Page images
PDF
EPUB

lat d'Anastase, & fous le premier de Venantius.

Nous verrons que les Bourguignons ne furent pas les feuls Alliés qu'eut Clovis, lorfqu'il marcha cette année-là contre les Vifigots, & qu'il avoit encore dans fon armée un corps de Ripuaires commandé par Clodéric fils aîné de Sigebert Roi de cette Tribu. Reprenons la narration de Gregoire de Tours, où nous l'avons quittée pour faire les digreffions qu'on vient de lire, & qui m'ont paru propres à la faire mieux entendre.

Hift. lib. 2. cap. 37.

CHAPITRE XV.

Clovis entre dans le Pays tenu par les Vifigots. Bataille
de Vouglé.

Lovis informé que les Vifigots fe mettoient en mouve

CL

ment, & qu'ils marchoient vers celles de leurs Provinces qui étoient frontieres de fon territoire, prit le parti le plus ufité dans ce tems-là, celui d'aller droit au lieu où l'armée ennemie devoit s'affembler, afin de la combattre avant qu'elle eût encore reçû toutes les troupes qui la devoient joindre. On sçavoit que c'étoit dans le Poitou qu'Alaric avoit donné le rendez-vous à fes troupes, ainfi Clovis y marcha. Comme il étoit le maître d'Orleans, on ne doit pas être en peine du lieu où il paffa la Loire. Il prit enfuite fa route par la Touraine qui étoit alors fous la domination des Vifigots, & par confequent un Pays enGreg. Tur. nemi. Clovis ne laiffa pas néanmoins de faire publier en y entrant, un ban par lequel il étoit défendu fous peine de la vie, d'y prendre aucune autre chofe que de l'herbe & de l'eau. IÍ crut devoir cette marque de refpect à la mémoire de Saint Martin Evêque de Tours, & l'Apôtre des Gaules. Il arriva cependant qu'un Soldat eut la hardieffe d'enlever quelques bottes de foin appartenantes à une pauvre femme. » Le Roi, dit-il, comme » pour s'excufer, nous a du moins permis de prendre ici de l'her» be. Qu'est-ce que du foin? une herbe coupée, fanée & mise en bottes. Sa plaifanterie ne lui réuffit point: Clovis informé du fait, condamna à mort le Soldat qui avoit enfreint le ban, & il » le fit exécuter. Quel fuccès pouvons nous attendre de notre entreprise, dit alors ce Prince, fi nous manquons au respect » dû à faint Martin: « Cet exemple contint les Troupes,

[ocr errors]

Durant la marche, Clovis qui paffoit à une petite diftance de la ville de Tours, eut la curiofité de confulter le Dieu des Armées, dans l'Eglife bâtie fur le Tombeau de Saint Martin, pour apprendre, s'il étoit poffible, quel feroit l'évenement de l'expédition que les Francs avoient entreprise. Dans ce deffein il envoya fecretement des hommes de confiance porter fes of frandes au Tombeau de l'Apôtre des Gaules, & il leur enjoignit de lui rendre à leur retour un compte exact, de tout ce qu'ils auroient vû ou entendu de plus propre à fervir de préfage, & à pronostiquer le fuccès de la campagne. Il s'adreffa enfuite à Dieu, & il lui dit : » Seigneur, s'il eft vrai que vous daigniez me pro» teger, & fi vous avez réfolu de vous fervir d'un bras auffi foible que le mien renverser le Trône élevé par une Na» tion hérétique, & toujours oppofée aux interêts de la Religion que vous-même vous avez enseignée, daignez manife>>fter votre volonté à mes Serviteurs, & qu'ils en puiffent ap.percevoir quelque figne fenfible, lorfqu'ils entreront dans l'Eglife de Saint Martin.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

pour

Les perfonnes chargées de la commiffion de Clovis, s'en acquittérent fans fe découvrir, & en mettant le pied dans l'Eglife de Saint Martin, qui n'étoit point encore renfermée dans l'enceinte de Tours, elles entendirent le Chantre entonner le qua rantiéme Verfet du Pfeaume dix-feptiéme : Seigneur, vous m'avez armé de courage dans les combats, & vous avez fait tomber fous mes coups ceux qui s'étoient levés fur leurs pieds pour me frapper. Vous avez contraint mes ennemis à tourner le dos devant moi, & vous avez confondu ceux qui me haifoient. Cette confultation faite par Clovis, étoit-elle une action religieufe, ou bien un effet blâmable de la curiofité effrenée de pénétrer dans l'avenir, que les hommes ont toujours eue, & qui fit fouvent chercher aux premiers Chrétiens dans les Livres facrés, & fur les Tombeaux des Saints, des préfages pareils à ceux que leurs Peres avoient cherchés, quand ils étoient encore Payens, dans les Ouvrages de Virgile, & dans les antres d'Apollon? Que ceux aufquels il appartient de prononcer fur cette queftion, la décident.

Il eft vrai que le Concile qui s'étoit tenu dans Agde une année avant que Clovis confultât le Ciel dans l'Eglife de S. Martin, (a) défend fous peine d'excommunication, aux Clercs &

(a) At ne id fortaffe videatur omiffum infeftat, quod aliquanti Clerici five Laici quod maxime fidem Religionis Catholicæ ftudent auguriis ut fub nomine fictæ Relie

aux Laïques de chercher, foit dans l'Ecriture Sainte, foit en faifant de leur autorité privée des cérémonies mystérieuses fur les Tombeaux des Saints, aucun augure de l'avenir. Il est encore vrai que le Concile, qui quatre années après le tems dont nous écrivons ici l'Hiftoire, s'affembla dans Orleans par les foins de Clovis, fait fous les mêmes peines, prohibition tant aux Eccléfiaftiques qu'aux Laïques, (a) de recourir à aucune forte de divination, tant à celles qui avoient été en usage parmi les Payens, qu'à celles qui fe faifoient en abufant des Livres faints & du culte pratiqué dans l'Eglife Chrétienne. Un des Capitulaires de Charlemagne défend auffi aux Fideles de chercher des prédictions de l'avenir, (b) foit dans le Pfautier, foit dans les Evangiles, & d'exercer aucune forte de divination. Mais la maniere dont s'y prit Clovis, pour fçavoir ce qui étoit déterminé par la Providence fur la guerre qu'il avoit entreprife, cft-elle bien une des manieres de découvrir l'avenir, qui font condamnées dans les Loix que je viens de rapporter ? Voilà ce que je n'oferois décider. Reprenons le fil de la narration de Gregoire de Tours.

Les hommes de confiance que Clovis avoit envoyés porter fes offrandes au Tombeau de Saint Martin, revinrent après avoir remercié le Ciel d'un augure fi heureux, rendre compte à leur Maître du préfage qu'ils avoient eu. Il fe mit en marche auffitôt, mais lorsqu'il fut arrivé fur le bord de la Vienne dont le lit couvroit le camp des ennemis, qui s'affembloient entre Poitiers & cette riviere, il la trouva fi groffie par des pluyes abondantes, qu'il ne lui étoit pas poffible de la guayer, comme il fe l'étoit promis. Ainfi l'armée des Francs qui avoit été obligée à paffer la Loire au-deffus de la Touraine, que les Vifigots tenoient, & par confequent fort au deffus de l'embouchure de la Vienne dans ce fleuve, fe trouvoit arrêtée par la riviere dont nous parlons. Il étoit même impoffible à Clovis d'y jetter des ponts, ou de la faire traverser à ses troupes dans des barques,

gionis per eas quas Sanctorum fortes vocant divinationis fcientiam profitentur, vel Scripturarum infpectione futura promittunt; Hos quicumque Clericus vel Laicus detectus fuerit vel confulere vel docere, ab Ecclefia habeatur extraneus.

Concil. Agath. Canone 42.

(a) Si quis Clericus, Monachus, vel fæcularis Divinationem vel Auguria crediderit obfervanda, vel fortes quas mentiuntur effe

Sanctorum quibufcumque putaverit intimandas, cum his qui eis crediderint ab Ecclefiæ communione pellatur.

Concil. Aurel. prim.cap. 32.

(b) Ut nullas vel in Pfalterio vel in Evangelio, vel in aliis rebus fortes præfumat, nec Divinationes aliquas obfervare. Capite quarto cap. ann. 789. Balus. tom. pr. pag. 243.

parce

parce qu'Alaric dont il paroît que le principal quartier étoit alors fous Poitiers, éloigné feulement de trois ou quatre lieues de la rive de la Vienne, y avoit des poftes. Alaric n'auroit donc pas manqué de s'oppofer à ce paffage, & de profiter d'une telle occafion.pour combattre les Francs avec tant d'avantage, qu'il les eut battu fans rien rifquer. Il falloit ou furprendre le paffage de la Vienne, ou s'expofer, en tentant de la paffer malgré Poppofition des Visigots, à une défaite prefque certaine. Avant que de parler de l'évenement miraculeux qui tira Clovis de l'embarras où nous le voyons, il eft bon de fermer un moment Gregoire de Tours, pour ouvrir Procope, & pour apprendre de cet Hiftorien, quel étoit le projet de campagne qu'Alaric avoit fait de fon côté. On en concevra mieux & l'importance dont il étoit aux Francs de paffer la Vienne au plûtôt, & comment le paffage de cette riviere, fut caufe de la bataille de Vouglé.

>>

Procope après avoir parlé de la guerre que Clovis & Theodoric firent conjointement aux Bourguignons en cinq cens, ajoute : (a) Les Francs ayant augmenté confiderablement » leurs forces, ils cefferent d'avoir des égards pour Theodoric, » & libres de la crainte qui les avoit retenus jufqu'alors, ils fe "mirent en campagne pour attaquer Alaric Roi des Visigots. » Auffitôt que ce Prince eut connoiffance de ce qui s'entrepre»noit contre lui, il eut recours à Theodoric qui fe mit incon» tinent à la tête d'une armée pour aller fecourir fon gendre. Cependant les Viligots apprenant que l'ennemi campoit dans » le Poitou, ils vinrent fe pofter fous la ville de Poitiers, & du»rant quelques jours, ils demeurerent derriere les retranche» mens de leur camp. « Notre Hiftorien raconte enfuite comment les Vifigots livrerent bataille aux Francs.

[ocr errors]

Je ne puis fans prévarication omettre d'avertir ici le Lecteur, que j'ai pris la liberté de faire une correction importante dans le texte de Procope, en mettant le nom de Poitiers au lieu de celui de Carcaffonne, qui fe lit dans l'édition du Louvre. Voici les raifons que j'ai eues de faire un tel changement. En premier lieu, il eft impoffible que Procope qui doit avoir vû en Italie plufieurs Francs & plufieurs Vifigots, qui s'étoient trouvés à la Bataille de Vouglé, n'ait pas fçû que c'étoit fous Poitiers & (4) Poftea Germani viribus auctiores Rulla habita ratione Theoderici ejufque metu depofito, in Alaricum & Vifigothos arma moverunt. Qua de re certior factus AlaAcus Theodericum protinus advocavit. Dum Tome II.

ille cum magno exercitu in fuppetias venit, interea Visigothi Germanis quos ad Urbem Auguftoritum habere caftra audiverant occurrunt, & caftra etiam ipfi metati funt.

Procop. de Bello Goth. lib. pr. cap. 12.

A a

185.

non pas
fous Carcaffonne qu'Alaric étoit campé la veille du jour
où il perdit cette bataille mémorable, dans laquelle il fut tué.
Ainfi, quand bien même les manufcrits de cet Historien ne
fourniroient rien qui aurorisât notre correction, il ne faudroit
point laiffer de la faire, par la raifon qu'il eft impoffible que
Procope fe foit trompé au point d'avoir écrit Carcassonne pour
Poitiers, & qu'ainfi une telle faute devroit toujours être traitée
de vice de Clerc, & mife fur le compte des Copiftes. En fecond
licu, nous trouvons dans le texte d'un manuferit de Procope de
quoi autorifer la reftitution que nous ofons faire. Voici le fait.

ric

Dans le douzième Chapitre du premier Livre de l'Histoire de la guerre des Gots par Procope, Carcassonne le trouve nommée trois fois. La premiere fois qu'il en eft fait mention, c'est dans le paffage qui vient d'être rapporté; & c'eft pour dire qu'Alacampa quelque tems fous cette place, & qu'il ne décampa deque pour donner la bataille où il perdit la vie. Les deux autres fois qu'il eft fait mention de Carcaffonne dans ce Chapitre, c'est à l'occafion du fiege que Clovis mit devant cette Villelà, quelque tems après la bataille de Vouglé, & qu'il fut obligé Procopius de lever. Or le manufcrit de la Bibliothèque de Jofeph Scaliger, Hoefch. pag. dont Hoëschelius s'eft fervi pour nous donner fon édition du Texte Grec de Procope, appelle Carcaffonne, Carcaffiané dans les deux endroits où il s'agit du fiége de cette Place, & où réellement Procope a voulu parler de Carcaffonne. En cela il eft femblable aux autres manufcrits. Au contraire, dans l'endroit de ce manufcrit Grec de Scaliger où il eft parlé de Carcaffonne pour la premiere fois, & à l'occafion du campement d'Alaric Tous cette Place avant la bataille de Vouglé, Carcaffonne s'y trouve appellée ou Carcaffona. Quelle apparence que Procope ait nommé au commencement d'une page Ou Carcaffona, la même Ville qu'il appelle deux fois Carcaffiané dans la fuite de la même page. Je crois donc que Procope avoit écrit dans l'endroit que nous rétabliffons, Augouftoritona, en traduifant en Grec le nom Latin de la Ville de Poitiers qui eft Auguftoritum, & que la leçon On Carcasona n'eft autre chofe que le mot AuSouftoritona alteré & défiguré par quelques Copiftes Grecs qui fçavoient mal la Carte des Gaules. Il est aifé de deviner comment fe fera faite par degré la reftitution téméraire qu'il a mis à la place du nom corrompu Ou Carcaffona, le nom de Carcaffiané qui fe trouvoit deux fois dansla fuite de la même page.

Sans redire ici pour autorifer notre hardieffe, ce que l'on

« PreviousContinue »