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jouir de la paix qu'il venoit de rétablir. Voilà ce que dit Grégoire de Tours concernant le fuccès de cette guerre.

Suivant fa coutume, cet Auteur abrege fi fort le récit de ce grand évenement, qu'on peut l'accufer d'en donner une fauffe idée. En effet, il femble en le lifant que la Nation entiere des Allemands fe foit foumife dans ce tems-là au Roi des Saliens, & que ce Prince n'ait eu pour lors à faire qu'avec une feule Nation. Voilà néanmoins ce qui n'eft pas. Tous les Allemands ne fe foumirent point alors à Clovis, & dans cette guerre ils avoient les Sueves pour Alliés. Tâchons donc à trouver ailleurs de quoi éclaircir la narration tronquée de notre Hiftorien.

Caffiodore nous apprend que tous les Allemands ne se soumirent point à Clovis en quatre cens quatre-vingt-feize. Il n'y eut que ceux d'entr'eux qui voulurent continuer à demeurer dans les pays qu'ils avoient occupés, qui le reconnurent pour Souverain. Plufieurs autres effains de cette Nation eurent recours à la protection de Theodoric Roi d'Italie ; & quelques-uns d'entr'eux fe réfugierent dans des pays de l'obéiffance de ce Prince; c'està-dire dans la Rhètie & dans la Norique. Il les accueillit & il leur accorda fa protection. Nous avons encore la lettre (4) qu'il écrivit aux Habitans de la Province Norique fituée entre les Alpes & le Danube, pour leur enjoindre d'échanger contre des bœufs frais & en état de tirer, les boeufs harraffés des Allemands qui voudroient paffer outre. Il y a bien loin des environs de Cologne à la hauteur d'Ulm, & les bœufs qui tiroient les chariots des Allemands devoient être d'autant plus fatigués lorfqu'ils arriverent auprès du lieu où cette derniere Ville a dans la fuite été bâtie, que la crainte d'être atteints par les Francs qui fuivoient toujours ces Allemands, les avoit obligés à marcher fans difcontinuation. Theodoric écrivit même à Clovis, pour l'engager à ne poursuivre plus ces fugitifs, une lettre que Caffiodore nous a confervée, & dont voici la teneur.

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(b) L'alliance qui eft entre nous, me fait prendre beau

(a) Provincialibus Noricis Theodoricus Rex. Decernit ut Alamannorum boves, itine vis longinquitate labore fracti Noricorum bobus, commutentur. Grate fufcipienda eft ordinatio que dantem juvat.

Caff.var. lib. 3. Ep. quinquagefima.

(b) Luduin Regi Francorum Theodoricus Rex, Gloriofa quidem veftræ affinitatis glo tia gratulamur quod gentem Francorum prifca ætate refidem, in nova prælia felici

ter concitafti, & Alamannicos Populos cafis fortioribus inclinatos victrici dextera fubdidifti........ Motus veftros in feffas reliquias temperate quia jure gratiæ merentur evadere, quod ad parentum veftrorum defenfionem refpicitis confugiffe. Eftote illis remiffi qui noftris finibus celantur exterriti. Memorabilis triumphus eft Alamannum acerrimum fic expaviffe, ut tibi eum cogas de vite munere fupplicare: fufficiat illum

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coup de part à la nouvelle gloire que les Francs, qui avoient » été li long-tems fans faire parler d'eux, viennent d'acquerir en » terraffant les Allemands qu'un Pouvoir fuperieur a humiliés » devant vous.... Ne pourfuivez plus les reftes malheureux de » cette Nation, & faites graces à des infortunés qui ont pris » leur azile dans des Pays qui font fous l'obéiffance de vos Pa»rens: N'eft-ce pas une affez belle victoire que d'avoir réduit un Peuple auffi nombreux & auffi courageux que celui-là, à vous demander quartier, après avoir vû fon Roi tué dans le » combat, & la plupart de fes Citoyens morts ou devenus les Sujets d'un Prince étranger. Nous vous envoyons donc tels » &tels, qui font chargés de vous demander expreffement de » ceffer toute hoftilité contre les Allemands, & qui ont en» core commiffion de vous communiquer de bouche plufieurs affaires importantes, comme de vous reveler des fecrets » que vous avez un grand interêt de fçavoir. Notre prospérité » eft liée avec la vôtre, & nous apprenons avec joye vos fuccès, perfuadés que nous fommes qu'ils font avantageux au Royau» me d'Italie. » La Lettre de Theodoric finit par ce qu'il diɛ à Clovis concernant un habile Musicien qu'il lui envoyoit.

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»

Il me femble à propos d'interrompre l'Hiftoire des Allemands, pour faire deux Obfervations fur la Lettre de Theodoric. La premiere fera, qu'il paroît que lorfque ce Prince l'écrivit, il avoit déja épousé Audéfféde Sœur de Clovis. Quand s'étoit fait ce mariage, dont j'aurai encore occafion de parler dans la fuite? Peut-être que ç'aura été avant que Theodoric vînt en Italie. Theodoric qui étoit Chrétien avoit-il époufé Audéfiléde quand elle étoit encore Payenne auffi-bien que Clovis? Cela s'eft pû faire. Mais les apparences font que cette Princeffe s'étoit faite Arienne avant que fon frere fe convertît à la Religion Catholique. En effet nous verrons que Lantildis, une autre Sœur de Clovis, avoit embraffé l'Arianisme avant que fon Frere se fît Chrétien, puifqu'elle abjura cette héréfie le jour même que ce Prince fe fit baptifer. Ma feconde Obfervation roulera fur les

Regem cum gentis fuperbia cecidiffe. Sufficiat innumerabilem Nationem, partim ferro, partim fervitio fubjugatam...... Quo circa falutantes gratia, honore & affectione qua dignum eft N. N. Legatos noftros ad Excellentiam veftram confueta caritate direximus per quos & hofpitatis veftræ judicium & fperata petitionis confequamur ef

fectum. Quædam vero quæ ad nos pro ve
tris utilitatibus pervenerunt, per harum por
titores verbo infinuanda commifimus, ut
cautiores effecti, optata poffitis victoria con-
ftanter expleri. Veftra fiquidem falus nostra
gloria eft, & toties regnum Italiæ proficere
judicamus, quoties de vobis lata cognofci
mus. Caff. var. lib. fecundo, Ep. 4h

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chofes importantes que les Ambaffadeurs de Théodoric étoient chargés de communiquer de bouche à Clovis. Autant qu'on peut que le deviner, c'étoit des avis fur quelque Traité d'alliance les Bourguignons négocioient alors avec l'Empereur Anaftafe, & dont les conditions intereffoient les autres Puiffances de la Gaule. Comme Theodoric étoit alors brouillé avec cet Empereur, ainfi que nous le dirons bientôt, il lui convenoit de faire une contre-ligue avec Clovis, & peut-être lui fit-il propofer dèslors l'alliance offenfive contre les Bourguignons, laquelle nous leur verrons conclure dans trois ans. Je reviens aux Allemands pour qui Theodoric intercédoit.

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Il paroît qu'il obtint ce qu'il demandoit en leur faveur, & que Clovis ceffa de poursuivre les vaincus. La fuite de l'Histoire apprend, que Theodoric en tranfplanta une partie en Italie & qu'il laiffa l'autre dans les Provinces qu'il tenoit entre les Atpes & le Danube ou dans les gorges Septentrionales de ces montagnes. Ennodius parle des premiers, lorfqu'il dit dans fon Panegyrique de Theodoric. (4) » Vous avez, fans rien aliéner » du territoire de l'Empire établi un corps d'Allemands en Ita» lie. Vous nous faites garder aujourd'hui par ceux mêmes qui nous pilloient auparavant. D'un autre côté ces Alle» mands ne fe trouvent pas moins bien que nous de cette transmigration, puisqu'après avoir perdu leur Roi, & après & après » avoir vu leur Nation prête d'être diffipée par leur faute, ils >> font devenus les Sujets d'un Prince auffi débonnaire que vous, » & qui même a bien voulu les conferver en corps de Nation. » Il leur tourne à bonheur d'avoir été réduits à fe bannir de » leur Patrie, puifqu'ils ont trouvé dans vos Etats un meilleur » pays que celui qu'ils ont été forcés d'abandonner. » Il faut que le Roi des Allemands tué à Tolbiac fe fût oppofé autant qu'il lui avoit été poffible, à leur derniere invafion dans les Gaules.

Cependant, comme nous l'avons déja dit, tous les Allemands qui fe retirerent dans les Etats de Theodoric après la bataille de Tolbiac, ne pafferent point les Alpes pour aller s'établir en Italie. Il en refta quelques effains dans les Provinces que ce Prince tenoit au de-là des Monts par rapport à l'Italie, & même

(a) Quid quod à te Alamanniæ Generalitas intra Italiæ terminos fine detrimento Romanæ poffeffionis inclufa eft, cui evenit habere Regem, poftquam meruit perdidiffe. Facta eft Latiaris cuftos Imperii femper no

ftrorum populatione graffata. Cui feliciter ceffit fugiffe patriam fuam. Nam fic adepta eft foli noftri opulentiam.

Ennodius, in Paneg. Theod.

Vers l'année 470.

ces effains furent toujours foumis aux Rois d'Italie, & ils ne pafferent fous la domination des Francs, que lorfque les Oftrogots cederent tout ce qu'ils poffedoient hors de l'Italie aux enfans de Clovis. C'eft de quoi nous parlerons un peu plus au long, lorfqu'il en fera tems.

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Quant aux Suéves, que l'Auteur des Geftes & la Vie de faint Remy donnent aux Allemands pour Alliés dans la pour Alliés dans la guerre dont il eft ici question, je vais dire ce que j'en penfe. On lit dans Jornandés, que le pere de Theodoric Roi d'Italie, Theodémir qui vivoit long-tems avant la bataille de Tolbiac, & fous le regne de l'Empereur Leon, fit durant l'hyver une expedition contre les Barbares qui habitoient fur le haut du Danube. (a) » Il prit fon tems, dit l'Hiftorien des Gots, que le Danube étoit gelé, & paffant à l'imprévû ce Fleuve fur la glace, il entra » dans le pays des Suéves par l'endroit où ils ne l'attendoient pas. Cette peuplade de Suéves a prefentement du côté de l'Orient » le pays des Boïens, du côté de l'Occident celui des Francs, » au Midi le pays des Bourguignons, & au Septentrion celui » des Turingiens. Les Allemands étoient alors joints avec les » Suéves. Cela n'empêcha point Theodémir de les défaire, il » les battit eux & leurs Alliés, il ravagea leur pays, & peu s'en » falut qu'il ne les fubjuguât. Après cette victoire, il revint dans » la Pannonie où étoient fes quartiers. En effet, comme Theodémir venoit de la Pannonie, c'est-à-dire, du côté de l'Orient par rapport au pays des Suéves, il fembloit aux Suéves qu'il ne pût point tomber fur eux qu'en traverfant la contrée ou habitoit le Boïen, laquelle les couvroit du côté du Levant, mais Theodémir ayant remonté le Danube jufqu'au deffus de la hauteur du pays des Suéves, & puis ayant paffé le Fleuve fur la glace, il entra dans ce pays du côté du Couchant, & il attaqua ainfi fes ennemis par où ils ne s'attendoient point d'être attaqués. Venons à l'ufage que je prétends faire de l'endroit de Jornandès que j'ai rapporté, & dans lequel on trouve les confins du pays des Suéves marqués tels qu'ils étoient quand cet Hif ftorien avoit la plume à la main vers le milieu du fixiéme fiécle.

(4) Sic ergo cernens eum gelatum Theodemir Gothorum Rex, pedeftrem ducens exercitum, emenfoque Danubio, Suevis improvifus à tergo apparuit. Nam regio illa Suevorum ab oriente Baïobaros habet, ab occidente Francos, à meridie Burgundiones, à feptentrione Turingos. Quibus Sucvis

tunc juncti Alemanni etiam aderant..... & tam Suevorum gentem quam etiam Alemannorum utrafque ad invicem fœderatas. devicit, vaftavit ac penè fubegir. Inde quoque ad proprias fedes id eft ad Pannonias revertens, &c.

Jornandes de rebus Get. cap. 55.

Je crois donc qu'une partie des Suéves dont on vient de parler, s'étoient joints quelque tems après l'avantage que Theodémir avoit remporté fur eux, avec les Allemands pour venir fe cantonner dans le Pays connu aujourd'hui fous le nom d'Alface. Nous avons vû que Procope y plaçoit dès l'année quatre cens foixante & feize, une Peuplade de Suéves & d'Allemands, laquelle ne reconnoiffoit en aucune maniere l'autorité de l'Empire. Cette Colonie fortifiée des fecours que lui auront envoyés les Allemands & les Suéves qui étoient demeurés dans leur ancienne patrie, aura voulu s'étendre du côté du Bas-Rhin, & c'est ce qui aura donné lieu à la bataille de Tolbiac. Comme les Suéves étoient déja les Alliés des Allemands fous le regne de l'Empereur Leon, c'est-à-dire, vers l'année quatre cens foixante & dix; rien n'eft plus probable que de fuppofer qu'ils l'étoient encore en quatre cens quatre-vingt-feize. Voilà donc quels étoient les Suéves qui combattirent dans l'armée que Clovis défit à Tolbiac, & même il eft apparent qu'ils avoient amené les Boïens ou les Bavarois avec lefquels ils confinoient du côté du Levant. Je crois encore que Clovis qui, comme il eft fenfible en lifant la lettre de Theodoric, paffa le Rhin après cette journée, sera entré hoftilement dans le Pays que ces Nations poffédoient depuis long-tems dans la Germanie, quand ce n'auroit été que pour fuivre les Allemands qui gagnoient les Contrées d'en deçà les Monts à notre égard, lefquelles étoient de l'obéiffance de Theodoric. Ces Contrées étoient, comme nous l'avons déja obfervé, les Provinces que les Romains poffedoient entre les Alpes & le Danube, ou du moins la partie de ces Provinces que les Barbares établis il y avoit long-tems, fur la rive gauche de ce Fleuve, ne leur avoient point encore enlevées.

En effet je trouve dans les Annales (4) des Boïens ou Bavarois, qu'après la Bataille de Tolbiac ils fe foumirent à Clovis par un Traité qui les obligeoit à fervir ce Roi dans toutes fes guer

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