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Bourguignons, fous les Rois Francs, fous les Empereurs modernes, & enfin fous les Rois de France.

On fçait encore que jufques au regne de Charles VI. qui créa des Elus en titre d'Office, c'étoient les Corps de Ville qui impofoient & qui levoient les deniers des Tailles & ceux des Aides, mais l'entiere difcuffion de cette matiere, appartient à l'Hiftoire du Droit public, en ufage fous les Rois de la troifiéme Race.

Comme les Francs eux-mêmes entroient dans les Senats des Villes, où ils exerçoient tous les emplois Municipaux, ainsi qu'il le paroît par le paffage d'Agathias, que nous avons rapporté & que nous avons cité tant de fois, il n'eft point étonnant que les Senats ayent fubfifté fous nos Rois Mérovingiens. Il femblemême qu'ils euffent quelquefois plus d'autorité que le Comte

même.

En effet nous voyons des Comtes n'avoir point affez de crédit pour empêcher que les Cités où chacun d'eux commandoit, net priffent les armes l'une contre l'autre. Nous voyons que ces Officiers du Prince ne peuvent venir à bout de faire ceffer cette guerre privée, autrement que par voie de médiation. Quelles étoient donc les troupes avec lesquelles ces Cités s'entrefaifoient la guerre ? C'étoient les mêmes Milices qu'elles avoient fous les Empereurs Romains, & dont elles fe fervoient lorfqu'elles en venoient aux voies de fait l'une contre l'autre.

Comme les troupes que les Empereurs Romains foudoyoient dans les Gaules, ne les mettoient pas toujours en état de prévenir ces fortes de guerres civiles, de même les Milices des Francs & des autres Barbares, que les Rois Mérovingiens avoient dans cette vafte contrée, ne pouvoient pas toujours être mises sur pied affez tôt, pour empêcher que les anciens Habitans du Pays, que les Romains, Sujets de ces Princes, ne répandiffent le sang les uns des autres. Quelquefois les Francs, dont les quartiers étoient dans le voifinage des lieux, où s'allumoit la querelle, feront restés neutres. Ils auront attendu, les bras croisés, que Gouvernement la terminât. En quelques occafions, les Francs auront épousé la querelle du Romain leur Compatriote, & par un malheur qui ne leur arrivoit que trop fouvent, ils fe feront battus les uns contre les autres. Peut-être même que la Nation des Francs qui n'étoit pas bien nombreufe, & qui cependant avoit à tenir en fujetion un Pays fort étendu, & dont les Habitans font naturellement belliqueux, ne voyoit pas avec beaucoup de peine les Romains prendre les armes contre les Ro

le

mains. Leurs diffentions & leurs querelles faifoient fa fûreté. Les faits que nous raconterons dans le Chapitre fuivant, mais qui ne font pas les feuls que nous pourrions rapporter, prouveront fuffisamment tout ce qui vient d'être avancé.

CHAPITRE X I I.

Des Guerres que les Cités des Gaules faifoient quelquefois l'une contre l'autre fous les Rois Mérovingiens.

Quand Gregoire de Tours défigne ceux dont il fait mention par le nom propre de leur Pays, il entend parler des Romains de ce Pays-là, & non pas des Barbares qui s'y étoient établis.

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A

PRE'S la mort de Chilpéric, dit Gregoire de Tours, (a) les Habitans de la Cité d'Orleans s'étant alliés à » ceux du Canton de Blois, qui étoit compris dans la Cité de Chartres, contre les Habitans du Dunois, qui étoit un autre » Canton de la Cité de Chartres: ces Alliés entrerent à l'impré» vû dans le Dunois, dont ils dévafterent le Plat-Pays, em»portant avec cux tout ce qu'ils purent enlever, mettant le , feu au refte, & même aux maifons. Mais les Habitans du » Dunois ayant été joints par les Habitans d'autres Cantons de la Cité de Chartres, ils prirent bientôt leur revanche. Ils en»trerent donc à main armée dans le Territoire de la Ciré d'Or» leans & dans le Canton de Blois, & ils ne laifferent point pierre fur pierre dans tous les lieux où ils camperent. Cette >> guerre auroit eu de plus longues fuites, fi le Comte de la Cité » de Chartres & le Comte de la Cité d'Orleans ne se fuffent » pas entremis, & s'ils n'euffent fait convenir les deux Partis, » premierement, d'une ceffation d'armes, durable jufqu'à ce » qu'on cûe prononcé fur les prétentions réciproques, & fecondement, d'un compromis qui obligeoit celui des deux

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(a) Defun&o igitur Chilperico, Aure- commoventes 'defavirent & Aurelianenfes lianenfes cum Blælenfibus juncti fuper Du- contra hos arma concuterent, intercedenti nenfes incurrant cofque inopinantes prote- bus Comitibus pax ufque in audientiam darunt....... Quibus difcedentibus conjunta eft, fcilicet ut in die quo judicium erat fu&ti Dunenfes cum reliquis Carnotenis de veftigio fubfequuntur fimili forte cos adficienCumque adhuc inter fe jurgia

tes.

Tome II.

turum, pars quæ contra, partem injuste ex-
arferat, juftitia mediante componeret; Et fic
à bello ceffatum eft Gr, Tur. hift. lib. 7. c. 24
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En $849

» Partis qui feroit jugé avoir eu le tort, à indemnifer l'autre ravage fait dans fon Territoire. Ce fut ainfi que finit la » guerre.

du دو

On obfervera qu'il faut que ces voies de fait, ne fuffent point reputées alors ce qu'elles feroient reputées aujourd'hui, je veux 'dire, une infraction de la paix publique & un crime d'Etat, puifque le compromis ne portoit pas que ce feroit celui qui avoit commis les premieres hoftilités, qui donneroit fatisfaction au lefé, mais bien celui qui feroit trouvé avoir une mauvaise cause. Il pouvoit arriver que par la Sentence du Roi, ou par le Jugement arbitral des Comtes, il fut ftatué qu'au fond c'étoit la Cité d'Orleans & le Canton de Blois qui avoient raifon, & qu'ainfi ceux qui avoient fait les premieres violences reçuffent une fatisfaction de ceux qui avoient fouffert ces premieres violences.

Il paroît en lifant avec réflexion l'Hiftoire de ce qui s'eft paffé dans les Gaules, fous les Empereurs Romains & fous les Rois Mérovingiens, que chaque Cité y croyoit avoir le droit des armes contre les autres Cités, en cas de déni de Justice. Cette opinion pouvoit être fondée fur ce que Rome, comme nous l'avons obfervé déja, ne leur avoit point impofé le joug à titre de Maître, mais à titre d'Allié. Les termes d'Amicitia & de Fœdus, dont Rome fe fervoit en parlant de la fujetion de plufieurs Cités des Gaules, auront fait croire à ces Cités qu'elles confervoient encore quelques-uns des Droits de la Souveraineté, & qu'elles en pouvoient user du moins contre leurs égaux, c'est-à-dire, contre les Cités voisines. Dès qu'on fouffroit à quelques-unes de nos Cités de s'arroger le droit d'attaquer hoftilement les autres, le droit naturel donnoit à ces dernieres le pouvoir de fe deffendre auffi par les armes, & la plupart du tems, on ne peut fe bien deffendre qu'en attaquant. Rome qui n'avoit pas trop d'interêt à tenir unies les Cités des Gaules, leur aura laiffé croire ce qu'elles vouloient, & aura même toleré qu'elles agîffent quelquefois conformément à leur idée. Nous avons parlé affez au long dans notre premier Livre, des guerres que les Cités des Gaules faifoient les unes contre les autres, même fous le des premiers Céfars. L'idée dont je viens de parler, & qui étoit fi flareufe pour des Peuples également legers & belliqueux, fe fera confervée dans nos Cités, malgré la converfion des Gaulois

regne

la Religion Chrétienne; Elle y aura fubfifté même fous les Rois Mérovingiens. Enfin elle s'y fera perpetuée, de maniere

qu'elle fubfiftoit encore fous les premiers fucceffeurs de Hugues Capet. Ainfi l'on ne doit pas reprocher à Louis le Gros & à d'autres Rois de la troifiéme Race, d'avoir mis le droit de tirer raifon de fes Concitoyens par la voie des armes, au nombre des Droits qu'ils accordoient par leurs Chartres aux Communes qu'ils rétabliffoient, ou à celles qu'ils érigeoient de nouveau. Ces Princes n'auront fait en cela que rendre aux premieres un Droit qu'elles réclamoient, odieux fi l'on veut, mais dont elles n'avoient point été dépouillées par un pouvoir légitime. Il leur avoit été ôté par des Ufurpateurs qui les avoient opprimées. Quant aux fecondes, le Droit qu'on laiffoit aux premieres, fembloit exiger qu'on leur en accordât un pareil, fur tout, dans un tems où la France étoit couverte de brigands nichés dans des Fortereffes, & qui ne refpectoient gueres les Jugemens du

Souverain.

On voit par d'autres paffages de Gregoire de Tours, que de fon tems les Milices des Cités alloient à la guerre, & que même en plufieurs autres conjonctures, elles étoient commandées pour le fervice du Roi.

Aufli-tôt après la mort du Roi Chilpéric premier, Childebert fon neveu s'empara de la Cité de Limoges & de la Cité de Poitiers. Gontran frere de Chilpéric, & qui avoit des prétentions fur Poitiers, fe mit en devoir d'en chaffer Childebert & de s'en rendre le Maître. Il donna donc à Sicarius & à Villacarius, la commission de s'en faifir. Ce dernier étoit Comte d'Orleans, & lorfqu'il reçut fa commiffion, il venoit de foumettre la Touraine à Gontran. (a) Sicarius & Villacarius fe mirent donc en campagne avec les Tourangeaux, pour entrer dans le Poitou d'un côté, tandis que les Milices de la Cité de Bourges y entreroient d'un autre. Cette expédition finit par une convention, dans laquelle la Cité de Poitiers s'engageoit à reconnoître Gontran pour Roi, au cas que l'Affemblée qui s'alloit tenir pour accorder ce Prince avec Childebert fon neveu, décidât que le Poitou devoit appartenir à Gontran.

On voit dans Gregoire de Tours plufieurs autres exemples de Cités qui ont porté la guerre dans une autre Cité, & dont les Milices commettoient autant de défordres qu'en auroient pû

(4) Sicharius vero cum Villacario Aurelianenfi Comite, qui tunc Turones acceperat, exercitum contra Pictavos commovit ut fcilicet ab una parte Turonici ab alia

|

Biturici, commoti cuncta vaftarent. Qui
cum ad terminum propinquaffent ac crema-
re cœpiffent, &c.

Greg. Tur. Hift. Lib. 7. cap. 13.
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commettre des Barbares nouvellement arrivés des rivages de la mer Baltique.

Il paroît même en lifant avec réflexion l'Hiftoire de notre Monarchie, que ce furent les guerres civiles, allumées, il eft vrai, prefque toujours par les Rois Francs, mais dont les Ro mains portoient eux-mêmes le flambeau au milieu des Cités voifines de la leur, qui changerent dans les Gaules les bâtimens en mafures, les champs labourés en forêts, les prairies en marécages, & qui réduifirent enfin cette contrée fi floriffante encore fous le regne de Clovis, dans l'état de mifere & de dévaftation où elle étoit au commencement du huitiéme fiecle. Mais l'expérience même, ne fçauroit corriger les Habitans des Gaules de ceux de leurs vices qui font le plus oppofés au maintien de la Societé, & fur tout de leur legereté naturelle, comme de leur précipitation à recourir aux armes, & à en venir aux voies de fait, laquelle a fi fouvent été cause qu'ils fe font battus fans avoir de veritables querelles. Ces vices qui ont ouvert l'entrée des Gaules aux Romains, & qui dans la fuite les ont livrées aux Barbares, Y cauferont toujours les maux les plus funeftes toutes les fois que leurs Peuples ne feront point fous un Souverain affez autorisépour les empêcher de fe détruire, & pour les forcer à vivre heureux dans le plus aimable Pays de l'Europe.

Les particuliers qui compofoient les Milices des Cités étoient tenus de marcher dès qu'ils étoient commandés; & ceux qui reftoient chez eux après avoir reçû l'ordre de joindre l'armée, étaient punis comme défobéiffans. Quant à ce point-là, le Citoyen Romain étoit traité par fes Supérieurs, ainfi que le Barbare l'étoit par les fiens. (4) Gregoire de Tours après avoir parlé d'une expédition que le Roi Gontran avoit faite dans le Pays de Commenge, ajoute ce qui fuit: » Les Juges rendirent enfuite » une Ordonnance où il étoit ftatué, que chacun de ceux qui » avoient manqué à fe rendre à l'armée dans le tems où il leur » avoit été enjoint de s'y trouver, feroit condamné à une amende, & en conféquence le Comte de la Cité de Bourges » envoya quelques-uns de fes Officiers dans une Métairie de » fon District, & qui étoit du Domaine de Saint Martin, pour

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(a) Poft hoc Edictum à Judicibus darum eft, ut qui in hac expeditione tardi fuerant damnarentur. Biturigum quoque Comes mifit pueros fuos ut in domo beati Martini qua in hoc territorio fita eft, hujufmodi homines fpoliare deberent. Sed Agens domus,

illius refiftere fortiter cœpit, dicens : Sancti Martini homines ii funt, nihil eis inferant injuriæ; quia non habuerunt confuetudinem in talibus caufis abire.

Greg. Tur. Hift. Lib. 7. cap. 42.

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