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deux Villes contigues, mais cependant féparées l'une de l'autre par une enceinte de murailles. Celle de ces Villes qui eft l'ancienne, & dans laquelle la Cathédrale eft bâtie, s'appelle la Cité. Elle eft défignée par le mot Civitas abufivement pris, dans la Chartre de l'érection ou plûtôt de la confirmation de fa Commune octroyée par le Roi Louis VIII. en l'année mil deux cens onze, & qui vient d'être citée. On voit bien en effet que ce mot eft employé, ainsi qu'en d'autres Actes, dans le fens qu'il a vulgairement aujourd'hui, c'est-à-dire, pour fignifier l'ancien quartier d'une Ville qui s'est aggrandie, & non pas dans l'acception où nous avons averti dès le commencement de cet Ouvrage que nous l'employerons, c'eft-à-dire, pour fignifier un certain diftrict gouverné par une Ville Capitale, pour fignifier en un mot, ce que les anciens Romains entendoient par Civitas. L'autre Ville d'Arras, celle qui a été bâtie fous la troifiéme Race, attenant les murailles de l'ancienne, s'appelle la Ville (4) abfolument, & fe trouve défignée par le mot Villa dans la Chartre par laquelle Robert Comte d'Artois lui accorde une partie des droits dont jouiffoit la Cité d'Arras, & que ce Prince octroya l'année mil deux cens foixante & huit. Or cette Cité d'Arras, qui du tems des Empereurs Romains étoit la Capitale de la Cité des Artéfiens, l'une des Cités de la feconde Belgique, n'a jamais reconnu pour Seigneurs les Comtes d'Artois, quoiqu'ils fuffent Notit. Gall. des Princes puiffans, quoiqu'ils fuffent les Maîtres de tous les environs, & même de la nouvelle Ville, ou de la Ville abfolument dite. La vieille Ville d'Arras n'a traité avec eux que comme avec un voifin puiffant. Elle a toujours relevé immédiatement de nos Rois qui en laiffoient ordinairement le gouvernement aux Evêques, & cela jufqu'en mil cinq cens vingt-neuf que Francois I. la ceda par le dixiéme Article du Traité de Cambray, à l'Empereur Charles-Quint Comte d'Artois.

Nous trouvons que Térouenne enclavée au milieu du Pays qui s'apelle aujourd'hui l'Artois, n'a jamais reconnu les Comtes d'Artois pour Seigneurs, & que cette Ville & fa Banlieue, ont toujours joui des droits de Commune fous l'autorité immédiate du Roi, jufques à l'année mil cinq cens cinquante-cinq qu'elle fut prise par les armes de Charles-Quint, & rafée & démolie par fes ordres. Jufques-là cette Ville avec fa Banlieue a fait une espece de petite Province au milieu du territoire du Comte d'Artois, & (a) Præterea villæ noftræ Atrebatenfi & Scabinis ejufdem villæ concedimus, &c. Spicil. Tom. 3. pag 574.

6. Liv. 23..

ch. 11

connue fous le nom de la Regale de Terouenne. Auffi Térouenne eft-elle inferite fur la Notice de l'Empire comme Ville Capitale de la Cité des Morins, l'une des douze Cités comprifes dans la feconde des Provinces Belgiques.

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L'Auteur contemporain qui a écrit la vie de Charles VI. & qui eft connu fous le nom de l'Anonime de faint Denys, parlant de plufieurs graces que le Duc de Bretagne obtint de ce Roi en Hift. de Ch. mil quatre cens trois, dit: » Mais le Duc de Bretagne fit encore un plus grand coup d'état de fe faire donner par le Roi: » pour la réunir à sa Duché, la Ville de faint Malo, jufques-là » toujours fujette & fidelle à nos Rois, & que l'on confide» roit comme l'éperon le plus capable de dompter le Duc de Bretagne. « Sans entrer plus avant en difcuffion, nous nous contenterons de dire que le Canton de la troifiéme Lyonoise qui compofe aujourd'hui le Diocèfe de faint Malo, étoit devenu Cité fous les Rois de la premiere Race. C'est ce qui avoit mis la Ville Capitale de ce Canton en état de maintenir fes droits & de fe conferver dans la fujetion immédiate à la Couronne, toute fituée qu'elle étoit entre le Duché de Normandie & le. Duché de Bretagne.

Enfin lorfque plufieurs Villes de celles qui du tems des Empereurs Romains étoient Capitales de Cités, ont été troublées dans le droit d'avoir une Juftice Municipale, elles ont mis en fait dans les Tribunaux, qu'elles étoient en poffeffion de ce droit avant l'établiffement de la Monarchie Françoife dans les Gaules, & qu'elles le tenoient des. Succeffeurs d'Augufte & de Tibére..

L'année mil cinq cens foixante & fix, le Roi Charles IX. ordonna par l'Edit de Moulins: Que tous les Corps de Ville, ou pour parler le langage du fixiéme ficcle, que tous les Senats qui rendoient encore la juftice en matiere civile, en matiere criminelle, & en matiere de Police, ne la rendroient plus qu'en matiere criminelle, & en matière de Police. Il eft dit dans l'article foixante & onzième de cette Ordonnance: » Pour donner quelqu'ordre à la Police, & pourvoir aux plaintes qui fur ce nous » ont été faites, nous avons ordonné que les Maires, Echevins, Confuls, Capitouls & Adminiftrateurs des Corps de Ville qui » ont eu ci-devant, ou bien ont préfentement exercice des cau» fes civiles & criminelles & de la Police, continueront feule»ment ci après l'exercice du criminel & de la Police, à quoi » leur enjoignons vacquer inceffamment, fans pouvoir doré

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navant s'entremettre de la connoiffance civile des inftances » entre les Parties, laquelle leur avons interdite & défendue.

Depuis le regne de Louis XII. jufqu'en mil cinq cens foixante & fix, le nombre des Juges Royaux gradués, s'étoit accru exceffivement en France, foit par la multiplication des Officiers dans les anciens Tribunaux, foit par la création des Sieges Préfidiaux dans chaque Bailliage, foit par l'érection des nouveaux Bailliages. Mais quel qu'ait été le véritable motif de la difpofi tion contenue dans l'Edit de Moulins & de laquelle il s'agit ici, il fuffira de dire que cet Edit n'a été mis pleinement en exécution qu'avec le tems.

Il eft vrai cependant, que non feulement il a cu fon effet, mais qu'il eft encore arrivé que les fucceffeurs de Monfieur le Chancelier de l'Hôpital qui en avoit été le Promoteur, ont dépouillé prefque toutes les Villes de leur Juftice en matiere criminelle, & en matiere de Police, mais cela n'eft point de notre fujer. Voyons comment quelques Villes qui avoient été Capitales de Cité du tems des Romains fe défendirent, lorfqu'en vertu de l'Edit de Moulins, elles furent troublées dans le droit d'avoir une Justice Municipale qui connoiffoit des conteftations & des délits de leurs Habitans.

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Dans cette occafion, & même toutes les fois que la Ville de Reims Capitale d'une des plus illuftres Cités de la Gaule, a été troublée dans l'exercice de fa Jurifdiction Municipale, elle a mis en fait, qu'elle étoit en poffeffion dès le tems des Empereurs Romains, & qu'elle y avoit toujours été depuis. Voici ce qu'on trouve à ce fujet dans un Difcours fur l'antiquité de l'Echevinage de la Ville de Reims, & des jufles raisons qui ont mû les: Echevins à maintenir fes droits & fa Jurifdiction. Nicolas Bergier fi célébre dans la Republique des Lettres par fon Hiftoire des grands chemins de l'Empire Romain, & l'Auteur de ce dif cours, y dit après avoir allegué, que même avant la conquête des Gaules par Jules Cefar, la Ville de Reims étoit déja gouvernée par un Senat.. » Or la forme de cet ancien gouverne»ment eft démeurée entiere à la Ville de Reims jufqu'aux tems » que l'Etat des Romains étant diffipé, elle a reçu la gloire d'ê » tre foumise à l'Empire & domination de nos Rois, fous le re» gne defquels ce gouvernement a changé de nom & non de » forme, ayant été appellé Echevinage, nom qui fe trouve plus > d'une fois dans les Capitulaires de Charlemagne.

Ce fçavant homme rapporte enfuite plufieurs preuves convain-

Voyez les Nos tab. & obferv. vin. pag. 95.

de Louis Vre-

quantes, pour montrer que dans tous les tems l'Echevinage de Reims avoit adminiftré la Juftice à fes Habitans, non feulement en matiere criminelle, mais auffi en matiere civile, & entr'autres il produit un témoignage rendu en faveur de fa caufe dès le douzième fiécle & rendu par une perfonne défintereffée. Ce témoignage mérite bien d'être rapporté.

Jean de Salisbury qui avoit fuivi en France faint Thomas de Cantorbery, fut fpectateur de plufieurs mouvemens qui arriverent dans Reims, à l'occafion des démêlés que l'Archevêque Henri fils du Roi Louis le Gros, y eut avec les Citoyens concernant leurs franchises & leur Jurifdiction Municipale. Or cet Anglois dit dans une Lettre écrite à l'Evêque de Poitiers pour l'informer de tous ces démêlés & de leurs fuites: (4) Les Citoyens » de Reims fe font d'abord humiliés devant leur Archevêque, » & même ils prétendent qu'ils prirent alors la réfolution de » porter dans les coffres deux mille livres pefant d'argent, à "condition qu'il n'entreprît point fur leurs droits, & qu'il les » laiffat en poffeffion d'avoir une Juftice telle qu'ils l'avoient » dès le tems de faint Remi l'Apôtre des Francs. « Il est vrai que le texte de Jean de Salisbury dit Legem & non pas Juftitiam. Des Seig. ch. Mais comme Loyfeau l'observe, Loi, fignifie Juftice en nos Cou

16. art. 47.

tumes.

Auffi le Parlement de Paris a-t-il jugé plufieurs fois que la Ville de Reims étoit bien fondée dans les prétentions lorsqu'il s'agit de l'exécution de l'Edit de Moulins. La Cour, dit Bergier, ordonna par fon Arrêt du vingt-cinquiéme Mai mil cinq cens foixante & buit, que lesdits Echevins jouiroient de leur Justice & de leur Jurifdiction nonobftant l'Edit de Moulins, ainfi qu'ils avoient fait ci-devant, parce qu'il fut reconnu qu'il ne fe devoit étendre fur les Villes de cette qualité, qui en jouiffoient avant que la France fût en Royaume.

Les Jurifconfultes du feiziéme fiecle qui ont eu occafion de parler des Procès aufquels l'exécution de l'Edit de Moulins donna lieu & qui furent portés devant les Cours Souveraines, écrivent que plufieurs autres Villes alléguoient les mêmes raifons que celle de Reims, comme des moyens qui devoient les exempter de fubir la Loy générale. Voici ce qu'on trouve dans Loyfeau à ce fujet-là.

(a) Et primo quidem ei humilitatem exhibuerunt parati duo millia librarum ficut multi teftantur, conferre in ærarium ejus, dummodo cos jure tractaret, & Legibus vi

vere pateretur quibus Civitas continuo ufa eft à temporibus fancti Remigii Francorum Apoftoli.

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» Or quand on voulut exécuter cette Ordonnance de Mou- Des Seig. ch. » lins, & ôter en effet aux Villes la Justice civile, plusieurs 16. art. 82. » Villes y formerent oppofition, les unes difant que cette Ju»stice leur appartenoit de toute ancienneté, même avant l'éta» bliffement de la Monarchie Françoife..... Les Habitans de >> Boulogne foutinrent hautement contre Monfieur le Procureur Général, qu'ils avoient leur Justice de toute ancienneté, qu'ils s'étoient donnés & joints à cette Monarchie à condi» tion qu'elle leur demeureroit, & en avoient toujours joui depuis. Leur fait fut reçu, reçu, & neanmoins faute d'en faire apparoir " promptement par titres, il fut dit par Arrêt du mois de Jan» vier mil cinq cens foixante & onze, que par provifion l'Or» donnance feroit exécutée. Autant en fut ordonné dans la » cause de ceux d'Angoulême en mil cinq cens foixante & → douze.

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René Chopin dit: (4) » Les Habitans de Boulogne fur mer » foutinrent auffi un procès contre Monfieur le Procureur Gé néral, & ils y mirent en fait, que leur Juftice étoit plus an>> cienne que la Monarchie Françoife. La Cour ordonna qu'elle » en délibereroit. On aura peine à croire, attendu la qualité des Parties, que le Parlement de Paris eut furfi au Jugement définitif du procès de Boulogne, comme à celui de quelques autres Villes, fi les Habitans de ces Villes- là n'euffent point appuyé leurs Moyens par des preuves, du moins très-vraifemblables. Suivant la Notice des Gaules, rédigée du tems de l'Empereur Honorius, Boulogne étoit la Capitale d'une des douze Cités de la feconde Belgique, Angoulême, étoit celle d'une des fix Cités de la feconde Aquitaine.

Le Capitole de Toulouse qui eft encore aujourd'hui en poffeffion de rendre la justice en matiere criminelle, & qui n'a été dépouillé du droit de la rendre en matiere civile qu'en vertu de l'Edit de Moulins, foutient qu'il jouiffoit, & de la prérogative qu'il a confervée, & de celle qu'il a perdue, avant que la Ville de Toulouse fût foumise à la domination de Clovis, & qu'il en a joui fous les trois Races de nos Rois. Lyon prétend que fon Corps de Ville ne foit originairement autre chofe que le Senat qui régiffoit la Cité de Lyon du tems des Empereurs Romains, & qui auroit continué l'exercice des fonctions fous les Rois

(4) In eumdem Procuratorem generalem | experti funt judicio Bononiæ Belgicæ Cives de fua Jurifdictione, cujus nempe creatio

nem jactitent Monarchia Francica antiquio-
rem. Senatus de eo deliberandum ftatuit.
Chop.de Dom. Franc. Lib. 3. tit. 20.

La Faille, Ann. de Toupag. ss.

loufe, tom. I.

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