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contraindre ceux qui demeuroient dans cette maison & qui » étoient dans le cas de l'Ordonnance, à payer l'amende. L'Ìn» tendant de la Métairie s'y oppofa, difant que ces perfonnes » ne devoient point payer l'amende, parce qu'elles apparte» noient à Saint Martin, & qu'il n'étoit pas d'ufage qu'elles » marchaffent en des cas pareils à celui où l'on s'étoit trouvé. En effet elles ne payerent pas l'amende ordinaire. Il n'y a point d'apparence que ces perfonnes qui appartenoient à Saint Martin, c'eft-à-dire, qui faifoient valoir les fonds d'une Métairie appartenante à l'Eglife de Saint Martin, fuffent des Barbares.

Après la mort de Chilpéric affaffiné à Chelles par un inconnu Ebérulfus l'un des Officiers du Palais fut accufé par la Reine Frédegonde d'avoir fait tuer le Roi fon mari. Ebérulfus fe réfugia dans l'Eglife de Saint Martin de Tours. On fçait que nos Rois avoient alors un fi grand refpect pour ces aziles, qu'ils n'attentoient rien de plus contre celui qui s'y étoit réfugié, que d'en faire garder toutes les iffuës pour l'empêcher de s'évader. Quand nos Rois avoient pris cette précaution, ils attendoient que l'ennui réduisît le fugitif à faire, pour le fauver, des tentatives qui le livraffent à ceux qui le guettoient, ou que l'Evêque le remît entre les mains de leurs Officiers. Les Milices du Canton de Blois & celles de la Cité d'Orleans furent donc commandées pour monter alternativement la garde à toutes les avenues de l'enceinte de l'Eglife de S. Martin qui n'étoit point enclofe pour lors dans les murs de la Ville de Fours. (4) Quand la Milice: de Blois avoit monté la garde durant quinze jours, elle étoit relevée par celle d'Orleans, qui à fon tour étoit relevée par la Milice de Blois au bout d'un pareil terme. Mais ce qui peut fervir encore de preuve à ce que nous avons dit concernant la maniere: dont les Cités voisines vivoient ensemble, nos Milices traitoient la Touraine en Pays de conquête. Les Soldats y prenoient le bétail & les chevaux qu'ils pouvoient attrapper, & ils en emmenoient avec eux un bon nombre, toutes les fois qu'ils retournoient dans leur Pays.

Pour peu qu'on foit verfé dans le ftyle de Gregoire de Tours, on fçait bien que lorsqu'il dit abfolument, les Chartrains, les Orleannois, ou les Parifiens, c'est des Romains de ces Cités qu'il (4) Quod cum comperiffet Eberulfus, Ba- quindecim diebus cum multa præda reverte-filicam fancti Martini cujus res fæpe perva. bantur adducentes pecora & jumenta, ferat expetivit. Tunc data occafione ut cufto- quodcunque diripere potuiflent. diretur Aurelianenfes atque Blefenfes viciffim ad has excubias veniebant, impletifque

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Greg. Tur. Hift. Lib. 7. cap, 21.

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entend parler, & non point des Francs qui pouvoient s'y être habitués. En premier lieu, toutes les circonftances des évenemens dont il s'agit dans ces occafions-là, montrent que c'eft des Romains, que c'eft de ceux des Habitans d'une Cité, lefquels on défignoit déja par un furnom tiré du nom de leur Patrie, plufieurs fiecles avant qu'il y eût des Barbares établis dans les Gaules, que notre Hiftorien entend faire mention. En fecond lieu Gregoire de Tours regardoit fi bien les furnoms tirés du nom d'une Cité, comme affectés de fon tems aux feuls Romains, qu'il n'a jamais défigné, par ces furnoms employés abfolument, les Barbares établis dans les Cités des Gaules. Quoique les Teifales, par exemple, fuffent établis dans la Cité de Poitiers dès le tems d'Honorius, cependant, comme on l'a vû dans le feptiéme Chapitre de ce Livre, notre Hiftorien, en parlant d'évenemens arrivés plus de cent cinquante ans après la mort de cet Empereur, les nomme encore Teifales & non Poitevins. Ce n'a été que fous les derniers Rois de la feconde Race, que les Barbares établis dans les Gaules, ont ceffé d'être défignés par le nom propre de leur Nation, & que confondus avec l'ancien Habitant, ils ont commencé à porter, comme lui, un furnom tiré du nom du Pays où ils demeuroient. Rapportons quelques endroits de notre Hiftorien qui prouvent encore ce qui vient d'être avancé.

Lorfque Gregoire de Tours eft obligé à défigner la Peuplade de Barbares établie dans une Cité particuliere en fe fervant du furnom tiré du nom propre de cette Cité, il fe donne bien de garde de donner à cette Peuplade un pareil furnom employé abfolument. Il joint à ce furnom le nom propre de la Nation dont étoit la Peuplade particuliere de laquelle if entend parler.

Quand le Roi Chilperic petit-fils de Clovis fit la guerre aux Bretons Infulaires établis dans les Gaules, il y avoit déja près de deux fiecles que la Colonie des Saxons qui étoit établie dans le Diocèle de Bayeux, y habitoit. Cependant lorfque Gregoire de Tours, rapporte que nos Saxons eurent part à cette guerre, il joint au nom de leur Pays le nom de leur Nation. (a) Il ne les appelle point les Beffins abfolument, mais les Saxons Beffins. Il a foin de les défigner encore de la même maniere dans d'autres endroits de fes Ouvrages.

(a) Sed Vuarochus dolofe per noctem fuper Saxones Baiocaffinos ruens maximam exinde partem interfecit.

Greg. Tur. Hift. Lib. 5. cap. 27.

Baiocaffinos Saxones juxta ritum Britannorum tonfos, in folatium Vuarochi abire præcepit.

Ibid. Libro decimo, cap. 9.

Lorfque Gregoire de Tours veut parler de la Peuplade de Francs établie dans la Cité de Tournai, il ne la défigne point par l'appellation d'Habitans du Tournaifis, employée abfolument. (4) Il la nomme les Francs Tournaifiens.

Enfin cet Auteur oppose lui-même dans plufieurs endroits de fes Ouvrages, le furnom d'Auvergnac, celui d'Orleanois, bref les furnoms tirés du nom des Cités des Gaules, au nom de Franc, & cela en parlant d'évenemens arrivés plus d'un fiécle après que les Francs fe furent établis dans les Gaules. Notre Hiftorien fuppofe donc fenfiblement, qu'en difant qu'un tel étoit Auvergnac, Orleanois, ou Parifien, il ait donné à entendre fuffifamment, que ce tel étoit de la Nation Romaine. Sans cela il n'y auroit eu aucune jufteffe à opposer Auvergnac à Franc, dit ab folument, & fans faire aucune mention de la Cité dont ce Franc étoit. Rapportons quelques exemples.

Greg. Tur.

La famille Firmina étoit une des plus illuftres de l'Auvergne, même avant que cette cité fût foumife à la domination des Francs. Nous avons plufieurs lettres adreffées à un Firminus par Sidonius Apollinaris qui le traite de fon fils. Suivant toutes les appa. Lib. 9. Ep. 1.. rences un autre Firminus qui exerçoit l'emploi de Comte en & 17. Auvergne, fous le regne de Clotaire I. & qui fut deftitué par Chramme fils de ce Prince, étoit de cette Famille-là. Il eft auffi probable que ce Firminus eft le même qu'on retrouve Comte Hift. Lib. 4. d'Auvergne fous le Regne de Sigebert fils de Clotaire I. Chram- cap. 13. me s'étoit rendu fi odieux, qu'on peut bien croire que dès qu'il ne fut plus, les Officiers qu'il avoit dépofés, n'eurent point de peine à fe faire rétablir. Ainfi je crois que ce Comte Firminus eft le même Comte Firminus que Sigebert envoya en Ambaffade à Conftantinople. Quoiqu'il en ait été, le nom feul de cet Ambaffadeur fuffit pour montrer qu'il étoit Romain de Nation. Or Gregoire de Tours dit, en parlant de cette Ambaffade : (b) » Enfin Sigebert envoya deux Ambaffadeurs à l'Empereur Justin, » Varinarius Franc de Nation & Firminus Auvergnac. "L'Abbréviateur dit la même chofe, en qualifiant encore Firminus de Comte. Ainfi voilà Auvergnac dit abfolument, opposé à Franc dans le texte de Gregoire de Tours.

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Cet Historien parlant d'une autre Ambassade, de celle que

(a) Inter Tornacenfes quoque Francos magna difceptatio orta eft. Ibid. cap. 27. (b) Denique Sigebertus Rex Legatos ad Juftinum Imperatorem mifit Warinarium Francum & Firminum Arvernum.

Greg. Tur. Hift. Lib. 4. cap. 39.

Ad quem Juftinum Sigebertus Legatos
Warinarium Francum & Firminum Comi-
tem direxit, qui pace cum Imperatore facta.
Hift. Gr. Tur. Epitome, cap. 64.

Childebert, fils du Roi Sigebert, envoya vers l'Empereur Maurice, dit, qu'elle étoit compofée de trois Miniftres, & il raconte que des trois Ambaffadeurs l'un étoit, qu'on me permette ces expreffions, Soiffonnois, l'autre Arlefien, & le troifiéme Franc. (a) Voici fes paroles. » Les trois Ambaffadeurs fe trouvoient » alors dans ce lieu-là. L'un étoit Bodégifile fils de Mummo» lenus de Soiffons; l'autre, Evantius fils de Dynamus d'Arles; » & le troifiéme, Grippo Franc de Nation.

Je conclus donc que toutes les fois que Gregoire de Tours fait mention d'une Milice qu'il défigne par un furnom dérivé du nom d'une des Cités des Gaules, il entend parler d'une Milice compofée des anciens Habitans de cette Cité-là, c'est-à-dire, de Romains. C'eft d'eux qu'il parle pour citer un exemple, lorfqu'en faifant le dénombrement de l'armée que Chilpéric affembla fur la Vilaine, pour la mener contre les Bretons Infulaires établis dans la troifiéme des Provinces Lyonoifes, il dit: (b) Qu'on y voyoit les Tourangeaux, les Poitevins, les Beffins, les Angeviens, les Manceaux, & les Milices de plufieurs autres Cités. Pourquoi auroit-on quelque peine à croire que les Rois Mérovingiens fe foient fervi des Milices des Cités des Gaules, quand on a que Clovis avoit pris à fon fervice les Légions qui gardoient la Loire, & que fes fucceffeurs confioient le commandement de leurs troupes à des Généraux Romains de Nation?

(a) Erant enim ibi tunc, ut diximus, Legati Bodegifilus filius Mummoleni Sueffionici & Evantius filius Dynamir Arelatenfis, & hic Grippo genere Francus.

Gr. Tur. Hift. Lib. 10. cap. 2.

(b) De hinc Tutonici, Pictavi, Baiocaffini, Cenomannici, Andegavi cum aliis multis in Britanniam ex juffu Chilperici Regis abierunt.

Gr. Tur. Hift. Lib. 4. cap. 27.

CHAPITRE

CHAPITRE X II I.

Que les Francs n'en uferent pas avec l'ancien Habitant des Gaules, ainfi que la plupart des autres Nations Barbares en avoient ufé avec l'ancien Habitant des Provinces où elles s'étoient établies, & qu'ils ne lui prirent point une portion de fes Terres. Des Terres Saliques.

L

'OPINION ordinaire eft que les Francs en uferent quand ils s'établirent dans les Gaules, ainfi que les Bourguignons & les Vifigots en avoient ufé quand ils s'y étoient établis, s'autorifant, felon les apparences, fur ce qui s'étoit paffé fous le regne d'Augufte, quand ce Prince ôta une partie de leurs terres aux Citoyens de plufieurs Cités pour les diftribuer à fes Soldats. On fe figure donc que ces Francs ôterent à l'ancien Habitant des Provinces qu'ils foumirent, une portion de fes terres & qu'ils l'approprierent à leur Nation, de maniere que cette portion de terre en prit le nom de Terre Salique. Je tombe d'accord que fous les Rois de la premiere & de la feconde Race, & même fous les premiers Rois de la troisième, c'est-à-dire, tant que la diftinction des Nations qui compofoient le Peuple de la Monarchie, n'a point été pleinement anéantie; il y a eu dans le Royaume des efpeces de fiefs qui s'appelloient Terres Saliques, & qui étoient affectés spécialement à la Nation des Francs, mais je nie que ces terres fuffent des terres dont nos Rois avoient dépouillé par force les particuliers des Provinces qui s'étoient foumises à la domination de ces Princes. Je regarde l'opinion ordinaire comme une des erreurs nées de la fuppofition que nos Rois avoient conquis à force ouverte les Gaules fur les Romains, & qu'ils en avoient réduit les Habitans dans un état approchant de la fervitude. Tâchons donc à déméler ce qu'il y a de vrai d'avec ce qu'il y a de faux dans l'idée qu'on a communément des Terres Saliques.

On ne fçauroit douter que prefque tous les Francs ne fe foient tranfplantés dans les Gaules fous le regne de Clovis, & fous celui de fes quatre premiers fucceffeurs. L'amour du bien être, naturel à tous les hommes, vouloit qu'ils en ufaffent ainfi. Dès que

Tome II,

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