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fe laiffer conduire aux vieillards, & qu'ils fçachent que nous » nous déclarerons contre l'agreffeur. Il vaut encore mieux » manquer à la décence en ne ménageant point affez les termes, » que de laiffer deux Princes nos Alliés s'entr'égorger. En exé»cution de cette réfolution, nous vous envoyons Tel & Tel » en qualité de nos Ambaffadeurs, & nous vous informons qu'ils ont ordre, fi notre fils Alaric le juge à propos, de fe >> rendre avec les Miniftres que les Princes nos Alliés voudront » bien leur afsocier, à la Cour du Roi des Francs, pour y ter» miner par la voye de la négociation, tous les démêlés dont il >> eft question aujourd'hui. Vous n'hésiterez point à rendre juf» tice aux fentimens d'équité qui fervent de regle à ma con» duite. Il ne me refte plus qu'à vous conjurer de joindre vos » bons offices à ma médiation, afin de prévenir une guerre que >> le monde ne voudra jamais croire avoir été allumée fans notre » connivence, à moins qu'avant la rupture il ne nous ait vû » distinctement vous & moi, faire tout notre poffible pour la prévenir. Vous ferez encore informé de plufieurs autres chopar mes Ambaffadeurs, qui ont ordre de vous les dire de

"

"les

» bouche.

Comme Theodoric pouvoit craindre que Gondebaud n'eûc déja fait fon Traité avec les Francs, & qu'il ne leur communiquât fa Lettre, il y affecte de paroître entierement neutre entre Alaric & Clovis. Si l'on veut bien le croire, il n'a pris encore d'autre réfolution que celle de fe déclarer contre celui des deux Princes qui attaqueroit, & en faveur de celui qui feroit attaqué. Mais la Lettre de Theodoric écrite dans les mêmes circonftances à Hermanfroy, à Badéric & à Berthier, qui regnoient alors conjointement fur les Turingiens de la Germanie, laiffe voir bien à découvert une partialité entiere en faveur d'Alaric. Nous obferverons avant que de rapporter le contenu de cette Lettre, Gr. Tur. hift. qu'il femble à en juger par la fufcription, que chacun de ces trois Princes qui étoient freres, & dont il fera parlé plus au long dans l'Hiftoire des Rois enfans de Clovis, prit en particu lier le titre de Roi d'un des trois Peuples, qui après s'être joints enfemble, avoient fondé la Monarchie connue dans le moyen âge fous le nom de Royaume des Turingiens. En effet, la Lettre eft adreffée (a) au Roi des Herules, au Roi des

(a) Aërulorum Regi, Guarnorum Regi, | Thoringorum Regi Theodoricus Rex. Superbiam cælitus femper odiofam profequi de

bet Generalitatis affentio..... Et ideo vos
quos confcientia virtus erigit, confideratio
deteftabilis præfumptionis accendit, Lega

lib. 3. cap. 4

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Varnes, & au Roi des Turingiens. En voici la teneur: » Le Ciel » hait les fuperbes, & tout le monde a interêt de s'unir pour reprimer leur orgueil. En effet, celui qui veut opprimer un Peuple, j'ofe dire, fi commode, qu'il n'y a point de Nation » qui ne fouhaitât de l'avoir pour fon voifin, donne à penfer qu'il ne lui manque qu'une occafion pour faire paffer fous fon joug tous les autres Peuples. Un Prince qui méprife l'équité, » le croit tout permis dès qu'il a réuffi dans une entreprise injufte, & il doit par conféquent devenir l'objet de l'averfion » de tout le monde. Soulevez-vous donc contre des projets iniques, vous que votre valeur destine à être le frein de l'ambi» tion démesurée. Commencez par joindre des Ambaffadeurs à » ceux que le Roi Gondebaud & moi nous envoyons à Clovis, » pour le détourner d'attaquer les Vifigots, & pour l'obliger à refpecter l'équité & le droit des Gens. S'il ofe refufer de » dre pour Arbitres tant de Rois fi puiffans, qu'il foit en but à » toute la terre. En effet, que peut demander de plus un Sou » verain qui a des principes de juftice, que l'offre l'offre que d'auffi »bons garans que vous & moi lui font conjointement, de lui » faire donner une fatisfaction raisonnable fur tous les griefs. » A dire fincerement ce que je penfe, un Souverain qui ne veut point reconnoître l'autorité des Loix du droit des Gens, roule » dans fa tête le projet d'ébranler les fondemens de tous les au» tres Etats. Arrêtons un pareil torrent dès le commencement » de fon cours, afin d'épargner aux Pays expofés à fes ravages, » les efforts qu'il lui faudroit faire pour lui oppofer des digues qu'il lui fût impoffible d'entraîner. Enfin fouvenez-vous des » marques d'amitié qu'Euric le pere d'Alaric, vous a données >> en tant d'occafions, des prefens magnifiques qu'il vous a envoyés, & des démarches utiles qu'il a faites fi fouvent, pour empêchér les incurfions que vos voifins étoient prêts de faire » dans les Contrées que vous occupez. Voici le tems de témoi»gner au fils la reconnoiffance des bons offices du pere, laquelle vous vous faites un mérite de conferver. Si le fuperbe édifice

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tos veftros una cum meis & fratris Gondibadi Regis, ad Francorum Regem Luduin deftinate, ut aut fe de Vifigothorum confliAu confiderata æquitate fufpendat & leges gentium quærat, vel omnium patiatur incurfum qui tantorum arbitrium judicet effe temnendum. Quid quærit ultra cui offertur abfoluta juftitia. Dicam plane quid fentio,

Qui fine lege vult agere cunctorum difpo

nit

|
regna quaffare..... Nam fi tanto regno
aliquid prævaluerit, vos aggredi prælu-
met..... Ut vos qui fequimini Deo juvan-
te, difpofitum, unus vos complectatur af-
fenfus & foris hoc agatis ne in veftris Pro-
vinciis dimicare poffitis.

Caff. variar. lib. 2. Ep. tertia.

qu'Euric

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» qu'Euric a conftruit, vient une fois à être renversé, la Puis» fance qui fe fera accrue de fes débris, ne manquera point de vous faire la guerre. Voilà les motifs qui nous ont fait vous » écrire cette Lettre qui vous fera rendue par Tel & Tel, qui » ont commiffion de vous dire encore de vive voix plufieurs » chofes aufquelles vous ajouterez foi en vertu de leur créance. Entrez donc dans les mefures que nous avons prifes pour affu»rer le repos de la focieté des Nations, & prenez part à ce qui fe paffe chez vos voisins, afin de n'avoir point la guerre » chez vous.

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Quel dommage que Theodoric n'ait point écrit dans fes dépêches tout ce qu'il chargeoit fes Ambaffadeurs de dire de bouche aux Princes auprès defquels ils avoient charge de fe rendre. Nous fçaurions par-là bien des particularités de l'Histoire de l'établiffement de la Monarchie Françoife, que nous ignorerons toujours. Mais avec quelque réserve que ces dépêches foient écrites, on voit bien que Clovis étoit en Europe dans le commencement du fixiéme fiecle, ce qu'y étoit l'Empereur CharlesQuint au commencement du feizième. Quant à la date de ces Lettres, je les crois écrites vers l'année cinq cens deux, & avant l'entrevûë de Clovis & d'Alaric, de laquelle nous allons parler. Je fçais bien que quelques Auteurs modernes ont cru qu'elles avoient été écrites immédiatement avant la guerre des Francs contre les Visigots commencée en cinq cens fept, mais j'ai deux raisons pour ne pas fuivre leur opinion, qu'ils n'appuyent d'aucune preuve. La premiere eft que ce qui s'y trouve concernant l'âge où Clovis étoit encore, lorfqu'elles furent écrites, porte à avancer leur date, autant qu'il eft poffible de l'avancer; car ce Prince avoit déja trente-cinq ou trente-fix ans en cinq cens deux. La feconde, eft que Theodoric étoit fur fes gardes contre les Francs, lorfqu'il écrivit les Lettres que nous venons de rapporter. Il éclairoit alors de près les démarches de Clovis. Òr quand la guerre de cinq cens fept commença, Theodoric raffuré par l'entrevûë & par la réconciliation apparente d'Alaric & de Clovis, ne s'attendoit plus à une rupture entre ces Princes. Il fut fi bien furpris lorfqu'elle éclata, qu'il ne put point, comme on le verra, faire marcher l'armée faire marcher l'armée qui devoit fecourir fon gendre, affez-tôt, pour qu'elle joignît les Vifigots avant qu'ils euffent été forcés à livrer bataille à l'armée des Francs.

Je crois donc que les dépêches de Theodoric, dont il eft ici queftion, font antérieures à l'entrevûë d'Alaric & de Clovis, &

Tome II.

Y.

291. tom. pr.

lib. 4.

que cette entrevûë fut même le fruit des négociations que le Roi des Oftrogots avoit faites, pour empêcher que le Roi des Francs ofât attaquer le Roi des Vifigots.

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Gregoire de Tours après avoir fini tout ce qu'il avoit à dire au fujet de l'obftination avec laquelle Gondebaud refufoit toujours d'abjurer publiquement l'Arianifme, ajoute ce qui fuit concernant cette entrevûë d'Alaric & de Clovis. » (a) Alaric voyant » que Clovis foumettoit chaque jour quelque Peuple à fon obéiffance, il lui fit dire par des Ambassadeurs qu'il lui en» voya: Si mon frere l'avoit pour agréable, nous nous abouVal. in Ad->cherions. Clovis accepta cette propofition, & il fe rendit dans dendis ad pag. l'Ifle appellée d'Entre-les-Ponts & que la Loire forme vis-à» vis d'Amboife, lieu de la Cité de Tours. Là, les deux Rois » confererent ensemble, & aprés avoir mangé l'un avec l'autre, » ils fe féparerent en fe promettant d'entretenir la paix & de viRor. Geft. Fr. "vre en bonne intelligence. Voilà tout ce que dit Gregoire de Tours concernant cette entrevûë, dont les Hiftoriens venus après lui (b) ont rapporté plufieurs particularités démenties d'avance par fon récit. Telles font les embuches dreffées à Clovis par Alaric. Je ne ferai donc aucune mention de tous ces détails qui paroiffent des faits inventés à plaifir pour juftifier la guerre que Clovis fit aux Vifigots trois ou quatre années après l'entrevûë d'Amboife. J'ajouterai feulement une obfervation à tout ce que je viens de dire au fujet de cet évenement: C'est qu'il paroît par ce que fait dire Gregoire de Tours au Roi des Vifigots quand il propofe un abouchement à Clovis, fi mon frere l'avoit pour agréable, que dès-lors les Têtes Couronnées fe traitoient de freres, comme elles le pratiquent encore aujourd'hui, quoiqu'elles ne fuffent point freres ni par le fang ni par alliance. En effet Alaric n'étoit pas même parent de Clovis. Il eft vrai qu'Alaric étoit allié de Clovis, mais s'il eût voulu donner à Clovis par tendreffe, le nom qu'il devoit donner à ce Prince comme au frere de fa belle-mere; il l'auroit appellé non pas mon frere, mais mon oncle. Alaric avoit époufé Thcodégote fille de Theodoric & d'Audefléde fœur de Clovis.

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Cette obfervation fur le traitement que les Têtes Couronnées fe faifoient dès-lors, eft bien confirmée par les Formules de Marculphe. On y trouve le Protocole, qui de fon tems étoit en ufage dens la Chancellerie de France, pour les Lettres de cérémonie que nos Rois écrivent aux autres Souverains; & (a) ce Protocole fait foi que nos Rois les traitoient de freres.

CHAPITRE XI V.

Conduite d'Alaric fecond dans fes Etats. Il y altere la monnoye d'or. Clovis profite des conjonctures & il lui déclare la guerre, que les Vifigots ont obligé Quintianus Evêque de Rodez, à fe fauver de fon Diocèse. Alliance de Clovis avec les Bourguignons, & marche de fon Armée.

dès

N

peut

avoir

de

Ous ignorons pleinement tout ce que Clovis fait depuis l'entrevûë d'Amboife jufqu'à fon expédition contre les Viligots en cinq cens fept. Les affaires que ce Prince avoit dans des Etats où il n'étoit bien le maître que depuis peu tems, l'auront occupé fuffifamment. Je commencerois donc ici l'Hiftoire de cette expédition, s'il ne convenoit point de rapporter auparavant le peu que nous fçavons concernant la conduite qu'Alaric avoit tenue dans fon Royaume immédiatement avant le tems où la guerre commença. En effet, la conduite que ce Prince tint en quelques occafions, contribua beaucoup à la rupture, comme aux fuccès de l'expédition dont nous avons à parler.

On a vû que fon pere Euric avoit quelque-tems avant que de mourir, fait rédiger par écrit la Loi Nationale des Viligots. Alaric fit en l'année cinq cens cinq quelque chofe de plus & qui marquoit encore davantage la pleine & entiere Souveraineté qu'il croyoit avoir fur les Gaules en vertu des ceffions faites aux Vifigots par l'Empereur Julius Nepos & par Odoacer. Les Loix qu'Euric avoit publiées, ne regardoient directement que fa Nation, mais Alaric fit faire une nouvelle rédaction du Code Theo

(a) Indiculus ad alium Regem cum lega- | fimo fratri illo Regi, in Dei nomine. tio dirigitur & verbis fuggeritur commenda- Marcul. lib. pr. Form. nona. titiis. Domino gloriofiffimo & præcellentif

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