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cela seul qu'elle est une. Charles le Bel intervient en faveur du comte de Flandre. Il entreprend, avec l'aide du pape, de se faire Empereur. Sa sœur Isabeau se fait effectivement reine d'Angleterre par le meurtre d'Édouard II.

Terrible histoire que celle des enfants de Philippe le Bel! Le fils aîné fait mourir sa femme. La fille fait mourir son mari.

Le roi d'Angleterre, Édouard II, né parmi les victoires. de son père et promis aux Gallois pour réaliser leur Arthur, n'en était pas moins toujours battu. En France, il laissait entamer la Guyenne et promettait de venir rendre hommage. En Angleterre, il était malmené par Robert Bruce; mais il le poursuivait en cour de Rome. Il avait demandé au pape s'il pouvait, sans péché, se frotter d'une huile merveilleuse qui donnait du courage. Sa femme le méprisait. Mais il n'aimait pas les femmes; il se consolait plutôt de ses mésaventures avec de beaux jeunes gens. La reine, par représailles, s'était livrée au baron Mortimer. Les barons, qui détestaient les mignons du roi, lui tuèrent d'abord son brillant Gaveston, hardi Gascon, beau cavalier, qui s'amusait dans les tournois à jeter par terre les plus graves lords, les plus nobles seigneurs. Spencer, qui succéda à Gaveston, ne fut pas moins haï.

L'Angleterre se trouvant désarmée par ses discordes, le roi de France profita du moment, et s'empara de l'Agénois1. Isabeau vint en France avec son jeune fils, pour réclamer, disait-elle. Mais c'est contre son mari qu'elle réclama. Charles le Bel, ne voulant pas s'embarquer en son nom dans une affaire aussi hasardeuse qu'une invasion de l'Angleterre, défendit à ses chevaliers de prendre le parti de la reine 2. Il fit même croire qu'il voulait l'arrêter et la renvoyer à son mari. En vrai fils de Philippe le Bel, il ne lui donna pas d'armée, mais de l'argent pour en avoir unc.

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Cet argent fut prêté par les Bardi, banquiers florentins. D'autre part, le roi de France envoyait des troupes en Guyenne pour réprimer, disait-il, quelques aventuriers gascons.

Le comte de Hainaut donna sa fille en mariage au jeune fils d'Isabeau, et le frère du comte se chargea de conduire la petite troupe qu'elle avait levée. De grandes forces n'auraient pu que nuire, en alarmant les Anglais. Edouard était désarmé, livré d'avance. Il envoya sa flotte contre elle; mais la flotte n'avait garde de la rencontrer. Il dépêcha Robert de Watteville avec des troupes, qui se réunirent à elle. Il implora les gens de Londres; ceux-ci répondirent prudemment « qu'ils avaient privilége de ne point sortir en bataille; qu'ils ne recevraient pas d'étrangers, mais bien volontiers le roi, la reine et le prince royal. Non moins prudemment les gens d'église accueillaient la reine à son arrivée. L'archevêque de Cantorbéry prêcha sur ce texte: « La voix du peuple est la voix de Dieu. »> L'évêque d'Hereford sur cet autre : « C'est au chef que j'ai mal, Caput meum doleo 1. » Enfin, l'evêque d'Oxford prit le texte de la Genèse: « Je mettrai inimitié entre toi et la femme, et elle t'écrasera la tête. » Prophétie homicide qui se vérifia.

Cependant la reine s'avançait avec son fils et sa petite troupe. Elle venait comme une femme malheureuse & qui veut seulement éloigner de son mari les mauvais conseil...lers qui le perdent. C'était grande pitié de la voir si dolente

et si éplorée. Tout le monde était pour elle. Elle eut bientôt. entre ses mains Édouard et Spencer. On lui amena ce Spencer qu'elle haissait tant: elle en rassasia ses yeux. Puis, devant le palais, sous les croisées de la reine, on lui fit subir, avant la mort, d'obscènes mutilations.

1 Il concluait que le seul moyen de guérir le corps était de lui couper la tête.

Pour le moment, elle n'osait pas en faire plus. Elle avait peur, elle tâtait le peuple, elle ménageait son mari. Elle pleurait, et tout en pleurant elle agissait. Mais rien ne semblait se faire par elle, tout par justice et régulièment. Édouard était resté en possession de la couronne royale; cela arrêtait tout. Trois comtes, deux barons, deux évêques et le procureur du Parlement, Guillaume Trussel, vinrent au château de Kenilworth, faire entendre au prisonnier que s'il ne se dépêchait de livrer la couronne, il n'y gagnerait rien, qu'il risquerait plutôt de faire perdre le trône à son fils, que le peuple pourrait fort bien choisir un roi hors de la famille royale. Édouard pleura, s'évanouit et finit par livrer la couronne. Alors le procureur dressa et prononça la formule, qu'on a gardée comme bon précédent: « Moi Guillaume Trussel, procureur du Parlement, au nom de tous les hommes d'Angleterre, je te reprends l'hommage que je t'avais fait, à toi, Edouard. De ce temps en avant, je te défie, je te prive de tout pouvoir royal. Désormais, je ne t'obéis plus comme à un roi. »

Édouard croyait au moins vivre; on n'avait pas encore tué de roi. Sa femme le flattait toujours. Elle lui écrivait des choses tendres, elle lui envoyait de beaux habits. Cependant un roi déposé est bien embarrassant. D'un moment à l'autre il pouvait être tiré de prison. Dans leur anxiété, Isabeau et Mortimer demandèrent avis à l'évêque d'Hereford. Ils n'en tirèrent qu'une parole équivoque : Edwardum occidere nolite timere bonum est. C'était répondre sans répondre. Selon que la virgule était placée, ici ou là, on pouvait lire dans ce douteux oracle la mort ou la vie. Ils lurent la mort. La reine se mourait de peur tant que son mari était en vie. On envoya à la prison un nouveau gouverneur, John Maltravers; nom sinistre, mais l'homme était pire.

Maltravers fit longuement goûter au prisonnier les affres de la mort; il s'en joua pendant quelques jours, peut-être

dans l'espoir qu'il se tuerait lui-même. On lui faisait la barbe à l'eau froide, on le couronnait de foin; enfin, comme il s'obstinait à vivre, ils lui jetèrent sur le dos une lourde porte, pesèrent dessus, et l'empalèrent avec une broche toute rouge. Le fer était mis, dit-on, dans un tuyau de corne, de manière à tuer sans laisser trace. Le cadavre fut exposé aux regards du peuple, honorablement enterré, et une messe fondée. Il n'y avait nulle marque de blessure, mais les cris avaient été entendus; la contraction de la face dénonçait l'horrible invention des assassins 1.

Charles le Bel ne profita pas de cette révolution. Lui-même il mourut presque en même temps qu'Édouard, ne laissant qu'une fille. Un cousin succéda, Toute cette belle famille de princes qui avaient siégé près de leur père au concile de Vienne était éteinte, conformément à ce qu'on racontait des malédictions de Boniface.

• App., 143.

LIVRE VI

CHAPITRE PREMIER

L'Angleterre.

Philippe de Valois. 1328-1349.

Cette mémorable époque, qui met l'Angleterre si bas et la France d'autant plus haut, présente néanmoins dans les deux pays deux événements analogues. En Angleterre, les barons ont renversé Édouard II. En France, le parti féodal met sur le trône la branche féodale des Valois.

Le jeune roi d'Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère, après avoir d'abord réclamé, vient faire hommage à Amiens. Mais l'Angleterre humiliée n'en a pas moins en elle les éléments de succès qui vont bientôt la faire prévaloir sur la France.

Le nouveau gouvernement anglais, intimement lié avec la Flandre, appelle à lui les étrangers. Il renouvelle la charte commerciale qu'Édouard Ier avait accordée aux marchands de toute nation. La France, au contraire, ne peut prendre part au mouvement nouveau du commerce. Un mot sur cette grande révolution. Elle explique seule les événements qui vont suivre. Le secret des batailles de Créci, de Poitiers est au comptoir des marchands de Londres, de Bordeaux et de Bruges.

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