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pas trouvé que feul il le fût affez pour attaquer toute la Na-
tion réunie désormais fous un feul & même Chef. Ainfi quelque
vif que pût être fon reffentiment, il lui aura fallu, pour le fatis-
faire, attendre d'autres tems. Voilà pourquoi ce Prince aura
été plufieurs années fans tirer raifon du manquement de parole
d'Hermanfroy. Il n'aura pû s'en faire raifon, qu'après avoir en-
gagé quelqu'un des Rois fes freres dans fa querelle. Que Thierri
ait fait avec fes feules forces fa premiere expédition dans le
Pays des Turingiens, on n'en fçauroit douter. Grégoire de
Tours ne dit point que dans cette expédition-là Thierri ait été
fecouru par aucun de fes freres ; & ce qui le prouve encore da-
vantage, c'est que ce Prince, ainfi que nous le verrons, ne
parla du manquement de parole d'Hermanfroy, que comme
d'un outrage particulier, & fait à lui feul, lorfqu'il voulut en-
gager Clotaire & les Francs du Partage de ce Prince, à joindre
leurs armes aux fiennes pour tirer raifon de la perfidie du Roi
des Turingiens. Quant à Childebert, il prit fi peu de
part, mê.
me à la feconde expédition de Thierri dans le pays des Turin-
giens, qu'on voit bien qu'il n'en avoit pas eu dans tout ce qui
s'étoit paffé à l'occafion de la premiere.

Procope, dont nous rapportons ci-deffous le paffage, dit pofitivement que les Francs n'entreprirent leur feconde expédition contre les Turingiens, celle qui finit par la conquête de leur pays, & la même dont nous avons déformais à parler, qu'après la mort de Theodoric Roi des Oftrogots, arrivée en cinq cens vingt-fix. Suivant ce qui paroît, en lifant avec réflexion la narration de Gregoire de Tours, & fuivant le fentiment de nos Annalistes modernes les plus exacts, ce ne fut même qu'en cinq Annales Fran. cens vingt-neuf que Thierri fit fa feconde guerre contre les Tu- Ruinartis. ringiens. Je crois encore qu'on pourroit ne placer cet évenement que dans l'année cinq cens trente. En effet, cette guerre qu'on voit bien par la nature des évenemens qui la terminerent, n'avoit pas été bien longue, duroit encore quand Childebert fit dans l'Auvergne, qui appartenoit au Roi Thierri fon frere, l'invafion dont nous parlerons dans la fuite. Or Childebert qui ne refta que quelques jours en Auvergne, fut au fortir de cette Contrée faire la guerre à Amalaric Roi des Vifigots, qui furvêcut peu de tems à la rupture, & qui neanmoins, comme on le rapportera, ne mourut qu'en cinq cens trente & un. Voici le récit que fait l'Hiftorien Ecclefiaftique des Francs de leur feconde expédition dans le pays des Turingiens. Il fuit

dans cet Auteur la narration de la premiere entreprise des fils de Clovis contre les Bourguignons, faite en cinq cens vingt

trois.

» (a) Thierri ayant toujours confervé un vif reffentiment » du manquement de parole de Hermanfroy, il engagea Clo»taire fon frere dans le deffein qu'il avoit formé d'en tirer raifon, en promettant à ce frere la moitié de tout ce qu'on pren» droit fur les Turingiens. Quand les Francs Sujets des deux » freres furent affemblés, Thierri leur dit: Mes amis, allons

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venger à la fois l'affront que j'ai reçû d'Hermanfroy, & le » traitement inhumain que les Turingiens ont fait à nos Peres. J'interromprai pour un moment Gregoire de Tours, afin de faire obferver que, fuivant le difcours de Thierri, les cruautés exercées fur la Nation des Francs par les Turingiens, avoient été commises fur les Peres des Francs aufquels il adreffoit la parole, c'est-à-dire, fur la genération qui les avoit précedés. Ainfi je n'ai point cu tort, lorfque j'ai fuppofé que c'étoit fous le regne de Childéric, ou durant les premieres années de celui de Clovis, que les Turingiens avoient envahi une grande partie de l'ancienne France. Gregoire de Tours, ou plûtôt le Roi Thiérri, reprend la parole:

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il

» Auriez-vous oublié que le Turingien les ayant attaqués quand ils ne s'y attendoient pas, exerça contr'eux toutes » les cruautés imaginables. Ce fut inutilement qu'ils deman» derent la paix, & qu'ils envoyerent des ôtages. Le Turingien fit mourir les ôtages mêmes par divers genres de tour» mens effroyables. Enfuite il entra dans notre patrie où il mit » tout à feu & à fang, pouffant la barbarie jufqu'à fendre les jambes des enfans pour les acrocher aux branches des arbres. » Ce cruel ennemi n'attacha-t'il pas encore plus de deux cens jeunes filles fur des Chevaux, fous le flanc defquels il avoit

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(a) Poit Theodericus non immemor perjurii Herminfredis Regis Thoringorum, Chlotacharium fratrem fuum in folatium fuum evocat, & adverfus eum ire difponit, promittens Regi Clotachario parteni præda, fi eis munus victoriæ divinitus conferretur. Convocatis igitur Francis, dixit ad eos: Indignamini, quæfo, tam meam injuriam quam interitum parentum veftrorum ; ac recolite Thoringos quondam fuper parentes noftros violenter adveniffe, ac multa illis intuliffe mala qui datis obfidibus cum his pacem inire voluerunt, fed illi obfides ipfos di

verfis mortibus peremerunt, & inruentes fuper parentes noftros, omnem fubftantiam abftulerunt. .. . Nunc autem Herminfredus quod mihi pollicitus eft fefellit, & omnino hæc adimplere diffimulat.... Quod illi audientes, de tanto fcelere indignantes, uno animo, eademque fententia Thoringiam petiverunt. Theudericus vero Chlotacharium fratrem fuum & Theudebertum filium in folatium adfumens, cum exercitu abiit. Thoringi vero venientibus Francis dolos præparant. In Campo enim, &c.

Greg. Tur. Hift. lib. 3. cap. 7.

» lié

que

»lié des éperons qui les piquoient fans ceffe, de maniere » ces animaux devenus furieux, s'emportoient à travers les bois » les plus fourés, qui bientôt avoient mis en piece nos mal» heureuses victimes. Plufieurs Francs furent liés aux jantes des >> roues de leurs propres chariots que notre ennemi furchargeoit » encore, & qu'il faifoit enfuite rouler par des chemins où il avoit » mis auparavant des folives en travers. Après que ces infortu» nés avoient eu les os rompus, on les expofoit tout vivans aux » chiens & aux vautours, afin qu'ils devinffent la proye de ces » animaux, contre qui leurs bras ne pouvoient plus les défen» dre. D'ailleurs vous n'ignorez pas qu'Hermanfroy a manqué » à ce qu'il m'avoit folemnellement promis, & qu'il n'a point » voulu accomplir ce qu'il étoit obligé d'effectuer. Marchons » fous les aufpices du Dieu des Armées, du Dieu de la Justice, » pour tirer raifon de tant d'outrages & de tant d'iniquités. Les Francs échauffés par ce qu'ils venoient d'entendre, répondirent tous d'une voix, qu'ils étoient prêts à fuivre Thierri, s'il vouloit les mener dans la Turinge. Il fe mit donc en campagne ayant avec lui Theodebert fon fils, & Clotaire fon frere. Quand les Turingiens curent appris que les Francs venoient les attaquer, ils eurent recours, pour le défendre, à tous les stratagêmes de la guerre. Voici une des rufes qu'ils mirent en œuvre. Ils creuferent d'efpace en efpace, dans le terrain qui étoit à la tête de leur camp, des foffes affez profondes, dont ils recouvrirent fi bien les ouvertures avec du gazon & des branchages, qu'il étoit difficile de s'appercevoir qu'on eût remué la terre dans ces endroits-là. En effet, lorfque les Francs marcherent pour charger leur ennemi, il y en eut plufieurs dont les chevaux mirent les pieds dans ces trous, & s'abbatirent, ce qui d'abord caufa quelque défordre. Mais les Francs apprirent bientôt à reconnoître les endroits où l'on avoit tendu des pieges de cette efpece, & l'attention qu'ils apporterent à les éviter, ne les empêcha point de charger l'ennemi avec tant d'impétuofité, bientôt ils l'eurent mis en fuite (a). Hermanfroy abandonna le champ de bataille des premiers, & fuivi de quelques-uns des fiens, il fe retira, marchant toujours fans s'arrêter, jufques à ce qu'il fût arrivé sur la rive gauche de l'Unstrut. C'est

(a) Denique Thuringi cum fe cædi vehementer viderent, fugato præ timore Herminfredo Rege corum, terga vertunt, & ad Oneftrudem Huvium ufque perveniunt. Ibique tanta cædes ex Thuringis fa&a eft, ut Tome II.

alveus fluminis cadaverum congerie repleretur, & Franci tanquam per pontem aliquem fuper ea in littus ulterius tranfirent. Patrata ergo victoria, regionem illam capeffunt, & in fuam redigunt poteftatem. Ibidem."

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une riviere qui traverfe le canton de l'Allemagne, qui s'apelle encore aujourd'hui le Land-Graviat de Turinge; & laquelle fe jette dans la Sale, dont l'Elbe reçoit les eaux. Les Turingiens fe rallierent bien fur les bords de l'Unftrut, mais ils y furent défaits une feconde fois par les Francs qui les avoient fuivis. Il arriva même qu'il fe noya un fi grand nombre des vaincus dans l'Unstrut qu'ils vouloient traverfer pour se sauver, que leurs corps fervirent de pont aux Francs pour la paffer. Après une victoire fi complette, ils foumirent tout le Royaume des Turingiens.

Clotaire ramena avec lui Radegonde fille de Berthier, & même il époufa cette Princeffe. Mais Clotaire ayant fait tuer à quelque tems de-là le frere de cette Reine, elle fe fépara d'avec lui, & fe confacra au fervice de Dieu en prenant l'habit de Religieufe dans le Monaftere de fainte Croix de Poitiers qu'elle avoit fait bâtir, & où elle mourut en odeur de fainteté.

Tandis que les deux Rois Francs étoient encore dans le pays des Turingiens, continue Gregoire de Tours, Thierri voulut fe défaire de fon frere. Les embuches qu'il lui dreffa furent découvertes, & ne réuffirent point. Mais Hermanfroy tomba dans le piege que le Roi Thierri lui avoit tendu. Le Roi des Turingiens s'étoit fauvé de la déroute de l'Unftrut, & Thierri qui craignoit toujours ce Prince, lui fit propofer une entrevûë, pour laquelle il lui envoya même un fauf-conduit en bonne forme. Hermanfroy qui fe flatoit d'obtenir quelque chofe de Thierri, vint le trouver, & il en fut reçû avec bonté. On lui fit même de riches prefens. » Il arriva (4) cependant, un jour que » ces deux Princes s'entretenoient ensemble, en fe promenant »fur les remparts de la Ville de Tolbiac, qu'un inconnu pouffa » fi rudement Hermanfroy, qu'il le fit tomber du haut en bas, » & que ce Prince mourut de fa chute dans l'inftant. Je ne fçais point, ajoute à ce récit Gregoire de Tours, le nom de » celui qui le pouffa, mais bien des gens accuferent Thierri d'a» voir fait faire le coup.

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Je le croirois d'autant plus volontiers, qu'il femble en lifant notre Hiftoire, que Clovis eût tranfmis à chacun de fes fils l'envie d'être le feul maître des Gaules, & fa jaloufie contre les autres Princes fes plus proches parens. Nous venons de voir

(a) Factum eft autem quadam die, dum per muros civitatis Tulbiacenfis confabularentur, à nefcio quo impulfus, de altitudine muri ad terram corruit, ibique fpiritum.

exhalavit. Sed quis eum inde dejecerit ignoramus. Multi autem adferunt Theodorici in. hoc dolum maxime patuiffe.

Ibid. cap. 8.

Thierri attenter fur la perfonne de fon Frere Clotaire, & nous allons voir bientôt une autre marque du peu d'intelligence qui étoit entre les fils de Clovis. Ce qu'il y eut de plus funefte pour les Gaules, ce fut que ces Princes tranfmirent à leurs defcendans les fentimens qu'ils avoient hérités de leur pere. Voilà ce qui fut la caufe de tant de guerres civiles qui affligerent cette contrée dans le fixième, le feptiéme & le huitiéme fiècles, & qui la mirent en un état pire que celui où les invafions des Barbares, & les autres fleaux du cinquième fiecle l'avoient réduite. En effet, en lifant avec attention nos Annales, on eft bientôt perfuadé que Charlemagne trouva les Gaules plus dévastées, & leurs habitans bien plus groffiers & bien plus féroces que Clovis ne

les avoit trouvés.

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Avant que de raconter l'entreprife que Childebert fit fur les Etats de Thierri, durant que le dernier fe rendoit maître de la Turinge, il eft bon de rapporter ce que Procope dit concernant cette conquête. (4) Theodoric Roi des Oftrogots étant » mort en l'année cinq cens vingt-fix, les Francs perfuadés que » déformais perfonne ne pourroit plus traverfer leurs entreprifes, attaquerent les Turingiens, & après s'être défaits d'Hermanfroy le Roi de ce Peuple, ils fe l'affujettirent. La Reine Amalberge femme de ce Prince infortuné, se sauva avec ses enfans, & fe retira avec eux auprès de fon frere Theodat, 'qui étoit déja l'un des principaux Chefs de la Nation des Oftrogot's.

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Venons prefentement à ce que dit Gregoire de Tours immédiatement après avoir parlé de la mort d'Hermanfroy. (b) ❞ Tandis que Thierri étoit encore dans la Turinge, le bruit » qu'il y avoit été tué se répandit en Auvergne. Aussi-tôt Ar» cadius l'un des Sénateurs de cette Cité, invita Childebert à » venir s'en rendre maître. Childebert entra donc dans le pays; » mais le jour qu'il descendit dans la Baffe Auvergne, il fit (c)

(a) Poft Theoderici obitum, Franci nemine jam obfiftente, Toringos bello adorti, ipforum Regem Hermenefridum interficiunt, ac totam gentem in ditionem fubjungunt fuam. Hermenefridis uxor cum liberis elapla ad fratrem fuum tunc temporis Oftrogothorum Archonta fe recepit.

Proc. de Bello Goth. lib. pr. cap. 13.

(b) Cum autem Theodoricus adhuc in Thuringia effet, Arvernis fonuit eum interfectum efle. Arcadius quoque unus ex Sena

toribus Arvernis, Childebertum invitat ut regionem illam deberet accipere, &c.

Greg. Tur. hift. lib. 3. cap. 9. (c) Tantaque in illa die condenfa fuit nebula, ut nihil fuper duabus jugeri partibus difcerni poffet. Dicere enim erat folitus Rex: Velim inquam Arvernam Lemanem, quæ tante jucunditatis gratia refulgere dicitur oculis cernere. Sed non hoc illi a Deo conceffum, &c.

Gr. Tur. hift. lib. 3. cap. 9.

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