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CHAPITRE V.

Continuation de ce qui regarde la Nation des Francs en parti culier. On reconnoît fi les perfonnes, dont l'Hiftoire parle étoient des Romains ou des Barbares, au nom propre qu'elles portoient. Que le Pouvoir Civil fut réuni au Pouvoir Militaire fous les Rois Mérovingiens. Quelle étoit fous ces · Princes la Langue commune dans les Gaules.

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PRE'S avoir vu quelle étoit la Loi des Francs, voyons: quelles étoient les perfonnes prépofées pour la faire obferver. Les Rois auffi jaloux d'exercer par eux-mêmes le pouvoir civil que le pouvoir militaire, faifoient fouvent les fonctions: de premier Magiftrat. A cet égard ils imitoient les Empereurs: Romains. On en verra une infinité de preuves dans la fuite. Il pa roît même par le Capitulaire de Childebert II. que fuivant ce qui fe pratique encore en Angleterre, on n'exécutoit aucun Citoyen à mort que la fentence de fa condamnation n'eût été renduë, ou du moins confirmée par le Prince. Il eft dit dans ce Capitulaire. » En conféquence de la réfolution prise dans le Champ de Mars » tenu à Cologne, nous avons ordonné que dès qu'un Juge aura >> connoiffance d'un vol commis dans fon reffort, il fe tranfpor» tera à la demeure du malfaiteur, & qu'il s'en affurera. Si le vo» leur eft de condition libre, il fera traduit devant nous; mais » s'il eft de condition fervile, il fera pendu fur les lieux (a). J'ai traduit ici Francus non point par Franc, mais par Homme de condition libre, fondé fur deux raifons. La premiere, c'eft que dès la fin du fixiéme fiécle, & le Capitulaire de Childebert a été fait vers l'année cinq cens quatre-vingt quinze; Francus fignifioir non-feulement un homme de la Nation des Francs, mais auffi quelquefois un homme libre en général : C'està-dire un Citoyen de quelque Nation qu'il fût. M. Ducange dans fon Gloffaire, prouve très-bien que le mot Francus a été pris

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(4) Similiter Kalendis Martii Colonia convenit & ita bannivimus ut unufquifque judex criminofum latronem audierit, ad cafam fuam ambulet, & ipfum ligare faciat,

ita ut fi Francus fuerit ad'noftram præfentiam dirigatur, & fi debilior perfona fuerit in loco pendatur.

Capitul. Baluz, tom. 1. pag. 19.

fouvent dans cette acception-là, car les paffages que cet Auteur y rapporte ne laiffent aucun donte fur ce fujet. Ma feconde raifon eft que Francus eft ici oppofé fenfiblement à un homme ferf de quelque genre que fût fon esclavage, & non pas un homme d'une autre Nation que celle des Francs. Jamais on ne trouvera les Citoyens des autres Nations que celle des Francs, défignés par l'appellation de Debilior perfona, qui revient au capite minutus des Romains. Le titre foixante & dix-neuviéme de la Loi Ripuaire, rapporté ci-deffus, parle encore de voleurs pendusaprès avoir été jugés par le Roi. Il femble, à la maniere dont Thierri fit exécuter Sigvéald, & par l'Ordre qu'il donna de faire mourir le fils de Sigévald fans forme de procès, que nos Rois jugeoient les criminels en la maniere qu'il leur plaifoit, fans être aftraints à aucune forme, & ce qui eft plus dur, même fans être obligés d'entendre l'accufé. Cela paroît encore par les termes qu'employent les Hiftoriens en parlant de quelques exécutions faites en conféquence d'un Jugement du Prince.. Rauchingus, Bozon-Gontran, Urfio & Bertefridus, (4) die Fredegaire, ayant confpiré contre la vie de Childebert, ce » Prince ordonna lui-même de tuer ces Seigneurs. « En un' mot, on voit dans differens endroits de notre Hiftoire, que les Rois Mérovingiens s'attribuoient le droit de juger leurs Sujets, de quelque conditions qu'ils fuffent, auffi arbitrairement que le Grand Seigneur juge les fiens. Ils exerçoient fur les particuliers la même autorité que Clovis exerça fur le Franc, qui avoit donné un coup de hache d'armes fur le vafe d'argent reclamé par S. Remy. Auffices Princes ont-ils fouvent éprouvé tous les malheurs aufquels les Sultans des Turcs font exposés. Nous reviendrons encore à ce fujet-là, en parlant de l'étendue du pouvoir de

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nos Rois.

Ceux qui commandoient aux Francs immédiatement fous les Rois, s'appelloient Seniores, ou les vieillards. Ces Sénieurs, s'il eft permis d'employer ici dans cette acception, un mot qui n'eft: plus en ufage parmi nous, que pour fignifier les anciens de quel-ques Compagnies, étoient à la fois les principaux Officiers du Roi, tant pour le civil que pour le militaire.» Parmi les Germains, dit Monfieur de Valois, on appelloit les Sénieurs, ceux qui avoient rempli les principaux emplois civils ou mili

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(a) Ipfo quoque tempore Rauchingus & Bozo - Guntramnus, Urfio & Bertefridus Optimates Childeberti Regis eo quod cum.

tractaverant interficere, ipfo Rege ordinante interfecti funt.

Fredeg. Chron. Cap. 8...

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» taires, & ils avoient beaucoup de part au Gouvernement. Lorqu'il arrivoit quelqu'évenement, le Roi les mandoit, & » ils lui difoient leur avis en toute liberté. On lit dans les Com» mentaires de Céfar, que les Ufipétes & les Taneteres, deux » Nations Germaniques qui habitoient fur les bords du Rhin, >> vinrent le trouver, ayant à leur tête leurs anciens & les » fonnes principales de chaque Nation (a). per« M. de Valois après avoir rapporté plufieurs paffages d'Auteurs anciens, où iĺ eft fait mention des Sénieurs des Germains, ajoute: » Parmi » les Francs qui étoient un Peuple Germanique, on appelloit » donc les Sénieurs, ceux qui ayant occupé les premiers emplois, foit dans les armées, foit dans le gouvernement civil, » foit à la Cour, & fe trouvant avancés en âge & décorés en » même tems, demeuroient ou dans les Villes de la domina» tion des Rois des Francs, ou bien dans leurs propres Métairies, comme des perfonnes, à qui leurs travaux paffés » avoient acquis le droit de jouir d'un repos honorable. Ils » étoient en grande confidération, & ils fervoient de Confeil» lers aux Ducs comme aux Comtes lorfqu'ils rendoient la Juf» tice, & de Ministres à nos Rois, à la table defquels ils » voient manger. L'Auteur que je continue de traduire, rappouporte enfuite des endroits de notre Hiftoire, où il eft fait mention de plufieurs Sénieurs des Francs; après quoi il dit: » Dans » un Concile tenu à Clermont, en cinq cens trente-cinq, fous " le bon plaifir du Roi Theodebert, il fut ordonné par le cinquiéme Canon: Que les Sénieurs des Francs & les Anciens qui fe trouveroient dans leurs Châteaux ou bien à la fuite de » la Cour, feroient tenus à Pâques, à la Pentecôte, & à Noël,

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(a) Apud Germanos Seniorum qui honores gefferant & pace ac bello inclaruerant, maxima erat autoritas. Eorum præcipuè confilio Refpublica gerebatur. Hi fi quid adveniffet evocati convenire, & à Regibus confuli ac libere dicere fententiam confueverant. Caius Cæfar in quarto Commentariorum de Ulupetibus & Tencteris Germanis Gentibus Rheni accolis, fic fcribit. Germani frequentes omnibus Principibus, Majoribufque natu adhibitis, ad cum in caftra venerunt........ Apud Francos Gentem Germaniæ ficuti apud cæteros Germanos Seniores five Majores natu erant atque vocabantur qui poftquam Civiles aut Militares Magiftratus gefferant, aut in Palatio militaverant jam ut ætate fic dignita

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te provecti, pars in Urbibus regni Francia, atque veterani. His magnus ab omnibus hopars in villis fuis agebant tanquam emeriti nor habebatur. Hi Comitum & Ducum jus dicentium, ᏂᎥ regum noftrorum confiliarii atque adceffores ac convivæ erant. . . . . Concilium in Urbe Arvernis habitum eft confenfu Regis Theodeberti poft Confulatefimo trigefimo quinto, cujus Canon detum Paulini junioris anno Chrifti quingenjoribus natu qui in villis fuis vel in aula cimus quintus, Senioribus, Francis feu Macommorantur præcipit, Natalem Domini, Pafcha & Pentecoften in fua quemque Urbe & apud fuum quemque Epifcopum celebrare. Val. Not. Gall. ad voc. Rothomagum. pag.

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» de fe rendre chacun dans la Ville Capitale de la Cité où il » étoit domicilié, pour y célebrer ces Fêtes avec fon Evêque. Voilà fuivant l'apparence, ce qui a fait penser à Monfieur de Valois, que ces Sénieurs fuffent ce qu'on appelle des Vétérans ou des Officiers retirés, que le Roi mandoit dans les occasions, pour prendre leur avis. Mais il eft fenfible par tous les autres paffages, que M. de Valois rapporte, comme par ceux qui fe trouvent dans le Gloffaire de Monfieur du Cange, que nos Sénieurs étoient les Officiers exerçans actuellement un emploi Senior. confidérable.

On voit même par la Vie de Saint Faron Evêque de Meaux, dans le feptiéme fiecle, que nos Sénieurs avoient alors des Supérieurs qui s'appelloient Archi-Sénieurs. Les Sénieurs ayant été multipliés par tous les évenemens qui multiplient les Chefs subalternes d'une Nation. Ils n'auront pas pû rendre tous compte, foit au Prince lui-même, foit à l'Officier prépofé par lui, de la portion du gouvernement dont ils étoient chargés. Il aura donc fallu leur donner des Supérieurs, avec lefquels ils travaillaffent, & qui travaillaffent enfuite eux-mêmes avec le Roi, ou avec ceux de fes Confeillers qui avoient le plus de part à fa confiance. Il eft dit dans cette Vie, (4) en parlant des Ambaffadeurs du Roi des Saxons, que Clotaire II. à qui ces Miniftres avoient parlé avec infolence, vouloit faire mourir. » Les Officiers qui »fuivoient le Roi, & les Archi-Sénieurs s'oppoferent avec cou»rage & avec fermeté, à l'exécution de l'Arrêt que le Roi ve»noit de prononcer. Ces Archi-Sénieurs, à qui les Romains avoient donné un nom tiré de la Langue Latine, font apparemment les mêmes Officiers qui dans la Loi Salique, (b) font défignés par le nom de Sagibarones, mot Franc latinifé. Le meurtrier de ces perfonnes-là, étoit condamné à une peine pécuniaire de trois cens fols d'or. En effet, Monfieur Éccard dans fon Commentaire fur la Loi Salique, fait venir le nom de Sagi barones de deux mots Germains, dont l'un fignifie une affaire, & l'autre un homme; de maniere qu'on pourroit traduire Sagi barones, par l'appellation, de gens qui adminiftrent les affaires, ou par celle de Gens des affaires, en ufage fous Charles neuf & fous Henry trois.

(a) Nam Stipatores & Archi - Seniores Principum, hoc edictum ire ingeminando ab ore Regis auribus ut hauferunt, contradicendo pulfu vocum fuarum refringere temptaverunt.

Vita Far. Cap. 72. Du Ch. tom. I. p. 569%

(b) Si quis Sagibaronem aut Gravionem qui puer Regius fuerat occiderit, folidis ter centum culpabilis judicetur.

Lex Sal. iit. $7. Par. fecunda..

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Ad vocem

Une partie des Sénieurs reftoit donc auprès du Roi pour lui fervir de Confeil, tandis que l'autre demeuroit dans les Provinces, pour gouverner les Francs établis dans un certain diftrict. Chacun de ces Chefs ou Gouverneurs, avoit fous lui, suivant l'ancien ufage des (4) Germains, une espece de Sénat, compofé de cent perfonnes choifies par les Citoyens de ce Département. Ces Centenaires, dont il eft parlé fréquemment dans les Loix Nationales des Barbares & dans les (b) Capitulaires, aidoient leur Supérieur de leur avis, & ils faifoient mettre fes ordres en exécution. Lorsque les Francs étoient commandés pour marcher en campagne, le même Officier, qui faifoit les fonctions de Juge durant la paix, faifoit celle de Capitaine durant la guerre, & il avoit alors fous lui, les mêmes fubalternes qui fervoient fous lui dans les quartiers. Ils lui étoient également fubordonnés dans fes fonctions militaires, & dans les fonctions civiles.

Nous fçavons bien qu'il y avoit des quartiers de Francs dans plufieurs Cités des Gaules. On ne fçauroit douter, par exemple, qu'il n'y en eût dans la Cité de Paris, dans celle de Rouen, & dans plufieurs autres. Quand nous traiterons la queftion; fi les Francs étoient affujettis au payement du fubfide ordinaire, nous rapporterons des paffages de Gregoire de Tours qui font foi, que plufieurs Francs s'étoient habitués dans la Cité de Paris. Ce même Hiftorien pour dire que le meurtre de Prétéxtat, Evêque de Rouen affaffiné par ordre de la Reine Frédégonde, caufà une grande douleur à tous les habitans de la Cité de Rouen, foit Francs, foit Romains, s'explique ainfi.» Tous » les Citoyens de Rouen, & principalement les Sénieurs (c) » des Francs, établis dans la Contrée, reffentirent en appre»nant cet évenement, une grande affliction. Mais nous ne fçavons pas fi dans chacune des Cités de l'obéiffance de Clovis, il y avoit des quartiers de Francs. Il eft même apparent, par ce que nous avons obfervé concernant les conquêtes que Clovis fit fur les Vifigots, qu'il y avoit plufieurs Cités des Aquitaines,

(a) Eliguntur in iifdem Conciliis & Principes qui jura per Pagos vicofque reddant. Centeni fingulis ex Plebe comites confilium & autoritas adfunt. Tacit. de Mor. Germ. (b) Si quis Centenarium aut quemlibet Judicem noluerit ad prindendum adjuvare. Capit. Chil. anni 595. articul. 9.

Hoc convenit ut Tunginus vel Centemarius Mallum indicent.

Capit. anni 798. art. 48.

Ut Judices, Vice-Domini, Præpofiti, Advocati, Centenarii boni & veraces & manfueti cum Comite & Populo eligantur. Cap. ann. 809. art. 22.

(c) Magnus tunc omnes Rhotomagenfes Cives & præfertim Seniores illius loci Fran cos, mæror obfedit.

Greg. Tur. Hift. Lib. 8. Cap. 31.

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