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solde des Anglais; il assiégea Péronne, la prit, la brûla. Ils traitèrent de même Chauny-sur-Oise et d'autres villes. En Bourgogne, les nobles servaient eux-mêmes de guide aux bandes qui pillaient le pays. Les brigands de toute nation se disant Anglais, le roi défendait de les attaquer. Il pria Édouard d'en écrire à ses lieutenants 2.

Ces pillards s'appelaient eux-mêmes les Tard-Venus; venus après la guerre, il leur fallait aussi leur part. La principale compagnie commença en Champagne et en Lorraine, puis elle passa en Bourgogne: le chef était un Gascon, qui voulait, comme l'Archi-prêtre, les mener voir le pape à Avignon, en passant par le Forez et le Lyonnois. Jacques de Bourbon, qui se trouvait alors dans le Midi, était intéressé à défendre le ¡Forez, pays de ses neveux et de sa sœur. Ce prince, généralement aimé, réunit bientôt beaucoup de noblesse. Il avait avec lui le fameux Archiprêtre, qui avait laissé le commandement des compagnies. S'il eût suivi les conseils de cet homme, il les aurait détruites. Étant venu en présence à Brignais, près Lyon, il donna dans un piége grossier, crut l'ennemi moins fort qu'il n'était, l'attaqua sur une montagne, et fut tué avec son fils, son neveu, et nombre des siens (2 avril 1362). Cette mort toutefois fut glorieuse. Le premier titre des Capets est la mort de Robert le Fort à Brisserte; celui des Bourbons, la mort de Jacques à Brignais : tous deux tués en défendant le royaume contre les brigands.

Les compagnies n'avaient plus rien à craindre, elles couraient les deux rives du Rhône. Un de leurs chefs s'intitulait Ami de Dieu, ennemi de tout le monde 3. Le pape, tremblant dans Avignon, prêchait la croisade contre eux.

1. Ils avoient de leur accord aucuns chevaliers et écuyers du pays, qui les menoient et conduisoient. Froissart.

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2. Mais les pillards n'en tenoient compte, et disoient qu'ils faisoient la guerre en l'ombre et nom du roi de Navarre.

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Ibid.

* Froissart.

Mais les croisés se joignaient plutôt aux compagnies1. Heureusement pour Avignon, le marquis de Monferrat, membre de la ligue Toscane contre les Visconti, en prit une partie à sa solde, et les mena en Italie, où ils portèrent la peste. Le pape, pour décider leur départ, leur donna 30,000 florins et l'absolution 2.

:

La mortalité qui dépeuplait le royaume lui donna au moins un bel héritage. Le jeune duc de Bourgogne mourut, ainsi que sa sœur; la première maison de Bourgogne se trouva éteinte la succession comprenait les deux Bourgognes, l'Artois, les comtés d'Auvergne et de Boulogne. Le plus proche héritier était le roi de Navarre. Il demandait qu'on lui laissât prendre possession de la Bourgogne, ou au moins de la Champagne qu'il réclamait depuis si longtemps. Il n'eut ni l'une ni l'autre. Il était impossible de remettre ces provinces à un roi étranger, à un prince odieux. Jean les déclara réunies à son domaine 3; et partit pour en prendre possession, «< cheminant à petites journées et à grands dépens, et séjournant de ville en ville, de cité en cité, en la duché de Bourgogne 4. »

Il y apprit, sans aller plus vite, la mort de Jacques de Bourbon. Vers la fin de l'année, il descendit à Avignon, et y passa six mois dans les fêtes. Il espérait y faire une nouvelle conquête en pleine paix. Jeanne de Naples, comtesse de Provence, celle qui avait laissé tuer son premier mari, se trouvait veuve du second. Jean prétendait être le troisième. Il était veuf lui-même; il n'avait encore que quarante-trois ans. Captif, mais après une belle résistance, ce roi soldat 5 intéressait la chrétienté, comme François Ier, après Pavie. Le pape ne se soucia pas de faire un roi de France maître

1 App., 233.

2

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Dont le roi Jean et tout le royaume furent grandement rejouis... mais encore en retournèrent assez en Bourgogne. Froissart.

3 App., 231. - Froissart.

V. la chronique en rose de Duguesclin.

de Naples et de la Provence. Il donna à cette reine de trentesix ans un tout jeune mari, non pas un fils de France, mais Jacques d'Aragon, fils du roi détrôné de Majorque.

Pour consoler Jean, le pape l'encouragea dans un projet qui semblait insensé au premier coup d'œil, mais qui eût effectivement relevé sa fortune. Le roi de Chypre était venu à Avignon demander des secours, proposer une croisade. Jean prit la croix, et une foule de grands seigneurs avec lui 1. Le roi de Chypre alla proposer la croisade en Allemagne ; Jean en Angleterre. Un de ses fils, donné en otage, venait de rentrer en France, au mépris des traités. Le retour de Jean à Londres avait l'apparence la plus honorable. Il semblait réparer la faute de son fils. Quelques uns prétendaient qu'il n'y allait que par ennui des misères de la France, ou pour revoir quelque belle maitresse 2. Cependant les rois d'Écosse et de Danemark devaient venir l'y trouver. Comme roi de France, il présidait naturellement toute assemblée de rois. Humilié par le nouveau système de guerre que les Anglais avaient mis en pratique, le roi de France eùt repris, par la croisade, sous le vieux drapeau du moyen âge, le premier rang dans la chrétienté. Il aurait entraîné les compagnies, il en aurait délivré la France 3. Les Anglais mêmes et les Gascons, malgré la mauvaise volonté du roi d'Angleterre qui alléguait son age pour ne pas prendre la croix, disaient hautement au roi de Chypre : « Que c'étoit vraiment un voyage où tous gens de bien et d'honneur devoient entendre, et que s'il plaisoit à Dieu que le passage fût ouvert, il ne le feroit pas seul. » La mort de Jean détruisit ces espérances.

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Après la prédication faite, qui fut moult humble et moult douce et dévote, le roi de France par grand dévotion emprit la croix... et pria doucement le pape qu'il lui vousist accorder. » Froissart.

* Cauza joci, dit le sévère historien du temps. Contin. G. de Nangis.

Pour traire hors du royaume toutes manières de gens d'armes appelees compagnies... et pour sauver leurs ames. Froissart. 4 App., 35.

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Après un hiver passé à Londres en fètes et en grands repas, il tomba malade, et mourut regretté, dit-on, des Anglais, qu'il aimait lui-même, et auxquels il s'était attaché, simple qu'il était et sans fiel, pendant sa longue captivité. Édouard lui fit faire de somptueuses funérailles à Saint-Paul de Londres. On y brùla, selon des témoins oculaires, quatre mille torches de douze pieds de haut, et quatre mille torches cierges de dix livres pesant.

La France, toute mutilée et ruinée qu'elle était, se retrouvait encore, de l'aveu de ses ennemis, la tête de la chrétienté. C'est son sort, à cette pauvre France, de voir de temps à autre l'Europe envieuse s'ameuter contre elle, et conjurer sa ruine. Chaque fois, ils croient l'avoir tuée; ils s'imaginent qu'il n'y aura plus de France; ils tirent ses dépouilles au sort; ils arracheraient volontiers ses membres sanglants. Elle s'obstine à vivre. Elle survécut en 1361, mal défendue, trahie par sa noblesse; en 1709, vieillie de la vieillesse de son roi; en 1815 encore, quand le monde entier l'attaquait... Cet accord obstiné du monde contre la France prouve sa supériorité mieux que des victoires. Celui contre lequel tous sont facilement d'accord, c'est qu'apparemment il est le premier.

CHAPITRE IV

Charles V.

Expulsion des Anglais. 1364-1380.

Le jeune roi était né vieux. Il avait de bonne heure beaucoup vu, beaucoup souffert. De sa personne, il était faible et malade. Tel royaume, tel roi. On disait que Charles le Mauvais l'avait empoisonné; il en était resté pâle, et avait une main enflée, ce qui l'empêchait de tenir la lance. Il ne chevauchait guère, mais plus se tenait à Vincennes, à son hôtel de Saint Paul, à sa royale librairie du Louvre. Il lisait, il oyait les habiles, il avisait froidement. On l'appela le sage, c'est-à-dire le lettré, le clerc, ou bien encore l'avisé, l'astucieux. Voilà le premier roi moderne, un roi assis, comme l'effigie royale est sur les sceaux. Jusque-là on se figurait qu'un roi devait monter à cheval. Philippe le Bel lui-même, avec son chancelier Pierre Flotte, était allé se battre à Courtrai. Charles V combattait mieux de sa chaise. Conquérant dans sa chambre, entre ses procureurs, ses juifs, et ses astrologues, il défit les fameux chevaliers, et les Compagnies encore plus redoutables. De la mème plume, il signa les traités qui ruinaient l'Anglais, et minuta les pamphlets qui devaient ruiner le pape, livrer au roi les biens de l'Église.

Ce médecin malade du royaume avait à le guérir de trois maux, dont le moindre semblait mortel: l'Anglais, le Navarrais, les Compagnies. Il se débarrassa du premier, comme on l'a vu, en le soùlant d'or, en patientant jusqu'à

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