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feffeurs étoient tenus en cas de guerre. (a) Il n'étoit pas même permis aux Bourguignons par la Loi Gombette de difpofer entre vifs des terres de leurs parts ou portions en faveur d'un étranger. Ils ne pouvoient les aliéner qu'en faveur d'un Romain, qui eût déjà des fonds à lui dans le Canton, ou bien en faveur d'un Bourguignon qui déja cût à lui une poffeffion ou un établissement dans le Pays. Il y avoit même plus; La Loi Gombette, qui, comme nous l'avons rapporté fur l'année cinq cens, étoit beaucoup plus favorable aux Romains que l'ancienne Loi des Bourguignons, ordonnoit que lorsqu'un Bourguignon vendroit fa part & portion, le Romain fon Hôte, c'est-à-dire, le Romain qui avoit été Proprietaire de ce fond-là, avant le partage de l'année quatre cens cinquante-fix, feroit preferé à tous autres dans cette acquifition. Pour parler fuivant nos ufages, ce Romain pouvoit retirer le fond dont il eft queftion fur tout autre acquereur. Tout étranger étoit exclu de l'acquifition de ces parts & portions. On voit par-là que les petits fiefs ont été venaux, du moins fous condition, dès le tems de leur premiere origine. Il eft vrai cependant qu'il y avoit une nature de biens dont les Bourguignons ne pouvoient pas disposer même entre vifs.. C'étoit les terres qu'ils tenoient uniquement de la pure liberalité de leurs Rois. (b) Elles devoient paffer fuivant la Loi aux defcendans des gratifiés, afin qu'elles fuffent un monument durable de la magnificence de ces Princes. Enfin nous avons déja remarqué que les terres Saliques ou les benefices militaires des Francs n'étoient jamais qualifiés du nom de fortes ou de lot. Ce nom néanmoins étoit le titre propre & fpécial que l'ufage géneral avoit donné à la portion de terre qu'avoit eu pour fon partage chaque Citoyen d'uneNation Barbare lorfqu'elle s'étoit mife en poffeffion de la moitié ou des deux tiers des biens fonds appartenans aux anciens Habitans des Provinces Romaines, où elles étoit établie.

De tout ce qui vient d'être expofé, je conclus que l'Hiftoire & les Loix des Francs ne difant rien d'où l'on puiffe inferer que les Francs ayent ôté au Particulier dans les Provinces des Gaules.

(4) Quia cognovimus Burgundiones fortes fuas nimia facilitate diftrahere hac præfenti Lege credimus ftatuendum, ut nulli vendere terram fuam liceat, nifi illi qui alio loco fortem aut poffeffionem habet..... In comparando quam Burgundio venalem habet nullus extraneus Romano hofpiti præferatur, nec extraneo per quodlibet argumentum liceat comparare,

Lex. Burgund. Titul. octogefimo quarto.

(b) Illud etiam huic Legi adjungi placuit ut fi quis de Populo noftro à parentibus. noftris munificentia caufa aliquid percepif fe dignofcitur, id quod ei conlatum cft etiam ex noftra largitate ut filiis fuis relin quat præfenti Conftitutione præftamus, &c.

Titul. 1. art. 3.

557 où ils s'établirent, une partie de fes fonds pour en former leurs terres Saliques, il s'enfuit que les Francs ne la lui ont point ôtée; & s'il eft permis d'ufer d'une pareille expreffion, que cette abftinence du bien d'autrui étoit l'un des motifs qui faifoient fouhaiter aux Romains de cette vafte & riche Contrée de passer sous la domination de nos Rois.

CHAPITRE XI V.

Que les Revenus de Clovis & des autres Rois Merovingiens étoient les mêmes que ceux que les Empereurs avoient dans les Gaules lorfqu'ils en étoient les Souverains. Du produit des Terres Domaniales & du Tribut public. Que les Francs étoient affujettis à la derniere de ces impofitions.

NOU

quatre

Ous avons dit dans le Chapitre onzième du premier Livre de cet Ouvrage, que le revenu dont les Empereurs Romains jouiffoient dans les Gaules, étoit composé de Branches principales, fçavoir du produit des terres dont l'Etat ou la République étoit le Proprietaire, du produit du tribut public ou du fubfide ordinaire, payable géneralement parlant par tous les Citoyens, à raison de leurs conditions, biens & facultés, du produit des Douanes & Péages établis en plusieurs lieux, & enfin des dons gratuits ou reputés tels, que les Sujets faifoient quelquefois au Prince. Nous avons même expofé un peu au long dans ce Chapitre-là & dans les Chapitres fuivans,, quelle étoit la maniere de lever tous ces revenus, afin qu'à la fas veur des circonftances que cette déduction nous donnoit lieu de rapporter, il nous fût plus aifé de juftifier dans la fuite, que nos Rois lorfqu'ils furent devenus les Maîtres des Gaules, jouirent precifément des quatre branches de revenu dont les Empereurs y avoient joui precédemment. C'eft ce qu'il s'agit à prefent de montrer, en ramaffant ce qu'on trouve à ce sujet dans les monumens litteraires de la Monarchie..

S'il n'eft point dit expreffément & formellement dans tous ces écrits, que nos Rois ont eu dans les Gaules les mêmes reve-nus dont y jouiffoient avant eux les Empereurs Romains, c'eft qu'il a paru inutile à ceux qui les ont compofés d'y faire mention d'une chofe, que tout le monde voyoit auffi-bien qu'eux,

& qui d'ailleurs étoit dans l'ordre commun. En effet, lorsqu'une Province change de Maître, le nouveau poffeffeur y entre auffi tôt en jouiffance de tous les revenus qui appartenoient precédemment au Souverain dépoffedé. C'eft l'ufage ordinaire, & même les Historiens qui fe plaisent le plus à charger leurs narrations de détails & de circonftances, ne daignent point faire mention de cet incident. Ils fuppofent avec fondement qu'avoir dit, par exemple, que Louis XIV. conquit en mil fix cens quatre-vingt-quatre le Duché de Luxembourg fur le Roi d'Espagne Charles II. c'eft avoir dit fuffifamment, que le Roi très-Chrétien s'y mit en poffeffion de tous les Domaines, Droits, & Revenus dont le Roi Catholique y jouiffoit avant la conquête.

On devroit donc fuppofer, quand bien même on n'en auroit pas de preuve, que lorfque Clovis & fes fucceffeurs fe rendoient Maîtres d'une Province des Gaules, ils s'y mettoient auffi-tôt en poffeffion de tous les biens & droits appartenans au Souverain. Nous avons vû qu'il n'y eut point alors dans les Gaules une fubverfion d'Etat, & encore moins un bouleversement de la Societé. Comme les Sujets y refterent en poffeffion de leurs droits & revenus, le Sceptre y demeura auffi en poffeffion des fiens, quoiqu'il eut changé de main. La nouveauté qu'il y eut, c'est que les droits & les revenus établis, devinrent les droits & les revenus des Rois des Francs, au lieu qu'auparavant ils étoient ceux des Empereurs Romains.

Parlons donc du produit de la premiere branche de ces revenus. Tous les fonds de terre qui appartenoient aux Empereurs, devinrent le corps du Domaine de nos Rois. On lit dans Gregoire de Tours, que le Roi Charibert petit- fils de Clovis, prétant l'oreille à des courtifans avides qui lui infinuoient que la Métairie de Nazelles dont l'Eglife de (4) Saint Martin de Tours jouiffoit depuis long-tems, étoit du Domaine, il l'y réunit, & qu'il y établit un Haras. Ce Prince s'obftina même à garder Nazelles comme un bien de la Couronne, nonobftant les évenemens miraculeux qui chaque jour y arrivoient & qui lui devoient faire reconnoître l'injuftice de la réunion qu'il avoit faite. Ce ne fut qu'après la mort de Charibert que cette Métairie fut restituée à (a) Ingeftum eft auribus Chariberti Regis qui reiculam illam in fuo dominio subjugalocum quemdam quam Bafilica fancti Mar- rent...... Adveniente autem gloriofiffimo tini diuturno tempore retinebat, Fifci fui Sigeberto Rege in ejus regnum, hoc domijuribus redhiberi. Loco autem illi Navicel- nio fancti Martini reftituit. lis nomen prifca vetuftas indiderat. Qui accepto iniquo confilio pueros velociter mifit |

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Greg. Tur. de Mir. S. Martini, lib. primo, cap. vig, nono.

Saint Martin par le Roi Sigebert devenu Maître de la Touraine...

Si le corps de Domaine que nos Rois poffedoient dans cette Cité, n'eût été formé que lorfque Clovis s'en rendit maître vers l'année cinq cens huit, il n'auroit pas été incertain fous le regne de Charibert qui parvint à la Couronne en cinq cens foixante fi Nazelles étoit, ou s'il n'étoit pas du Domaine Royal. Le fait eut été notoire, & fuppofé qu'il eût été bien averé que Nazelles n'étoit pas du Domaine, Charibert ne l'eut pas ufurpé fur l'Eglife de Saint Martin pour laquelle nos Rois Mérovingiens avoient le même refpect qu'avoient les Juifs pour le Temple de Salomon. Gregede de Tours ne dit pas même que Nazelles ne fût point du Domaine. Il fe contente d'alleguer que l'Eglife de S. Martin étoit en poffeffion de ce lieu-là depuis plufieurs années, ce qui montre que réellement il y avoit lieu de douter dans cette affaire. Je conclus donc que le corps de Domaine Royal dont il étoit incertain vers l'année cinq cens foixante, fi Nazelles faifoit partie ou non, devoit avoir été formé dans des tems fort éloignés, & par conféquent qu'il n'étoit autre que le corps du Domaine des Empereurs Romains. Les Rois Vifigots fe l'étoient approprié en Touraine auffi-bien que dans les autres Provinces qu'ils avoient occupées; & Clovis lorfqu'il les cut conquifes fur Alaric fecond, s'y fera mis en poffeffion des biens dont ces Princes s'étoient emparés. Les Rois des Francs, dit Dominici, Avocat au Parlement de Toulouse, dans fon Livre de la Prérogative de l'Alleu (a » ont eu de grands Domaines dans les Provinces de notre voifinage; & ces Domaines venoient probablement de celui des » Rois Vifigots fur lefquels ils les avoient conquifes. C'est ce qu'on peut voir par le Teftament de Saint Remi, & par l'acte » de la donation que fit le Roi Chilperic de deux Métairies af» fifes dans le territoire de Cahors.

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L'Hiftoire des Rois Mérovingiens eft remplie de preuves qui font voir que ces Princes poffedoient en proprieté une infinité de fonds de terre, & qu'ils étoient, comme on le dit en parlant des particuliers, de grands Terriens. Voilà ce qui leur a donné le moyen d'enrichir tant d'Eglifes, & de fonder tant de Monafteres dans un tems où il falloit affigner aux Religieux des revenus un peu plus folides que ne le font des loyers de maisons

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ou des rentes conftituées à prix d'argent. On fçait encore par 'Hiftoire & par les Capitulaires que ces Princes faifoient valoir les terres de leur Domaine par des Intendans, & par cette efpece d'Efclaves qu'on appelloit les Serfs Fifcalins, parce qu'ils appartenoient au Fifc. Il y a même dans les Capitulaires tant d'Ordonnances faites à ce fujet, qu'il fuffit d'avoir ouvert le Livre pour en avoir lû quelques-unes. Ainfi je ne les rapporterai point. Je ne rapporterai pas même plufieurs endroits de Gregoire de Tours ou des Auteurs qui ont écrit peu de tems après lui, & qui montrent que le Fifc des Rois Mérovingiens avoit tous les droits que le Fife des Empereurs avoit eus, & quil s'approprioit les biens des criminels & les biens abandonnés, parce que j'ai déja fait lire en parlant d'autres fujets un grand nombre de paffages qui prouvent fuffifamment cette verité.

Quand nous avons traité des revenus de l'Empire Romain dans les Gaules, nous avons vû que la premiere branche de ce revenu, laquelle provenoit du produit des terres dont la proprieté appartenoit à l'Etat, avoit outre le rameau dont il vient d'être parlé, deux autres rameaux; fçavoir un droit qui fe levoit fur le gros & fur le menu bétail qu'on menoit pâturer dans les bois & autres pâturages dont le fond appartenoit en propre à રે l'Etat, & un autre droit qui fe levoit fur ce qu'on tiroit des mines & carrieres. Nous allons trouver nos Rois Mérovingiens en poffeffion de ces deux droits-là.

Gregoire de Tours après avoir raconté plufieurs miracles arrivés à Brioude au tombeau du Martyr Saint Julien, dans le tems que Thierri le fils du grand Clovis regnoit fur l'Auvergne, ajoute ce qui fuit: » Il y eut auffi un Diacre qui après avoir » abandonné les fonctions de fon état, étoit entré au fervice » de ceux qui faifoient le recouvrement des revenus du Prince » & qui abufoit tellement de la commiffion qu'ils lui avoient donnée, qu'il s'étoit rendu odieux par ses vexations à tous les » Pays circonvoifins. Il arriva que s'étant tranfporté dans la » montagne pour y lever le droit du Fifc fur les troupeaux qui » fuivant la Coutume y étoient allés paître durant l'été, il y fit » plufieurs malversations. (a)

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Quant aux droits que nos Rois levoient fur le produit des

(a) Fuit etiam quidam Diaconus qui re- | lictam Ecclefiam Fifco fe publico junxit, acceptaque à Patronis poteftate tanta perpetrabat fcelera, ut vix poffet à vicinis fuftineri. Accidit autem quadam vice ut faltus

montenfes ubi ad æftivandum oves abierant circumiret atque pafcuaria quæ Fifco debebantur inquireret. Greg. Tur, de Glor. Mart Lib. 2. cap. 17,

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