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prétexte. Ils suspendront toute guerre privée; « Que si aucun fait le contraire, la justice du lieu, ou s'il est besoin, ces bonnes gens du pays, prennent tels guerriers... et les contraignent sans délai par retenue de corps et exploitement de leurs biens, à faire paix et à cesser de guerroyer. » Voilà les nobles soumis à la surveillance des

communes.

Le droit de prise cesse. On pourra résister aux procu¬ reurs, et s'assembler contre eux par cri, ou par son de cloche. Plus de don sur le domaine. Tout, don est révoqué, en remontant jusqu'à Philippe le Bel. Le dauphin promet de faire cesser autour de lui toute dépense superflue et voluptuaire. Il fera jurer à tous ses officiers de ne lui rien demander qu'en présence du grand conseil.

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Chacun se contentera d'un office. Le nombre des gens de justice sera réduit, Les prévôtés, vicomtés, ne seront plus données à ferme. Les prévôts, etc., ne pourront être placés dans les pays où ils sont nés.

Plus de jugement par commission. Les criminels ne pourront composer, « mais il sera fait pleine justice. »> Quoique l'un des principaux rédacteurs de l'ordonnance, Le Coq, soit un avocat, un président du Parlement, les magistrats y sont traités sévèrement, On, leur défendde faire le commerce; on leur interdit les coalitions, les empiétements sur leurs juridictions respectives. On leur. reproche leur paresse. On réduit leurs salaires en certains cas. Les réformes sont justes; mais le langage est rude, le. ton aigre et hostile. Il est évident que le Parlement se refusait à soutenir les états et la commune.

Les présidents, ou autres membres du Parlement, commis aux enquêtes, ne prendront que quarante sols par jour. Plusieurs ont accoustumé de prendre salaire trop excessif, et d'aller à quatre ou cinq chevaux, quoique s'ils alloient à leurs dépens, il leur suffiroit bien d'aller à deux chevaux ou à trois. »>

Le grand conseil, le Parlement, la chambre des Comptes, sont accusés de négligence. Des arrêts qui devroient avoir été rendus, il y a vingt ans, sont encore à rendre. Les conseillers viennent tard, leurs dîners sont longs, leurs après, diners peu profitables: Les gens de la chambre des Comptes « jureront aux saints évangiles de Dieu, que bien et loyale ment ils délivreront la bonne gent et par ordre, sans eux faire muser. » Le grand conseil, le Parlement, la chambre des Comptes, doivent s'assembler au soleil, levant. Les membres du grand conseil qui ne viendront pas bien matin perdront les gages de la journée. Ces membres, malgré leur haute position, sont, comme on voit, traités sans façon par les bourgeois législateurs.,

Cette grande ordonnance de 4357, que le dauphin, fut obligé de signer, était bien plus qu'une réforme, Elle, changeait d'un coup, le gouvernement. Elle mettait l'administration entre les mains des états, substituait la répu blique à la monarchie. Elle donnait le gouvernement au, peuple. Constituer un nouveau gouvernement au milieu d'une telle guerre, c'était une opération singulièrement périlleuse, comme celle d'une armée qui renverserait son, ordre de bataille en présence de l'ennemi. Il y avait à craindre que la France ne périt dans ce revirement.

L'ordonnance détruisait les abus. Mais la royauté ne vivait guère que d'abus 1.

Dans la réalité, la France existait-elle comme personne politique? pouvait-on lui supposer une volonté commune? Ce qu'on peut affirmer, c'est que l'autorité lui apparaissait tout entière dans la royauté. Elle ne souhaitait que des réformes partielles. L'ordonnance approuvée des états n'était, selon toute vraisemblance, que l'œuvre d'une commune, d'une grande et intelligente commune, qui parlait

1 Ceci n'excuse point la royauté, mais l'incrimine au contraire de n'avoir voulu que les perpétuer. (1860) App., 200.

au nom du royaume, mais que le royaume devait abandonner dans l'action.

Les nobles conseillers du dauphin, dans leur haine de nobles contre les bourgeois, dans leurs jalousies provinciales contre Paris, poussaient leur maître à la résistance. Au mois de mars, il avait signé l'ordonnance présentée aux états; le 6 avril, il défendit de payer l'aide que les états avaient votée. Le 8, sur les représentations du prévôt des marchands, il révoqua la défense. Le jeune prince flottait ainsi entre deux impulsions, suivant l'une aujourd'hui, demain l'autre, et peut-être de bonne foi. Il y avait grandement à douter dans cette crise obscure. Tout le monde doutait, personne ne payait. Le dauphin restait désarmé, les états aussi. Il n'y avait plus de pouvoir public, ni roi, ni dauphin, ni états.

Le royaume, sans force, se mourant, pour ainsi dire, et perdant conscience de soi, gisait comme un cadavre. La gangrène y était, les vers fourmillaient; les vers, je veux dire les brigands, anglais, navarrais. Toute cette pourriture isolait, détachait l'un de l'autre les membres du pauvre corps. On parlait du royaume; mais il n'y avait plus d'états vraiment généraux, rien de général, plus de communication, de route pour s'y rendre. Les routes étaient des coupe-gorge. La campagne un champ de bataille; la guerre partout à la fois, sans qu'on pût distinguer ami ou ennemi.

Dans cette dissolution du royaume, la commune restait vivante 1. Mais comment la commune vivrait-elle seule, et sans secours du pays qui l'environne? Paris, ne sachant à qui s'en prendre de sa détresse, accusait les états. Le dauphin enhardi déclara qu'il voulait gouverner, qu'il se passerait désormais de tuteur. Les commissaires des états se séparèrent. Mais il n'en fut que plus embarrassé. Il essaya de faire un peu d'argent en vendant des offices, mais l'ar1 App., 201.

gent ne vint pas. Il sortit de Paris; toute la campagne était en feu. Il n'y avait pas de petite ville où il ne pût être enlevé par les brigands. Il revint se blottir à Paris et se remettre aux mains des états. les convoqua pour le 7 novembre.

Dans la nuit du 8 au 9, un ami de Marcel, un Picard, le sire de Pecquigny, enleva par un coup de main Charles le Mauvais du fort où il était enfermé. Marcel, qui voyait toujours autour du Dauphin une foule menaçante de nobles, avait besoin d'une épée contre ces gens d'épée, d'un prince du sang contre le dauphin. Les bourgeois, dans leurs plus hardies tentatives de liberté, aimaient à suivre un prince. Il semblait beau aussi et chevaleresque, quand la chevalerie se conduisait si mal, que les bourgeois se chargeassent de réparer cette grande injustice, de redresser le tort des rois. La foule, toujours facile aux émotions généreuses, accueillit le prisonnier avec des larmes de joie. Le retour de ce méchant homme, mais si malheureux, leur semblait celui de la justice elle-même. Amené par les communes d'Amiens, reçu à Saint-Denis par la foule des bourgeois qui étaient allés au-devant 1, il vint à Paris, mais d'abord seulement hors des murs, à SaintGermain-des-Prés. Le surlendemain il précha le peuple de Paris. Il y avait contre les murs de l'abbaye une chaire ou tribune, d'où les juges présidaient aux combats judiciaires qui se faisaient au Pré-aux-Clercs, limite des deux juridictions. Ce fut de là que parla le roi de Navarre. Le dauphin, à qui il avait demandé l'entrée de la ville et qui n'avait pas osé refuser, était venu l'entendre, peut-être dans l'espoir qu'il en dirait moins. Mais la harangue n'en fut que plus hardie. Il commença en latin, et continua en langue vulgaire 2. Il parla à merveille. Il était, disent les contemporains, petit, vif et d'esprit subtil.

• App., 202.

2

• In latino valdė pulchro.. Contin. G. de Nangis.

Le texte du discours, tiré, selon l'usage du temps, de la. sainte Écriture, prêtait aux développements pathétiques: Justus Dominus et dilexit justitias; vidit æquitatem vultus ejus. Le roi de Navarre, s'adressant, avec une insidieuse douceur, au dauphin lui-même, le prenait à témoin des injures qu'on lui avait faites. On avait bien tort de se défier de lui; n'était-il pas Français de père et de mère ? n'était-il pas plus près de la couronne que le roi d'An-. gleterre qui la réclamait? il voudrait vivre et mourir en défendant le royaume de France... Le discours fut si long, qu'on avait soupé dans Paris quand il cessa. Mais, quoi-. que le bourgeois n'aime pas à se desheurer 2. il n'en fut pas moins favorable au harangueur. Ce fut à qui lui donnerait de l'argent.

De Paris, il alla à Rouen et y exposa ses malheurs avec la même faconde 3. Il fit descendre du gibet les corps de ses amis qui avaient été mis à mort au terrible diner de Rouen, et les suivit à la cathédrale au son des cloches et à la lueur des cierges. C'était le jour des Saints-Innocents. (28 décembre); il parla sur ce texte: « Des Innocents et des justes s'étaient attachés à moi, parce que je tenais pour vous, & Seigneur ! »

Le dauphin prêchait aussi à Paris. I haranguait aux halles, Marcel à Saint-Jacques 3. Mais le premier n'avait pas la foule. Le peuple n'aimait pas la mine chétive du jeune prince. Tout sage et sensé qu'il pouvait être, c'était un froid harangueur, à côté du roi de Navarre.

L'engouement de Paris pour celui-ci était étrange 6. Que demandait ce prince si populaire? Qu'on affaiblit encore le royaume, qu'on mit en ses mains des provinces entières

6

1 Chroniques de Saint-Denis. - Comme dit le cardinal de Retz

3. Miserias suas exposuit....... eleganter. » Cont. G. de Nangis,

4 App., 203. - App., 201

⚫ Omnibus amabilis et dilectus, dit le second continuateur de

Guillaume de Nangis.

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