Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VIII.

De l'exécution du fecond Traité de Justinien avec les Rois des Francs.

T

[ocr errors]
[ocr errors]

dis

Ous les Romains des Cités des Gaules remifes par les Oftrogots aux Francs, dûrent paffer volontiers fous la domination de ces derniers qui étoient Catholiques, (a) & des Hôtes très-commodes, au rapport de Salvien & d'Agathias. » Tanque Saint Céfaire, difent les Auteurs de fa Vie, faifoit paître avec follicitude la partie du troupeau de Jefus-Chrift, » confiée à fes foins, fon Diocèfe eut la confolation de paffer >> fous la domination d'un Souverain Catholique, fous celle du » très - glorieux Roi Childebert. Ce ne fut pas néanmoins Cé» faire qui livra le Pays à un Maître orthodoxe, comme les » Ariens l'avoient accufé tant de fois de l'avoir voulu livrer. De » ce jour-là notre Saint Evêque n'eut plus rien à craindre de »ces Hérétiques, & il lui fut permis de fe rire de leurs menaces. Il semble néanmoins que parmi les Romains de ces Cités il ait eu qui par des motifs particuliers ne virent point avec joie les Francs maîtres des Pays que l'Oftrogot leur avoit remis, & ce qui devoit les mortifier encore plus, que l'Empire eut cédé à nos Rois le Domaine fuprême des Gaules. Nous avons encore une Lettre d'Aurelianus l'un des Succeffeurs de Céfaire, & qui fut élû Evêque d'Arles vers cinq cens quarante-cinq, laquelle eft écrite à Théodebert pour le reconnoître. Dans cette Lettre Aurelianus s'excufe de n'avoir point rempli ce devoir auffi-tôt qu'il l'auroit fallu, & il y donne quelque lieu de penfer qu'il avoit héfité lorsqu'il s'étoit agi de prêter fon ferment de fidélité. (b) Quoique ce ne foit point fans une crainte bien fondée, dit » ce Prélat, que je m'acquitte de mon devoir en vous adressant

[ocr errors]

(a) Dum ergo his velut ex officio, facrum implet officium...... adeft Dei nutu, non tradente ipfo ut criminabantur Ariani, gloriofiffimi Childeberti Catholicum in Chrifti nomine regnum...... De hoc ergo homo Dei refectus & lætus defpexit Ariomanidarum minas. Vita Cafarii, lib. fecundo in Surio ad d. 27. Augufti.

y en

(b) Domino inclito & ubique gloriofiffimo atque in Chrifto piiffimo Domino & filio Theodeberto Regi. Aurelianus Epifcopus. Licet tam fera Scriptorum officia juftiffima trepidatio comitetur...... Novis namque nunc ftudiis in obfequia religiofiffimi Principis in formamus, &c.

Greg. Tur. Ruinartii, pag. 1335.

[ocr errors]

» cette lettre, j'ai néanmoins la confiance, & je ne l'ai pas » fans fujet, que fi vous daignez avoir égard à la droiture de » mes intentions, vous ne vous tiendrez point offensé ni par » mon filence paffé, ni parce que je prends le parti de vous écrire. » Quand tout le monde étoit fi empreffé àfaire la cour à Votre » Hauteffe, elle n'a point dû foupçonner perfonne d'indifferen»ce, & je ne dois pas craindre d'être rebuté pour être venu un » peu tard. Le dégré d'élevation où vous êtes monté, rend votre perfonne précieufe même aux hommes de la condition la plus abjecte. Elle eft devenue le premier objet de la véneration » de ceux-là même de fes Sujets qui ne la connoiffent pas » bien encore. Nous nous préparons donc avec ardeur à obéir >> aux ordres d'un Prince débonnaire, & nous lui rendons nos » devoirs avec une parfaite foumission. Recevez auffi avec bonté » les premiers hommages de vos Sujets, & renvoyez - les fatif» faits de votre clémence. » Le refte de la lettre, où l'on ne trouve point certainement la clarté des Ecrivains du fiecle d'Augufte, eft rempli, ou des mêmes sentimens rendus avec d'autres tours ou des enfeignemens qu'un Evêque d'Arles fe croyoit en droit de donner, écrits dans le ftyle du fixiéme fiécle.

par

En conféquence du traité dont nous venons de parler, Juftinien s'abftint de nommer des Préfets du Prétoire des Gaules, quoiqu'il fe conduisît en Italie, comme étant aux droits des Empereurs d'Occident. Le Pere la Carri croit que Martias qui commandoit les (4) troupes dans la Province des Gaules tenuë les Oftrogots, dans le tems qu'ils la remirent aux Francs en cinq cens trente-fept, ait été le dernier de ces Préfets. Mais fuivant mon fentiment, cet Auteur fe trompe, & Martias lui-même, n'a point été Préfet du Prétoire des Gaules. Aucun Auteur ne lui donne cette qualité : d'ailleurs Théodoric Roi des Oftrogots & fes fucceffeurs gouvernoient les Provinces de l'Empire lefquelles ils occupoient ainfi que les derniers Empereurs les avoient gouvernées, c'est-à-dire, fuivant la forme d'administration introduite par l'Empereur Conftantin le Grand, Ainfi Martias qui, felon Procope exerçoit le pouvoir militaire dans cette Province, ne devoit point y exercer en même tems le pouvoir civil, & par conféquent y être Préfet du Prétoire. Enfin, fuivant Procope,

(a) Martias ultimus Præfectus anno quin- | gentefimo trigefimo fexto. Notitiam hujus Præfecti Prætorio Galliarum omnium ultimi, acceptam referimus Procopio referenti

Martiam adminiftraffe Gallias cum reliquæ à Vitige Rege in Italia Gotho, Francis traditæ funt anno 536.

La Cari Hift. Gall. fub Praf. Pra. pag. 186.'

les Oftrogots fe vantoient qu'aucune perfonne de leur Nation n'étoit entrée dans les emplois civils, & qu'ils les avoient laiffés tous aux Romains. Nous avons rapporté le paffage où Procope le dit, quand nous avons parlé de la maniere dont Théodoric le Grand s'étoit conduit en Italie, après qu'il s'en fut rendu le maître, (a) & le même Hiftorien écrit que notre Martias étoit Oftrogot de naiffance. Ainfi le Romain qui exerçoit la Préfecture des Gaules dans le tems que Martias commandoit les troupes en-deçà des Alpes par rapport à la Ville d'Arles, aura été le dernier Préfet des Gaules.

Le fecond traité que les Rois Francs avoient fait avec Juftinien ne fut point plus durable que le premier. Qui viola ce fecond traité? Fut-ce le Franc? Fut-ce le Romain d'Orient? Comment le dire? Comment ofer le décider, quand nous ne pouvons entendre qu'une des Parties, & quand nous ne fommes informés du détail de ce qui fe paffoit pour lors en Italie, que par deux Auteurs, Sujets de l'Empereur d'Orient, Procope & Agathias? Eft-il facile même aujourd'hui que les Souverains n'entrent pas en guerre les uns contre les autres, fans que chaque Parti publie fon Manifefte, & je ne fçai combien d'autres écrits, pour montrer que ce n'eft point lui qui a manqué premier à l'obfervation des traités fubfiftans, de juger quel Potentat eft véritablement l'aggreffeur. Je me contenterai donc de redire ici que peu d'années après le second traité conclu entre l'Empereur Juftinien & les Rois Francs, Théodebert envoya en Italie une armée commandée par Buccellinus qui avoit ordre d'agir contre les Romains d'Orient, ce qu'il ne manqua point d'exécuter: Car ce fut alors que les Francs firent en Italie la feconde des expéditions que nous avons déja remarqué qu'ils y avoient faites fous le regne de Théodebert. Après la mort de ce Prince, fon fils Théodebald y fit encore la guerre contre les Romains d'Orient; mais comme ces expéditions dans lesquelles les Francs ne conquirent rien qui leur foit demeuré, ne font point une partie de l'Hiftoire que j'écris préfentement, je n'en parlerai point. Je vais donc finir par deux obfervations.

La premiere, c'eft qu'il paroît que peu d'années après les expéditions de Théodebert & de Théodebald en Italie, nos Rois entretenoient commerce avec la Cour de Conftantinople. Il s'étoit donc fait des traités de paix entre les Francs & les Romains

(a) Interea Gothorum non pauci numero & viri quidam fortiffimi quos Martias

Gothus ductaret, &c.

Ex Procop. Bell. Goth. lib. pr.

d'Orient

d'Orient, pour terminer la guerre que ces expéditions avoient allumée : & fuivant l'ufage ordinaire, ces Traités auront remis en vigueur les articles effentiels du Traité précedent, du fecondTraité des enfans de Clovis avec Juftinien, & les Romains de Constantinople ne fe feront plus portés pour Seigneurs Suzerains des Gaules après cela, & même ils auront ceffé d'y exercer aucun acte de Souveraineté. Du moins s'ils ont tenté d'en exercer, ç'aura été fecretement, & ils auront défavoué eux-mêmes leur entreprise, dès qu'on s'en fera plaint, comme d'une infraction des traités. (4) » Le Roi Gontran fils de Clotaire premier & petit-fils de Clovis, envoya la vingt-feptième année de fon regne, dit Frédegaire, le Comte Syagrius en Ambaffade à Conftantinople. Syagrius y fut créé Patrice par une prévarication de l'Empereur Maurice. La trame fut bien ourdie, mais ayant » été découverte, elle demeura fans effet. « C'eft-à-dire, que Maurice révoqua le Diplome, en vertu duquel Syagrius vouloit fe faire reconnoître dans les Gaules pour un Officier de l'Empire, ou que ce Romain n'ofa le publier ni tenter de s'en prévaloir. Ce Syagrius defcendoit-il d'Egidius Maître de la Milice fous l'Empire de Majorien, & qui regna un tems fur la Tribu des Saliens? Où l'apprendre?

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Diff. 23.

Je crois pouvoir rapporter comme une fuite du complot dont je viens de parler, une médaille d'or de l'Empereur Maurice qui regnoit en Orient la vingt-septième année du regne de Gontran. Cette médaille a été gravée plufieurs fois : l'on peut la voir dans Bouteroue & dans l'Edition de Joinville donnée par M. du Cange. On y trouvera d'un côté la tête de Maurice avec la pag. 284. Légende: D. N. MAURITIUS P. P. AUGUSTUS, & de l'autre côté le Labarum, avec la Légende: VIENNA DE OFFICINA LAURENTI? Qu'il me foit permis de conjecturer que dans le tems où fe tramoit le complot de Syagrius, quelques-uns de ses adhérans firent frapper dans Vienne cette monnoye pour marquer que cette Ville fe réputoit encore fous la fuprême puiffance des Empereurs Romains, nonobstant la ceffion faite aux Rois Francs par Juftinien, de tous les droits de l'Empire, dont le droit de faire frapper des efpeces d'or à leur coin, étoit un des principaux. La narration de Frédegaire est si tronquée qu'elle ne me femble pas pouvoir donner lieu à des con

(a) Anno vigefimo feptimo Regis Guntchramni, Syagrius Comes Conftantinopolim juffu Guntchramni in Legatione pergit, Tome II.

ibique fraude Patricius ordinatur. Cœpta
quidem eft fraus, fed non proceffit.
Fredag. Chr. ad ann. 587. cap. 6. pag. 197.
Aaa

jectures plus fatisfaifantes. On peut encore appuyer la conjecture que je hafarde, fur ce qu'il y a dans la médaille une s,laquelle coupe les lettres qui compofent le nom de Maurice, & que cette lettre eft la premiere du nom de Syagrius.

Il est vrai néanmoins que bien que nos Rois ayent été indépendans à tous égards des Empereurs d'Orient dès l'année cinq cens quarante, ils n'en ont été reconnus comme Empereurs d'Occident, que deux cens cinquante ans aprés. (a) Eghinard après avoir dit que Charlemagne ayant joint à fes titres celui d'Augufte & d'Empereur, ajoute: » Ce grand Prince vit sans s'é» mouvoir que les Empereurs de Conftantinople fiffent beau» coup de bruit des nouvelles qualités qu'il fe donnoit. Il vint » même à bout de la répugnance qu'ils avoient à les lui don» ner, & il la furmonta en leur envoyant de fréquentes Ambaffades, & en leur écrivant des lettres où il les traitoit toujours de freres. « Nous avons obfervé à l'occafion de l'entrevûe de Clovis & d'Alaric fous Amboife, qu'il étoit déja établi par l'ufage au commencement du fixiéme fiécle, que les Têtes Couronnées qui traitoient d'égal à égal, s'appellaffent freres, quoiqu'ils ne le fuffent point. Jufques à Charlemagne on n'avoit donné à nos Rois d'autre titre, comme nous l'allons dire, que celui de Roi des Francs fimplement, ou tout au plus de Roi des Francs & Prince des Romains.

>>

[ocr errors]

Ma feconde obfervation fera, que le Royaume de France, que la Monarchie, dont le Fondateur a placé le Trône dans Paris, a fur les Contrées de fa dépendance non-feulement le droit que les autres Monarchies qui compofent aujourd'hui la focieté des Nations, ont fur les Contrées de leur obéiffance, je veux dire le droit acquis par la foumiffion des anciens habitans, & par la prefcription; mais que cette Monarchie a encore fur les Contrées de fa dépendance, un droit que les autres Monarchies n'ont pas fur les Contrées de leur domination. Ce droit fur les Provinces de fon obéiffance, qui eft particulier à la Monarchie Françoife, eft la ceffion authentique qui lui a été faite de ces Provinces par l'Empire Romain, qui depuis près de fix fiecles les poffedoit à titre de conquête. Elles ont été cédées à la Monarchie Françoise par un des fucceffeurs de Jules Céfar & d'Au(a) Quo tempore Imperatoris & Augu- | magnanimitate qua eis procul dubio lonfti nomen accepit...... Invidiam fufce- ge præftantior erat, mittendo ad eos crebras pti nominis Conftantinopolitanis Impera- Legationes, & in Epiftolis fratres cos aptoribus fuper hoc indignantibus magna tu- pellans. Egh. de vita Caroli Mag. cap. 24 lit patientia, vicitque corum contumaciam pag. 113. Edit. Schminkii.

[ocr errors]
« PreviousContinue »