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» du gros de la Nation des Francs. Son fils Thierri dans le Par"tage de qui les Ripuaires entrerent, aura fait quelques chan"gemens à ces ufages & coutumes, après quoi il les aura rédigées en forme de Loi, & les tables de cette Loi font celles que » nous avons encore aujourd'hui. » Monfieur Eccard cite pour appuycr fon fentiment concernant la Loi Ripuaire, une des Notes qu'il avoit déja faites fur la Loi Salique. La Note à laquelle il nous renvoye ici, eft écrite à l'occafion d'un endroit de la Préface ancienne, qui fe trouve à la tête de la Loi Salique dans quelques Manufcrits, & où l'on lit: Que le Roi Thierri étant à Châlons, y avoit de son côté, fait travailler des perfonnages Doctes, à mettre la Loi des Francs dans une plus grande perfection. Or fuivant la Note que fait Monfieur Eccard fur ce paffage, il faut y entendre par la Loi des Francs, non pas la Loi Salique, mais bien la Loi des Ripuaires, laquelle étoit un des Codes, fuivant lefquels les Francs vivoient. » Thierri, ajoute-t'il, » (4) aura donné ses soins à la perfection de la Loi des Ripuai» res qui fe trouvoient dans fon Partage, tandis que fes freres » Childebert & Clotaire faifoient travailler fur la Loi des Saliens.

En effet, ce qui eft dit concernant les foins du Roi Thierri, dans cette Préface des Loix Saliques, laquelle a donné lieu à la derniere des deux Notes de Monfieur Eccard, dont nous avons rapporté le contenu, fe trouve clairement expliqué dans le préambule même de la nouvelle rédaction de la Loi des Ripuaires, faite par les ordres du Roi Dagobert I. On y lit: (6) » Le Roi » Thierri étant à Châlons, il fit choix d'hommes fages & inf»truits dans les anciennes Loix de fon Royaume, & ce Prince » leur enjoignit enfuite de rédiger la Loi des Francs, ainsi que » la Loi des Allemands & la Loi des Bavarois, afin de donner à » chacune de ces Nations, qui toutes étoient fous fon obéif

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(4) Habebat fub le fpeciatim Theoderi- | fecavit & quæ erant fecundum confuetudicus Ripuarios. Unde ftatuo Legem Franco-nem Paganorum mutavit fecundum Legem rum hic de Ripuaria intelligendam efse, cam- Chriftianorum Et quidquid Theodericus que Theodericum condidifle, cum fratres Rex propter vetuftiffimam Paganorum conejus in Salicam Legem curas fuas converte- fuetudinem mutare non potuit, poft hæc rent. Ibid. pag. S. Childebertus Rex inchoavit, fed Chlotarius Rex perfecit. Hæc omnia Dagobertus Rex gloriofiffimus per viros illuftres Claudium, Chaudum, Indomagum & Agilufum renovavit, & omnia verera Legum in melius tranftulit, & unicuique genti fcripta tradidit, quæ ufque hodie perfeverant.

(b) Theodoricus Rex Francorum cum effet Catalaunis elegit viros fapientes qui in regno fuo Legibus eruditi erant. Ipfo autem dictante juffit confcribere Legem Francorum & Alemannorum & Bujuvariorum, unicuique genti quæ in ejus poteftate erat fecundum confuctudinem fuam. Addidit quæ addenda erant & improvifa & incompofita re

Baluz. Capit. Tom. pr. pag. 25.

>> fance,

»fance, un Code conforme à leurs anciens Us & Coutumes, aufquels il ne fit que les additions & les changemens nécessai»res, pour regler fur les principes de la Religion Chrétienne,

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plufieurs points qui n'avoient encore été reglés que fuivant » les principes de la Religion Payenne. Childebert perfectionna » encore à cet égard, les Codes réformés par Thierri, & dans » la fuite, Clotaire ajouta auffi quelque chofe à l'Ouvrage de » Childebert. Le Roi Dagobert a fait revoir de nouveau toutes » ces Loix, par les très-illuftres perfonnes, Claudius, Chaudus, » Indomagnus & Agilufus, & il en a fait une nouvelle rédac» tion, après quoi il a délivré à chaque Nation les tables de fa » Loi, & c'est la rédaction dont on doit fe fervir aujourd'hui » dans les Tribunaux. Dès que cette Préface fe trouve à la tête de la rédaction de la Loi Ripuaire faite par Dagobert, il eft évident que c'eft de cette Loi qu'il y eft parlé fous la dénomination générale de Loi des Francs, ainfi que l'a penfé Monfieur Eccard.

On a encore vû par le paffage d'Eghinard, qui vient d'être rapporté, que les Francs vivoient felon deux Loix, la Loi Salique & la Loi Ripuaire. Ainfi l'une & l'autre Loi pouvoit, quoique par abus, s'appeller également la Loi des Francs, & l'on peut fuivant que les circonftances en décident, appliquer ce qui eft dit de la Loi des Francs en général, ou bien à la Loi Salique en particulier, ou bien à la Loi Ripuaire en particulier. Les Loix des Francs, c'est-à-dire, la Loi Salique & la Loi Ripuaire, ayant été imprimées plufieurs fois, je n'en donnerai point un abregé fuivi: D'ailleurs je ne me fuis point propofé d'expliquer ici le droit des particuliers, mais le droit public, le droit qui regloit la conftitution de l'Etat fous les Rois de la premiere Race. Ainfi je rapporterai feulement ceux des articles de nos deux Loix, que les matieres que j'aurai à traiter me mettront dans l'obligation de rapporter.

La premiere divifion de la Nation des Francs, ainfi que la premiere divifion de toutes les Nations qui fubfiftoient alors, étoit celle qui fe faifoit en hommes libres & en efclaves. La fervitude de ces efclaves, ainfi que celle des ef claves qui appartenoient aux Citoyens de toutes les Nations Germaniques, étoit de differens genres, Quelques-uns de ces ferfs étoient nés dans les foyers de leurs Maîtres. D'autres étoient de véritables captifs, je veux dire, des prifonniers de guerre, que l'ufage du tems condamnoit à l'esclavage. D'autres avoient été achetés. D'autres étoient des hommes nés libres, Tome II.

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mais condamnés à la fervitude par jugement porté contre eux, à caufe qu'ils s'étoient rendus coupables des délits, dont la peine étoit, que l'offenfeur fut adjugé comme efclave à l'offenfé, ou bien, parce qu'ils n'avoient pas pû payer de certaines dettes. D'autres enfin, étoient des hommes libres qui s'étoient dégradés volontairement, foit en fe vendant eux-mêmes, soit en fe donnant gratuitement à un Maître, qui s'obligeoit de fon côté à fournir à leur fubfiftance & à leur entretien. On a remarqué ailleurs, qu'au tems où les Francs s'établirent dans les Gaules, le nombre des efclaves étoit beaucoup plus grand dans tous les Pays & parmi toutes les Nations, que le nombre des Citoyens ou des perfonnes libres. Ainfi lorfqu'on trouve que fous nos premiers Rois de la troifiéme Race, les deux tiers des hommes qui habitoient la France, étoient efclaves, ou du moins de condition ferve, il ne faut point imputer ce grand nombre de perfonnes ferves qui s'y trouvoient alors, à la dureté des Francs, ni fuppofer qu'ils euffent réduit les anciens habitans des Gaules dans une efpeée d'efclavage. Cela procédoit de la conftitution générale de toutes les Societés politiques, dans le tems où les Francs s'établirent dans les Gaules.

Nous avons déja dit qu'il y avoit plufieurs manieres de donner la liberté aux Serfs, & que fuivant le Droit commun, l'affranchi devenoit Citoyen de la Nation dont étoit le Maître qui l'avoit fait fortir d'esclavage. Venons au traitement que les Peuples Germaniques faifoient à leurs Serfs. (4) » Les Germains, dit Ta»cite, ne tiennent pas dans leurs maifons, ainfi que nous, leurs efclaves, pour les y faire travailler, chacun à une certaine » tâche. Au contraire, ils affignent à chaque efclave fon manoir particulier, dans lequel il vit en pere de famille. Toute la fervitude que le Maître impofe à l'efclave, c'eft de l'obliger à » payer une redevance, qui confifte en grain, en bétail & en » peaux, ou en étoffes. La condition de ces Serfs reffemble plus à celle de nos Fermiers qu'à celle de nos efclaves. Chez » les Germains, c'eft la femme, ce font les enfans de la maison » qui font toute la befogné du ménages bunivuot al

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2 Lorfque les Peuples Germaniques furent une fois établis dans fes Gaules, ils n'auront pas manqué d'y prendre l'ufage de tenir

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(a) Servis non in noftrum morem defcriptiis per familiam,minifteriis utuntur. Suam quifque fedem, fuos Penates regit. Frumenfi modum Dominus, aut pecoris aut vestis

ut Colono injungit & fervus hactenus paret. Cætera domus officia, uxor ac liberi exfequuatur.

Tacit. de morib. Germ. Cap. 25!"

chez foi des efclaves, pour les employer aux fervices domestiques. Ces Nations ne furent que trop éprifes de toutes les commodités & de toutes les délices que le luxe des Romains y avoit fait connoître. Mais il eft auffi à croire que les Francs, les Bour, guignons, & les autres Nations Germaniques auront continué à donner des domiciles particuliers à une partie de leurs efclaves, comme à leur abandonner une certaine quantité d'arpens de terre pour les faire valoir, à la charge d'en payer une redevance annuelle, foit en denrées, foit en autres chofes. Les Romains des Gaules auront eux-mêmes imité leurs Hôtes dans cette œconomie politique, foit parce que, tout calculé, ils l'auront trouvée encore plus profitable que l'ancien ufage, foit pour empêcher que la plupart de leurs efclaves ne fe réfugiaffent chez ces Hôtes, afin de changer leurs fers contre des fers moins péfans. L'amour de l'indépendance fi naturel à l'homme, fait préférer à ceux dont le fentiment n'eft point entierement perverti, le féjour d'une cabane, où il n'y a perfonne qui foit en droit de leur commander, à une demeure commode dans un Palais, où fans ceffe ils ont un Maître devant les yeux. La Loi du Monde ordonnoit bien que les efclaves fugitifs qui fe feroient fauvés dans les Mé tairies du Roi, & même dans les aziles des Eglifes, feroient ren dus à leurs Maîtres; mais croit-on que la Loi fût toujours exécutée? Le Romain étoit-il toujours affuré d'obtenir justice des Officiers du Prince, qui certainement ne devoient rendre qu'à regret les esclaves qui s'étoient donnés à eux, & dont ils voient fouvent paffer le prix dans les comptes qu'ils rendoient à ce Prince, en y fuppofant qu'ils les avoient achetés ? Ce qui eft de certain, c'est que les Eglifes dont les Miniftres étoient prefque tous alors de la Nation Romaine, avoient imité l'ufage des Germains dès le tems des Empereurs, & qu'elles donnoient à leurs efclaves des domiciles particuliers & des terres à faire valoir, à charge d'une fimple redevance. On voit enfin par une infinité de faits, qu'avant Clovis, l'ufage dont il s'agit, étoit établi dans plufieurs Provinces des Gaules; il devint feulement plus général & plus à la mode quand les Nations Germaniques s'en furent emparées.

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On peut donc regarder l'introduction de l'esclavage Germanique dans les Gaules, en quelque tems qu'elle y ait été faite, comme l'origine de ce grand nombre de Chefs de familles, ou de perfonnes domiciliées dans un manoir particulier & qu'on voit néanmoins avoir été dans le septiéme fiecle & dans les fie

cles fuivans, serves de corps & de biens. En effet, il paroît en lifant les monumens de nos Antiquités, que fous les premiers Rois Capétiens, les deux tiers des habitans du Royaume étoient du moins Serfs de biens. Perfonne n'ignore qu'on appelloit alors Serfs de biens ou d'héritages, ceux qui tenoient de quelque Seigneur une portion de terre qu'il ne pouvoit pas leur ôter arbitrairement, à condition de la bien faire valoir, & de payer à ce Seigneur une redevance fixée, comme de lui rendre en certaines occafions plufieurs fervices, mais qui pouvoient, dès qu'ils en avoient envie, recouvrer leur indépendance, en délaiffant la portion de terre dont il s'agit, au Maître à qui la proprieté en appartenoit. Il eft vrai que les Serfs de corps étoient en quelque forte de véritables Esclaves, puifqu'ils ne pouvoient devenir libres que moyennant une manumiffion accordée volontairement par leur Maître.

Quant à la fervitude Romaine, il paroît qu'elle ait été abrogée fous les Rois de la feconde Race, & que dès lors on ait ceffé d'acheter des Efclaves pour les tenir dans fa maison soumis à toutes les volontés & à tous les caprices d'un maître despotique qui les employoit, les nouriffoit, les châtioit ou recompenfoit à fon gré. On comprit dès-lors, qu'il étoit contre la Religion, & même contre l'humanité, d'affujettir des hommes aux malheurs d'une condition auffi dure. Il est même si bien établi en France depuis plufieurs fiécles, qu'il ne doit plus y avoir de Serfs domeftiques, ou de la condition dont étoient les Efclaves des Grecs & des Romains, que tout Efclave qui met le pied fur le territoire du Royaume, devient libre de fait. Les exceptions faites à cette Loi generale en faveur des François établis fur les Domaines du Roi en Amérique, fuffiroient feules prouver fon existence..

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Mais lorsque les Rois de la troifiéme Race monterent fur le Trône, il y avoit en France un fi grand nombre de Mains-mortables ou d'Hommes de Fote, c'est-à-dire, de Serfs Germaniques de tout genre & de toute efpece, que nonobftant ce qu'ont fait ces Princes pour les affranchir, il en refte encore dans plufieurs Provinces. Il eft vrai que lors de la tenue des derniers Etats genéraux, faite à Paris en mil fix cens quinze, fous le regne de Louis XIII. le Tiers-Etat inféra dans fon Cahier une fupplication, par laquelle il prioit le Roi d'ordonner que les Seigueurs feroient tenus d'affranchir dans leurs Fiefs tous les Serfs, moyennant une compofition, mais cette demande du Tiers-Etat

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