née à Maupertuis l'an mil trois cens cinquante-fix entre le Roi Jean & le Prince de Galles, la journée de Poitiers, quoique Maupertuis foit à deux lieues de Poitiers? Dans la fuppofition que l'armée de Clovis eut une lieue de front, la pointe de fa droite n'aura été qu'à une lieue du Clain, & la pointe de fa gauche à une lieue de Vouglé. N'eft-ce point affez pour dire que la bataille fe fera donnée dans les champs de Vouglé & fur les bords du Clain, quand même les champs de Vougle ne fe feroient pas étendus jufques fur le bord de cette riviere?

Les détails de la bataille de Vouglé qu'on lit dans Gregoire de Tours ne vont point jufqu'à nous apprendre le nombre des morts & des bleffés. Il fe contente de nous dire à ce fujet : (a) Que les citoyens de l'Auvergne qu'Apollinaris avoit amenés au fecours d'Alaric, demeurerent la plûpart fur le champ de bataille, & qu'il y eut parmi les morts un grand nombre de Sénateurs. Quoique Gregoire de Tours ne femble faire ici mention, que des Auvergnats fes compatriotes, on peut croire cependant qu'il y avoit bien d'autres Romains qu'eux dans l'armée des Vifigots. (b) Un article de la Loi Nationale de ce Peuple ordonnoit à tous les Ducs, Comtes & autres Officiers obligés par leurs emplois d'aller à la guerre, foit qu'ils fuffent Vifigots, foit qu'ils fuffent Romains, de fe trouver le jour marqué au lieu du rendez-vous donné aux Milices qui devoient composer l'armée, à la tête de la-· quelle le Roi alloit fe mettre. Cette Loi enjoignoit même à toutes les perfonnes défignées ci-deffus, d'amener avec elles la dixième partie de leurs efclaves, & de les armer convenablement. D'ailleurs les Gaulois n'ont jamais été de ces Peuples pacifiques qui ont la patience de voir cinq ou fix ans durant, des Armées étrangeres s'entrebattre dans le Pays qu'ils habitent, sans se mêler de la querelle.

Quant à l'Apollinaris qui commandoit les Auvergnats à la journée de Vouglé, il étoit fils du celebre Sidonius Apollinaris, dont nous avons parlé tant de fois, & de Papianilla fille de l'Empereur Avitus. Apollinaris n'avoit point pour les Vifigots la mê

me averfion que fon pere
pere Sidonius avoit eûe, & nous voyons
que dès le regne d'Euric, (a) il s'étoit lié d'amitié avec Victorius;
que ce Roi, comme nous l'avons dit en fon lieu, avoit fait Prési-
dent de la premiere Aquitaine. Il avoit même été avec ce Victo-
rius à Rome, & quand Victorius y eut été affommé, Apollinaris
fut retenu comme captif, mis à une groffe rançon, & envoyé
Milan pour y être gardé jufqu'à ce qu'il l'eût payée. Mais, &
c'eft ce qui peut fervir à donner une idée plus complette de la
maniere dont les hommes penfoient fur les Augures, dans les
tems dont nous écrivons l'Hiftoire : Apollinaris ayant entendu
dire par
hazard à un Mendiant la veille de la fête de faint Victor
Martyr, Tous les Captifs qui fe fauvent cette nuit ne font jamais
ratrapez, il réputa ce difcours un préfage heureux, & partant
fur le foir avec un valet de confiance, il prit hardiment le chemin
de l'Auvergne, où il arriva fain & fauf. Il paroît cependant que
les facilités qu'il avoit trouvées à s'évader, l'euffent rendu fuf-
pect à Alaric, mais on voit par deux lettres d'Avitus qu'Apolli- 46.
naris avoit regagné la confiance de ce Prince.

Gregoire de Tours ne dit point que notre Apollinaris ait été
du nombre des Auvergnats morts à Vouglé. Auffi n'y fut-il point
tué. Il fut même quelques années après élû Evêque de l'Auver-
gne, mais il
que trois mois après fon exaltation, ainfi
que nous l'avons déja dit dans le Chapitre précedent en parlant
de faint Quintianus.

mais il ne vêcut

Le peu que Procope dit concernant la bataille de Vouglé, fert à rendre encore plus vraisemblable l'idée que nous avons donnée de cette action de guerre. Après avoir rapporté qu'Alaric s'étoit pofté fous Poitiers pour n'être point obligé à combattre avant que d'avoir été joint par les Ostrogots, il ajoûte que cette manoeuvre déplaifoit fort aux Vifigots qui fe croyoient ca

pables de battre feuls les Francs, & que ce fut par
pour fa Nation que ce Prince donna la bataille de complaifance
Vouglé. » Ala-
»ric (b), écrit notre Historien, fut donc forcé à livrer bataille
» aux ennemis, avant qu'il eût été joint par les Ostrogots. Tout

(a) Igitur Apollinaris cum Victorio Duce Italiam petiit, quem aiunt apud Romam interfectum, Apollinarem incolæ loci quafi captivum retinebant dicentes: Non videbis patriam tuam fed dignas ut fatelles tuus pœnas exfolves. Hæc autem comminati miferunt cum in exilium apud urbem Mediolanenfem..... Et afcendentes ita Alpium juga pertranfierunt atque Arvernum perlati funt. Tome II.

Greg. Tur. de glor. Martyr. cap. quadra.
dragefimo quinto.

(b) Quare Oftrogothis abfentibus coa-
ctus eft Alaricus cum hofte confligere. Quo
in prælio fuperiores Germani Alaricum Re-
gem cum plerifque Vifigothorum, occidunt,
magnam Galliæ partem occupant, & fumma
contentione Carcaffonem obfident.
Procop. de Bell. Goth. cap. 12.
Bb

Avit. Vien. Ep. 44. 45. &

l'avantage de l'action fut pour les Francs. Les Vifigots furent » défaits, un grand nombre des vaincus refta fur la place, leur » Roi fut du nombre des morts, & les Francs après s'être emparés d'une partie des Gaules, firent le fiege de Carcaffone qu'ils prefferent avec beaucoup d'ardeur.

CHAPITRE XV I.

Progrès des Francs depuis la bataille de Vouglé jusques à l'année Sept cens huit. Les Vifigots proclament Roi Gefalic fils naturel d'Alaric fecond. Theodoric entre en guerre contre les Francs. Siégemis par les Francs & par les Bourguignons devant Arles en cinq cens huit. Ils levent ce Siége avec beaucoup de perte.

C

Lovis, (4) dit Gregoire de Tours après qu'il a fini le recit de la journée de Vouglé, envoya fon fils Thierri à la tê»te d'un corps de troupes, s'emparer de l'Albigcois, du Rouer»gue & de l'Auvergne. Ce jeune Prince exécuta fes ordres, & » il foumit au pouvoir de fon pere tout le pays qui étoit en-deçà » des limites du territoire des Bourguignons. Voilà tout ce qu'écrit notre Hiftorien concernant les exploits que Clovis fit le refte de la campagne de cinq cens fept; car la premiere fois qu'il le nomme après avoir parlé de l'expédition de Thierri, c'eft pour dire que Clovis paffa le quartier d'hyver à Bordeaux. Nous rapportons plus bas cet endroit de notre Hiftorien. On conçoit bien néanmoins qu'un Conquerant auffi actif que Clovis ne fe tint pas à rien faire après le gain d'une bataille auffi décifive que celle de Vouglé. S'il fçavoit vaincre, il fçavoit auffi profiter de fes victoires, & la faifon qui permettoit au fils de foumettre des Provinces, permettoit bien auffi au pere de tenir la campagne. Mais Procope nous apprend ce que Gregoire de Tours ne nous dit point.

Cet Historien ayant écrit que Clovis avoit affiegé Carcaffone après la Bataille de Vouglé, ajoute cette parenthese. (b) La marche de Theodoric qui s'avançoit à la tête de fes Of

(a) Chlodovechus vero filium fuum Theodoricum per Albigenfem & Ruthenam Civitatem ad Arvernos dirigit, qui abiens urbes illas à finibus Gothorum ufque Burgundionum

terminum, patris fui ditionibus fubjugavit. Greg. Tur. hift. lib. 2. cap. 37.

(b) Deinde Theodorico cum Gothorum copiis adventante correpti metu Germani

trogots, intimida les Francs qui leverent leur fiege, mais ils ne laifferent point malgré cette difgrace de fe rendre maîtres » d'une grande portion de la partie des Gaules qui eft entre le » Rhône & l'Ocean; « C'eft-à-dire, que Clovis après avoir levé le fiege de Carcaffone, fe rendit maître de celles des Cités des deux Aquitaines, qu'il avoit laiffées derrière lui pour s'avancer jufqu'à Carcaffone. Voyons à prefent ce qui fe paffa dans le pays tenu par les Vifigots, & pour en donner une notion plus diftincte, commençons par rapporter de fuite les avantures de Géfalic le Succeffeur immédiat d'Alaric II. Il est vrai que c'eft anticiper fur les quatre années fuivantes, mais la narration non interrompue des avantures de ce Géfalic fervira beaucoup à éclaircir l'Hiftoire de fa Nation, & celle de la guerre que les

Francs lui faifoient.

» La dix-feptiéme année de l'Empire d'Anaftafe, dit (a) Ifidore » de Seville, c'eft-à-dire, l'an de Jefus-Christ cinq cens fept, Géfalic, fils du Roi Alaric, mais né d'une Concubine, fut proclamé à Narbonne Souverain des Vifigots, & ce Prince » regna quatre ans en tout. Quant à son administration, elle » fut auffi peu honorable que fa naissance. Enfin Gondebaud » Roi des Bourguignons étant venu faccager le diftrict de la Cité » de Narbonne, Géfalic fe fauva dans Barcelonne, & une re» traite fi honteufe & dans laquelle il perdit encore beaucoup » de monde, acheva de le couvrir d'infamie. Cependant il fe » tint renfermé dans Barcelonne, jufqu'à ce que Theodoric » l'eût fait dépofer comme un homme indigne de porter le fce»ptre. Géfalic fe fauva enfuite comme il put de cette Ville-là > pour fe retirer en Afrique, où il tâcha d'engager les Vanda»les à le rétablir, mais ils lui refuferent de l'entreprendre. Ce. » Prince infortuné eut même fujet d'appréhender qu'ils ne » le livrassent à Theodoric qui regnoit dès-lors fur les Vifigots.

Carcaflonæ obfidionem folverunt. Illinc di

greffi regiones Gallix qua ultra Rhodanum ad Oceanum vergunt fubegere.

Procop. de Bell. Goth. lib. 1. cap. 12. (a) Anno decimo feptimo Imperii Anaftafii Gefalicus fuperioris Regis filius ex concubina creatus, Narbona Princeps efficitur regnans annis quatuor, ficut genere vilifimus ita infelicitate & ignavia fummus, denique cum ea Civitas à Gundebado Burgundionum Rege direpta fuiffet, ifte cum magno fuo dedecore & cum magna fuorum clade apud Barcilonam fe contulit. Ibi mo

ratus quo ufque regni fafcibus à Theodori-
co fugæ ignominia privaretur. Inde profe.
&tus ad Africam Vandalorum fuffragia pol-
cit quo
in regnum poffet reftitui. Qui dum
non impetraffet auxilium, mox de Africa re
diens metu Theodorici Aquitaniam petiit,
ibique anno delitefcens Hifpaniam reverti
tur atque Ebbane Theodorici Regis Duce
duodecimo ab urbe Barcilona milliario, com-
miffo prælio in fugam vertitur, captufque
trans Durantiam flumen Galliarum interiit,
ficque prius honorem, poftea vitam amifit,
ifid. Hift. Goth. pag. 66.

» Il partit donc d'Afrique pour fe réfugier dans l'Aquitaine, où » il demeura caché pendant une année. Au bout de ce tems il » rentra en Espagne à la tête de quelques gens ramaffés, mais » il fut défait & pris à quatre lieues de Barcelonne par Hibba qui commandoit alors les Troupes de Theodoric dans ces quartiers-là. On transfera le Prifonnier dans la partie des Gau»les qui eft entre la Durance & les Alpes, & là il mourut. Ce » fut ainfi que Gésalic perdit d'abord fon rang, & dans la fuite » la vie.

J'ai donc cru qu'il falloit rapporter ce paffage entier, quoiqu'il femble qu'une partie de ce qu'il contient dût être renvoyé à l'Hiftoire des années fuivantes. En effet, nous fommes encore en cinq cens fept, & le paffage que nous rapportons fait mention de la dépofition de Géfalic arrivée la quatrième année de fon regne, c'eft-à-dire au plûtôt en cinq cens dix, & même il eft parlé dans notre paffage de la mort de ce Prince infortuné arrivée plufieurs années après fon détrônement. Mais, comme je l'ai déja infinué, j'ai une raifon décifive d'en ufer ainfi : C'est que cet endroit d'Ifidore fournit des époques, fans lesquelles on ne fçauroit arranger tous les évenemens de la guerre de Clovis contre la nation Gothique, lefquels font rapportés fans date, & fouvent fans égard à l'ordre des tems par Caffiodore, par Procope, par Jornandés, & par Gregoire de Tours. Peut-être eftce pour n'avoir pas fait ce que je fais ici, que les Auteurs modernes qui ont voulu mettre dans leur ordre naturel, les événemens dont il s'agit, les ont mal arrangés. Mais en fuivant la Chronologie d'Ifidore, né dans le fiècle même où tous ces évenemens font arrivés, on voit clairement dans quel ordre ils doivent être placés. En effet on apperçoit d'abord en quel tems Théodoric Roi des Oftrogots a pû commencer à commander fouverainement dans le Royaume des Vifigots. Theodoric n'ayant pû commencer fon regne fur les Vifigots, qu'après qu'il eut fait reconnoître & proclamer fon petit fils Amalaric pour Souverain naturel des Vifigots, & pour l'héritier légitime d'Alaric II. : Theodoric n'a pû commencer fon regne fur les Vifigots, qu'après que Géfalic eut été depofé. Or comme Ifidore nous apprend que Géfalic qui avoit été proclamé en cinq cens fept ne fut déposé qu'après un regne de quatre ans, c'est-à-dire en fept cens dix au plûtôt : Ifidore nous apprend auffi par conféquent que la domination de Theodoric fur les Vifigots, ne commença qu'en l'année cinq cens dix; ce qui eft confirmé par les dates de deux Con