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res, & à ne donner que le titre de Prince & de Duc à leur Chef, pour marquer qu'il étoit dépendant du Roi des Francs, mais qui d'ailleurs les laiffoit à tous autres égards un peuple libre & en droit de fe gouverner fuivant ses anciennes Loix & ses anciens ufages. Il eft vrai que l'Auteur de ces Annales, Jean Thurmeir, fi connu fous le nom d'Aventinus, ne fçauroit avoir écrit avant le quinzième siècle. Ce qu'il dit cependant ne laisse point de mériter quelque croyance, principalement, s'il eft vrai qu'il ait tiré tout ce qu'il avance concernant l'alliance des Francs & des Boïens, d'une Lettre de Hatto Archevêque de Mayence au Pape Jean neuviéme, élû en neuf cens un, & de laquelle on gardoit encore du tems de cet Hiftorien, dans differentes Archives d'Allemagne, des copies autentiques. D'ailleurs il eft certain que les Bavarois ont été Sujets des Rois de la premiere Race.

Clovis bien qu'il ne fût entré que comme auxiliaire dans la guerre que les Allemands faifoient à Sigebert, n'aura pas donc Laiffé d'y gagner beaucoup. Comme il avoit plus de forces que Sigebert, c'aura été lui, qui aura fait fur l'ennemi commun les conquêtes les plus grandes. En obligeant les Bavarois, & par conféquent les Suéves plus voifins de les Etats que les premiers, à lui fournir des Soldats lorfqu'il auroit la guerre, il aura fort augmenté le nombre des combattans, qu'il pouvoit avoir fous fes Enfeignes. Ce Prince en fecond lieu fe fera rendu le maître du pays occupé dans les Gaules depuis quatre-vingt années, par ceux des Allemands, qui s'y étoient établis & ce pays s'étendoit du Lac Leman jusqucs au Rhin. Il aura encore foumis à fon pouvoir la partie de la Germanie que les Allemands tenoient encore pour lors, c'est-à-dire, celle qui eft entre la rive droite du Rhin & la Montagne noire.

Comment, dira-t-on, Clovis pouvoit-il communiquer avec ce pays-là, puifque nous ne lui avons point vû étendre son Royaume du côté de l'Orient,au de-là de la Cité de Troyes ? Je réponds que Clovis avoit pû avant l'année quatre cens quatre-vingtfeize, fe rendre le maître de la Cité de Toul, dont on fçait la grande étendue. Il avoit pû l'occuper lorfque les Provinces Obéïffantes fe foumirent à lui en quatre cens quatre-vingt-treize. Toul devoit être une des Cités de ces Provinces-là. D'ailleurs Clovis durant le cours de la guerre avoit repris fur les Allemands qu'il referra, fuivant Gregoire de Tours, dans leurs anciennes habitations, une grande partie du pays qui le nomme aujourd'hui l'Alface & très-certainement la Cité de Bâle. Ainfi par cette Cité

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il communiquoit avec le Pays des Allemands qui l'avoient reconnu pour Roi, & cette même Cité donnoit encore à Clovis fur le Rhin un paffage capable de faire refpecter l'alliance des Francs Saliens par les Suéves & par les Boiens. Que Clovis ait été maître de Bâle c'est ce qui eft certain par les foufcriptions des Evêques qui affifterent au premier Concile d'Orleans tenu en cinq cens onze, fous la protection & par les foins de ce Prince; On trouve parmi ces foufcriptions la fignature d'Adelphius Evêque de Bâle, & il paffe pour certain entre les Sçavans, que les Evêques n'alloient point alors aux Conciles convoqués dans un lieu qui n'étoit pas de l'obéïffance de leur Souverain. Or je ne vois pas où placer mieux l'acquifition de la Cité de Bâle, & celle des pays qui étoient entre cette Cité & les Cités qui s'étoient foumiles à Clovis dès l'année quatre cens quatre vingt-treize, qu'en la plaçant dans le cours de la guerre que ce Prince fit aux Allemands en quatre cens quatre-vingt-feize. Clovis depuis ce tems jufqu'à fa mort arrivée cette année là, ne porta plus la guerre qu'une fois dans ces contrées. Ce fut lorfqu'il attaqua en l'année cinq cens les Bourguignons qui tenoient veritablement la plus grande partie de la Province Sequanoife dont Bâle étoit une Cité. Mais on ne fçauroit prétendre que ce foit dans le cours de cette guerre-là que Clovis ait pris la Cité de Bâle. En voici la raison. Clovis poffédoit encore cette Cité en cinq cens onze, & Gregoire de Tours dit pofitivement, comme on le verra, que le Roi des Bourguignons recouvra avant la fin de la guerre tout ce qu'il avoit perdu depuis qu'elle avoit été déclarée. Ainfi je crois que la Cité de Bâle aura été foumise par Clovis dès l'année quatre cens quatre-vingt-feize, & que de ce côté-là, Vindifch étoit alors la frontière de la Bourgogne. On fçait bien que cette Ville, qui eft ruinée aujourd'hui, étoit auprès de celle de Baden en Suiffe. Que Vindifch appartint encore aux Bourguignons en cinq cens dix-fept, on n'en fçauroit douter, puifque fon Evêque foufcrivit au Concile tenu à Epaone cette année-là, fous le bon plaifir de Sigifmond leur Roi.

Nous n'avons vû jufqu'ici que les moindres avantages que Clovis tira du gain de la bataille de Tolbiac. Voici donc l'Hif toire du Baptême de ce Prince, qui lui en procura de bien plus grands, telle qu'elle fe lit dans Gregoire de Tours. » La Reine » fit prier faint Remy de fe rendre auprès du Roi pour l'inftrui»re en fecret. Il apprit de cet Evêque dans plufieurs conferen» ces qu'ils eurent à l'infçu de la Cour, qu'il falloit pour être

Tome II.

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>> Chrétien renoncer au culte des Idoles incapables de s'aider elles-mêmes, & à plus forte raifon d'aider les autres, & ado»rer enfuite le Dieu Créateur du Ciel & de la Terre. Je me ren» drois volontiers à vos inftructions, difoit le Roi; la feule cho » fe qui me retient, c'eft que ceux des Francs qui me font at» tachés, ne veulent point abandonner la religion de leurs pe>> res. Donnez-moi le tems de leur faire comprendre vos rai» fons. Lorfque Clovis eut affemblé dans cette intention-là, les » Francs fes Sujets, ils s'écriérent tous, comme par inspiration, » dès qu'il eût commencé de leur parler: Nous renonçons au » culte des Dieux périffables, & nous voilà prêts à reconnoî» tre le Dieu qu'annonce l'Evêque de Reims. Auffi-tôt que faint Remy eut appris un évenement fi heureux, il donna ordre » de préparer les Fonts. On difpofa tout dans le Baptiftére (a), » on y alluma un grand nombre de cierges; on y fit brûler les » encens les plus odoriferans, l'on tapiffa les murs de la cour » qui étoit devant cet édifice, & pour la mettre à couvert, on » tendit au deffus des toiles enrichies de toute forte de brode»ries. Dès que tout eût été préparé, notre nouveau Conftantin » se presenta & demanda au faint Evêque d'être régéncré dans » les eaux du Baptême. Remy lui accorda fa demande, & dès » que le Roi profelite fut entré dans le baffin où il devoit être baptifé, il lui dit à haute voix avant que de verfer l'eau: (b) » Sicambre baiffez la tête & humiliez votre cœur. Brûlez défor» mais ce que vous adoricz, & adorez ce que vous brûliez. La » fainteté de Remy, ajoute Grégoire de Tours, le rendoit refpectable à tous fes Contemporains, & il eft même dit dans fa Vie, qu'il avoit reffufcité un mort.

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Nous avons déja parlé fort au long de cette Vie de l'Apôtre des Francs: quant aux Baptiftéres, perfonne n'ignore que c'étoient des édifices conftruits exprès pour y adminiftrer le Sacrement de Baptême, fuivant le Rit qui s'obfervoit alors en conferant ce Sacrement, foit aux enfans, foit aux adultes. Il y avoit des Baptiftéres dans l'enceinte des bâtimens qui accompagnoient les Eglifes Cathédrales. Quelques-unes ont même confervé leurs Baptiftéres.

Grégoire de Tours finit ce qu'il a jugé à propos d'écrire con

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cernant la converfion de Clovis, en difant: » Le Roi des Francs » ayant confeffé un feul Dieu en trois Perfonnes, il fut baptifé au » Nom du Pere, du Fils & du Saint-Efprit, & il fut oint enfui» te avec le faint Crême appliqué en forme de Croix. Trois mil»le de ses sujets en âge de porter les armes reçûrent le Baptême » avec lui. Lantildis une de fes Soeurs qui s'étoit faite Arienne, abjura en même tems fon héréfie, & fut reconciliée à l'Eglife » par l'Onction. Une autre Soeur de Clovis qui fe nommoit Albofléde, fut auffi baptifée avec lui. Cette Princeffe étant morte » peu de jours après, Clovis fut fenfiblement touché de fa perte » & fon affliction donna lieu à faint Remy d'écrire à ce Prince » une lettre de confolation que nous avons encore, & qui

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commence par ces paroles. La mort de votre Sœur Albofléde » d'heureuse mémoire, m'afflige autant qu'elle vous afflige vous» même. Nous avons tort néanmoins de ne pas nous confoler en » faisant une reflexion; c'est qu'elle eft fortie de ce monde » ayant encore la grace du Baptême, & qu'après tout fa defti»née eft digne d'envie. » On ne trouve point dans Gregoire de Tours la fuite de cette Lettre, mais comme elle eft un des monumens antiques de notre Hiftoire, parvenus jufqu'à nous, je crois à propos d'en donner quelques autres fragmens, quand ce ne feroit que pour montrer que faint Remy, qui avoit parlé en égal à Clovis dans la Lettre qu'il écrivit à ce Roi, peu de tems après fon avénement à la Couronne, c'est-à-dire vers l'année quatre cens quatre-vingt deux, lui parloit l'année quatre cens quatre-vingt-dix-fept le langage d'un inférieur, parce que dès l'année quatre cens quatre-vingt-treize la Cité de Reims s'étoit pleinement foumise au gouvernement du Roi des Saliens.

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...

(4) Je vous conjure, Seigneur, de chaffer la trifteffe de vo» tre cœur, afin qu'ayant l'efprit tranquille vous puiffiez manier » les rênes du gouvernement avec plus de dextérité.............. » Vous avez un grand Etat à conduire, & fi la Providence le » permet, à rétablir. Vous êtes le chef de plus d'une Nation..... Je crois à propos d'interrompre ici l'extrait de notre Lettre,

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ignofcere qui quod occurfum debui, exhortatoria deftinare verba præfumpfi. Tamen per harum bajulum fi juberis ut vadam, contempta hyemis afperitate, frigore neglecto, itineris labore calcato, ad vos auxiliance Domino pervenire contendam.

Du Chefne, tom. pr. pag. 849.

pour faire deux obfervations. La premiere fera, qu'il est sensible en lifant les Auteurs du fixiéme fiècle, que par le mot Regnum, qui fe trouve dans le Texte latin, on n'entendoit point toujours un Regne, un Royaume, ni regner par regnare, mais que fouvent on entendoit fimplement gouvernement & gouverner. La seconde fora, que quoiqu'il fallut entendre Royaume par Regnum dans la Lettre de faint Remy, on ne devroit point être furpris de lui voir traiter ailleurs le gouvernement de Clovis, d'administration, de geftion faite pour un autre. Jufqu'à la ceffion des Gaules que Juftinien fit aux Rois Francs, Saint Remy & les autres Romains n'ont dû regarder ces Princes que comme Officiers de l'Empire. » Après avoir fait des vœux pour un Prince fi glorieux, j'ofe»rai lui recommander le Prêtre Maccolus qui m'est fort atta» ché & que je lui envoye. Il ne me refte plus qu'à vous deman» der pardon de vous avoir écrit tout ce que mon devoir m'obligcoit à vous aller dire de bouche. Ainfi, supposé que vous. » me faffiez dire par celui qui vous remettra ma Lettre, que vo» tre volonté eft que je me rende auprès de votre Perfonne, je » me mettrai inceffamment en chemin, fans que la rigueur de » l'hyver me retienne.

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Comme Albofléde mourut peu de jours après fon Baptême, les dernieres lignes de la Lettre de faint Remy montrent sensiblement que cette Princeffe & fon Frere Clovis avoient été baptises en hyver, & par confequent elles difpofent à croire que cette cérémonie se fit, non pas le Samedi Saint, comme l'ont écrit (4) Hincmar & Flodoard, mais aux Fêtes de Noël, comme le dit pofitivement Alcimus Avitus, Evêque de Vienne dans la Lettre qu'il écrivit à ce Prince pour le féliciter fur fa conversion, & dont nous rapporterons inceffamment le contenu. D'ailleurs le témoignage d'un Contemporain tel qu'Avitus, est si décisif, sur la question concernant le jour où Clovis fut baptifé, qu'il ne nous refte qu'une chofe à faire; c'eft de découvrir, s'il eft poffible, ce qui peut avoir induit Hincmar & Flodoard dans l'erreur où ils font tombés. (b) Je dis s'il eft poffible, parce que je ne trouve point moi-même que les fondemens de ma conjecture foient trop folides.

L'Abbréviateur eft le feul des Hiftoriens qui ont écrit fous la

(a) Die vero Paffionis Domini quem Parafceven ufus Ecclefiafticus vocat, pridie fcilicet antequam Baptifmi gratiam, Rex & Populus ejus percepturi erant. Hincm. in vita Remigi

(b) Die vero Paffionis Dominicæ, pridie fcilicet antequam Baptismi gratiam percepturi erant.

Flodoardus Hift. Eccl. Rem. lib. 1. cap. 13

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