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Le 13 janvier 1814, le garde général Berthet reçut par la voie hiérarchique la lettre suivante du préfet, qui fut communiquée à tous les brigadiers « La nécessité d'organiser promptement des moyens de défense pour empêcher les progrès de l'ennemi dans ce département me fait un devoir de faire appel au zèle et au dévouement de tous les fidèles sujets de S. M. La plupart des gardes forestiers ont été militaires ; ceux qui ne le sont pas ont toujours la connaissance du pays, ils ont de l'aptitude et du dévouement. Ils vont certainement se trouver compris dans la levée en masse qui vient d'être ordonnée par S. M. J'ai pensé que de les lever séparément, de les organiser en corps particulier, serait à la fois utile au gouvernement et agréable pour eux.

« Je connais votre zèle, c'est sur lui que je veux m'en reposer pour réunir dans le plus bref délai possible, au chef-lieu du département, tous les employés sous vos ordres, quel que soit leur grade. Vous me proposerez tout ce qui vous paraîtra le plus convenable pour leur meilleure et plus prompte organisation. Leur service sera volontaire et momentané. Ils recevront, dès qu'ils seront en position, les vivres de campagne et tout ce qui peut améliorer leur sort. Comme chef de l'administration du département, je me considérerai comme leur chef; vous me verrez sans cesse occupé, Monsieur, à faire valoir leurs efforts auprès du gouvernement et solliciter pour eux les récompenses et distinctions qu'ils auront méritées. » — « M. l'inspecteur, ajoutait à cette communication le garde général, me charge de vous observer que vous avez l'assurance en vous présentant volontairement pour la deffense de votre pays:

«10 de laisser arrérager vos appointements que vous trouverez en rentrant dans le pays;

« 2o d'avoir des vivres de campagne pendant tout le temps de votre absence de votre domicile ;

« 3o de voir votre zèle, votre dévouement, vos efforts mis sous les yeux du gouvernement;

«< 4o enfin d'avoir été et d'être montrés comme de bons et zélés citoyens, comme les libérateurs de votre pays. Faites connaître à tous vos subordonnés qui sont au-dessous de l'âge de 50 ans qu'ils doivent se rendre avec vous à Chambéry à la réception de l'avertissement que vous leur en donnerez pour s'organiser en compagnies, qu'ils portent leurs armes, comme fusils et sabres, et aussi leurs habits militaires, s'ils en ont. Arrivés à Chambéry, M. l'inspecteur vous présentera à M. le préfet, qui vous fera donner le logement. >>

En même temps qu'il envoyait cette circulaire,le garde général adres

sait les mandats de traitement de 1813. Dès le 15 janvier, les brigades forestières de Maurienne commencent à se rassembler à Saint-Jean. «Tous, écrit à cette date Berthet à son inspecteur, tous paraissent animés du meilleur esprit. J'ai donc tout lieu d'espérer que, sous peu de jours, ils seront tous réunis à Chambéry. »

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Le 18 au matin, les gardes de la haute vallée et ceux des environs de Saint-Jean se rendent au bureau du garde général qui les présente au sous-préfet chargé de la délivrance des feuilles de route. Six préposés seulement produisent des réclamations, dont plusieurs basées sur l'âge, pour se faire dispenser d'obéir à l'appel du préfet. Mais le surlendemain arrive une lettre par laquelle le sous-inspecteur annonce que le préfet « autorise les employés supérieurs de l'administration à faire

de suite des dispositions de retraite sur Grenoble, l'ennemi approchant de Chambéry et étant en force ».

On a vu que, devant l'importance des masses autrichiennes, le général de la Roche avec sa poignée d'hommes avait dû abandonner la capitale de la Savoie. Le 22 janvier, le baron Finot est à Saint-Jean-de Maurienne et Berthet porte sur son livre-journal: « L'arrivée de M. le préfet à Saint-Jean nous a annoncé que l'ennemi était entré à Chambéry hier 21 et qu'aujourd'hui il est à Montmélian. Conformément aux ordres que j'en ai reçus précédemment, j'ai emballé toutes les archivesde la sous-inspection et les ai fait porter au greffe du tribunal. »

Du 2 février 1814.« Départ pour Aiguebelle aux fins de me joindre au capitaine Combet pour, à l'aide des gardes du canton, examiner les positions de l'ennemi, ainsi que leurs mouvements >>

Du 3 février. « Le capitaine Combet m'a fait un rapport très avanageux sur la conduite de Laurent, garde d'Aiton. Cet ancien militaire est continuellement à la découverte, rend compte avec la plus grande exactitude de tout ce qu'il remarque sur la rive droite de l'Ysère, occu pée par l'ennemi. »

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Du 4 février. « Accompagné du capitaine Combet et du brigadier Brunet, je me suis transporté dans la commune de Chamousset où, avec une lunette thélégraphique, nous avons remarqué un poste ennemi fixé dans la commune du Bourget, canton de Saint-Pierre d'Albigny. Ce poste fournissait 3 factionnaires placés de distance en distance jusqu'au bord de l'Ysère où étaient les barques. Nous les avons vu relever ». En même temps qu'en un style de procès-verbal il note sur son Livrejournal les principaux faits de chaque jour, Berthet rend compte aussi au Préfet de ce qu'il voit et apprend. Le 15 février il écrit : « Monsieur le baron, j'ai l'honneur de vous informer que M. le général, comte Dessaix, est venu dimanche 13 courant passer sa revue des troupes stationnées à Aiguebelle et qu'il est reparti le même jour... Je n'ai rien appris touchant le mouvement de l'ennemi; leurs postes, patrouilles et sentinelles sont les mêmes. M'étant fait mal au pied je n'ai pu les aller voir ce matin, ni hier, car je tiens le lit; mais M. le lieutenant Gattet par son rapport journalier m'en instruit, outre cela mes gardes forestiers et champêtres 1 ».

En même temps, il écrit sur son journal administratif: « J'ai habité Aiguebelle jusqu'à ce jour pour être à portée de connaître les mouvements de l'ennemi et pour, à la tête des gardes de canton, être utile

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à notre armée pour la deffense de notre territoire. » Cependant son séjour touchait à sa fin; durant toute cette période, Berthet n'avait eu sous ses ordres immédiats que les préposés de la basse Maurienne: ceux de la haute vallée qui étaient descendus à Saint-Jean, le 18 janvier, avaient regagné leurs postes.

Le 18 février, Berthet revient à Saint-Jean-de-Maurienne où il reçoit le surlendemain, de son inspecteur, l'avis que l'ennemi avait évacué Chambéry le 19. La fortune avait tourné. Un mois auparavant, le général, comte Dessaix, l'ancien gouverneur de Berlin, qui s'était retiré chez lui, en Chablais, à cause de ses blessures et avait levé à la hâte un petit corps de volontaires, avait reçu du maréchal Augereau le commandement du département du Mont-Blanc et des troupes de l'armée dite Réserve de Genève, « vu l'état maladif du général de la Roche 2». Sous le vigoureux effort du chef énergique qui a mérité le surnom de Bayard de la Savoie, les Autrichiens reculent, poussés l'épée dans les reins, battus près de Chambéry, à Alby,à Annecy,à Brogny,au Chable, jusque sous les murs de Genève.

Avec la délivrance du département reparaît l'idée d'organiser toutes les forces disponibles du pays. Le 21 février, Guimberteau, inspecteur des forêts du Mont-Blanc, écrit au garde général Berthet pour que tous les gardes de l'arrondissement se présentent à nouveau devant le souspréfet « qui statuera sur l'aptitude d'un chacun pour la formation d'un corps franc 1».

En même temps, le baron Finot envoie aux sous-préfets les instructions suivantes:

Chambéry, le 22 février 1814.

«M. le sous-préfet, l'ennemi vient de quitter sa position entre Chambéry et Aix, il continue sa retraite sur Genève, mais il n'en est pas moins nécessaire de se mettre en mesure de le repousser par la force, s'il tentait de reprendre ses avantages. Il est de l'honneur du département de se faire au plus tôt une part dans ses succès qui couronnent les entreprises de MM. les généraux, comtes Marchand et Dessaix... Il importe de procéder sans délai à l'organisation d'un corps franc composé de tous les gardes forestiers et champêtres, ainsi que de tous les anciens militaires qui se présenteront de bonne volonté.

«MM. les gardes forestiers ont reçu ordre de leur inspecteur de se présenter devant vous pour y être passés en revue et ensuite dirigés sur

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Chambéry pour y être organisés. Ne perdez pas un moment pour faire un appel aux gardes forestiers et aux anciens militaires. Dites leur que leur service ne sera que temporaire, qu'ils seront armés, équipés et traités comme les troupes de ligne, que les succès qui couronnent de toutes parts les armées de S. M. doivent leur inspirer autant de confiance que de dévouement.

<< Faites vous communiquer par le garde général la lettre et les instructions qu'il a dû recevoir de M. l'inspecteur et concertez-vous avec lui pour donner de l'ensemble et de la célérité à toutes les mesures que vous allez prendre. Les gardes forestiers et les gardes champêtres continueront à jouir de leur traitement, ils seront avancés et récompensés en raison de leur empressement et de leur conduite. »

On ne trouve rien dans les archives départementales d'Annecy et de Chambéry, ni dans celles des sous-préfectures de Savoie celles de Saint-Jean exceptées au sujet de l'exécution de cette circulaire. En Maurienne, c'est le livre-journal du garde général qui fournit encore de précieuses indications.

Au reçu des ordres de l'inspecteur, Berthet adresse à ses brigadiers cette circulaire :

« M. le préfet pour achever l'expulsion de l'ennemi de ce département et dans l'intention de fournir une compagnie franche, désire la composer de gens ayant servi et de bonne volonté. Ce magistrat a cru ne pouvoir mieux faire que d'engager M. l'inspecteur à faire un appel à tous nos gardes forestiers qui, presque tous anciens militaires et tous attachés au gouvernement, doivent désirer l'évacuation de notre territoire. Il faut donc, au reçu de cette lettre et sans perdre un instant, que vous vous rendiez en cette ville avec les gardes sous vos ordres pour être présentés à M. le sous-préfet qui, ayant reçu des instructions pour l'organisation dont il s'agit, statuera sur la validité d'un chacun.

<«< Vous avez à cette mesure un intérêt particulier, celui de conserver vos places et de vous avancer en grade, si vous vous conduisez bien. J'aime à croire que l'appel que je vous fais ne restera pas sans effet. L'honneur, ce grand stimulant de tout homme honnête, de tout bon Français, doit vous y engager. Indépendamment de votre traitement, qui continuera de courir, vous serez habillés, armés et payés comme les troupes de ligne jusqu'à la reprise de vos fonctions qui aura lieu aussitôt que l'ennemi aura évacué le territoire.

« J'appelle donc tout votre zèle, c'est le cas d'en donner de nouvelles preuves, afin que nos administrateurs, nos concitoyens voient en nous des employés dignes d'un gouvernement qui nous protège, qui mérite

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