Tel & tel en qualité de nos » Ambaffadeurs auprès de votre perfonne, & auprès de celle du » Roi notre gendre afin qu'ils travaillent à vous réconcilier, » & que les Francs & les Vifigots, dont les affaires ont fi bien profperé à la faveur d'une paix durable entre les deux Nations, » ne s'entredétruifent point dans une guerre entreprise inconfi» derément. Nos Ambaffadeurs font auffi chargez de vous dire » de bouche plufieurs choses. Au refte, foyez perfuadé que les » avis que je vous donne, partent uniquement de l'amitié que j'ai pour vous. On ne confeille pas, comme je vous confeille, » les perfonnes dont on voit avec peine la profperité.

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Dans la lettre écrite fur le même fujet au Roi des Bourguignons par Theodoric, on démêle un peu plus diftinctement les veritables fentimens de ce dernier, qu'on ne les démêle dans les deux lettres précedentes. L'on y apperçoit donc fenfiblement, que celui qui l'écrivoit, avoit envie de s'arroger une espece de. fupériorité fur tous les Rois Barbares qui avoient des quartiers dans les Gaules. Voici la substance de cette lettre.

Il eft trifte de voir fans ofer trop fe déclarer, deux Princes » à qui l'on prend beaucoup d'interêt, prêts à en venir aux » mains, & à s'entredétruire. (a) Il n'y a point de Roi dans » les Gaules qui n'ait reçû de moi plufieurs témoignages d'une » veritable affection. Vous m'êtes tous également chers, & vous » ne pouvez vous entre-nuire, que je ne reffente les maux que » vous vous faites. C'eft donc à moi de temperer le courage » bouillant de deux jeunes Rois qui ne fçauroient fe moderer, » tout inftruits qu'ils font que leur emportement eft condamné les perfonnes d'âge & d'experience. Qu'ils apprennent à

» par

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