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Seigneurs, eut en France dans le dixième. L'invasion des Maures aura donc confondu & réuni en une feule & même Nation, les Romains & les Barbares qui habitoient l'Espagne, quand ce grand évenement arriva. Il n'y aura plus eu que deux Nations dans cette grande Province de l'Empire Romain, la Nation conquerante, & la Nation affujettie.

LETTRE

DE M. L'ABBÉ DU BOS,
A Monfieur JORDAN, au sujet de deux Differtations de
Monfieur le Profeffeur HOFFMANN, où ce dernier attaque.
plufieurs endroits de l'Hiftoire Critique de l'Etablissement de la
Monarchie Françoife dans les Gaules.

J

MONSIEUR,

'AI lû avec attention les deux Théfes de M. Hoffmann Profeffeur dans l'Univerfité de Wittemberg, fur les Alliances des Francs avec les Empereurs Romains. Elles font bien écrites, & leur Auteur montre beaucoup de fagacité. La vérité seule m'engage à lui rendre ce témoignage, qui certainement n'eft point l'effet de la prévention naturelle en faveur de ceux qui embraffent notre opinion. M. Hoffmann fappe dans ses Théses les fondemens les plus importans de l'Hiftoire Critique de l'Etablißement de la Monarchie Françoife dans les Gaules; & s'il ne les ébranle point, c'eft qu'ils font pofés fur la vérité. Voici quelques Remarques fur les points les plus importans de notre difpute. Je les foumers au jugement de tous les Sçavans de l'Allemagne, & par conféquent au vôtre.

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M. Hoffmann trouve que je n'ai pas raifon de fuppofer, que Thef. I. pa l'Alliance des Francs avec l'Empire Romain, fut prefque auffi an- ge 7. cienne que leur établiffement fur la rive droite du Rhin. A cela

je répons que l'Histoire Romaine ne commence à parler des

Ann. Ruinart Francs que fur l'année de JESUS-CHRIST 253. quoiqu'elle doive avoir eu occafion de parler de ces Voifins inquiets, bientôt après leur établiffement fur la frontière des Gaules. Or je trouve que fous le Tyran EUGENE, & dès l'année 392. l'Alliance des Francs avec l'Empire étoit déja traitée d'ancienne Alliance, d'Alliance qu'il étoit d'ufage de renouveller à chaque mutation d'Empereur. Qu'en penfer, quand aucun Auteur ancien ne dit en quelle année elle fut faite? Sulpitius Alexander, Auteur contemporain défigne cette convention par le nom d'Alliance, & non point par le nom de Traité de Paix, Il l'appelle Vetufta Fadera, & non point Pacis Leges. Ainfi l'on ne fçauroit convertir cette Alliance, en un fimple Traité de paix & de bonne correfpondance.

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Lorfque j'ai comparé l'Alliance dont il s'agit, aux liaifons qui font entre la France & les Cantons Suiffes depuis le regne de LOUIS XI. je n'ai point prétendu avancer qu'elle n'eût jamais été interrompue, même par quelque guerre générale, mais feulement que fa durée avoit été comme continuelle: c'eft ce que fuppofe ma comparaifon. Qui ne fe fouvient pas de la bataille donnée à Novare, fous le regne de Louis XII. & de celle qui fut donnée auprès de Marignan fous le régne de FRANÇOIS I? Si dans le préambule de la Loi Salique, les Francs ont traité de joug leur Alliance avec les Romains, c'est qu'elle étoit de celle que les Jurifconfultes du Droit Public appellent Alliances inégales, Fadera inæqualia; & les Romains tâchoient ordinairement de convertir cette efpece d'Alliance en Droit de Souveraincté. En vertu de ces Alliances, les Romains vouloient donner des Rois à leurs Conféderés, leur interdire fouvent le Droit des armes, en un mot les réduire de gré ou de force à la condition des Sujets.

Suivant cette Théfe, ce que dit Agathias des Francs, lorsqu'il écrit qu'ils étoient fans comparaifon plus civilifés que les autres Barbares, & qu'à la langue & à l'habillement près, ils paroiffoient des Romains, ne doit s'entendre que des Francs qui vivoient fous le regne de CLOVIS, en un mot des Francs établis dans les Gaules. Je fçai bien qu'il a fallu du tems aux Francs pour fe polir mais il me paroît que le paffage d'Agathias, qui ne contient aucune reftriction, fignifie que dans tous les tems les Francs avoient été ou moins groffiers, ou plus polis que les autres Barbares. Ils auront été moins groffiers que les Bourguignons, dans les tems où les uns & les autres ils habitoient encore fur la droite du Rhin, & les Francs auront mieux. profité du

féjour des Gaules que les Bourguignons. J'ai cité un paffage de Salvien, qui écrivoit vers l'année 450. & qui dit que les Francs étoient des Hôtes commodes. On fçait qu'Hôtes fignifioit alors les Barbares établis fur le territoire de l'Empire. C'est dans de pareils Auteurs qu'il faut chercher la vérité, plûtôt que dans les invectives des Poëtes & des Orateurs Romains contre les Francs. Qui voudroit juger du caractére & des mœurs des François d'aujourd'hui, fur ce que leurs Voifins en ont écrit en tems de guerre ?

Thef. I. pa

Non-feulement les Empereurs enrôloient des Francs dans les Troupes Romaines, mais ils entretenoient encore, & même ge 16. dans les Gaules, des corps de Francs, comme il paroît en lifant la Notice de l'Empire.

Thef. I. pa

On ne veut pas que ce foit comme Alliés des Romains que les Francs attaquerent les Vandales, lorfqu'ils fe difpofoient en ge 26. l'année 406. à faire leur invafion dans les Gaules. Mais fi les Francs n'euffent point eu alors une Alliance avec Rome, pourquoi ne fe joignirent-ils point avec les autres Barbares, & ne profiterent-ils pas de cette occafion de piller? D'ailleurs il paroît que ce fut les Francs qui allerent attaquer les Vandales au rendez-vous général des Barbares.

Mr. Hoffmann demande où j'ai pris qu'EGIDIUS & le Roi Thief. I. par CHILDERIC Vécurent en bonne intelligence après le rétabliffe- ge 40. ment de ce dernier. Je l'ai pris dans le paffage de Gregoire de Tours, que j'ai rapporté. Cet Hiftorien, après avoir raconté le rétablissement de CHILDE'RIC, dit en parlant de ce Prince & d'EGIDIUS, His ergo regnantibus fimul. Perfonne n'ignore que dans le cinquiéme fiécle on difoit Regnum pour dire Gouvernement. Je répondrai de même à une autre queftion de pareille nature. C'eft de Prifcus Rhetor, Auteur contemporain, que j'ai ap pris qu'après la mort de MAJOR IEN, EGIDIUS, loin de vouloir reconnoître SEVERUS pour Succeffeur légitime de cet Empereur, vouloit faire la guerre à SEVERUS. On trouve dans le cinquié me & dans le fixiéme Chapitre du III. Livre de l'Hiftoire Criti que, de quoi compofer une réponse fatisfaifante aux objections fait ici notre Théfe.

que

Quoique l'on puiffe penfer concernant le miracle arrivé à Thef. 2. paz Faris, quand les portes de la Ville que CHILDE'RIC avoit fait ge+• fermer, s'ouvrirent d'elles-mêmes pour laiffer entrer Sainte Geneviève, il ne s'enfuivra point que l'évenement qui donna lieu à ce miracle foit entierement faux. Quand je conjecture que

Thef. 2. pa ge 10.

Thef. 2. pagc 12.

CHILDERIC peut bien avoir été Maître de la Milice, je me fonde fur ce que dans la premiere Lettre écrite par Saint Remi à CLOVIS, le fils de ce CHILDE'RIC, il eft dit ; que CLOVIS avoit pris en main l'administration des affaires de la Guerre, & que les Peres de CLOVIS avoient exercée avant lui la même adminiftration. J'ai rapporté cette Lettre.

Il n'y a aucun Auteur ancien qui dife que l'autorité de Syagrius ait été reconnue par tous ceux des Romains des Gaules qui étoient encore leurs Maîtres. EGIDIUS fon pere mourut en 464. & lui, il exerça fon pouvoir jufqu'à fa mort, arrivée en 486. Or nous avons une infinité de Lettres de Sidonius écrites depuis 464. & avant 482. que mourut cet Evêque, dans lesquelles il feroit parlé de notre Officier, s'il eût commandé dans toute la partie des Gaules qui obéiffoit encore véritablement à l'Empereur. Sidonius auroit parlé de SYAGRIUS à l'occafion de la remife de l'Auvergne aux Vifigots, vers l'année 474. Jufqu'à cette annéelà, l'Auvergne avoit été foumise à l'Empereur, & par conféquent elle auroit été dans le Gouvernement de SYAGRIUS. D'ailleurs nous avons montré que CLOVIS, quoiqu'il fût le maître du Royaume de SYAGRIUS dès l'année 486. n'avoit fait l'acquifition de la portion du Pays qui fe trouve entre la Somme & la Seine, que vers l'année 492. Enfin ce ne fut qu'après le Batême de CLOVIS, & en l'année 497. c'est-à-dire, dix ou onze ans après l'occupation des Pays tenus par SYAGRIUS, que les Conféderés Armoriques fe foumirent à CLOVIS, & que les Troupes Romaines qui gardoient la Loire contre les vifigots, remirent au Roi des Francs les Cités qu'elles confervoient à l'Empire. Lorfque je dis que SYAGRIUS n'étoit point Maître de la Milice, quoique fon pere EGIDIUS l'eût été, je me fonde encore fur ce que cette Dignité n'étoit point héréditaire, & fur ce que les Auteurs du cinquième fiécle qui ont parlé de ce SYAGRIUS & de fa mort, ne lui donnent jamais le titre de Maître de la Milice.

Rien ne montre mieux que les Francs ne traitoient pas les Romains des Gaules comme un Peuple fubjugué & réduit à une condition approchante de la fervitude, que la diftinction qu'ils mettoient entre les differens Ordres dans lefquels cette Nation étoit divisée. Or rien ne fçauroit mieux prouver cette diftinction, que la difference affectée que la Loi Salique établit entre les muletes ou les amendes aufquelles les Francs qui avoient tué des Romains étoient condamnés. Suivant cette Loi le Franc qui

Vide Leges

di, pag. 84.

gc

avoit tué un Romain du premier Ordre, étoit condamné à une amende de 300. fols d'or, quoique le Franc qui auroit tué un autre Franc ne fût condamné qu'à une peine pécuniaire de 200. fols Salicas Eccard'or. Le Franc qui avoit tué un Romain du fecond Ordre, étoit & 157. condamné à une amende de 100. fols d'or; & celui tué un Romain du troifiéme Ordre à 45. fols d'or. Je ne fçai pourqui avoit quoi la Théfe, en faisant l'énumération de ces amendes, omet de faire mention de celle de 100. fols d'or Franc qui avoit tué un Romain du fecond Ordre. On pourroit que devoit payer le bien faire encore quelques autres observations fur cet endroit-là. S'il y a rien de certain dans l'Hiftoire de la premiere race de Thef. z. panos Rois, c'est que CLOVIS fut fait Conful, & non point Patrice 8c 14. par l'EmpereurANASTASE. Je ne me fouviens que de quatre Ecrivains de ceux qui ont vécu fous les deux premieres races de nos Rois, & dont les Ouvrages nous font reftés, qui faffent mention de ce grand évenement, & tous quatre ils s'accordent à dire que CLOVIS fut fait Conful: tous quatre ils s'accordent à dire encore, qu'après que CLOVIS eût pris poffeffion de cette Dignité, on s'adreffa à lui comme on s'adreffoit au Conful, comme on s'adreffoit à l'Empereur. C'eft ce que dit Gregoire de Tours en termes précis ; & cet Hiftorien né 30. ans après la mort de CLOVIS, & qui a vécu dans un fiécle où il y a eu des Confuls & des Patrices, n'a point pu s'y tromper. Il eft vrai que faute de trouver dans la Notice de l'Empire un titre propre à exprimer précifément la nature du pouvoir de SYAGRIUS, il l'appelle Roi abufivement, fi l'on veut, & cela apparemment pour marquer que le Romain étoit abfolument le maître de tout dans les pays qu'il tenoit, & qu'il n'avoit point de véritable Supérieur. Mais ce qu'il s'eft fervi d'un terme impropre, manque d'un terme propre, il n'en faut pas conclure qu'il ait pu faire une faute auffi groffiére, que celle d'écrire plufieurs fois Conful pour Patrice. L'Auteur des Geftes, qui a écrit fous les Rois de la premiere race, dit que CLOVIS ayant été fait Conful, ab ea die tanquam Conful & Auguftus eft appellatus. Hincmar, qui a vécu fous LOUIS Le Débonaire, dit de même, que CLOVIS ayant été fait Hift. Ecclef Conful, on s'adreffa à lui comme au Conful, comme à l'Em- Rhem. Lib. ·Ï„ pereur. On lit auffi dans Flodoart, qui a écrit fous les Rois de capsu la feconde race, que CLOVIS fut fait Conful. Ce n'est donc point fur un feul mot (1) échappé par hazard à Gregoire de Tours, que je foutiens que CLOVIS fut fait Conful; mais parce qu'il dit

(1) Cur unam voculam Scriptoris nec fibi conftantis, &c.

par

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