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En 1589.

de lui obeïr non-feulement comme à un Maître de la Milice, mais encore comme à un Préfet du Prétoire des Gaules, & de le revêtir du pouvoir civil, ainfi qu'il l'eft déja du pouvoir militaire, s'il veut bien fe faire Catholique? Comment l'engagerons-nous à fe convertir. Obtenons de lui qu'il épouse une femme Catholique, & que fes enfans foient élevés dans la Religion de leur mere. Il aura fait un grand pas dans la carriere dès qu'il aura pris ces engagemens, qui feuls mettront notre Religion à l'abri.

Voilà quels auront été les fentimens de ceux des Romains des Gaules qui étoient encore libres; c'eft-à-dire, des Citoyens des Provinces Obéïffantes, & des Provinces Confédérées. Ils les auront communiqués aux Romains des Provinces occupées par les Vifigots & par les Bourguignons. Ces Romains, généralement parlant, les auront approuvés, & tous les Citoyens des Gaules auront conçu l'idée que le falut de leur Patrie dépendoit de la converfion de Clovis. Comme il n'y avoit point alors dans cette grande Province de l'Empire une Puiffance qui pût traiter avec Clovis au nom de tout le pays, les Sénateurs de plufieurs Cités lui auront communiqué leurs vûës, & propofé leur projet féparément en l'affurant que la difpofition générale des efprits étoit telle, qu'ils pouvoient répondre que leurs voifins penfoient comme eux. Clovis qui avoit de l'ambition, fe fera prêté à leurs vûes, & fuivant les perfonnes avec lesquelles il aura traité, il aura promis ou plus ou moins. Il aura promis volontiers d'époufer la Princeffe Catholique que les Romains des Gaules vouloient lui donner, parce qu'ils la croyoient la plus capable de convertir un mari. Pour fe les attacher encore mieux, Clovis aura donné la même parole que donna notre Roi Henry IV. lorfqu'il voulut après la mort de Henry III. engager les Catholiques demeurés fideles à la Couronne de le reconnoître pour Roi. Clovis aura promis de fe faire inf truire, & il fera entré fans avoir pris une ferme réfolution d'aller jufqu'au bout, dans la route choifie par la Providence pour le conduire à la véritable Eglife. Les faits que j'ai déja rapportés, & ceux que je rapporterai dans les Chapitres fuivans donneront un grand air de vraisemblance aux conjectures que je viens de hazarder. On y verra trois Evêques chaffés de leurs Siéges par les Vifigots qui ne reprochoient autre chofe à ces Prélats, que leur attachement aux interêts de Clovis. On a déja vû Aprunculus Evêque de Langres en peril de la vie, & réduit à s'exiler lui-même

lui-même, parce que les Bourguignons maîtres de fon Diocèse, l'accufoient de vouloir le livrer aux Francs.

I

CHAPITRE IV.

Hiftoire du Mariage de Clovis avec la Princesse Clotilde.

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Hinc. Vit.

L ne pouvoit point y avoir alors dans les Gaules une personne plus propre à faire réuffir le projet que les Romains de cette grande Province avoient probablement formé, que la Princeffe Clotilde. On a vû qu'elle étoit fille de Chilpéric, cet infortuné Roi des Bourguignons dont nous avons rapporté la fin tragique, & qui fuivant toutes les apparences mourut dans la véritable Religion. Nous avons auffi parlé de la femme de ce Prince la protectrice des Evêques, & dont Sidonius fait un éloge qui ne laiffe lieu de douter qu'elle ne fût auffi Catholique. Auffi fa fille Clotilde avoit-elle été élevée dans cette Religion. Nos Annales font foi Remig. qu'elle avoit autant d'élevation d'efprit & de prudence, que de pieté. Il n'étoit donc pas difficile de prévoir qu'elle auroit un grand crédit fur l'efprit du mari qu'elle épouferoit.Clotilde faifoit alors fon féjour dans les Etats de fes oncles Gondebaud & Godégifile, & quoique ces Princes fuffent Ariens, elle y faifoit publiquement profeffion de la Religion Catholique, ce qui montroit à la fois & fon courage & son attachement à l'Eglise Romaine.

En effet, on verra par ce que difent d'anciens Auteurs concernant fon mariage avec Clovis, qu'elle n'y confentit qu'après qu'on lui eut donné fatisfaction fur les difficultés qu'elle fit d'abord concernant la Religion du mari qu'on lui propofoit. Mais je crois qu'il eft à propos avant que de rapporter les endroits de nos Auteurs, où il eft parlé de ces détails, de donner l'Histoire abrégée du mariage de Clotilde, telle qu'elle fe trouve dans Grégoire de Tours. Après l'avoir lûe, on entendra mieux les Auteurs qui nous ont donné un récit plus étendu & mieux circonftancié d'un évenement de fi grande importance.

» (4) Les Miniftres que Clovis envoyoit fouvent en Bour

(4) Porro Chlodovechus dum legatio- | nem in Burgundiam fæpius mittit, Chrotechildis puella reperitur à Legatis ejus. Qui Tome II.

cum eam vidiffent elegantem atque fapien-
tem & cognoviffent quod de regio effer
genere, nuntiaverunt hæc Chlodovecho Re-

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»gogne, y eurent quelque relation avec Clotilde, & comme » elle leur parut auffi fage qu'elle étoit aimable, ils firent à leur » maître un rapport très-avantageux des bonnes qualités de » cette Princeffe. Ce rapport fit tant d'impreffion fur l'efprit du » Roi des Francs, que peu de tems après il envoya des Ambaffa» deurs la demander en mariage à Gondébaud, qui l'accorda » moins par inclination que par crainte. Le Roi des Bourgui»gnons la remit donc entre les mains de ces Ambaffadeurs, qui partirent fur le champ pour l'amener inceffamment à son mari. » Clovis fut d'abord épris de Clotilde, & il l'époufa avec une grande joye, quoiqu'il eût déja eu d'une concubine, un fils » qui s'appelloit Thierri.

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On va voir par la fuite même de l'Hiftoire de Grégoire de Tours, & par ce que difent l'Abbréviateur, & l'Auteur des Geftes des Francs, concernant le mariage de Clovis, qu'il ne fut point un évenement auffi fimple qu'on pourroit le croire, en lifant le paffage que nous venons de rapporter. Où, dira-t-on, l'Abbréviateur & l'Auteur des Geftes ont-ils pris les circonftances & les détails de ce mariage qu'ils ont mis par écrit, & dont l'Hiftoire de Grégoire de Tours ne parle point? Je répondrai deux chofes. La premiere, que ce mariage qui fut une des causes de la converfion de Clovis, & qui par confequent contribua plus à l'établiffement de fa Monarchie, qu'aucune des victoires de ce Prince, étoit devenu par les fuites qu'il avoit eues, un évenement d'une fi grande importance, que la tradition a dû en conferver la mémoire plus long-tems, & plus fidélement que celle d'aucun fait d'armes. Ainfi quoiqu'on eût déja oublié bien des actions de guerres faites du tems de Mérovée & de Childéric, lorfque nos deux Auteurs ont écrit, on ne pouvoit point encore avoir oublié de leurs tems, les principales circonftances du mariage de Clotilde, d'autant plus que cette Princeffe ayant été mife au nombre des Saints, le culte qu'on lui rendoit, renouvelloit chaque année le fouvenir des principaux évenemens de fa vie, & perpétuoit ainfi la tradition. En fecond lieu, nos deux Auteurs ont pû voir bien des livres que nous n'avons plus, & un de ces livres a pû être une vie de fainte Clotilde, autre que la vie de cette Sainte que nous avons aujourd'hui. Voici la narration de l'Abbréviateur.

gi. Nec moratus ille ad Gondobadum Regem | legationem dirigit eam fibi in matrimonio petens, quod ille recufare metuens, tradidit illam viris. Illique accipientes puellam,

Regi velocius reprefentant, qua vifa Rex
valde gavifus, fuo eam conjugio fociavit,
habens jam de concubina filium nomine
Theodoricum. Gr. Tur. hift. lib. 2. cap. 2.8..

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» Clovis qui recherchoit Clotilde, envoyoit fouvent des Mini» ftres en Bourgogne; mais comme ils ne pouvoient point appro>>cher de la perfonne de cette Princeffe, il prit enfin le parti de

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charger un Romain nommé Aurelien, de la commiffion de la » voir, & d'apprendre d'elle-même fes fentimens fur le dessein qu'il avoit de l'époufer. Il donna donc à cet effet l'un de ses an"neaux à fon Agent, pour lui tenir lieu de lettres de créance.Au» relien fe déguifa en pauvre mendiant, & il s'en fut à Geneve où » Clotilde & fa four faifoient leur résidence. Ces Princesses qui pratiquoient l'hofpitalité envers les pauvres, recurent Aurelien » dans le lieu deftiné pour y exercer leur charité. Tandis qu'on lui "lavoit les pieds, il trouva le moyen de dire à Clotilde, fans être » entendu d'autre que d'elle: Princeffe, j'ai des affaires importan»tes à vous communiquer,fi vous pouvez me donner une audien

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ce fecrete. Quand elle fe fut tirée à l'écart, Aurelien lui dit : » Clovis Roi des Francs, m'envoye vous prier d'agréer qu'il vous >> demande en mariage. En même tems il préfenta comme un » garent certain de fa miffion, l'anneau de fon Maître. Clotilde prit cet anneau avec joye, & après avoir donné en échange le fien, & quelques fols d'or à Aurelien, dont elle ignoroit la condition, elle lui répondit: Retournez vers votre Maître, » & dites-lui que s'il veut m'époufer, il faut qu'il me faffe de» mander inceffamment en mariage à Gondebaud, & s'il fe "3 que l'affaire fe conclue avant qu'Aridius foit de retour de Conftantinople, où mon oncle l'a envoyé. Si cet Aridius re» vient avant que l'affaire foit terminée, il ne manquera point » de la faire échouer. Aurelien s'en revint chez lui toujours déguifé en pauvre. Son deffein étoit apparemment d'y reprendre fes habits ordinaires pour fe rendre enfuite à la Cour de Clovis.

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Il arriva une avanture affez plaifante à cet Ambaffadeur, dans le tems qu'il n'étoit pas éloigné de fon Château, bâti fur les confins (a) du territoire d'Orleans. Dans la route il s'étoit acosté d'un mandiant, & tandis qu'il dormoit, ce mandiant lui déroba la beface où étoient, entr'autres chofes, les fols d'or que Clotilde avoit donnés, & il s'enfuit. Aurelien fut très-fâché à fon réveil de se trouver ainfi dévalifé, mais comme il n'étoit pas loin de chez lui, il gagna fa maison en diligence, d'où il envoya de tous côtés fes domestiques chercher le voleur qu'il leur défigna fi-bien qu'ils le reconnurent, & qu'ils l'amenerent à leur maî

(a) Cum jam prope Aurelianenfe territorium nec procul à domo acceffiffet, quem

dam pauperem mendicum in via fecum itineris focium habebat. Hift. Fr. Ep. cap. 18.

tre. Il fe contenta de lui faire effuyer durant trois jours le châtiment ordinaire des efclaves, & au bout de ce tems il lui permit de s'en aller. Peu de jours après Aurelien vint à Soiffons (4) y rendre compte à Clovis de ce qui s'étoit paffé à Geneve & il lui redit exactement la réponse de Clotilde. Ce Prince perfuadé qu'il ne pouvoit faire mieux que de fuivre l'avis qu'elle lui avoit donné, envoya fur le champ des Miniftres revêtus du caractere d'Ambaffadeurs, la demander en mariage à Gondebaud, l'aîné des Rois des Bourguignons, qui l'accorda parce qu'il n'eut point la force de la refufer, & parce qu'il crut mériter par un prompt confentement l'amitié de Clovis. Les Ambaffadeurs fiancérent donc la Princeffe, en lui donnant fuivant l'ufage des Francs, un fol d'or & un denier, & ils demanderent enfuite qu'il leur fût permis de la conduire au lieu où étoit leur Maître, afin qu'il s'y mariât avec elle. On leur accorda ce qu'ils demandoient, & l'on prépara en diligence à Châlons fur Saone le trouffeau & tout ce qui étoit neceffaire pour les nôces d'une Princeffe d'une fi grande condition. Ce fut donc en cette Ville qu'on remit Clotilde entre les mains des Ambaffadeurs de Clovis, qui la firent monter dans cette efpece de voiture, que les Gaulois appelloient une Bafterne, & ils partirent fans perdre de tems, emmenant auffi avec eux plufieurs chariots remplis des effets qui appartenoient à leur Reine. Ils étoient déja en route quand Clotilde reçut un avis qui l'informoit qu'Aridius étoit de retour de Conftantinople. Elle dit auffitôt aux Sénieurs des Francs; c'est-à-dire ici, à fes conducteurs: Si vous avez bien envie de me mener jufqu'à la Cour de votre Roi, il faut abfolument que je monte à cheval afin de faire plus de diligence, car fi je continue à voyager en voiture, je n'arriverai jamais jufques-là. Les Francs trouverent que leur Reine avoit raifon. Elle monta donc à cheval, & gagnant pays, elle arriva où Clovis l'attendoit. La fuite fit voir que cette Princeffe avoit pris un bon parti. Dès qu'Aridius eut mit pied à terre à Marseille (b), & qu'il eut appris la nouvelle du mariage de Clotilde, il prit la pofte, & fe rendit en diligence à la Cour de Gondebaud, qui lui dit d'abord : Sçavez-vous, Aridius, que j'ai fait alliance avec les Francs, & que j'ai donné ma niece Clotil

(a) Protinus Aurelianus Chlodoveo Regi per fingula narrans, Sueffionis fuggeftio

nes nuntiat.

Ibid. Edit. Ruin. pag 558.

(b) Cmque Aridius à Maffilia velociffimo curfu hæc audiens ad Gondobadum ve

niffet, dixit ei Gondobabus: Audifti quod amicitiam cum Francis inivimus, nepotemque meam Chlodoveo tradidi uxorem. Ref pondens Aridius, dixit: Non eft hoc amicitiæ cultus, &c.

Hift. Franc. Ep. cap. decimo nono.

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