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République des fept Provinces-Unies des Païs-Bas, & à celle de Statholder ou de Gouverneur particulier de cinq de ces Provinces, quoiqu'en qualité de Capitaine & d'Amiral Général, il lui fallut obéir aux ordres des Etats Généraux, & qu'en qualité de Statholder, il ne fût que le premier Officier des Etats de chacune des cinq Provinces dont il étoit Statholder. Dans tous les fiécles, comme dans toutes les conditions, l'orgueil du rång a toujours fléchi fous la paffion de dominer. Nous parlerons du tems que devoit durer l'autorité Confulaire de Clovis, & de la réunion de cette autorité à la Couronne des Francs, dans le fecond Chapitre du fixiéme Livre de cet Ouvrage.

Au fortir de Tours, Clovis vint à Paris, où fuivant le (a) Pere de notre Hiftoire, il plaça le Siége de fa Royauté, & fixa le Trône de la Monarchie; c'est-à-dire, qu'il établit dans Paris le Tribunal où il rendoit juftice aux Francs Saliens, en qualité de leur Roi, comme le Prétoire où il rendoit. juftice aux Romains, en qualité de Conful, & qu'il en fit le lieu de sa résidence ordinaire & de celle des perfonnes de l'une & de l'autre Nation qui avoient part à l'administration de l'Etat, ou qui vouloient y avoir part. Voilà pourquoi Gregoire de Tours, pour nous donner une idée de l'efprit de retraite dans lequel vêcut Sainte Clotilde, dès qu'elle fe fut confinée à Tours quelque tems après la mort de Clovis, (b) dit qu'après la mort de ce Prince, on la vitarement à Paris, c'est-à-dire, à la Cour.

Voilà pourquoi la Ville de Paris ne fut point mife dans aucun lot quand les enfans de Clovis partagerent entr'eux fon Royaume, & qu'au contraire il fut alors convenu, qu'ils la poffederoient en commun, & comme on le dit, par indivis. Ainfi quoique Childebert fils, & l'un des quatre fucceffeurs de Clovis, tînt ordinairement fa Cour à Paris, & que Paris fût le lieu de fa réfidence ordinaire, il n'avoit cependant que fa part & portion dans la Souveraineté de cette Ville qui continua d'être le lieu de rendez-vous où fe traitoient les affaires communes à tous les Sujets de la Monarchie, quoique depuis la divifion de cette Monarchie en plufieurs partages, elle eût apparemment ceffé d'être le lieu où l'on rendoit aux particuliers la justice en dernier reffort. En effet, nous verrons dans le fecond Cha

(a) Egreffus autem Chlodovechus à TuLonis Parifius venit, ibique Cathedram regni fui conftituit.

Greg. Tur. Hift. lib. 2. cap. 38.

(b) In hoc loco commorata eft, raro Pari fius vifitans.

Ibid. cap. 3.

pitre du cinquième Livre,que quoiqueCharibert petit-fils de Clovis eût eu le même partage qu'avoit eu Childebert fon oncle, celui des Partages dont Paris étoit comme la Capitale, Charibert cependant, n'avoit à fa mort qu'un tiers dans la Ville de Paris.

Enfin voilà pourquoi les Rois petits-fils de Clovis, à qui l'experience avoit enfeigné de quelle importance il étoit qu'aucun d'entr'eux ne s'appropriât la Ville Capitale de toute la Monarchie, avoient ftipulé en faisant quelque nouveau pacte de famille; Que celui des Compartageans qui mettroit le pied dans Paris fans le confentement exprès des autres, feroit déchû de la part & portion qu'il y auroit, & voilà pourquoi chacun d'eux avoit promis d'obferver cette condition, en faisant .des impré- cep. 27. cations contre lui-même s'il étoit affez malheureux pour y manquer.

Le Siege de la Monarchie Françoise est encore dans le lieu où Clovis le plaça en cinq cens dix. Les Royaumes fur lefquels regnoient fes enfans après qu'ils eurent partagé la Monarchie Françoise, ont bien eu chacune une efpece de Capitale particuliere, mais Paris eft toujours demeuré la Capitale de la Monarchie Françoife.

Greg. Tur. Lib. Hift. 6.

CHAPITRE X I X.

que

Clovis, qui n'étoit encore Roi de la Tribu des Francs, appellée la Tribu des Saliens, fait perir les Rois des autres Tribus des Francs, & il engage chacune d'elles à le choifer pour fon

Roi.

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Ou s voici arrivés à un évenement, qui par les circonftances odieufes dont il fut accompagné, & par les fuites heureufes qu'il eut, paroît tenir dans l'Hiftoire de France, une place femblable à celle que le meurtre de Remus par Romulus fon frere, tient dans l'Hiftoire Romaine. Le même efprit d'ambition qui fit penfer à Romulus que le Royaume qu'il avoit fondé ne pouvoit profperer, ni même fubfifter, s'il falloit qu'il demeurât plus long-tems partagé entre fon frere & lui, aura fait croire à Clovis que la Monarchie qu'il avoit établie dans les Gaules, & qu'il prétendoit laiffer à fes fils, feroit toujours mal affermie tant qu'il ne regneroit que fur la Tribu des Saliens, &

Tome II.

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tant que chacune des autres Tribus des Francs auroit un Roi particulier & indépendant de lui. En effet, il étoit à craindre que ces Princes, mortifiés de voir une Puiffance n'agueres aussi médiocre que la leur, lui être devenuë tellement fuperieure ; qu'elle pouvoit les affujettir, ne fe liguaffent pour la détruire, foit avec fes Sujets mécontens, foit avec les Etrangers. En effet ils n'avoient plus d'autre reffource contre les entreprifes d'un Roi qui avoit une grande partie des richeffes des Gaules à sa difpofition, que de fe réunir pour l'abbattre : chacun de nos Princes étoit trop foible pour réfifter avec les feules forces. Ce que Clovis ne craignoit pas pour lui, il pouvoit le craindre pour fa pofterité. Je crois donc qu'il ne fit que prévenir les autres Rois des Francs. Clovis n'a paru criminel à la pofterité que parce qu'il fut plus habile qu'eux. On voit en effet par l'Hiftoire, que la plupart des Chefs des Tribus dont Clovis fe défit, étoient des hommes fouverainement corrompus & fanguinaires, & l'on fçait à quels excès la jaloufie d'ambition, encore plus ardente dans le cœur des Souverains que dans celui des autres hommes, a coutume de porter les Princes les moins violens. Le motif d'abbatre une Puiffance dont le pouvoir femble exhorbitant, engage fouvent dans des entreprifes injuftes, les Potentats qui fe piquent fe plus d'équité, & lorfqu'ils s'y trouvent une fois engagés, ils ne rougiffent point d'entrer dans les complots les plus iniques & les plus odieux, afin de fe tirer des embarras où ils fe font mis.

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Il fe peut donc bien faire que Clovis en exécutant contre les autres Rois fes parens tout ce que nous allons rapporter, n'ait ôté les Etats & la vie qu'à des Princes qui avoient attenté les premiers à fa vie & fur fes Etats. En verité il eft difficile de fer autrement quand on entend Gregoire de Tours, qui fçavoit fur ce fujet-là beaucoup plus qu'il n'en dit, parler de la deftinée funefte de quelques-uns des Rois Francs que Clovis fit mourir, comme ce Saint auroit pû parler d'un avantage remporté par Clovis dans le cours d'une guerre jufte, & fur des ennemis déclarés. C'est même en imitant le ftyle de l'Ecriture Sainte s'explique notre pieux Evêque, lorsqu'il écrit ces évenemens. H dit donc après avoir raconté le meurtre de Sigebert Roi des Ripuaires & celui de Clodéric fils de ce Prince: » (a) La Provi

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que

quæ placita erant in

Greg. Tur. hift. lib. 2. cap. 40

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»dence livroit chaque jour entre les mains de Clovis les enne» mis de ce Roi, dont elle se plaifoit à étendre la domination, » parce qu'il avoit le cœur droit, & parce qu'il tenoit une con» duite qu'elle approuvoit. Saint Gregoire de Tours n'eût point parlé en ces termes des évenemens qu'on va lire, fi le procedé de Clovis, n'eût point été juftifié, ou du moins excufé par les menées de fes ennemis. Pourquoi cet Hiftorien, dira-t'on, n'a-t'il point rapporté les faits qui difculpoient en quelque forte Clovis? C'eft que des confidérations, qu'il eft impoffible de deviner aujourd'hui, l'auront engagé à paffer ces faits fous filence. Puisque nous n'avons plus, pour s'expliquer ainfi, les pieces du procès, nous ne fçaurions faire mieux que de nous en rapporter au jugement qu'a prononcé le Prélat vertueux qui les avoit vûës. Tranfcrivons prefentement le récit qu'il fait de la catastrophe des ennemis de Clovis. Ce récit eft la feule relation autentique de ce grand évenement que nous ayons aujourd'hui.

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» Tandis que Clovis faifoit fon féjour à Paris, il fit reprefen>> ter par fes Emiffaires à Clodéric fils de Sigebert, que Sigebert » étoit déja fort âgé, & d'ailleurs eftropié de la bleffure qu'il » avoit reçûë à la journée de Tolbiac. Clovis faifoit affurer Clo» déric en même tems, que fon intention étoit de le favorifer » en tout & de le maintenir fur le Trone des Ripuaires après la » mort de Sigebert. Auffi-tôt que Clodéric fe vit affuré d'un tel apui, il fe laiffa aveugler par l'ambition au point de commettre » un parricide. Un jour que Sigebert,qui étoit forti de Cologne, » & qui avoit paffé le Rhin pour prendre l'air dans les environs » de la forêt Buchovia, dormoit après le dîner, des affaffins fu» bornés par le fils, ôterent la vie au pere. La Providence per» mit qu'à quelques jours de-là, Clodéric trébucha lui-même » dans une foffe femblable à celle où ce malheureux fils avoit précipité fon pere. Dès que Sigebert eut ceffé de vivre, fon fils "donna part de cette mort à Clovis, & il lui ( 4 ) manda : J'ai » en ma poffeffion les Etats & les tréfors que mon pere a laiffés: » Envoyez-moi des perfonnes affidées à qui je puiffe remettre ce que vous pourrez fouhaiter des richeffes qui font à prefent » à ma difpofition. Clovis lui répondit: Je vous remercie de vo» tre bonne volonté, & je vous prie feulement de faire voir à

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(a) Pater meus mortuus eft, & ejus thefauros cum regno ejus apud me habeo. Dirige tuos ad me, & illa quæ de illius thefauro tibi placent bona voluntate transmittam. Et

ille gratias, inquit, tuæ voluntati ago, & rogo ut venientibus noftris patefacias, cuncta ipfe deinceps poffeffurus.

Gr. Tur. Hift. lib. 2. cap. 40.

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ceux que je vous envoye, les tréfors de votre pere, qui, pour » le prefent, ne fçauroient être mieux qu'entre vos mains. Dès que les perfonnes envoyées par Clovis furent arrivées, Clodéric leur fit voir ces tréfors & leur dit en leur montrant un » coffre voilà où le Roi mon pere ferroit les efpeces d'or. Nous vous prions, lui répondirent les autres, de fouiller jusqu'au » fond de ce coffre, afin que nous puiffions en voyant fa pro» fondeur, juger un peu mieux de la fomme qu'il contient. Clo» déric fe mit en devoir de les contenter; mais dans le tems qu'il étoit courbé, l'un de nos émiffaires lui fendit la tête » d'un coup de hache d'armes. Dès que Clovis eut été informé » de la mort de ce fils dénaturé, il fe rendit fur les lieux où le » meurtre étoit arrivé, il y fit assembler les Sujets de Sigebert, " & il leur dit: Voici le motif qui m'ameine ici. (4) Clodéric, à » l'occafion d'un voyage que j'ai fait fur l'Efcaut a mechamment repandu le bruit que j'avois deffein d'attenter à la vie de fon ≫ pere mon bon parent, quoique véritablement ce fut Clodéric lui-même qui en vouloit à la vie de ce Prince. En effet ce font » des fatellites envoyés par Clodéric qui ont tué fon pere dans » la forêt Buchovia, où il s'étoit retiré pour être à une plus gran» de distance des lieux où je me trouvois. Ce fils dénaturé n'a » pas furvêcu long-tems à fon parricide, & il a été tué par des perfonnes que je ne connois pas, lorfqu'il fouilloit dans un » des coffres du tréfor de fon pere. Je n'ai point trempé dans » ces meurtres, & fuis trop incapable de fouiller jamais mes » mains dans le fang de mes parens. Mais comme le mal qui eft arrivé, eft un mal fans remede, je crois vous donner un avis » falutaire en vous confeillant de jetter les yeux fur moi, & de » m'engager en me choififfant pour votre Roi, à vous défen»dre envers & contre tous, au péril de ma propre vie. Auffi» tôt les Sujets de Sigebert témoignerent par des cris de joye, » & en frappant fur leurs boucliers, qu'ils agréoient la propo » fition de Clovis. Ils éleverent donc incontinent ce Prince fur

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(a) Audite quod contigerit. Dum ego per fluvium Scaldin navigarem, Chlodericus filius parentis mei, patrem fuum infequebatur verbo ferens quod eum interficere vellem, cumque ille per Buchoviam fylvam fugeret, immiffis fuper eum Latrunculis morti tradidit & occidit. Ipfe quoque, cum thefauros ejus aperit, à nefcio quo percuffus interiit, fed in his ego nequaquam confcius fum. Nec enim poffum fanguinem parentum

meorum effundere, quod nefas eft. Sed quia hæc evenerunt confilium vobis præbeo fi videtur acceptum. Convertimini ad me, ut fub mea fitis defenfione. At illi ifta audien tes plaudentes tam parmis quam vocibus, cum clypeo erectum fuper fe Regem conftituunt, regnumque Sigeberti acceptum cum thefauris, ipfos quoque fuæ ditioni afcivic. Ibid.

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