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pé que lorsqu'il y eut conteftation entre Henri IV. fils d'Antoine Roi de Navarre, & le Cardinal de Bourbon, oncle de Henri, & frere puîné d'Antoine, concernant le Droit de fucceder au Roi Henri III. Cette question-là ne s'étoit pas prefentée avant la fin du feiziéme fiécle. On ne doit pas douter neanmoins que fi l'une & l'autre queftion euffent été agitées dès les premiers tems de la Monarchie, elles n'euffent été decidées, ainfi qu'elles le furent en mil trois cens vingt-huit & en mil cinq cens quatrevingt-neuf.

C'est le tems, c'est l'expérience, qui ont porté les Loix de fucceffion jufques à la perfection qu'elles ont atteinte dans les Monarchics héreditaires de la Chrétienté. Si les fils puînés des derniers poffeffeurs font réduits à des apanages; s'il ne fçauroit plus y naître aucun doute concernant la fucceffion à quelque degré que ce foit que l'heritier préfomptif fe trouve parent de fon predeceffeur; enfin fi le fucceffeur en ligne collaterale se trouve toujours aujourd'hui défigné auffi pofitivement que peut l'être un fucceffeur en ligne directe, c'est que la durée de ces Royaumes a déja été affez longue pour donner lieu à differens évenemens qui ont developpé & mis en évidence tous les articles contenus implicitement dans les Loix de fucceffion. Il faut que tout le monde tombe d'accord de ce que je vais dire: Le genre humain a l'obligation de l'établissement & de la perfection de ces Loix qui préviennent tant de malheurs, au Christia nisme, dont la morale eft fi favorable à la confervation comme à la durée des Etats, parce qu'il fait de tous les devoirs d'un bon Citoyen, des devoirs de religion.

L'on ne doit point être furpris que notre Loi de fucceffion ne fût point plus parfaite dans le fixiéme fiecle, qu'elle l'étoit. L'Empire Romain, la mieux reglée de toutes les Monarchies dont les Fondateurs de la nôtre euffent pleine connoiffance, n'avoit point lui-même, lorfqu'il finit en Occident, une Loi de fucceffion encore bien établie & bien conftante. En effet, lorfqu'on examine le titre en vertu duquel ceux des Succeffeurs d'Augufte dont l'avenement au Trône a paru l'ouvrage des Loix & non pas celui d'un corps de troupes revolté, font parvenus à l'Empire, on voit qu'en quelques occafions la Couronne Impériale a été déferée comme étant patrimoniale, qu'en d'autres occafions elle a été déferée comme étant une Couronne héreditaire, & qu'en d'autres enfin elle a été déferée comme étant une Couronne élective.

On fçait qu'en style de droit public on appelle Couronnes Patrimoniales, celles dont le Prince qui les porte peut difpofer à fon gré, & de la même maniere qu'un particulier peut difpofer de fes biens libres. Les Couronnes de ce genre fi rares dans le fiecle où nous fommes, étoient très-communes dans la Societé des Nations avant l'établissement des Monarchies Gothiques. C'eft le nom que quelques Peuples donnent communément aux Royaumes qui doivent leur origine aux Nations qui envahirent les Domaines de l'Empire d'Occident, & qui formerent de fes débris des Etats héreditaires dès leur origine. On a vû Gots furent long-tems la principale de ces Nations.

que les Pour revenir à la Couronne de l'Empire Romain, on croit qu'elle étoit une Couronne patrimoniale, quand on voit les Empereurs s'arroger le droit d'appeller à leur fucceffion les enfans qu'il leur avoit plû d'adopter; quand on voit Augufte l'ôter au jeune Agrippa fon petit-fils pour la laiffer à Tibére, ce même Tibére exclure de fa fucceffion fon propre petit-fils, pour la faire paffer à Caligula fon neveu, & Claudius la déferer au préjudice de fon fils Britannicus à Neron, qu'il n'avoit adopté que plufieurs années après la naiffance de Britannicus. On voit encore dans l'Histoire Romaine des affociations à l'Empire, qui montrent que plufieurs Empereurs fe font crûs en droit de difpofer à leur plaifir de la Couronne qu'ils portoient. Enfin, lorfqu'après la mort d'Aurelien, le Sénat reconnut Tacite pour Empereur, il n'exigea point de lui qu'il ne difpofât jamais de l'Empire, mais qu'il n'en difpofât jamais, même quand il auroit des enfans, qu'en faveur d'une perfonne capable de bien gouverner; enfin qu'il imitât Nerva, Trajan (a) & Adrien, qui dans le choix de leur Succeffeur, n'avoient confulté d'autre interêt, que celui de la République.

Nous voyons d'un autre côté des enfans encore très - jeunes fucceder à leur pere, fans qu'il y eût eu aucune difpofition faite en leur faveur par le Peuple, mais comme les fils des particuliers fuccédent à l'héritage de leur pere: On voit même des freres fucceder de plein droit à la Couronne de leurs freres. Ce fut ainfi que Domitien monta fur le Trône après la mort de

(a) Ne parvulos tuos, fi te citius fata | prævenerint, facias Romani hæredes Imperii, ne fic Rempublicam Patrefque Confcriptos, Populumque Romanum ut villulam tuam, ut Colonos, ut Servos tuos relinquas.

Quare circumfpice, imitare Nervas, Trajanos, Adrianos. Ingens eft gloria morientis Principis, Rempublicam magis amare quam

filios.

Flav. Vopifc. in Tacito.

Titus. Quand on fait attention à ces évenemens, il femble que la Couronne Imperiale ait été héreditaire.

Enfin d'autres évenemens femblent prouver que cette Couronne fut élective. Je n'entends point parler des proclamations d'Empereur faites dans des camps révoltés. Ce qui fe paffe durant une rébellion, ne fait point Loi dans le Droit public d'une Monarchie, j'entends parler de ce qui s'eft paffé dans plufieurs mutations paifibles de Souverains, de ce qui s'eft fait dans Rome par le concours de tous les Citoyens. Nerva après la mort de Domitien, & Pertinax après la mort de Commode, furent élus & inftalés comme le font les Souverains Electifs. Quand le Sénat eut appris la mort des Gordiens Afriquains, il ne proclama point Empereur Gordien Pie, qui auroit été leur fucceffeur de droit, fi la Couronne Impériale eût été pleinement héreditaire. Le Sénat élut pour regner en leur place, Balbin & Pupien. Ce ne fut que quelques jours après leur inftallation que le jeune Gordien fut proclamé Céfar, & qu'il fut ainsi déclaré leur fucceffeur, fans égard aux enfans que ces deux Empereurs pouvoient laiffer.

Enfin je crois qu'un Jurifconfulté interrogé fous le regne d'Auguftule touchant le genre dont étoit la Couronne Impériale, n'auroit pu donner une réponse bien pofitive. L'ufage ne prouvoit rien, parce qu'il n'avoit jamais été uniforme ni conftant, & d'un autre côté, il n'y avoit point de Loi générale écrite, qui statuât fur ce point de Droit public. Il y a bien dans le Droit Romain plufieurs Loix qui ftatuent fur l'étendue du pouvoir donné à chaque Empereur par la Loy Royale, par la Loy particuliere qui fe faifoit pour inftaler le nouveau Prince; mais je n'y en ai point vû qui décide en général & pofitivement, fi la Couronne étoit patrimoniale, héreditaire ou élective. Dès qu'alors il n'y avoit point encore de Loi de fucceffion certaine dans l'Empire Romain qui fubfiftoit depuis quatre fiécles, on ne doit pas être furpris que celle du Royaume des Francs n'ait point été parfaite dès l'origine de la Monarchie.

CHAPITRE

CHAPITRE II I.

De la divifion du Peuple en plufieurs Nations, laquelle avoit lieu dans la Monarchie Françoife, fous la premiere Race & fous la feconde Race.

L

Du nom de Barbare donné aux Francs.

A premiere divifion des Sujets regnicoles de la Monarchie, étoit la divifion qui fe faifoit en Romains & en Barbares, ou chevelus. C'étoit le nom par lequel on défignoit souvent les Nations barbares prifes collectivement & par oppofition à la Nation Romaine. En effet, la difference la plus fenfible qui fût entre un Romain & un Barbare, confiftoit en ce que le Romain portoit les cheveux fi courts, que fes oreilles paroiffoient à découvert, au lieu que le Barbare portoit fes cheveux longs, ils lui venoient jufqu'aux épaules. En cela les Barbares fe relfembloient tous, & ils étoient tous visiblement differens des Romains. Cela étoit fi vrai, que comme nous l'avons déja obfervé, & comme nous l'obferverons encore, le Barbare qui fe faifoit couper les cheveux à la maniere des Romains, étoit réputé renoncer à la Nation, dont il avoit été jufques-là, pour fe faire de celle des Romains.

Childebert II. a fuppofé fenfiblement cette premiere division de fes Sujets, dans l'Ordonnance qu'il fit pour défendre aux Francs & aux autres Barbares qui lui obéïffoient, de contracter mariage dans certains dégrés d'affinité, où les Loix Romaines défendoient déja aux Romains de fe marier. (a) Ce Prince, dit » Qu'aucun des Chevelus ne pourra époufer la veuve de fon frere, la foeur de fa femme, la veuve de fon » oncle paternel, ni celle de fon coufin.

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On appelloit en Italie Capillati, les Barbares qui s'y étoient établis, ceux, en un mot, qu'on nommoit dans les Gaules Crinofi. Ces deux noms ont en Latin la même fignification. "Si quelque Barbare, dit dans fon Edit Theodoric Roi des Of

(a) Nullus de Crinofis inceftum ufum fibi fociet conjugio, hoc eft nec fratris fui uxorem, nec uxoris fux fororem, nec uxoTome II.

rem patrui fui aut parentis confanguinci. Baluz. Cap. Tom. pr. pag. 17.

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"trogots, refufe de comparoître à l'audience d'un Juge com"petent, devant lequel il aura été cité par trois fois, & qu'il » foit dûment prouvé que les trois citations ayent été faites » dans les formes à ce Chevelu, qu'il foit déclaré contumace » & jugé par defaut. (a) « Dans une des Formules de Lettres adreffées generalement à tous les Sujets des Rois des Oftrogots établis en Italie, Capillati eft un terme oppofé à Provinciales, qui étoit l'ancien nom fous lequel les Empereurs comprenoient dans les ordres adreffés à quelque Province en particulier, tous les fimples Citoyens Romains qui étoient domiciliés dans cette Province là.

Comme en écrivant fur la matiere que je traite, j'aurai fou vent à défigner par le nom de Barbares, les Francs & les autres Nations Germaniques établies dans les Gaules, je crois devoir avertir le Lecteur, que dans le fixiéme fiecle & dans le feptième, ce nom n'avoit rien d'odieux, qu'il fe prenoit dans la fignifica tion d'étranger, & que les Barbares cux-mêmes fe le donnoient fouvent dans les occafions où ils vouloient fe diftinguer des Romains. Voici ce que dit Monfieur de Valois concernant cet ufage.

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(b) » Il eft bon que le Lecteur pour n'être point furpris de » m'entendre dire, qu'on donnoit dans le fixiéme fiecle le nom » de Romains aux Gaulois & aux Espagnols, obferve que lorf » que les Barbares s'établirent dans les Provinces de l'Empire » d'Occident,les anciens Habitans n'y changerent point de nom » en changeant de Maîtres, & que les nouveaux Seigneurs con"tinuerent eux-mêmes à leur donner le même nom qu'aupara"vant, je veux dire, à les appeller Romains. D'un autre côté, » ces nouveaux Seigneurs, loin de regarder le nom de Barbare » comme un nom odieux, fe tinrent honorés de le porter com>> me un nom devenu illuftre. Ainfi Theodoric Roi des Oftro» gots, dit dans le préambule de fon Edit, que les reglemens

(a) Si quis Barbarorum tertio competen- | tis Judicis autoritate couventus ad judicem venire neglexerit, fententiam excipiet contumacia adeo ut judicetur de quo conventus elt perdidiffe negotium, dummodo tertio quemlibet Capillatorum fuiffe conventum, aut cautionis ab eodem emiffa fides conftet. Edictum Theod. Art. 145.

Univerfis Provincialibus & Capillatis.
Caff. Var. Lib. 4. Formul. 49.

(b) Ne quis autem forfitan miretur quod

fupra dixerim Gallos & Hifpanos vocatos effe Romanos, notare convenit; cum Barbari Provincias Imperii Romani perpetuæ poffeffionis caufa in Occidente occupaviffent, Provinciales quidem nomen unà cum Dominis minime mutaviffe, & uti antea dicebantur, Romanos à Barbaris dictos effe, ipfos autem non jam ficut ante contumelia fed honoris caufa, Barbaros appellari cæpiffe, &c. Rer. Franc. Lib. fexto, pag. 288.

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