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cinq cens fept. Il étoit donc plus commode de s'en tenir à l'époque déja établie à Cambray.

Tous ceux qui ont fait quelqu'étude de notre Hiftoire, fçavent bien qu'il eft arrivé fouvent que les années du regne du même Prince fuffent comptées differemment par les Sujets. En une certaine Province on faifoit commencer le regne d'un Prince à une année, & dans d'autres Provinces on le faifoit commencer à une année differente; c'eft de-là que provenoit la varieté d'époques qui avoit lieu même dans la Chancellerie des Princes. Quand on y expédioit une chartre, on la dattoit fuivant la maniere de compter les années du Prince, laquelle étoit en usage dans le pays où la chartre devoit valoir. Voici ce qu'on trouve au fujet de cette varieté d'époques dans un Factum publié en mil fept cens vingt-fix, par les Peres Benedictins de Compiegne, contre les prétentions de l'Evêque de Soiffons.

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» La difficulté de concilier ces époques a exercé nos plus grands Critiques. Ils conviennent tous que ce feroit une té» merité de tirer de-là un moyen de faux. Le Pere Chiflet Jefuite, dans fon Hiftoire de Tournus, parle en ces termes des » années du Roi Conrart. Il n'y a bonnement aucun des an» ciens Rois & Empereurs qui n'ait divers commencemens de » fon regne, comme fçavent ceux qui font verfés en Histoire, » & qu'il eft très-neceffaire d'y prendre garde pour raifon des » dates appofées aux chartres par les Notaires & les Chanceliers, pour les ajufter avec la vraie Chronologie. Le Pere Papébrock & le Pere Viltheims Jefuites, établiffent le même principe. On peut encore confulter le Pere Mabillon à la "page 202. de fa Diplomatique, où il fait voir par la varieté » qui fe trouve dans les chartres du Roi Henry premier, qu'il » falloit qu'il y eût diverfes manieres de compter les époques. » C'eft ce qu'il prouve encore ailleurs dans fa Diplomatique. » En un mot, tout ce qu'il y a d'habiles Critiques, convien» nent de ce principe.

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J'ajoûterai encore une raifon pour appuyer mon fentiment; Que dans tous les Etats de Clovis les Sujets ne comptoient point la même année pour la premiere année de fon regne, mais que chacun d'eux comptoit pour premiere année de ce regne, l'année où fon pays étoit paffé fous la domination de ce Prince. Ma nouvelle preuve fera tirée de ce qu'écrit Gregoire de Tours après avoir rapporté la mort de Clovis. Cet Historien avant que de dire en quelle année, à compter de la mort de

Tome II.

H

Saint Martin, époque affez en ufage dans les Gaules durant le fixiéme fiecle, Clovis étoit mort, écrit (4) » Clovis mourut

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cinq ans après la bataille de Vouglé, & il regna en tout » trente années. Pourquoi Gregoire de Tours donne-t'il ici pour une époque particuliere, la premiere année de la guerre Gothique où fe donna la bataille de Vouglé, pourquoi en fait-il mention même avant que de faire mention de celle dont il étoit naturel de fe fervir; je veux dire, de l'époque tirée de la premiere élevation de Clovis qui avoit été fon avenement à la Couronne de fon pere Childeric,mort en quatre cens quatre-vingtun? N'est-ce point parce que notre Historien né dans la Cité d'Auvergne, étoit de plus Evêque de Tours, lorsqu'il compofa fon Ouvrage, & que dans ces deux Cités on comptoit pour la premiere année du regne de Clovis, l'année cinq cens fept, parce que c'étoit dans cette année-là que Clovis, après la bataille de Vouglé, avoit foumis la Cité de Tours, celle d'Auvergne & plufieurs autres de celles dont les Visigots avoient été les maîtres jufques-là. Enfin on verra dans le Chapitre douzième du Livre fuivant, que bien que Theodoric Roi des Oftrogots regnât fut toute l'Italie dès l'année quatre cens quatre-vingt-treize, cepen dant les Romains d'Efpagne ne comptoient après qu'ils furent devenus Sujets de Theodoric, les années du Regne de ce Prince, qu'en commençant à l'année cinq cens dix, parce que c'étoit cette année-là que l'Espagne avoit paffé fous la domination de Theodoric. On comptoit encore en Espagne l'année fixiéme de Theodoric, quand en Italie on comptoit déja la vingt-troisième année du regne du même Prince.

Je conclus donc de tout ce qui vient d'être expofé, que le mariage de Clovis avec Clotilde, & la foumiffion volontaire des Cités fituées entre la Somme & la Seine, font deux évenemens arrivés dans l'espace de douze mois, & qu'on peut par conféquent regarder le premier comme ayant été une des caufes du dernier. L'Auteur des Geftes & Hincmar ne parlent point de cette foumiffion comme d'une conquête. Il y a plus; Theodoric Roi d'Italie, dit pofitivement dans une Lettre écrite à Clovis immediatement après que le dernier eut défait les Allemands à Tolbiac en quatre cens quatre-vingt-feize: » Qu'il voit avec plai"fir la nouvelle gloire que les Francs viennent d'acquerir, après

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» avoir été fi long-tems fans faire parler d'eux. Nous rapporterons cette Lettre dans le Chapitre fuivant. Quelle apparence que Theodoric eût écrit au Roi des Francs en quatre cens quatrevingt-feize ce qu'on vient de lire, fi ces Francs euffent conquis à force d'armes en quatre cens quatre-vingt-douze, ou l'année précedente, la plus grande partie de la feconde Belgique? Ainfi l'on peut croire que Saint Remi, dont le Diocèfe fut un de ceux qui fe foumirent alors à Clovis, aura fi bien fait valoir les efperances fondées qu'on avoit de la converfion de Clovis,& la raison; que du moins fes enfans feroient élevés dans la Religion Chrétienne, qu'enfin il n'y avoit qu'un feul moyen humain de faire ceffer les maux d'une anarchie funefte, qui étoit celui de reconnoître Clovis pour chef du Gouvernement civil, que l'Evêque de Reims aura perfuadé aux Cités des Provinces Obéïffantes, dont il étoit le Métropolitain, de fe foumettre au jeune Héros qui regnoit fur les Saliens. Ce fut ainfi que la parole que IV. donna en 1589. de fe faire inftruire dans la véritable Religion, , engagea plufieurs Catholiques à le reconnoître pour Roi, long-tems avant fa converfion.

Henri

Mais comme il y eut plufieurs Seigneurs & plufieurs Villes Catholiques qui differerent à reconnoître Henri IV. jufqu'à ce qu'il cût fait publiquement profeffion de leur Religion en 1593. il y eut auffi dans le cinquième siècle plufieurs Romains des Gaules du nombre de ceux qui étoient demeurés libres, qui refuserent de fe foumettre au gouvernement de Clovis, jufqu'à ce qu'il eût abjuré publiquement l'idolatrie. Telle aura été la réfolution des Provinces Confederées ou des Armoriques qui auront mis dans leur parti ce qui eftoit à l'Empire de Troupes de campagne dans les Gaules. Nous avons vû qu'elles étoient raffemblées entre le Loir & la Loire, qu'elles gardoient contre les Vifigots, & que peutêtre elles tenoient encore le Berri. Quant aux Armoriques le. Lecteur se fouviendra bien qu'ils étoient alors réduits aux pays qui font entre la Seine, l'Océan, la Baffe-Loire, le Loir, & une ligne tirée des environs de Paris jufqu'au Loir.

Je crois donc que ce fut immédiatement après la réduction des Provinces Obéiffantes que Clovis fit aux Armoriques la guerre, qui les punit de n'avoir pas eu affez de déference pour la médiation de faint Germain Evêque d'Auxerre, la guerre que fuivant Procope, les Francs leur firent pour les obliger à se joindre à eux. Cet Hiftorien après avoir dit que les Armoriques dont, comme nous le montrerons ci-deffous, un Copiste mal-habile a

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changé le nom en celui d'Arboriques, confinoient vers l'année quatre cens foixante & dix, avec les Francs, & que ces Armoriques (4) avoient été dans les tems precedens foumis à l'Empire Romain, ainfi que les autres Peuples de la Gaule & de l'Elpagne, ajoute à quelques lignes de là. » Dans la fuite les Vifigots » envahirent le territoire de l'Empire, & fous Euric ils fe rendi>> rent Souverains de ce qui appartenoit encore aux Romains en Efpagne, & de celles des Provinces des Gaules qui font en» tre le Rhône & l'Océan. Les Armoriques fourniffoient alors » des Troupes aux Romains, dont ils avoient été autrefois Sujets. Les Francs qui confinoient avec les Armoriques, vou» lurent fe prévaloir pour les foumettre, des troubles ordi» naires dans un Etat où l'on a introduit une nouvelle for» me de gouvernement. D'abord le Franc fe contenta de vexer »les Armoriques par des courfes pour les amener à fon but; » mais voyant bien que toutes fes incurfions ne fuffiroient point » pour cela, il leur fit la guerre dans toutes les formes. Tant » qu'elle dura les Armoriques montrérent beaucoup de coura& ils firent voir un grand attachement aux interêts de l'Empire. Enfin les Francs bien convaincus qu'ils ne pouvoient pas en venir à leur but par la voye des armes, eurent recours » à celle de la négociation, & ils propoferent aux Armoriques » d'unir les deux Nations par une alliance qui n'en fît qu'un

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feul Peuple. Procope raconte que dans la fuite & lorfque les Francs furent Chrétiens, les Armoriques donnerent leur confentement à l'alliance propofée & que cette union fut fuivie d'un Traité, par lequel ce qui reftoit de Troupes reglées aux Romains dans les Gaules paffa au fervice de Clovis. C'eft ce que nous rapporterons plus au long dans la fuite de cette Hiftoire.

Après tout ce que nous avons écrit concernant les conquêtes d'Euric & le tems où il les fit, le fens du paffage de Procope qu'on vient de lire, eft très-clair, & tout ce qu'il contient roît très - vraisemblable, foit par la nature même des faits, foit parce que fon récit s'accorde avec toutes les lumieres que les au

(a) Horum fedes contingebant Arborichi cum reliqua omni Gallia atque Hifpania Romanis olim fubditi. ....... Procedente vero tempore Vifigothi facta in Imperium Romanum impreffione Hifpaniam univerfam ac Provincias Galliæ trans Rhodanum pofitas fubegerunt habueruntque vectigales. Militarem operam Romanis tunc navabant Arborichi quibus Germani utpote finitimis

pa

| & à veteri politeia digreffis cum legem ac
jugum vellent imponere, primum prædati,
deinde recto Marte cos aggreffi funt agente
omnes belli prurigine. Generofitatem & in
Romanos benevolentiam teftati Arborichi,
rem in co bello geffere fortiter. Nihil vi pro-
ficientes Germani, illos ad focietatem & af-
finitatem jungendas invitarunt.

Proc. de Bell. Goth. lib. pr. cap. 12>

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tres monumens du cinquième & du fixième fiécle peuvent nous prêter pour débrouiller les événemens dont il s'agit.

En premier lieu, rien n'est plus vraisemblable dès qu'on a quelque idée du caractere de Clovis, que de lui voir entreprendre la guerre contre les Armoriques en quatre cens quatre-vingt-treize, quoique jufques-là les Francs euffent vêcu en bons Alliés avec ces Peuples. Les interêts prefens de Clovis vouloient cette annéelà qu'il obligeât les Armoriques à fe foumettre à lui; il falloit qu'il les affujettât, s'il vouloit continuer à étendre fa domination, & celle des Dignités de l'Empire de laquelle il fe trouvoit revêtu, lui donnoit un droit apparent d'exiger d'eux qu'ils fe foumiffent à fon obéiffance, comme les Cités qui font entre la Somme & la Loire s'y étoient foumifes.

En fecond lieu, on trouve dans les monumens litteraires de nos antiquités, deux évenemens arrivés fous le Regne de Clovis, qui ne peuvent être arrivés que dans un tems où ce Prince aura été en guerre contre les Armoriques, & qui probablement appartiennent à l'année quatre cens quatre-vingt-treize.

Nous avons vu dans le vingt-cinquième Chapitre de la vie de Sainte Geneviève, que le Roi Childéric avoit une extrême confideration pour cette vertueufe Fille. Voici ce qui fe trouve dans le trente-quatrième Chapitre de cet Ouvrage. (4) » Dans le » tems que les Francs tinrent Paris bloqué, & qui dura cinq » ans, la Ville & fes environs furent réduits à une fi grande fa» mine que plufieurs perfonnes y mouroient journellement de » faim. La Sainte en fortit pour aller chercher des vivres, & puis elle y rentra amenant avec elle un grand convoi. Or une des · principales circonftances de ce blocus, porte à croire qu'il a été l'un des évenemens de la guerre commencée par Clovis contre les Armoriques à la fin de l'année quatre cens quatre-vingt-douze, ou au commencement de l'année fuivante, & finie, ainfi que nous le dirons en fon lieu, l'année quatre cens quatre-vingtdix-fept, quelques mois après la converfion de Clovis, qui fut baptifé aux Fêtes de Noël de l'année quatre cens quatre-vingtfeize. Le blocus dont il s'agit, & la guerre dont il eft queftion, ont duré également quatre ou cinq ans. Clovis dont la domination s'étendoit prefque jufques aux portes de Paris, depuis qu'il étoit maître des Provinces Obéiffantes, aura donc commencé

(4) Tempore igitur quo obfidionem Pari- | fius qui nos per annos, ut aiunt, perpeffa eft à Francis, pagus ejusdem urbis ita ine

dia affectus eft ut nonnulli fame periiffe di cantur.

Vita Genov, cap. trigefimo quarto.

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