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cens foixante & douze, ce fut l'an de l'Incarnation quatre cens quarante-neuf (4), que la Nation des Anglois ou des Saxons fit fa defcente dans la grande Bretagne, où elle étoit appellée pour tenir tête à d'autres Barbares qu'on y avoit fait venir pour les oppofer aux Pictes, & où elle fe brouilla bientôt avec les anciens Habitans, c'est-à-dire, avec les Bretons. Dans le Chapitre fuivant, ce même Auteur dit: » Après que la guerre eut »été allumée entre les Saxons & les Bretons, la fortune fe dé» clara tantôt pour les anciens habitans de l'Ifle, tantôt pour » les Saxons. Enfin le fuccès de la guerre parut incertain juf» ques au blocus de Banefdown, qui fe fit environ quarante» quatre ans après la defcente dont j'ai parlé. « Ainfi ce fut vers l'année quatre cens quatre-vingt-treize, que les Saxons bloquerent Banefdown (b) qui eft une montagne au pied de laquelle eft Bath, Ville Epifcopale d'Angleterre, & fur laquelle étoient, fuivant les apparences, les principales places d'armes des Bretons, & leurs meilleurs poftes.

que tant

Dès qu'on jette les yeux fur la carte, on voit bien que les Bretons tinrent Banefdwon, ils purent à la faveur des rivieres & de quelques poftes retranchés qui s'étendoient jusqu'à la Manche, conferver les pays de l'Angleterre qu'on défigne par le nom de pays de Galles, & ceux qu'on défigne par le nom des Comtés de l'Oueft. Mais dès que les Saxons fe furent rendus Maîtres de Banefdown, nos Bretons fe trouverent relegués audelà du Golfe de Bristol, & réduits à peu près à ce qui s'eft appellé depuis le pays de Galles, ou le pays des Gaulois. Alors plufieurs de ces Bretons qui ne vouloient pas vivre fous l'obéiffance des Saxons, ou qui fe trouvoient trop ferrés dans le pays auquel ils étoient réduits, auront pris le parti de fe retirer dans les Gaules, & ils l'auront pris d'autant plus volontiers, qu'ils étoient eux-mêmes Gaulois d'origine, & qu'ils parloient encore la Langue de leur ancienne Patrie.

(a) Anno ab Incarnatione Domini quadringentefimo quadragefimo nono. Tunc Anglorum five Saxonum Gens invitata à Rege præfato, Britanniam advehitur.

Bed. Hift. Eccl. Lib. pr. cap. 15. Edit. Combr. pag. 57.

Ex eo tempore nunc hoftes nunc cives vincebant ad annum obfidionis Badonici montis quando non minimas iifdem hoftibus ftrages dabant, quadragefimo & quarto circiter anno adventus corum in Britanniam,

Ibidem, capite decimo fexto.

(b) Aquæ folis, Aqua calidæ Ptol. Mons Badonius five Badonicus Beda, poftea Bathonia, nunc Bath vulgo.

Banodicus Mons, Banefdown Cambdeno. Mons Britanniæ in Anglia ad quem Bathonia cft Urbs Epifcopalis fub Archiepifcopatu Cantuarienfi...

Lexii Ferrarii Edit. Londinenfis, pag. 28. & pag. 5o.

P. 321.

Si Béda nous apprenoit l'année que les Saxons fe rendirent maîtres du Boulevard de Banefdown, dont la prife fut un évenement décifif, lui qui nous apprend l'année qu'ils en commencerent l'attaque, nous fçaurions en quel tems les premiers Bretons Infulaires feroient venus s'établir dans le Pays connu aujourd'hui fous le nom de Baffe Bretagne. Malheureufement Béda ne le dit point; mais je crois que nous trouvons cette datte dans la Chronique de l'Abbaye du Mont Saint Michel, publiée par le Pere Labbe. On y voit (a) que ce fut l'année cinq cens treize, & par conféquent environ deux ans après la mort de Clovis, que les Bretons d'Outremer vinrent s'établir fur la côte du Gouvernement Armorique, c'est-à-dire, dans le Pays appellé depuis par cette raifon la petite Bretagne. Voilà pourquoi Gregoire de Tours a écrit: » Que depuis la mort de Clovis les Bretons ont toujours (b) été Sujets des Rois Francs. La mort de ce Prince & l'arrivée des Bretons dans les Gaules, auront été deux évenemens fi voifins, qu'on pouvoit dater le moins connu par la date du plus célebre.

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Suivant les apparences, les Saxons auront été obligés de faire la guerre durant plufieurs années, avant que de pouvoir venir à bout de forcer tous les retranchemens & d'emporter les forts & tous les poftes que nos Bretons avoient fur ces montagnes. Il fe fera écoulé près de vingt ans entre le commencement du blocus de Banefdown & la prise de la derniere Retirade des Bretons. D'ailleurs, on peut voir dans les Annales du Pere le Cointe, fur Tom. I. Ann. l'année cinq cens vingt, plufieurs extraits de la Vie de Saint Gildas & de l'Hiftoire de Béda, qui font foi que cette année-là il paffa encore dans les Gaules un grand nombre de Bretons qui venoient y joindre probablement ceux de leurs compatriotes, qui fept ans auparavant y avoient commencé un établissement. Enfin, Gregoire de Tours ne fait aucune mention de Bretons établis dans les Gaules, il ne nomme jamais les Britones parmi les Peuples qui faifoient leur demeure dans cette grande Province de l'Empire, lorfqu'il écrit l'Hiftoire des tems antérieurs à Clovis, & même celle du regne de Clovis. Il eft vrai, comme nous l'avons vû, qu'il fait mention d'un Corps de Bretons infulaires, qui avoient des quartiers dans le Berri fous Anthemius;

(a) Anno quingentefimo decimo tertio; (6) Nam femper Britanni fub Francorum venerunt Tranfmarini Britanni in Armori- poteftate poft obitum Regis Chlodevechi cam, id eft Minorem Britanniam. fuerunt, & Comites non Reges appellati Nov. Bibl. Labbai, Tom. prem. pag. 349.fant. Greg. Tur. Hift. Lib. 4. cap. 4.

mais comme nous l'avons vû auffi, c'étoit un Corps de troupes nouvellement levé dans la Grande Bretagne pour le fervice de l'Empire. On a même expliqué que ce Corps étoit compofé d'Habitans de la Grande Bretagne, & non point d'Habitans des Gaules. Gregoire de Tours ne commence à faire mention des Bretons comme d'un Peuple, pour ainfi dire, domicilié dans les Gaules, que lorsqu'il en eft venu à l'Hiftoire des Succeffeurs de Clovis, fous lefquels ils s'étendirent.

Ainfi nos Bretons n'ayant cherché un azile dans la troisième Lyonoife qu'après qu'elle eut paffé fous la domination de ce Prince; ils n'y auront été reçûs qu'à condition de fe soumettre à fon autorité. Quand même il feroit vraisemblable, ce qui n'eft pas, que leur Colonie y eût été fondée avant la réduction des Armoriques à l'obéiffance de Clovis, on devroit fuppofer que cette Colonie auroit eu la même destinée que les anciens Habitans du territoire où elle auroit été reçue, & avec lesquels elle auroit été incorporée. Il n'y a aucune preuve du contraire de tout ce que je viens de dire, & il eft contre toute apparence qu'une poignée de fugitifs eût fait tête à un Prince aufli puiffant que l'étoit alors Clovis, du moins, fans que l'Hiftoire eût fait quelque mention de cette réfiftance. Sur ce point-là, je me refere aux doctes Ecrits publiés en differens tems, pour montrer que toute la petite Bretagne a toujours reconnu les Rois des Francs fes Seigneurs. On trouvera dans ces Ecrits une folide réfutation. de la preuve la plus plaufible qu'alléguent les Auteurs qui ont foutenu le fentiment oppofé, laquelle est tirée de ce qu'un EvêBreton a foufcrit les Actes du Concile tenu à Tours en l'an- de l'Etabl. des née quatre cens foixante & un.

que

pour

Hift. Crit.

Bretons dans les Gaules,

Quelle eft la Loi fuivant laquelle auront vêcu les Bretons In. Tom. 1. pag. fulaires établis dans les Gaules? Ils auront ainfi que les Romains $1. de leur voifinage, vêcu felon le Droit Romain, jufques à ce que les révolutions dont nous parlerons un jour, y ayent substitué les Coutumes. On vient de lire que les Saxons Beffins, pour fe déguiser en Bretons, s'étoient coupé les cheveux très-court, & qu'ils avoient pris des habits differens de ceux que les Peuples Germaniques dont ils étoient un, portoient ordinairement. Or comme il n'y avoit alors que les Romains qui portaffent des cheveux courts, il paroît que nos Saxons pour le travestir en Bretons, s'étoient traveftis en Romains, & par confequent que nos Bretons Infulaires étoient encore vêtus à la Romaine, Voilà de quoi fortifier notre conjecture fur la Loi fuivant laquelle les

Tome II.

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Bretons réfugiés dans les Gaules, ont vêcu durant les premiers tems de leur établissement.

Quant aux Juifs dont nous avons obfervé déja, qu'il y avoit déja un grand nombre dans les Gaules lorfque les Francs s'y établirent, je crois qu'ils y furent regardés comme faifant une portion de la Nation Romaine, mais la portion la plus baffe.

Nous avons donc vû que le Peuple de la Monarchie fe divifoit premierement en Barbares & en Romains, que les principales Nations Barbares étoient les Francs dits abfolument, les Ripuaires, les Bourguignons, les Allemands & les Bavarois, qui tous avoient leur Loi particuliere fuivant laquelle ils vivoient. Nous avons auffi parlé des Etrangers qui ne faifoient point un Corps confiderable, & qui fe trouvoient établis dans le territoire de la Monarchie, comme les Teifales, les Saxons & les Bretons Infulaires. Il paroît qu'après cela il fallut, pour fuivre l'ordre de la premiere divifion, parler à prefent des Romains, & leur donner un Chapitre à part. Mais ce que nous avons à en dire, est tellement lié à tout ce qu'il convient d'expofer, pour donner une idée de l'Etat & Gouvernement général des Gaules, fous Clovis & fous fes premiers Succeffeurs, qu'afin d'éviter les redites nous ne ferons point un Chapitre particulier, pour expliquer quelle étoit fous ces Princes la condition des Romains des Gaules.

CHAPITRE VI I I.

Du Gouvernement général des Gaules, fous Clovis & fous fes
premiers Succeffeurs. Du ferment que prêtoient les Rois
à leur Inauguration.

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Des Evêques & de leur Pouvoir.

E préjugé vulgaire eft, que Clovis, après avoir conquis les Gaules l'épée à la main, les gouverna avec un fceptre de fer, & même qu'il y réduifit les anciens Habitans à une condiBoulain. Ori- tion approchante de la fervitude, attribuant à fes Francs une gine & Droits autorité fur le Peuple Gaulois, avec une diftinction formelle, telle que du Maître à l'Esclave. Je crois done devoir commencer ce Chapitre par quatre obfervations, qui prévenant le Lecteur contre ce préjugé fans fondement, le rendent capable de fe con

de la Noblef

le, pag. 24.

vaincre lui même en lifant les faits qui feront rapportés dans la fuite, qu'il eft abfolument faux que nos Rois ayent jamais réduit les Romains des Gaules dans une efpece d'efclavage, & qu'il eft vrai au contraire, que ces Princes ne changerent rien à la condition des Sujets, & qu'ils changerent très-peu de chofes à la forme du Gouvernement qui avoit eu lieu dans cette grande Province de la Monarchie Romaine, fous les derniers Empereurs.

En premier lieu, on remarquera que, comme on l'a déjà vû dans le premier Chapitre de ce fixiéme Livre, nos Rois de la se. conde Race prêtoient à leur avénement à la Couronne un ferment à tous leurs Sujets, par lequel ils promettoient de conferver à chaque Nation, fa Loi, fes Ufages & fes Libertés. On voit d'un autre côté par un grand nombre de paffages des Capitulaires rapportés dans cet Ouvrage, que plufieurs de ces Sujets vivoient fuivant la Loi Romaine; elle étoit donc une des Loix dont ces Monarques avoient promis l'observation. Or un Prince ne prête pas ferment aux Efclaves de fes Sujets. Il ne le prête qu'à des Citoyens de condition libre. Il n'y a point lieu de douter, attendu la ressemblance qui a été entre le Gouvernement du Roïaume, fous la premiere Race & fous la feconde Race, que l'usage de ce ferment d'inauguration, n'ait été en ufage dès la premiere. Mais il y a plus, comme je l'ai déja obfervé. Gregoire de Tours, dit pofitivement: Que lorfque le Roi Charibert petit-fils de Clovis, prit poffeffion de la Touraine, ce Prince reçut le ferment de fidélité des Tourangeaux, & qu'il leur en fit un auffi de fon côté, par lequel il promettoit de leur confever leur Loi, & (a) de les laiffer jouir de leurs franchises, & exemptions. Il paroît même en lifant la fuite de ce paffage de Gregoire de Tours, que nous rapporterons dans le quatorziéme Chapitre de ce Livre, que ce ne fut point à une des Nations Barbares établies en Touraine, mais à tout le Peuple du Pays, que Charibert prêta le ferment dont il y eft parlé.

J'observerai en fecond lieu, que Clovis, comme on l'aura remarqué, n'a rien conquis dans les Gaules fur les Romains, en fubjuguant par force les anciens Habitans du Pays, fi ce n'eft peut-être la cité de Tongres, celle de Soiffons, & le peu de païs que Syagrius pouvoit tenir dans le voifinage de la derniere. Nous

(a) Poft mortem vero Clotarii Regis, Chariberto Regi, Populus hic facramentum dedit: fimiliter & ille cum juramento pro

mifit, ut leges confuctudinesque novas, po-
pulo non infligeret.

Greg, Tur. Hift. Lib. nono, cap. 30.
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