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» en Italie. Plufieurs effains des Gots qui n'étoient pas fujets de » Théodoric, fe joignirent à lui. Leur départ fut une véritable tranfmigration, car ils emmenerent avec eux fur un grand » nombre de chariots, leurs femmes, leurs enfans, & tous les » meubles qu'ils purent emporter.

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Suivant la narration de Procope, c'eft donc l'Empereur Zcnon, qui pour fe débaraffer de Théodoric, qui lui faifoit actuellement la guerre, propofe à ce Roi d'aller conquerir au prix de fon fang l'Empire d'Occident fur Odoacer qui en étoit actuellement le maître. Zenon ne donne aucun fecours à Théodoric, & il lui tranfporte feulement les droits que l'Empire pouvoit conferver fur des Provinces déja perdues. Ainfi le Roi des Oftrogots & fes fucceffeurs n'avoient point tant de tort de prétendre, qu'ils duffent être en Italie des Princes auffi fouverains que l'avoient été Anthémius, & ceux de fes fucceffeurs nommés & établis Empereurs d'Occident par les Empereurs d'Orient. C'eft auffi ce que dirent dans la fuite les Ostrogots, lorfque Juftinien qui leur avoit déclaré la guerre en cinq cens trente-cinq, les vouloit traiter d'ufurpateurs. Voici le difcours que fit un d'entr'eux dans une des conférences qui fe tinrent pour la terminer par un Traité.

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» Zenon voulant punir l'injure faite à fon Collégue (a) Auguftule par Odoacer & délivrer l'Italie du joug de ce Tyran, » & ne pouvant point en venir à bout autrement, il engagea le » Roi Théodoric, qui étoit prêt de l'affiéger dans Conftantinople, à traiter avec lui. Cet Empereur fçut faire fi bien valoir l'amitié, qui avoit été auparavant entre lui & notre Roi, qu'il - » avoit dans les tems précedens, fait Patrice & même Conful, qu'il vint à bout de l'amener au point, non feulement de faire » la paix, mais de fe charger encore d'aller venger les outrages » faits à l'infortuné Augustule, à condition néanmoins que les Oftrogots jouiroient des Provinces, dont ils auroient chaffé

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» Odoacer, comme d'un bien légitimement acquis. Voilà le pa»ête en vertu duquel nous nous fommes rendus les maîtres de (4) Tunc temporis cum Zeno Orientis | fet, quippe adfcriptus Patriciis & factus RoImperator in animo haberet ei qui confors principatus fuerat à Tyranno factam injuriam ulcifci, atque has oras in libertatem reftituere, cumque Odoacri potentiam evertere non poffet, Theodorico Principi noftro paranti ipfum ac Bizantium obfidere, perfuafit ut in gratiam fecum rediret, honorum memor quos ab ipfo confecutus jam el

manorum Conful fuerat, Auguftulo illatam injuriam ultum iret, ac Provincias ipfe & Gothi deinceps jure optimo poffiderent Hoc igitur pacto Italiæ regnum adepti Leges ac regiminis formam haud minori ftudio quam quivis Imperatorum vererum confervavimus.

Proc. de bell. Goth. lib.3. cap. 6.

» l'Italie, où nos Princes ont maintenu & les Loix & l'ancienne » forme de gouvernement, auffi-bien qu'aucun des Empereurs qui ont regné dans ces pays-là avant eux, les ayent mainte

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(4) Durant le cours de la guerre de Juftinien contre les Ostrogots, ils dirent encore, fuivant Agathias, à l'un des Rois Francs. fucceffeurs de Clovis, & qu'ils vouloient perfuader au monde fur la juftice de leur caufe, afin d'obtenir plus aifément du fecours : "Théodoric n'a point ufurpé l'Italie; il s'en eft rendu maître » par une conquête faite dans une guerre juste, & entreprise de » l'aveu de Zenon, qui pour lors étoit feul Empereur des Ro» mains. L'Italie étoit déja perdue pour eux, quand notre Roi l'a occupée. C'eft fur Odoacer qu'elle a été conquife par "doric, qui en vertu du droit que la victoire donne, devint lé»gitime Seigneur des Etats que poffédoit l'ennemi qu'il défit, » en plufieurs rencontres, & qu'enfin, il fit mourir.

Théo

Les raifonnemens que Procope & qu'Agathias font faire aux Oftrogots fans les réfuter, portent à croire que veritablementZénon,, qui craignoit d'être affiegé dans Conftantinople par Théodoric, avoit cedé à ce Roi Barbare pour s'en débaraffer, l'Empire d'Occident; c'est-à-dire, le droit de le conquerir. Les Souverains ne font point auffi difficiles, lorfqu'il s'agit de la ceffion de pareils droits, .que s'il étoit question de délaiffer la plus petite des Provinces dont ils font en pleine poffeffion. Mais dès que Théodoric eût fait valoir les droits qu'on lui avoit tranfportés, dès qu'il eût conquis l'Italie, Anastase succeffeur de Zénon réclama en quelque forte, comme nous le verrons, contre la convention faite par fon prédeceffeur, & dans la fuite Juftinien un des fuccef. feurs d'Anaftafe, fit encore davantage. Il entreprit la guerre contre les Ostrogots d'Italie, & après les avoir vaincus, il les traita d'ufurpateurs.

On voit dans ce qui fe paffa entre Zénon & les Oftrogots,, une image fenfible de ce qui s'eft paffé entre les Empereurs d'Occident & les Nations Barbares établies dans les Gaules. Ces Princes perdirent à la fin entierement cette grande Province, à force de ceder à diverses reprises aux Barbares une contrée conferver les autres..

(a) Theodoricus non vi captam, fed Zenonis antea ipforum Regis permiffu fibi adjunxerat Italiam, nihil Romanis eripiens, jam enim ea privati erant: Quin potius cx

pour

fo Odoacro, omnia quæ ejus erant belli ju
re occupavit.

Agathias de Rebus Juftin. lib. primo.

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que ܝ

Ce fut l'année (4) quatre cens quatre-vingt-neuf Théodoric fe mit en marche pour fon expédition d'Italie. Odoacer voulut lui difputer le paffage de la riviere d'Ifonzo, mais il fut bartu, & Théodoric pénétra dans le pays; néanmoins Odoacer ne fe tint pas défait, & après avoir raffemblé fes troupes, il fe campa près de Véronne pour empêcher fon ennemi de s'a vancer davantage. On en vint donc aux mains pour la feconde fois, & le fort des armes fut encore favorable à Théodoric.

L'année fuivante, il fe donna une troifiéme bataille auprès de l'Adda. Les troupes de chaque Parti étoient aguerries, & les mauvais fuccès précedens n'avoient point découragé celles d'Odoacer. (b) Cependant il y fut encore défait, & réduit à s'enfermer dans la Ville de Ravenne, devant laquelle fon ennemi vint camper.

Le fort des armes. continua d'être favorable à Théodoric. L'année quatre cens quatre-vingt- onze, Odoacer étant forti de Ravenne la nuit avec un corps de troupes, apparemment dans le deffein de rallier quelqu'un des fiens, & de tenir la campagne, Théodoric le fuivit, l'atteignit (c) à trois milles de cette Ville, & là il le défit pour la quatrième fois. Ce fut la même année que Zénon Empereur des Romains d'Orient mourut, & qu'Anaftafe dont il fera parlé plus d'une fois dans cette Hiftoire, lui fucceda.

Il fe conclut l'année (d) fuivante une espece d'accord entre Odoacer & Théodoric, mais leur réconciliation ne dura pas long-tems. Un an après, c'est-à-dire, en quatre cens quatrevingt-treize, (e) Théodoric entra dans Ravenne, où il avoit

(a) Probinus & Eufebius. 'His Confulibus feliciffimus atque fortiffimus Dominus nofter Theodoricus intravit Italiam, cui Odoacer ad Ifontium pugnam parans, vi&tus cum tota Gente fugatus eft. Eodem anno repetito conflictu Veronæ fugatus eft Odoacer..

Caff. Faft. ad ann. 489.

Probino & Eufebio. His Confulibus ingreffus eft Theodoricus Rex in Italiam Ponte Ifontii.

Mar. Aven. Chr. ad ann. 489.

(b) Fauftus junior Conful. Hoc Confule ad Ducam Fluvium, Odoacrem Dominus nofter Theodoricus Rex tertio certamine fuperavit, qui Ravennam fugiens obfidetur inclufus.

Caffiodorum legitur ad Ducam Fluvium.

Valef. Rer. Franc. tom. pr. pag. 244. (c) Olybrius V. C. Conful. Hoc Confule Odoacer cum Erulis egreffus Ravenna nocturnis horis, ad Pontem candidum à Domino noftro Rege Theodorico memorabili certamine fuperatur..... .. Eodem anno Zeno occubuit Conftantinopoli, cui A nastafius in Orientali fucceffit Imperio.

Caffiod. Faft. ad ann. 491.

(d) Quod dum nihil proficeret miffa legatione Odoacer pacem fupplicat. Cui &. primum concedens Theodoricus, poftmo dum hac luce privavit.

Jornandes de rebus Get. cap. 57.

(e) Albinus V. C. Conful. Hoc Confule Dominus nofter Theodoricus Rex Raven. nam ingreffus, Odoacrem molientem fibi Ad Aduam Fluvium non ut mendofe apud infidias interemit. Faft. Caff, ad anm 4935

Caffiod. Faft. ad ann. 490.

été convenú que fon rival se tiendroit. Le Roi des Oftrogots y fit querelle de nouveau à Odoacer, qu'ilaccufa, foit à tort, foit avec raifon,d'avoir tramé une confpiration contre lui, & ille fit mourir.

Cette mort dut faire pofer les armes à tous les Barbares du Parti d'Odoacer. Aufli ne voit-on pas que Théodoric ait trouvé dans la fuite aucune oppofition, de leur part, à l'établissement de fon autorité. Nous verrons que celles qu'il effuya, vinrent d'ailleurs. Il y avoit déja trois ans, dit Jornandès, que Théodoric fe trouvoit en Italie, où il étoit entré en vertu d'un décret de l'Empereur Zénon (4), lorfqu'il vint à bout de fe défaire enfin d'Odoacer. Auffi-tôt après la mort de ce Prince, ajoûte notre Historien, Théodoric quitta le vêtement qu'il portoit comme Patrice, & il reprit avec l'habit ordinaire de fa Nation, les marques de la Royauté, comme pour donner à entendre qu'il vouloit regner fur les Romains, ainfi qu'il regnoit fur les Of trogots, c'est-à-dire, gouverner les Romains en qualité de Roi. On verra dans la fuite de cet Ouvrage plus en détail quelle fut la conduite de Théodoric, ainsi que fa broüillerie, & fon racommodement avec l'Empereur d'Orient. Ici nous nous contenterons de faire quelques réflexions fur l'effet que la nouvelle de la ceffion faite par l'Empereur Zénon au Roi des Oftrogots, & celle des heureux fuccès de ce dernier, durent produire dans les Gaules.

Cette ceffion y aura découragé la plupart de ceux qui fe flattoient encore de voir le Partage d'Occident rétabli dans fon ancienne fplendeur, & gouverné par un Empereur Romain de Nation. Ils auront renoncé à cette efperance, jufques-là leur unique confolation, quand ils auront vû l'Empereur d'Orient renoncer lui-même en faveur d'un Peuple Barbare aux droits qu'il avoit encore fur le Partage d'Occident. Les progrès de Théodoric, & la fin heureufe de fon entreprise auront fait faire de nouvelles réflexions à ceux des Romains des Gaules qui étoient encore libres. Le Roi des Oftrogots, fe feront-ils dit, & le Roi des Vifigots font de la même Nation, & de la même Secte. Dès que Théodoric fera paifible poffeffeur de l'Italie, il aidera fans doute Alaric à faire valoir les droits de

Albino & Eufebio. His Confulibus occifus eft Odoacer à Rege Theodorico in Lau

reto.

Mar. Aven. Ch. ad ann. 493.

(a) Tertioque, ut diximus, anno ingreffus in Italiam Zenonis Imperatoris conful

to, privatum habitum fuæque Gentis veftitum reponens, infigne regii amicus quafi jam Gothorum, Romanorumque regnator, adfumit.

Jornandes de rebus Get. cap. 57.

l'Empire fur les Gaules, lefquels ont été déja délaiffés aux Vifigots par Odoacer, & dont lui-même il confirmera encore la ceffion en qualité de Souverain de Rome. Par où finira l'anarchic dans laquelle vivent les Peuples de la Gaule, il y a déja près de feize ans par devenir les Sujets des Vifigots, qui s'approprieront une partie de nos terres: ils feront dans notre pays ce qu'ils ont fait dans les Provinces où ils font déja les maîtres? Quelle eft d'ailleurs, fe feront dit encore les Romains des Gaules, la Religion des Oftrogots & des Vifigots ? Celle d'Arius. Dès que les uns & les autres ils fe verront poffeffeurs tranquilles du Partage d'Occident, ils voudront que leur Communion y devienne la Religion dominante, & ils mettront leurs Prêtres en poffeffion des Temples & des biens de l'Eglife Catholique. Alaric fils d'Euric le perfécuteur, imitera fon pere? Que faire dans cette extrémité dont nous ne fçaurions fortir fans l'aide de quelqu'une des Nations Barbares établies dans notre Patrie ? Aurons-nous recours aux Bourguignons, ils font Ariens, & ils ont pris dans les Provinces où ils font les maîtres, la moitié des terres des Romains. Il faut donc faire notre Protecteur, notre Ange Tutelaire du jeune Roi des Saliens. Ce n'eft point un Barbare venu des extrémités du Septentrion. (a) Il est d'une Nation polie, qui depuis plus de deux cens ans fraternife avec nous, & qui ne differe réellement des Romains par les habits & par fa langue naturelle. Le pere de Clovis & fon grand-pere ont fervi l'Empire. Véritablement il n'est pas bien puiffant par lui-même, mais la Tribu fur laquelle il regne, eft compofée des plus braves foldats qui foient dans les Gaules, & il a beaucoup de crédit fur toutes les autres Tribus de fa Nation, parce qu'il eft auffi jufte & auffi fage qu'il eft vaillant. Si Clovis eft encore Payen, du moins, comme on l'a vû en plufieurs occafions, il n'eft point ennemi de la Religion Chrétienne, & il a toujours montré beaucoup de refpect pour les Miniftres de cette Religion. D'ailleurs pourquoi défefpérer de venir à bout de défabufer un Prince qui naturellement a beaucoup d'efprit, des folles erreurs d'une Religion que les lumicres feules de la raifon doivent faire trouver fi groffiere: Traitons avec Clovis; promettons-lui de nous foumettre à lui, &

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bani, nihiloque à nobis differunt, quam folum modo Barbarico veftitu & linguæ proprietate.

Agathias de rebus Juft. lib. pr.

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