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» un brouillard fi épais, qu'un homme ne voyoit pas cinquante » pas devant lui. Cela fut pris à mauvais augure, parce que ce » Prince s'étoit d'avance fait un plaifir du beau coup d'œil qu'of» fre la Limagne à ceux qui defcendent de la Montagne, & qu'il paroiffoit que la Providence voulût lui refufer la fatis» faction qu'il s'étoit promife. « Arcadius trouva néanmoins le moyen d'introduire Childebert dans Clermont, en rompant la ferrure d'une des portes de la Ville qu'on avoit fermées. Mais ce Prince n'y refta point long-tems, car à peine y étoit-il entré, qu'on apprit que Thierri fe portoit bien, & même qu'il revenoit victorieux. Auffitôt Childebert évacua l'Auvergne, & il s'en alla en Espagne pour tirer leur foeur Clotilde de l'état malheureux où elle gémiffoit. Cette Princeffe qui avoit épousé Amalaric, fils d'Alaric fecond Roi des Vifigots, étoit cruellement perfécutée par fon mari en haine de la Religion Catholique qu'elle profeffoit. Il n'y avoit point de mauvais traitemens qu'elle n'effuïât. Quand Clotilde alloit à l'Eglife, Amalaric faifoit jetter fur elle du fumier, & toute forte d'ordure. Enfin il la battit un jour fi cruellement, qu'il la fit faigner, & qu'elle envoya à Childebert un linge teint du fang que firent fortir les coups qu'elle avoit reçus. Voilà ce qui acheva de le déterminer à faire la premiere des deux expéditions qu'il fit en Espagne. Il marcha donc à la tête de la même armée qui l'avoit fuivi dans fon entreprise fur l'Auvergne. Amalaric fuit toujours devant fes ennemis, cependant il ne laiffa pas d'être tué. Il fe fauvoit de Barcelonne à l'approche des Francs, qui le fuivoient tou jours; & déja il étoit prêt de monter fur un vaiffeau, lorsqu'il fe fouvint qu'il avoit laiffé dans le Palais où il avoit logé une partie de fes pierreries. Auffitôt il y retourna pour les prendre; mais quand il voulut regagner le port, fes propres Troupes

foulevées lui barrerent le chemin. Cette funefte avanture lui fit prendre le parti de fe refugier dans une Eglife; & il étoit prêt d'y entrer, quand il fut tué d'un coup de javelot lancé par un des mutins. Ce fut ainsi que périt le Roi Amalaric environ cinq ans après qu'il eut commencé à regner fur les Vifigots, ce qui n'arriva qu'après la mort du grand Theodoric fon ayeul, qui comme nous avons eu déja l'occafion de le dire, décéda l'année de Jesus-Chrift cinq cens vingt-fix. Nous rapporterons cideffous un paffage d'Ifidore de Séville, où ces dates font conftatées.

Childebert après avoir fait un riche butin, & délivré fa Sœur,

se mit en chemin avec elle pour la ramener dans leur patrie; mais cette Princeffe mourut durant le voyage, je ne fçais par quel accident. (4) Son corps fut apporté à Paris, où il fut inhumé auprès de celui de Clovis fon pere. Parmi les threfors que Childebert rapportoit de fon expédition, il y avoit plufieurs piéces d'orfévrerie à l'ufage des Eglifes, & entr'autres vingt boëtes à mettre les livres des Evangiles, quinze paténes & foixante ca lices. Toutes ces pieces étoient d'or maffif & enrichies de pierreries. Il eut une grande attention à les faire bien tenir & bien garder, & dans la fuite il en fit prefent aux Eglifes de fon Royaume. Nous obferverons ici que Gregoire de Tours obmet de dire qu'Amalaric, avant que de s'enfuir à Barcelonne, avoit, comme on le va voir, perdu une bataille, & que cette bataille s'étoit donnée auprès de Narbonne.

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Voici comment Procope raconte le détail de la guerre dont nous parlons. (b) Amalaric fut la victime du reffentiment » de les beaux-freres. Il étoit Arien, & il maltraitoit la Reine » fa femme qui faifoit profeflion de la Religion Catholique, » & qui ne vouloit point apoftafier, non-feulement en l'empêchant d'exercer le culte de fa Religion, mais encore en » lui faifant bien d'autres outrages. Enfin cette Princeffe pouf» fée à bout, en porta fes plaintes à Theodebert fon frere. Voi» là donc la guerre allumée entre les Francs & les Vifigots. Il » fe donna entr'eux une bataille très-opiniâtrée, qui coûta la » vie à un grand nombre de Vifigots & à leur Roi Amalaric. » Les Francs fe rendirent maîtres dans la fuite de la plus gran» de partie de la portion des Gaules que les Vifigots avoient >> recouvrée. Ceux d'entre ces derniers qui échaperent à l'épée » des Vainqueurs, fe retirerent en Espagne auprès de Theu» dis, qui avoit déja levé l'étendart de la révolte, & ils y em» menerent avec eux leurs femmes & leurs enfans. Voilà com

(a) Tunc Childebertus cum magnis thefauris fororem affumptam fecum adducere cupiebat: Quæ nefcio quo cafu, in via mortua eft, & poftea Parifius adlata, juxta patrem fuum Chlodovecum fepulta eft.

Greg. Tur. Hift. lib. 3. cap. 10.

(b) Poftea Amalaricus offenfo fuæ conjugis fratri, pænas graves perfolvit. Cum enim uxorem recte de Deo fentientem Ariana iple imbutus hærefi, non modo confuetis uti cæremoniis, & in divino cultu inftituta patria vetaret fequi, fed indignis etiam modis acciperet nolentem ad fux Sectæ ri

tus accedere, hæc ferre non valens mulier
Theodeberto fratri rem totam edidit. Hinc
orto Germanos inter & Visigothos bello ac
prælio pertinaciffime inito, victus Amala-
ricus, non fine magna fuorum ftrage, obiit,
& quantacunque Pars Gallia Vifigothis ob-
venerat, eam obtinet. Qui cladi fuperfue-
rant, ex Gallia cum uxoribus liberifque
egreffi, in Hifpaniam ad Theudim jam pa-
lam tyrannum fe receperunt. Ita Gallia
in Gothorum & Germanorum ditionem ve-
nit. Procop. de Bell. Goth. lib. 1. capite deci-

mo tertio.

Ifidor. Hift.

Goth.

»ment les Gaules vinrent au pouvoir des Francs & des Gots.

Il y a deux ou trois obfervations à faire fur cet endroit de Procope. La premiere eft, que fes Copiftes, déja tant de fois repris, ont fait encore ici une lourde faute, en écrivant Theodebert au lieu de Childebert. Procope qui pouvoit être encore en Italie lorfque Theodebert y fit l'expédition dont nous parlerons dans la fuite, a fçu certainement que ce Prince n'étoit pas fils de Clovis, mais fon petit - fils, & par confequent qu'il étoit neveu de Clotilde fille de Clovis, & non pas frere de cette Clotilde. Notre Historien ne pouvoit pas ignorer non plus que ce n'étoit pas Theodebert, qui fept ou huit années avant que de venir en Italie, avoit fait dans l'Espagne citérieure la guerre où Amalaric avoit été tué; mais que c'étoit Childebert oncle de Theodebert & frere de Clotilde. Ainfi l'on ne fçauroit fans injuftice mettre cette faute fur le compte de notre Historien, & l'on doit l'attribuer à fes Copiftes, avec d'autant plus de confiance, qu'il ne faut pas changer beaucoup de lettres pour faire Theodebert de Childebert.

Ma feconde obfervation roulera, fur ce que Procope n'a point cu l'intention de dire que ce fut l'année même de la mort d'Amalaric, que les Francs recouvrerent ce que les Vifigots avoient repris fur eux après la mort de Clovis; mais feulement que ce fut durant le cours de la guerre commencée pour venger les outrages faits à la Reine Clotilde, qu'arriva cet évenement. En effet, ce fut dès l'année cinq cens trente & un, que Childebert fit fa premiere campagne contre les Vifigots, & qu'Amalaric fut tué, comme on le voit par un paffage d'Ifidore que voici: » (a) L'année de Jefus-Chrift cinq cens vingt-fix, & la neuvié» me année de l'Empereur Juftin premier, qui étoit monté » fur le thrône de Conftantinople en cinq cens dix-huit, Theodoric Roi d'Italie y mourut. Après la mort de ce Prince, » Amalaric fon petit-fils regna fur les Vifigots durant cinq ans. Amalaric ayant au bout de ce tems-la perdu une bataille auprès de Narbonne contre les Francs commandés

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par leur » Roi Childebert, il fe fauva honteufement à Barcelonne, où » il fut regardé par fes Sujets comme leur opprobre, & tué par » un foldat de fes propres Troupes qui s'étoient revoltées. Dès prælio fuperatus fuiffet, Barcinonem trepidus fugit, effectufque omnium contemp tibilis ab exercitu jugulatus interiit. Ifid, Hift. Goth. pag. 66.

(4) Aera quingentefima fexagefima quarta, anno Imperatoris Juftini nono, regreffo Italia Theodorico, Amalaricus nepos ejus quinque annis regnavit, qui cum ab Ildeberto Francorum rege apud Narbonam

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qu'Amalaric a été tué la cinquième année de fon regne, il eft clair que ce fut en l'année cinq cens trente- un, ou en cinq cens trente-deux qu'il mourut. Or nous verrons par la fuite de l'Hiftoire, que les Rois Francs faifoient encore la guerre aux Vifigots en cinq cens quarante-deux, & que ce ne fut qu'alors, fuivant les apparences, qu'ils reprirent, ou qu'ils'acheverent de reprendre ce que cette Nation avoit recouvré après la mort de Clovis, & qu'ils la réduifirent à n'avoir plus dans les Gaules que les huit Cités qu'elle défignoit, comme on l'a vû déjà par le nom d'Espagne citérieure. Ce n'aura donc été qu'en cinq cens quarante-deux que les Vifigots, qui avoient été chaffés pour la feconde fois du Rouergue & de quelques autres Cités, fe feront, comme dit Procope, retirés auprès de Theudis, qui regnoit fur l'Espagne citérieure, auffi-bien que fur l'Efpagne ultérieure. En effet, ce Prince qui étoit monté fur le throne en cinq cens trente & un ou l'année suivante,regna jufques à l'année cinq cens quarante-huit ou cinq cens quarante-neuf. (a) D'ailleurs nous voyons par Ifidore de Séville, que Theudis cut à foutenir la guerre contre les Rois des Francs, depuis qu'il fut monté fur le trône. » L'an de Jefus-Chrift cinq cens trente & un ou trente-deux, » dit cet Auteur, & la fixième année du regne de Juftinien, qui » avoit été fait Empereur d'Orient en cinq cens vingt-fept, Theu» dis fut proclamé Roi en Efpagne à la place d'Amalaric. Theu » dis regna dix-fept ans ; & quoiqu'il fut Arien, il traita bien les Catholiques, laiffant aux Evêques de notre Communion la » liberté de tenir un Concile à Toléde, & d'y faire concernant » la difcipline Eccléfiaftique, les Canons qu'ils jugeroient à propos. Sous fon regne les Rois des Francs pafferent les Py» renées à la tête d'une puiffante armée, qui fit beaucoup de » défordre dans l'Espagne Tarragonoife. Les Vifigots fous la >> conduite de Theudifclus, prirent les derrieres de cette armée, » ils fe faifirent des cols par lefquels elle avoit paffé, & ils rem»porterent enfuite fur elle de grands avantages. Mais le Géné»ral s'étant laiffé gagner par argent & par prières, il retira pour

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(a) Aera quingentefima fexagefima nona, anno Imperii Juftiniani fexto poft Amalaricum Theudix in Spania creatus in regnum annis decem & feptem.... Eo regnante, dum Francorum Reges cum infinitis copiis in Spanias conveniffent, & Tarraconenfem Provinciam valde popularent, Gothi, Duce Theudifclo, obicibus Spania

interclufis, Francorum exercitum multa cum admiratione victoria proftraverunt. Dux idem prece atque ingenti pecunia fibi objecta vicem fugæ hoftibus refiduis unius diei noctifque fpatio præbuit. Cætera infe-licium turba, cui tranfitus collati temporis non occurrit, Gothorum perempta gladio concidit. Ibidem.

vingt-quatre heures les troupes qui gardoient les cols, & il » donna ce tems-là aux ennemis pour le fauver. Cependant il y >> eut plufieurs d'entr'eux qui ne purent point profiter de la complaifance de Theudifclus, & qui furent paffés au fil de l'épée >> par les Vifigots.

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Ainfi l'on voit bien que le feul reproche qu'on puisse faire ici à Procope, c'eft de s'être énoncé de maniere que fon Lecteur pût penfer que tout ce qu'il dit du fuccès des Francs contre les Vifigots, & de la retraite de ces derniers auprès de Theudis, fut arrivé en une seule année, c'est-à-dire, en cinq cens trente & un. Je ne ferai point d'excufe de cette digreffion, bien qu'elle paroiffe un peu étrangere à l'Hiftoire de la conquête de la Turinge, & qu'elle roule fur une matiere à laquelle je femblois avoir promis de ne plus toucher, je veux dire, fur la queftion : Quels étoient les pays que les Viligors reprirent fur les Francs immédiatement après la mort de Clovis, & dans quel tems les Francs reconquirent ce pays-là. Mais Gregoire de Tours en racontant l'expedition de Childebert dans les Espagnes comme un évenement auquel la feconde guerre de Turinge avoit en quelque façon donné lieu, m'engageoit fi naturellement à faire ma digreffion, que je ne pouvois m'en difpenfer, d'autant plus encore qu'elle concilie la narration de Procope avec differens endroits de l'Hiftoire de Gregoire de Tours. En effet, il réfulte de tout ce que j'ai ramaffé dans l'Hiftorien Grec, que quelques années après la mort de Théodoric Roi des Oftrogots arrivée en cinq cens vingt-fix, Thierri fe ligua avec Clotaire, pour venger l'injure qu'Hermanfroy avoit faite à l'aîné de ces deux freres : que vers l'année cinq cens trente ils conquirent la Turinge, & que Childebert ayant crû mal-à-propos que Thierri étoit mort dans fon expédition, il voulut fe rendre maître de l'Auvergne; mais qu'ayant fçû que ce Prince étoit vivant, il évacua l'Auvergne pour marcher contre Amalaric, qui fut tué en cinq cens trente & un, & qu'après fa mort, la guerre qui s'étoit allumée, ou la derniere, ou la pénultiéme année de fon regne, entre les Francs & les Vifigots, donna lieu aux Francs de conquerir pour la feconde fois ce que les Vifigots avoient repris fur les Francs immédiatement après la mort de Clovis. Or il n'y a rien dans notre expofé, très-conforme au récit de Procope, qui ne s'allie très-bien avec ce que Gregoire de Tours dit dans le troifiéme Livre de fon Hiftoire, & dans les Livres fuivans, concernant les guerres que les Francs eurent contre les Vifigots depuis la

mort

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