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Saliens qui étoit héréditaire. Nous examinerons enfuite de quels articles elle pouvoit être compofée.

On a pû obferver déja que la Nation des Francs tandis qu'elle habitoit encore dans la Germanie, étoit divifée en differentes Tribus, dont chacune avoit fon Chef ou fon Roi particulier, & qu'il eft très probable que toutes elles choififfoient leurs Rois entre les Princes d'une même famille, dans la famille qu'on avoit nommée à cause de cela la Maifon Royale, lorfqu'il arrivoit un interregne. On voit encore plus diftinctement en lifant le commencement de nos Annales, que les Couronnes des diverses Tribus des Francs étoient héréditaires, du moins en ligne directe, & que les fils des Princes qui avoient été une fois élûs, fuccedoient à leur pere, fans avoir befoin pour cela d'une Election perfonnelle. Ils étoient réputés avoir été compris dans la vocation de leur pere. En effet, lorfque Clovis propofa aux Ripuaires de le prendre pour Roi, il appuya fa demande de la raison: Que la pofterité de Sigebert qu'ils avoient élû pour regner fur eux étoit éteinte. Le difcours de Clovis à cette Tribu fuppofe qu'elle n'auroit point été en droit d'élire Clovis, s'il fût resté quelque defcendant mâle de Sigebert. Quand Gregoire de Tours fait mention de l'avenement de Clovis à la Couronne des Saliens, il fe fert d'expreffions qui donnent l'idée d'une fucceffion & non point d'une Election. Childeric étant mort, dit cet Historien, fon fils Clovis regna en fa place. Si ces preuves ne paroiffent point décifives, qu'on faffe attention, qu'elles devien nent telles par la nouvelle force qu'elles tirent de l'ufage obfervé dans la Monarchie depuis la mort de Clovis; & cette force eft d'autant plus grande, qu'il ne fe trouve rien dans les monumens de notre Hiftoire qui les contredife.

Lorfque Clovis réunit un an avant fa mort à la Couronne des Saliens, les Couronnes des autres Tribus de la Nation des Francs, ce fut des Couronnes héréditaires qu'il réunit à une Couronne héréditaire. Le nouveau Diądême se trouva donc être pleinement héréditaire par fa nature. Il étoit compofé d'Etats déjà héreditaires avant leur reunion.

Il est vrai que la Couronne de la Monarchie Françoise n'étoit pas formée uniquement des Couronnes de toutes les Tribus des Francs. Elle étoit compofée de ces Couronnes, &, pour ufer de cette expreffion, du Diadême Confulaire que l'Empereur Anaftafe avoit mis fur la tête de Clovis, & qui rendoit ce dernier le Chef des Romains des Gaules, non-feulement pendant la durée

de cette Magiftrature, qui, comme on le fçait, étoit annuelle, mais pendant un tems indéfini; car il eft vrai-femblable, comme nous l'avons déja infinué, qu'Anastase en conferant à Clovis le Confulat pour une année, lui avoit conferé en même tems la puiffance Confulaire pour les tems poftérieurs à cette année-là, Clovis devoit très-probablement continuer après que cette année auroit été expirée, à jouir de l'autorité Confulaire, quoiqu'il ne fût plus Conful. C'est ce qu'on peut inferer de la narration de Gregoire de Tours, dans laquelle on lit, qu'on s'adreffoit à Clovis, après qu'il eut été revêtu de cette Dignité, comme on s'adressoit au Conful, comme on s'adreffoit à l'Empereur. En effet, ces derniers mots paroiffent fe rapporter aux tems pofterieurs à l'année du Confulat de Clovis, après laquelle on ne fe fera plus adressé à lui comme au Conful, mais comme à celui qui exerçoit toujours l'autorité Impériale. Dans cette fuppofition, Anastase n'aura fait pour Clovis qu'une chofe à peu près femblable à celle que l'Empereur Arcadius avoit faite pour Eutrope, qui après avoir été Conful en l'année trois cens quatre-vingt dix-neuf, & après être forti de Charge en l'année quatre cens, puifque Stili con & Aurelianus, fe trouvent infcrits fur les Faftes Confulaires de cette derniere année, conferva encore long-tems le voir Confulaire. Zofime ne dit-il pas pofitivement (a): Que le Confulat d'Eutrope étant expiré, on ne laiffa point de s'adreffer toujours à lui, comme à un Conful, & qu'il fut dans la fuite revêtu de la Dignité de Patrice. Si mon opinion ne juftific point quelques Auteurs d'avoir fuppofé, que Clovis n'eût point été Conful, du moins elle les justifiera d'avoir écrit que Clovis avoit

été Patrice.

pou

Il femble que ce pouvoir confié à Clovis perfonnellement ne dût point être hereditaire. J'en tombe d'accord. Mais il fe peut faire que le Diplome de l'Empereur Anaftafe n'eût point nommé Clovis perfonnellement Conful, & qu'attendu l'état où étoient les Gaules en cinq cens neuf, il eût conferé cette Dignité au Roi des Francs Saliens abfolument, & quel qu'il fût. Il fe peut faire qu'Anaftafe eût uni le pouvoir Confulaire fur les Gaules à la Couronne des Francs, ainfi que l'Empereur Gallien avoit uni l'administration d'une portion de l'Afie à la Couronne des Palmireniens, Du moins eft-on porté à croire, qu'il s'étoit fait

(a) Eutropius ad fummum jam potentia faftigium elatus, adeo quidem ut inter Confules defignaretur & Confulatus appellatio

nem diutius retineret & Patriciorum deni
que Dignitatem adeptus effet.
Zof. Lib. Hift. s. p. 312.

dès

dès-lors quelque chofe d'approchant, quand on obferve qu'après la mort d'Odénat Roi des Palmireniens, à qui Gallien avoit conferé ce pouvoir, Ermias Vabalatus fils d'Odénat s'en mit en poffeffion, & même que Zenobie femme d'Odénat & mere de Vabalatus, l'exerça durant le bas âge de fon fils. . Dans la fuppofition que nous hazardons ici, concernant le contenu au Diplome, par lequel le Confulat fut conferé à Clovis, les enfans de ce Prince auroient eu droit de fucceder au pouvoir Confulaire, parce qu'ils avoient droit de fucceder à la Couronne de leur pere. C'eft ainfi que les Princes qui ont droit de fucceder à l'Electorat de Baviere, ont droit de fucceder en même tems à la Dignité de Grand Maître de l'Empire, attachéc à cet Electorat. Il en eft de même des Princes appellés aux autres Electorats par rapport aux grandes charges de l'Empire, réunies aux bonnets de ces Principautés.

Quoi qu'il ait été ftatué dans le Diplome de l'Empereur Anaftafe, la queftion à laquelle il aura pû donner lieu, fut pleinement décidée par la ceffion des Gaules, que Juftinien fit aux Rois des Francs. Après la ceffion dont je viens de parler, les Romains de cette grande Province devinrent pleinement Sujets de nos Rois, & le droit de Souveraineté fur ces Romains fut totalement réuni à la Couronne des Francs, & la portion du Diadême Imperial à laquelle les Gaules étoient, pour parler ainsi, annexées, furent joints indiffolublement. Il en fut de même du droit de Souveraineté fur les Bourguignons & fur les Turingiens, dès que les enfans de Clovis curent fubjugué ces Nations. Je reviens à Clovis.

Si l'on pouvoit douter que ce Prince & fes Prédeceffeurs euffent été des Rois héreditaires, on ne sçauroit douter du moins que fes Succeffeurs ne l'ayent été. Il est évident par l'Hiftoire, que ces Princes monterent fur le Trône par voye de fucceffion, & non point par voye d'élection.

En premier lieu, Gregoire de Tours ne fait aucune mention d'Election dans les endroits de fon Ouvrage, où il parle de vingt mutations de Souverains des Francs, arrivées dans les tems dont il écrit l'Hiftoire. Combien de fois cependant, auroit-il eu occafion de parler des Affemblées tenues pour l'Election d'un Roi, fi l'on en avoit tenu à chaque mutation de Souverain? Nos Affemblées fe feroient-elles paffées fi tranquillement, qu'elles n'euffent jamais fourni aucun de ces évenemens, tels qu'un Hiftorien fous les yeux de qui ils font arri

Tome II.

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vés ne peut les paffer fous filence? Ne fçait-on pas bien que les plus tumultueufes de toutes les Affemblées, font celles où fe rendent les Citoyens d'une Nation belliqueufe pour nommer leur Roi ? Aucun des Prélats dont Grégoire de Tours écrit la vie avec tant de complaifance, n'auroit-il jamais eu affez de part à quelqu'une de ces Elections, pour engager notre Historien à en parler? Il eft vrai, & nous l'avons dit, on ne sçauroit fonder aucune objection folide fur le filence de Gregoire de Tours: on ne fçauroit nier en s'appuyant fur ce filence, la vérité d'aucun fait particulier dont on a quelque connoiffance tirée d'ailleurs. Mais pour faire usage ici de ce principe, il faudroit que Gregoire de Tours n'eut eu à parler que de deux ou de trois mutations de Souverain, & il a eu à parler de vingt mutations. Ainfi fon filence profond, quand il a eu tant d'occafions de parler, prouve beaucoup dans la circonftance où nous l'alleguons comme une bonne railon, quoiqu'il ne prouve rien lorfqu'il s'agit feulement de la verité d'un feul fait.

En un mot, quoique nous ne fçachions point parfaitement l'Hiftoire du fixiéme fiécle, neanmoins nous la fçavons affez bien pour ne pas ignorer, que de tems en tems, il s'y feroit fait des Affemblées pour l'Election d'un Roi, fi pour lors il s'en fût fait de telles. Il nous refte trop de monumens litteraires de ce tems-là, pour n'être pas inftruits de quelques circonstances de ces Elections. Gregoire de Tours n'eft pas le feul Auteur qui auroit dû parler de ces Elections. Fredegaire l'Auteur des Geftes, les Legendaires, Marculphe même, en auroient dû dire quelque chofe; cependant ils n'en difent rien. En verité, plus on réflechit fur le filence de Gregoire de Tours, & fur le filence de tous les Auteurs fes contemporains, concernant les Elections, plus on fe perfuade que ce filence fuffiroit feul pour montrer que dès l'origine de la Monarchie Françoife, fa Couronne a été hereditaire.

J'obferverai en fecond lieu, qu'un Peuple qui élit fon Souverain à chaque vacance du Trône, fe choifit ordinairement pour Maître un Prince en âge de gouverner, & non point un enfant. Les Sujets ne veulent pas au fortir d'un interregne, effuyer encore une minorité. Or en faifant attention fur toutes les mutations de Souverain, arrivées dans la Monarchie Françoise durant le fixiéme fiecle, on trouve que les enfans du dernier decédé n'ont jamais été exclus de la Couronne de leur pere, parce qu'ils n'étoient point en âge de regner. En quelque bas

pere.

âge que fuffent ces enfans, ils ont toujours fuccedé à leur Lorfque Clovis mourut, Clodomire l'aîné des trois garçons qu'il avoit eus de la Reine Clotilde, n'avoit gueres que dix-fept ans, & l'on peut juger par-là, de l'âge de Childebert, & de l'âge de Clotaire, freres puînés de Clodomire. Cependant ces trois Princes furent reconnus pour Rois immediatement après leur pere. Ils s'affirent fur le Trône dans un âge où les particuliers n'avoient point encore l'administration de leur patrimoine. Il ne paroît point en lifant ceux des écrits du cinquième fiecle & des deux fiecles fuivans, que l'injure des tems a épargnés, qu'il y ait eu pour lors aucune Loy qui déclarât les Souverains majeurs, plûtôt que leurs Sujets. La Loi en vigueur aujourd'hui, & qui déclare nos Rois majeurs à quatorze ans commencés, & par confequent beaucoup plutôt que ne le font leurs Sujets, n'a été faite que fous la troifiéme Race. Elle eft le fruit d'une longue experience & de la prudence de notre Roi Charles V. Il eft même certain Edit de 1374. que dans le tems où ce Prince publia fa Loy, nos Rois n'étoient réputés majeurs qu'à vingt ans révolus, âge prefcrit en plufieurs Provinces pour être celui de la majorité des Sujets.

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On voit par le récit que Gregoire de Tours fait du meurtre des fils de Clodomire, & qui a été rapporté en fon lieu, que l troifiéme de ces fils ne pouvoit avoir à la mort de fon pere que cinq ou fix ans. Cependant, quoiqu'ils n'adminiftraffent point encore par eux mêmes les Etats de leur pere, ils étoient regardés comme Succeffeurs de leur pere. Leurs oncles ne crurent pas qu'il leur fûc poffible de s'emparer des Etats de Clodomire, avant que de s'être défait de fes fils. (a) Ce ne fut qu'après le meurtre de ces enfans, que Childebert & Clotaire partagerent entr'eux les Etats de Clodomire. Il paroît feulement en lifant dans Grégoire de Tours, la catastrophe des enfans de ce Prince, qu'ils n'avoient point encore été proclamés, & même que ce fut fous prétexte de les inaugurer, que leurs oncles les demanderent à fainte Clotilde qui les avoit en fa garde. En effet, on voit par le contenu en l'Edit de notre Roi Charles VI. où ce Prince ordonne: Que tous fes Succeffeurs Rois, en quelque petit âge qu'ils foient, foient appellés, leurs peres decédés, Rois de France, & foient couronnés & facrés; que l'ancien ufage de la Monarchie n'étoit point que les Succeffeurs, bien que recon

(a) An certe his interfectis regnum Germani noftri inter nofmetipfos æqualitate habita dividatur...... Hi quoque regnum

Clodomeris inter fe æqua lance diviferunt.
Gr. Tur. lib. 3. Cap. decimo octavo.

Donné en

1407.

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