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CHAPITRE V

Suite du règne de Philippe le Bel. Ses trois fils. Procès.
Institutions. 1314-1328.

La fin du procès du Temple fut le commencement de vingt autres. Les premières années du xiv. siècle ne sont qu'un long procès. Ces hideuses tragédies avaient troublé les imaginations, effarouché les âmes. Il y eut comme une épidémie de crimes. Des supplices atroces, obscènes, qui étaient eux-mêmes des crimes, les punissaient et les provoquaient.

Mais les crimes eussent-ils manqué, ce gouvernement de robe longue, de jugeurs, ne pouvait s'arrêter aisément, une fois en train de juger. L'humeur militante des gens du roi, si terriblement éveillée par leurs campagnes contre Boniface et contre le Temple, ne pouvait plus se passer de guerre. Leur guerre, leur passion, c'était un grand procès, un grand et terrible procès, des crimes affreux, étranges, punis dignement par de grands supplices. Rien n'y manquait, si le coupable était un personnage. Le populaire apprenait alors à révérer la robe; le bourgeois enseignait à ses enfants à ôter le chaperon devant Messires, à s'écarter devant leur mule, lorsqu'au soir, par les petites rues de la Cité, ils revenaient attardés de quelque fameux jugement 1.

1 V. la mort du président Minart.

Les accusations vinrent en foule, ils n'eurent point à se plaindre empoisonnements, adultères, faux, sorcellerie surtout. Cette dernière était mêlée à toutes, elle en faisait l'attrait et l'horreur. Le juge frissonnait sur son siége lorsqu'on apportait au tribunal les pièces de conviction, philtres, amulettes, crapauds, chats noirs, images percées d'aiguilles... Il y avait en ces causes une violente curiosité, un acre plaisir de vengeance et de peur. On ne s'en rassasiait pas. Plus on brûlait, plus il en venait.

On croirait volontiers que ce temps est le règne du Diable, n'étaient les belles ordonnances qui y apparaissent par intervalles, et y font comme la part de Dieu... L'homme est violemment disputé par les deux puissances. On croit assister au drame de Bartole: l'homme pardevant Jésus, le Diable demandeur, la Vierge défendeur. Le Diable réclame l'homme comme sa chose, alléguant la longue possession. La Vierge prouve qu'il n'y a pas prescription, et montre que l'autre abuse des textes1.

La Vierge a forte partie à cette époque. Le Diable est lui-même du siècle, il en réunit les caractères, les mauvaises industries. Il tient du juif et de l'alchimiste, du scolastique et du légiste.

La diablerie, comme science, avait dès lors peu de progrès à faire. Elle se formait comme art. La démonologie enfantait la sorcellerie. Il ne suffisait pas de pouvoir distinguer et classer des légions de diables, d'en savoir les noms, les professions, les tempéraments 2; il fallait apprendre à les faire servir aux usages de l'homme. Jusque

1 Rien de plus fréquent dans les hagiographes que cette lutte pour l'âme convertie, ou plutôt ce procès simulé où le Diable vient malgré lui rendre témoignage à la puissance du repentir.

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Agnei, lucifugi, etc.

D

App., 103.

M. Psellus. Cet auteur byzantin est du XIe siècle. Edid. Gaulminus. 1615, in-12. - Bodin dans son livre De Præstigiis, imprimé à Bále 1578, a dressé l'inventaire de la monarchie diabolique avec les noms et surnoms de 72 princes et de 7,405,926 diables.

là on avait étudié les moyens de les chasser; on chercha désormais ceux de les faire venir. Cet effroyable peuple de tentateurs s'accrut sans mesure. Chaque clan d'Écosse, chaque grande maison de France, d'Allemagne, chaque homme presque avait le sien. Ils accueillaient toutes les demandes secrètes qu'on ne peut faire à Dieu, écoutaient tout ce qu'on ose dire1... On les trouvait partout 2. Leur vol de chauve-souris obscurcissait presque la lumière et le jour de Dieu. On les avait vus enlever en plein jour un homme qui venait de communier, et qui se faisait garder par ses amis, cierges allumés 3.

Le premier de ces vilains procès de sorcelleries, où il n'y avait des deux côtés que malhonnêtes gens, est celui de Guichard, évêque de Troyes, accusé d'avoir, par engin et maléfice, procuré la mort de la femme de Philippe le Bel. Cette mauvaise femme, qui avait recommandé l'égorgement des Flamandes (voyez plus haut), est celle aussi qui, selon une tradition plus célèbre que sûre, se faisait amener, la nuit, des étudiants à la tour de Nesle, pour les faire jeter à l'eau quand elle s'en était servie. Reine de son chef pour la Navarre, comtesse de Champagne, elle en voulait à l'évêque, qui pour finance avait sauvé un homme qu'elle haïssait. Elle faisait ce qu'elle pouvait pour ruiner Guichard. D'abord, elle l'avait fait chasser du conseil et forcé de résider en Champagne. Puis elle avait dit qu'elle perdrait son comté de Champagne, ou lui son évêché. Elle le poursuivait pour je ne sais quelle

↑ La sorcellerie naît surtout des misères de ce temps si manichéen. Des monastères elle avait passé dans les campagnes. Voir sur le Diable, l'An 1000, tome II; sur les sorcières, Renaissance, Introduction; sur le sabbat au moyen âge, tome XI de cette histoire, ch. xvi et xvi. Le sabbat au moyen Age est une révolte nocturne de serfs contre le Dieu du prêtre et du seigneur. (1860.)

Plusieurs furent accusés d'en avoir vendu en bouteilles. Plût à Dieu, dit sérieusement Leloyer, que cette denrée fût moins commune dans le commerce! →

1 Mém. de Luther, t. II.

par la quarantaine et l'assurement. Sous Philippe le Bel, l'appel au roi se trouve si bien établi, que le plus indépendant des grands feudataires, le duc de Bretagne, demande, comme grâce singulière, d'en être exempté. Le Parlement de Paris écrit pour le roi au plus éloigné des barons, au comte de Comminges, ce petit roi des hautes Pyrénées, les paroles suivantes qui, un siècle plus tôt, n'eussent pas même été comprises: « Dans tout le royaume, la connaissance et la punition du port d'armes n'appartient qu'à nous 2. »

Au commencement de ce règne, la tendance nouvelle s'annonce fortement Le roi veut exclure les prètres de la justice et des charges municipales 3. Il protége les juifs * et les hérétiques, il augmente la taxe royale sur les amortissements, sur les acquisitions d'immeubles par les églises 5. Il défend les guerres privées, les tournois. Cette défense motivée sur le besoin que le roi a de ses hommes pour la guerre de Flandre, est souvent répétée; une fois même, le roi ordonne à ses prévôts d'arrêter ceux qui vont aux tournois. A chaque campagne, il lui fallait faire la presse, et réunir malgré elle cette indolente chevalerie qui se souciait peu des affaires du roi et du royaume 6.

Ce gouvernement ennemi de la féodalité et des prètres, n'avait pas d'autre force militaire que les seigneurs, ni guère d'argent que par l'Église. De là plusieurs contradictions, plus d'un pas en arrière.

En 1287, le roi permet aux nobles de poursuivre leurs serfs fugitifs dans les villes. Peut-être en effet était-il besoin de ralentir ce grand mouvement du peuple vers les villes, d'empêcher la désertion des campagnes'. Les villes auraient tout absorbé; la terre serait restée déserte, comme il arriva dans l'empire romain.

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2 Olim Parliamenti..

3

App, 11.App., 115. App., 117. App., 118.

7

En 1290, le clergé arracha au roi une charte exorbitante, inexécutable, qui eût tué la royauté. Les principaux articles étaient que les prélats jugeraient des testaments, dest legs, des douaires, que les baillis et gens du roi ne demeureraient pas sur terres d'église, que les évêques seuls pourraient arrêter les ecclésiastiques, que les clercs ne plaideraient point en cour laïque pour les actions person={} nelles, quand même ils y seraient obligés par lettres du roi (c'était l'impunité des prêtres); que les prélats ne payeraient pas pour les biens acquis à leurs églises; que les juges locaux ne connaîtraient point des dimes, c'est-àdire que le clergé jugerait seul les abus fiscaux du clergé. En 1294, Philippe le Bel avait violemment attaqué la tyrannie de l'inquisition dans le Midi. En 1298, au com→ mencement de la guerre contre le pape, il seconde l'intolérance des évêques, il ordonne aux seigneurs et aux juges royaux, de leur livrer les hérétiques, pour qu'ils les condamnent et les punissent sans appel. L'année suivante, il promet que les baillis ne vexeront plus les églises de saisies violentes; ils ne saisiront qu'un manoir à la fois, etc. 4. Il fallait aussi satisfaire les nobles. Il leur accorda une ordonnance contre leurs créanciers, contre les usuriers juifs. Il garantit leurs droits de chasse. Les collecteurs royaux n'exploiteront plus les successions des bâtards et des aubains sur les terres des seigneurs haut-justiciers:

A moins, ajoute prudemment le roi, qu'il ne soit constaté par idoine personne que nous avons bon droit de percevoir 2. »

En 1302, après la défaite de Courtrai, le roi osa beaucoup. Il prit pour la monnaie, la moitié de toute vaisselle d'argent 3 (les baillis et gens du roi devaient donner tout);

↑ App., 119. — 2 App., 120.

1 ■ Signifiez à tons, par eri général, sans faire mention de prélats ni de barons, c'est à savoir que toutes manières de gens apportent la moitié de leur vaissellement d'argent blanc.. Ord, 1, 317.

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