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variable de la couronne dans la ligne masculine a donné plus de suite à la politique de nos rois; elle a balancé utilement la légèreté de notre oublieuse nation.

En repoussant ainsi le droit des filles au moment même où il triomphait peu à peu dans les fiefs, la couronne prenait ce caractère, de recevoir toujours sans donner jamais. A la même époque, une révocation hardie de toute donation depuis saint Louis 1, semble contenir le principe de l'inaliénabilité du domaine. Malheureusement l'esprit féodal qui reprit force sous les Valois à la faveur des guerres, provoqua de funestes créations d'apanages, et fonda au profit des branches diverses de la famille royale, une féodalité princière aussi embarrassante pour Charles VI et Louis XI, que l'autre l'avait été pour Philippe le Bel.

Cette succession contestée, cette malveillance des seigneurs, jette Philippe le Long dans les voies de Philippe le Bel. It flatte les villes, Paris, l'Université surtout, la grande puissance de Paris. Il se fait jurer fidélité par les nobles, en présence des maîtres de l'Université qui approuvent 2. Il veut que ses bonnes villes soient garnies d'armures; que les bourgeois aient des armes en lieu súr; il leur nomme un capitaine en chaque baillie ou contrée (1316, 12 mars). Senlis, Amiens et le Vermandois, Caen, Rouen, Gisors, le Cotentin et le pays de Caux, Orléans, Sens et Troyes, sont spécialement désignés.

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Philippe le Long aurait voulu (dans un but, il est vrai, fiscal) établir l'uniformité de mesures et de monnaies; mais ce grand pas ne pouvait se faire encore 3.

Il fait quelques efforts pour régulariser un peu la comptabilité. Les receveurs doivent, toute dépense payée, envoyer le reste au Trésor du roi, mais secrètement, et sans que personne sache l'heure ni le jour. Les baillis et sénéchaux

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doivent venir compter tous les ans à Paris. Les trésoriers compteront deux fois l'année. L'on spécifiera en quelle monnaie se font les payements. Les jugeurs des comptes jugeront de suite.... Et le roi saura combien il a à recevoir.

Parmi les règlements de finance, nous trouvons cet article: «Tous gages des chastiaux qui ne sont en frontière, cessent du tout des-ores-en-avant 1. » Ce mot contient un fait immense. La paix intérieure commence pour la France, au moins jusqu'aux guerres des Anglais.

La garantie de cette paix intérieure, c'est l'organisation d'un fort pouvoir judiciaire. Le Parlement se constitue. Une ordonnance détermine dans quelle proportion les clercs et les laïques doivent y entrer; la majorité est assurée aux laïques. Quant aux conseillers étrangers aux corps et appelés temporairement, Philippe le Long répète l'exclusion déjà prononcée, contre les prélats, par Philippe. le Bel: « Il n'aura nulz Prélaz députez au Parlement, car le Roy fait conscience de eus empeschier ou gouvernement de leurs experituautez. »

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Si l'on veut savoir avec quelle vigueur agissait le Parlement de Paris, il faut lire, dans le continuateur de Nangis, l'histoire de Jordan de Lille, « seigneur gascon fameux par sa haute naissance, mais ignoble par ses brigandages... » Il n'en avait pas moins obtenu la nièce du pape, et par le pape le pardon du roi. Il n'en usa que pour accumuler les crimes, meurtres et viols, nourrissant des bandes d'assassins, ami des brigands, rebelle au roi. Il auraitpeut-être échappé encore. Un homme du roi était venu le trouver; il le tua du bâton même où il portait les armes du roi, insigne de son ministère. Appelé en jugement, il vint à Paris suivi d'un brillant cortège de comtes et de barons des plus nobles d'Aquitaine... Il n'en fut pas moins jeté dans les prisons du Châtelet, condamné à mort par les

1 App., 132.

Maîtres du Parlement, et, la veille de la Trinité, traîné à la queue des chevaux et pendu au commun patibulaire .»

Le Parlement qui défend si vigoureusement l'honneur du roi, est lui-même un vrai roi sous le rapport judiciaire. Il porte le costume royal, la longue robe, la pourpre et l'hermine. Ce n'est pas, comme il semble, l'ombre, l'eftigie du roi; c'est plutôt sa pensée, sa volonté constante, immuable et vraiment royale. Le roi veut que la justice suive son cours : « Non contrestant toutes concessions, ordonnances, et lettres royaux à ce contraire. » Ainsi le roi se défie du roi, il se reconnaît mieux en son Parlement qu'en lui-même. Il distingue en lui un double caractère; il se sent roi, et il se sent homme, et le roi ordonne de désobéir à l'homme.

Beaucoup de textes d'ordonnances en ce sens honorent la sagesse des conseillers qui les dictèrent. Le roi cherche à mettre une barrière à sa libéralité. Il exprime la crainte que l'on n'arrache des dons excessifs à sa faiblesse, à son inattention; que pendant qu'il dort ou repose, le privilége et l'usurpation ne soient que trop bien éveillés 2.

Ainsi, en 1348, il parle de certains droits féodaux: « ... lesquels on nous demande souvent, et sont de plus grande valeur que nous ne croyons, nous devons être avisés, si quelqu'un nous les demande 3. »

Ailleurs, il recommande aux receveurs de n'avertir personne des recettes extraordinaires, ou « aventures qui nous échoiront, à ce que nous ne puissions être requis de les donner. »

Ces aveux de faiblesse et d'ignorance que les conseillers du roi lui faisaient faire, pour être si naïfs, n'en sont pas moins respectables. Il semble que la royauté nouvelle, devenue tout d'un coup la providence d'un peuple, sente

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la disproportion de ses moyens et de ses devoirs. Ce contraste se marque d'une manière bizarre dans l'ordonnance de Philippe le Long: Sur le gouvernement de son hostel et le bien de son royaume. Il établit d'abord dans un noble préambule que Messire Dieu a institué les rois sur la terre, pour que bien ordonnés en leurs personnes, ils ordonnent et gouvernent dûment leur royaume. Il annonce ensuite qu'il entend la messe tous les matins, et défend qu'on l'interrompe pendant la messe pour lui présenter des requêtes. Nulle personne ne pourra lui parler à la chapelle:

Si ce n'estoit notre confesseur, lequel pourra parler à nous des choses qui toucheront notre conscience. » Il pourvoit ensuite à la garde de sa personne royale : « Que nulle personne mescongüe, ne garçon de petit estat, ne entre en notre garde-robe, ne mettent main, ne soient à nostre lit faire, et qu'on n'i soffre mettre draps estrangers. >> La terreur des empoisonnements et des maléfices est un trait de cette époque.

Après ces détails de ménage, viennent des règlements sur le conseil, le trésor, le domaine, etc. L'État apparaît ici comme un simple apanage royal, le royaume comme un accessoire de l'Hostel. On sent partout la petite sagesse des gens du roi, cette honnêteté bourgeoise, exacte et scrupuleuse dans le menu, flexible dans le grand. Nul doute que cette ordonnance ne nous donne l'idéal de la royauté, selon les gens de robe, le modèle qu'ils présentaient au roi féodal pour en faire un vrai roi comme ils le concevaient.

Ces essais estimables d'ordre et de gouvernement ne changeaient rien aux souffrances du peuple. Sous Louis Hutin, une horrible mortalité avait enlevé, dit-on, le tiers de la population du Nord 2. La guerre de Flandre avait

↑ App., 135. — 2 Cont. G. de Nang.

épuisé les dernières ressources du pays. En 1320, il fallut bien finir cette guerre. La France avait assez à faire chez elle. L'excès de la misère exaltant les esprits, un grand mouvement avait lieu dans le peuple. Comme au temps de saint Louis, une foule de pauvres gens, de paysans, de bergers ou pastoureaux, comme on les appelait, s'attroupent et disent qu'ils veulent aller outre-mer, que c'est par eux qu'on doit recouvrer la Terre-Sainte. Leurs chefs étaient un prêtre dégradé et un moine apostat. Ils entraînèrent beaucoup de gens simples, jusqu'à des enfants qui fuyaient la maison paternelle. Ils demandaient d'abord; puis ils prirent. On en arrêta; mais ils forçaient les prisons, et délivraient les leurs. Au Châtelet, ils jetèrent du haut des degrés le prévôt qui voulait leur défendre les portes; puis, ils s'allèrent mettre en bataille au Pré-aux-Clercs, et sortirent tranquillement de Paris; on se garda bien de les en empêcher. Il s'en allèrent vers le Midi, égorgeant partout les juifs, que les gens du roi tàchaient en vain de défendre. Enfin à Toulouse, on réunit des troupes, on fondit sur les pastoureaux, on les pendit par vingt et par trente; le reste se dissipa 1.

Ces étranges émigrations du peuple indiquaient moins de fanatisme que de souffrance et de misère. Les seigneurs, ruinés par les mauvaises monnaies, pressurés par l'usure, retombaient sur le paysan. Celui-ci n'en était pas encore au temps de la Jacquerie; il n'était pas assez osé pour se tourner contre son seigneur. Il fuyait plutôt, et massacrait les juifs. Ils étaient si détestés, que beaucoup de gens se scandalisèrent de voir les gens du roi prendre leur défense. Les villes commerçantes du Midi les jalousaient cruellement. C'était précisément l'époque où, comme financiers, collecteurs, percepteurs, ils commençaient à régner sur l'Espagne. Aimés des rois pour leur adresse et leur

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