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coin, c'est-à-dire, avec leur nom & leur tête. Ils auront laiffé les Monétaires des Villes où leur autorité étoit reconnue, en liberté de fabriquer les efpeces d'or au coin de l'Empereur regnant qui étoit toujours réputé le Seigneur fuprême du territoire où ils s'étoient établis. Voilà pourquoi toutes les médailles d'or qu'on trouva en grand nombre dans le cercueil de Childeric lorfqu'il fut découvert à Tournai au milieu du dernier fiecle, font des monnoyes frappées au coin des Empereurs Romains. Si Childeric eut fait fabriquer des efpeces d'or avec fon nom & son cffigie, on auroit plûtôt enterré avec lui de ces efpeces-là, que des monnoyes fur lesquelles il n'y avoit rien qui pût servir à perpétuer fa mémoire.

Pourquoi les Rois Barbares s'abftenoient-ils de faire battre dans les Pays où ils étoient les maîtres, des monnoyes d'or à leur coin? Procope nous le dit. Les Barbares cux-mêmes les euffent rebutées, parce qu'ils auroient douté de la bonté de femblables efpeces. A plus forte raifon, les Romains qui habitoient avec eux, auroient-ils refufé de recevoir ces monnoyes. Comment venir à bout de la repugnance que les uns & les autres ils auroient eue à les prendre pour bonnes? Les remedes propres j la vaincre n'étoient gueres connus de nos premiers Francs peu inftruits dans cette partie du gouvernement civil qu'on appelle la Police des Marchés. Ainfi les premiers Rois Francs élevés dans une forte de vénération pour le nom Romain, auront mieux aimé tolerer que les monnoyes des Villes, où ils étoient les maîtres, & dont les Officiers étoient probablement Romains, continuaffent à frapper au coin des Empereurs les efpeces d'or qu'ils fabriquoient, que de fe jetter dans un embarras dont ils n'étoient pas affurés de fortir à leur honneur.

Monfieur le Blanc croit que Procope a tort quand il écrit les autres Rois Barbares, & même celui des Perfes n'ofoient faire frapper de la Monnoye d'or à leur coin.

que

دو

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Quelque peu vraisemblable, dit cet Auteur dans fon Traité » hiftorique des Monnoyes de France, que foit ce que Procope » dit du Roi de Perfe, dont la puiffance étoit fi redoutable aux Empereurs d'Orient, que Juftinien même fut obligé de lui » demander la paix, & de lui payer un tribut annuel, les Sça» vans n'ont pas laiffé de croire cet Hiftorien fur la parole..... fa » Pour moi l'avantage que Procope donne à nos Rois au deffus » de celui des Perfes, qui en écrivant aux Empereurs Romains, prenoit le titre de Grand Roi & de Roi des Rois, ne fçauroit

Tome II.

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Pag. 31.

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m'empêcher d'être d'un fentiment contraire, & d'affurer que » ce qu'il dit, eft un effet de la vanité Grecque, & qu'il a vou» lu dans cet endroit flatter les Empereurs aux dépens de la » verité. Il n'en faut pas aller chercher des preuves plus loin » que dans le Cabinet de Sa Majesté, où il y a vingt-quatre » fols d'or très-fins & très - confervés, qui portent le nom & l'image de plufieurs Rois Vifigots qui ont regné en Espagne.

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Il ne me paroît point difficile de juftifier la fincerité de Procope contre les reproches fondés fur les deux faits allegués par P'Auteur moderne qui vient d'être cité. Quant au premier, je dirai que l'Historien Grec n'entend point parler du Roi qui regnoit fur la Monarchie des Perfes, du Prince qui s'intituloit le Roi des Rois ou le Grand Roi, mais bien du Chef de quelque Peuplade de Sujets de la Monarchie des Perfes fortis de leur Pays par differens motifs, & qui s'étoient enfuite établis dans un certain Canton du territoire de l'Empire d'Orient, où ils vivoient fur le même pied que les Barbares Hôtes de l'Empire d'Occident vivoient fur le territoire de cet Empire avant fon renversement arrivé fous Auguftule. Qu'il n'y eut plufieurs Peuplades de Sujets du Roi des Perfes, qui fuffent alors établies fur le territoire de L'Empire d'Orient, c'eft de quoi il n'eft pas permis de douter. On voit en lifant le panegyrique de Maximilien Hercule, que dans les Pays fitués au-delà de l'Euphrate (4) & qui après avoir été long-tems une partie du Royaume des Perfes fe donnerent volontairement à l'Empereur Diocletien, il étoit demeuré un nombre de Perfes qui avoient reconnu volontairement fon pouvoir, à condition qu'on les laiffât vivre fous le gouvernement de Chefs de leur Nation, qui, conformément à l'ufage de ces tems-là, avoient pris le titre de Roi. C'est ce qu'il me paroît que fignifie Regna Perfarum dans le paffage que je rapporte. Prif cus (b) Rhétor Auteur du cinquiéme fiecle dit, que de fon tems, l'Empereur Léon reçut des Ambaffadeurs que le Roi des Perfes lui envoyoit pour se plaindre que fes Sujets, qui fe réfugioient fur le territoire de l'Empire d'Orient, y fuffent reçus,

(a) Credo itidem opimam illam ferti- quæ multos è Perfide ad Romanos Eoos lemque Syriam amplexu fuo tegebat Euphra- confugere querebatur & Magos atque alios tes, antequam Diocletiano fponte fe dede-qui jam inde à prifcis temporibus Romanorent regua Perfarum. rum finium funt incolæ, à patriis moribus, legibus & inftitutis & antiquo religionis cultu abduci.

Mam. in Paneg. Maxi. Herc. Ed. Cella-
pag. 13.

rii,
(b) Venit & legatio à Perfarum Rege

Prifc. Rh. in excer. Leg. Canto. Edit. p. 70.

& que
les Romains lui débauchaffent même tous les jours ceux
qui habitoient fur la frontiere de fes Etats. Il paroît en lifant une
des lettres de Sigifmond Roi des Bourguignons à l'Empereur
Anaftafe, que
le Chef ou le Roi particulier de la Nation des
Parthes, qui pour lors (a) étoit un des Peuples foumis à la Mo-
narchie des Perfes, traitoit actuellement pour fe retirer à cer-
taines conditions fur le territoire de l'Empire d'Orient.

Il fe peut
faire encore que ce Roi des Perfes, dont parle Pro-
cope, fut un des defcendans d'Hormifdas frere aîné de Sapor le
Roi des Perfes, contre qui l'Empereur Julien fit la guerre où il fut
tué. Cet Hormifdas qui s'étoit établi dans l'Empire, laiffa certai-
nement un fils qui s'appelloit Hormifdas comme lui, & de qui
Ammien Marcellin & Zofime parlent dans leurs Hiftoires.

Am. Mar. lib

Zol. Lib. 4.

P. 209.

Ce qui acheve de prouver que Juftinien avoit des Perfes, quels 26. qu'ils fuffent, au nombre de fes Sujets, c'eft qu'il employa un grand nombre de Soldats & d'Officiers de cette Nation dans la guerre contre les Oftrogots. Procope parle en plufieurs endroits des Perfes qui portoient les armes pour le fervice de ce Prince en Italie. Il dit dans un de ces endroits: (b) » Cabadés fils de Zamis & petit - fils de Cabadés Roi de Perfe, s'étoit réfugié depuis long-tems fur le territoire de l'Empire, pour éviter les embuches de fon oncle Chofroés, & il commandoit un corps compofé de Perfes transfuges. Comme on appelloit en Occident Roi des Francs abfolument un des Rois qui regnoit fur les Francs, comme on y appelloit abfolument Roi des Bourguignons un des Rois qui regnoient fur les Bourguignons, on aura de même appellé dans l'Orient Roi des Perfes tous les Rois qui regnoient fur les Perfes. Ainfi l'on aura nommé abusivement fi l'on veut, Rois des Perfes, les Chefs des Peuplades de Perfes établies fur le territoire de ce Partage. C'eft de ces Chefs que Procope aura dit, qu'ils ne pouvoient point faire battre de la monnoye d'or à leur coin.

Quant aux Rois des Vifigots, les vingt-quatre monnoyes d'or de ces Princes, lefquelles M. le Blanc cite, & dont même il donne l'eftampe, ne prouvent en aucune façon que les Rois Vifigots ayent fait fabriquer des monnoyes d'or à leur coin, dans les tems où de leur aveu, ils n'étoient encore que les Hôtes de l'Empire d'Occident, & que par conféquent Procope ait tort

(a) Parthicus ductor propter pacis commodum in Romanum Imperium gaudeat tranfire. Aviti Ep. 83.

(b) Perfas multos transfugas ducebat Cabades Zamis filius & Cabadis Perfarum Re

gis nepos, qui ut in libris fuperioribus ret-
tuli, exitium fibi à Chofroe patruo decretum
effugerat. Chanarangis opera, feque ad Ro-
manos multo ante receperat.

Procop. de Bello Goth. lib. 4. cap, 26.

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d'avancer ce qu'il avance. La plus ancienne de ces vingt-quatre médailles d'or eft du Roi de Liuva, qui commença fon regne en cinq cens foixante & fept, & quand il y avoit déja près d'un fiecle que les Vifigots poffedoient en toute fouveraineté la portion du territoire de l'Empire dont ils s'étoient rendus les maîtres. M. le Blanc pouvoit alleguer quelque chofe de plus plaufible contre Procope. C'auroit été de dire que long-tems avant que les Rois Francs fiffent fabriquer des efpeces d'or avec leur nom & leur effigie, Alaric fecond Roi des Vifigots qui monta fur le Trône en quatre cens quatre-vingt-quatre, & qui fut tué à la bataille de Vouglé en cinq cens fept, avoit fait battre des efpeces d'or d'un titre plus bas que le titre en ufage dans l'Empire, & qui devoient être marquées à fon coin, puifque les Auteurs du tems les défignent par l'appellation d'efpeces Gothiques ou de fols d'or Alaricains. On peut voir dans l'endroit de notre Ouvrage où il eft parlé des motifs qu'eut le Roi Clovis de faire la guerre contre Alaric, ce que difent concernant ces efpeces, les Lettres d'Avitus & la Loi Nationnale des Bourguignons. Mais cela ne prouveroit rien contre Procope, qui n'a entendu parler que des Rois Barbares établis dans un territoire dont les Empereurs étoient encore reconnus Souverains par les Barbares mêmes qui s'y étoient cantonnés. Or nous avons vû que dès l'année quatre cens foixante & quinze Julius Népos avoit cédé les Gaules à Euric le pere & le prédeceffeur d'Alaric. Après cette ceffion quelle qu'en fut la validité, les Rois des Vifigots fe feront regardés comme pleinement Souverains des Gaules, & ils y auront dès-lors fait frapper des efpeces d'or à leur coin, comme le pratiquerent les Rois Francs après leur fecond traité avec Justinien. Alaric fecond, comme on l'a vû, ne s'érigea-t'il point en Légiflateur, je ne dis pas des Vifigots, mais des Romains habitans dans fon territoire? On peut dire la même chofe des especes d'or frappées au coin des Rois Oftrogots qui prétendoient avoir la pleine Souveraineté de l'Italie.

Procope n'eft pas le feul Hiftorien du fixiéme fiecle qui parle de la cellion de Marfeille, qui fut faite aux premiers fucceffeurs. de Clovis par Vitigès. Il eft encore fait mention de cette ceffion dans l'Hiftoire d'Agathias. Je vais rapporter l'endroit de fon Ouvrage où il en eft parlé. D'ailleurs il fe trouve encore très-propre à donner une idée du caractere géneral des Francs & de ce qu'ils étoient durant le fixiéme fiecle, & par conféquent à difpofer le Lecteur à croire plus aifément ce que nous allons expofer con

cernant l'Etat & le Gouvernement des Gaules fous Clovis &

fous fes premiers fucceffeurs.

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pr.

(a) »Les Francs, dont le territoire confine avec l'Italie,, Agath. de re» étoient autrefois connus fous le nom de Germains, & ce n'eft bus Juft. lib. » que depuis quelques années qu'ils fe font rendus maîtres de prefque toutes les Gaules. Ils font même préfentement en pof» feffion de la Ville de Marseille bâtie par les Ioniens. Cette » Colonie Grecque qui s'eft long-tems gouvernée fuivant les » coutumes & les ufages de fes Fondateurs, obéit donc aujour "d'hui à des Princes Barbares, fans qu'on puiffe dire néanmoins » que fes Citoyens foient devenus pour cela de pire condition. » En effet les Francs ne reffemblent point aux autres Barbares qui ne veulent habiter que les campagnes, & qui ont en hor>> reur le féjour des Villes. Au contraire les Francs qui font tous Catholiques, pratiquent non-feulement le culte de la Religion en la même maniere que les Romains, non-feulement » ils ont des Loix & des ufages femblables aux nôtres concer»nant les ventes, les achats, & la maniere de rendre la Justice; » mais il y a encore plufieurs d'entr'eux qui exercent dans les » Villes les Charges Municipales, & qui fe font engagés dans » l'état Eccléfiaftique. Les Francs chomment auffi les Fêtes com» me nous. Enfin pour des Barbares, ils font très-foumis aux loix, très-polis, & ils ne different guéres des Romains, que par » la Langue qu'ils parlent, & par l'habillement qu'ils portent.

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Il feroit fuperflu de faire ici un long raifonnement pour montrer que l'Oftrogot dans fa ceffion validée par Juftinien, & dont il s'agit ici, délaiffa aux Francs non-feulement la Province qu'il tenoit encore dans les Gaules, & qui ne faifoit pas la dixième partie de cette vafte contrée, mais auffi fes droits & prétentions fur toutes les Gaules. Si la ceffion faite par l'Oftrogot eut été auffi peu confiderable, Procope n'eut point dit comme il l'a dit : Que l'Oftrogot avoit cedé les Gaules entieres qui étoient de fa dépendance. Il auroit écrit fimplement: Que l'Oftrogot avoit cedé les Gaules, ou la partie des Gaules qu'il poffedoit. L'Oftrogot remit donc aux Francs les Pays qu'il tenoit actuellement, & il leur tranfporta fes droits, fur ce qu'il ne tenoit pas.

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