Page images
PDF
EPUB

pour rien le fentiment ifolé de Trogue Pompée, qui, en qualité d'Hiftorien luimême , a pu, par jaloufie, blâmer TiteLive fur fes harangues, afin de diminuer le prix de fon histoire, univerfellement eftimée. Nous ignorerions même la Critique que Trogue Pompée en a faite, fi Justin, fon abréviateur, n'avoit pas pris le foin de nous l'apprendre (1).

Les prodiges fans nombre, plus abfurdes les uns que les autres, dont Tite-Live a chargé fon hiftoire, font l'objet d'une accufation bien plus grave contre lui; & quoiqu'il ait fait entendre affez clairement

toute la fageffe, tout le favoir, toute la force de la raison, qu'une bonne Critique exige, fans bleffer le moins du monde l'Auteur de ce Supplément; mais de façon pourtant à lui donner des regrets de l'avoir mis au jour.

(1) Quam orationem dignam duxi, cujus exemplum brevitati hujus operis infererem, quam obliquam Pompeius Trogus expofuit, quoniam in Livio, & in Salluftio reprehendit, quod conciones directas, pro fua oratione operi fuo inferendo, hiftoriæ modum excefferint. JUSTIN. Lib. XXXVIII, Cap. III.

qu'il y croyoit peu, on ne les lui à pas néanmoins pardonnés, parce qu'il favorifoit par-là, & entretenoit la fuperftition. Qu'on ne s'imagine pas que ce reproche lui ait été fait par aucun de fes contemporains, qui, enveloppés comme lui des ténèbres du Paganisme, ne pouvoient pas le contredire ; mais par des Critiques modernes, qui plus éclairés, auroient dû plaindre l'aveuglement de l'Hiftorien, plutôt que de le critiquer. Nous n'entendons point parler ici de S. Grégoire-le-Grand, qu'un zèle vraiment apoftolique enflammoit contre tout ce qui fentoit le Paganifme, & qui, par cette raifon feule (1),

(1) DOM CLÉMENT penfe que c'eft mal à propos qu'on accufe S. Grégoire, qui ne faifoit pas grand cas des Sciences profanes, d'avoir fait brûler la Bibliothèque Palatine, qu'Auguste avoit formée à Rome. Cette accufation n'eft fondée que fur un paffage corrompu du Polycratique de Jean de Salisbery, où il eft vifible, en fuivant la vraie leçon, qu'il ne s'agit que des Livres d'Aftrologie judiciaire, nommés dans le Digefte, Libri improbata lectionis.

défendoit, à ce qu'on dit, la lecture de Tite-Live, & ne fouffroit pas qu'il entrât dans aucune Bibliothèque chrétienne nous parlons feulement des Critiques, qui n'ont pas allégué les mêmes raifons que S. Grégoire; & nous demandons fi Tite-Live, comme Hiftorien, devoit, ou non, rejeter tous ces prodiges de fon histoire? Or qui oferoit foutenir qu'il ignorât la manière d'écrire l'Hiftoire, les bienséances qu'elle exige, les devoirs qu'elle impofe à l'Écrivain? Il n'a donc parlé de ces prodiges, que parce qu'il n'a pas cru pouvoir s'en difpenfer. Dira-t-on que ce font fes opinions, fon fentiment, fes préjugés particuliers qu'il falloit qu'il adoptât, de préférence à l'opinion, au fentiment, aux préjugés autorifés, reçus & confacrés par les loix du pays, comme formant autant de liens qui attachent le peuple à l'État, au Souverain & au Gou

Voyez l'Art de vérifier les dates, Tom. I, à l'article de la CHRONOLOGIE hiftorique des Papes, pag. 247. Troisième Édition in-fol. chez Jombert. 1783.

que

de cas,

vernement? Tite-Live faifoit peu fans doute, de tous ces prodiges, dont il étoit aifé de démontrer l'abfurdité: mais pourroit-on aussi facilement prouver qu'il fit, comme Prêtre, auffi peu de cas de sa Religion? Admettons pour un moment cela foit: mais ne favoit-il pas que les Grands, les Hommes puiffans, les Gens riches, les Savans, les Philofophes ne font qu'un petit nombre d'individus, dont la façon de penfer peut, à quelques égards, être affez indifférente à la chose publique; tandis qu'il eft de l'intérêt général, de laisser des millions d'hommes qui compofent ce corps immenfe , que nous nommons Peuple, dans la fimplicité d'efprit où ils font nés, pour les contenir dans l'ordre néceffaire & dans l'obéiffance légitime, parce que la multitude eft incapable d'avoir une autre morale? S'il eut pensé qu'il avoit droit de combattre ouvertement la Religion de l'Empire, qui l'en empêchoit? Le refpe&t dû au culte public. Il étoit trop éclairé, pour ne pas

-fentir le danger d'introduire des opinions nouvelles, capables de divifer les efprits, de jeter du trouble dans l'État, & d'ébranler les fondemens fur lefquels repofent la sûreté, la tranquillité, l'exiftence & la durée des Empires. Il étoit trop inftruit, pour ne pas regarder, comme coupable du crime de lèze-majefté divine & humaine, tout Hiftorien, tout Écrivain, qui, fous prétexte d'éclairer la prétendue imbécillité du peuple, l'invite à brifer les noeuds facrés qui l'uniffent au Corps Politique, & à fe fouftraire à toute autorité divine & humaine, qui gêne fa façon de penser & d'agir, quand elle est contraire à son bien individuel & au bien général. Rien donc de repréhensible dans la conduite de TiteLive, en qualité d'Hiftorien, quand il n'auroit même envisagé, fa religion que du côté de la politique. Toute fauffe qu'étoit cette Religion, elle n'en étoit pas moins un frein falutaire. Mais s'il eût eu le bonheur de naître de nos jours, & que fon berceau eût été éclairé de la

« PreviousContinue »