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parla pas, non plus que des réclamations des Gascons au traité de Bretigni, pas davantage de leurs priviléges violés par les Anglais. Il aima mieux chercher dans les chartes. du traité quelque défaut de forme. Les états généraux, consultés par lui avec déférence, décidèrent que son droit était bon (9 mai 1369). Il se fit donner par la cour des pairs sentence pour confisquer l'Aquitaine; il dit hardiment dans cet acte que la suzeraineté et le droit d'appel avaient été réservés par le traité de Bretigni.

Il pouvait mentir hardiment: tout le monde était pour lui. Les Compagnies se déclarèrent françaises. Les évêques d'Aquitaine lui donnaient leurs villes; de longue date, F'archevêque de Toulouse les avait gagnées soixante villes, bourgs ou châteaux, chassèrent les Anglais, même Cahors, même Limoges, dont les évêques semblaient tout anglais. Le roi de France méritait ces miracles; tout maladif qu'il était, il faisait continuellement, pieds nus, de dévotes processions. Les prêcheurs populaires parlaient pour lui. Le roi d'Angleterre faisait bien aussi prêcher l'évêque de Londres; mais il n'avait pas le même succès 2.

Toutes les villes qui se rendaient à Charles V obtenaient confirmation et augmentation de priviléges. On suit le' progrès de sa conquête de charte en charte: Rhodez, Figeac, Montauban, février 1370; Milhaud en Rouergue, mai; Cahors, Sarlat, juillet 3.

Il est difficile de croire qu'une tête aussi froide, aussi sage, ait eu réellement l'idée d'envahir l'Angleterre. Il fit tout ce qu'il fallait pour le faire croire, sans doute afin

1 App., 252.

2. Au voir dire, il était de nécessité à l'un roi et à l'autre, puisque guerroyer vouloient, qu'ils fissent mettre en termes et remontrer à leur peuple l'ordonnance de leur querelle, pourquoi chacun entendit de plus grand volonté à conforter son seigneur; et de ce étoient-ils tous réveillés en l'un royaume et en l'autre. " Froiss.

3 App., 253. • Froissart.

d'attirer les Anglais dans le nord, et de les empêcher d'étouffer le mouvement du midi. Ils débarquèrent en effet une armée à Calais sous le duc de Lancastre. La grande et grosse armée française, conduite par le duc de Bourgogne, cinq fois plus forte que l'anglaise, avait défense expresse de combattre. Elle resta immobile, puis se retira, sous les huées des Anglais 1. Ceux-ci n'en perdirent pas moins leur temps et leur argent. Les villes du nord étaient en bon état. Dans le midi ils avaient regagné plusieurs places, mais en perdant ce qui valait bien plus, l'irréparable capitaine auquel ils devaient les victoires de Poitiers, d'Auray et de Najara, le sage et habile Jean Chandos.

Ce brave homme avait tout prévu. Dès le moment que le prince de Galles s'obstina, contre son avis, à imposer ce fatal fouage, Chandos se retira en Normandie. Puis, le midi se soulevant, il revint pour réparer le mal, pour sauver les imprudents qui n'avaient pas voulu l'écouter; mais il espérait peu de cette guerre. L'historien du temps le représente fort triste et mélancolieux, comme s'il eût prévu sa mort prochaine et la perte des provinces anglaises. Après sa mort, le roi d'Angleterre suivit enfin son avis, et révoqua l'impôt. Il était trop tard.

Les Anglais étaient, comme on est dans le malheur, de plus en plus malhabiles et malheureux. Ils auraient dû à tout prix s'assurer le roi de Navarre et s'en servir contre la France. Le marché tint, selon toute apparence, à la vicomté de Limoges que le Navarrais demandait. Le prince de Galles ne voulut pas ébrécher son royaume d'Aquitaine: il lui importait de garder cette porte de la France. Il refusa et perdit tout. Le roi de France regagna le roi de Navarre en lui donnant Montpellier, qu'il lui promettait depuis silongtemps. Peu après il eut encore l'adresse de se conci

1 Froissart.

lier le nouveau roi d'Écosse, premier de la maison de Stuart, Castille, Navarre, Flandre, Écosse, il détachait tout de l'Angleterre; il isolait son ennemie.

L'orgueil anglais était si engagé dans cette guerre, qu'Edouard trouva encore moyen, après tant de sacrifices, de faire contre la France deux expéditions à la fois. Pendant qu'un de ses fils, le duc de Lancastre, allait secourir le prince de Galles resserré dans Bordeaux (fin juillet 1370), une autre armée sous un vieux capitaine, Robert Knolles, entrait en Picardie (même mois). Des deux côtés, nulle résistance; Duguesclin, Clisson, conseillaient d'éviter tout combat, d'escarmoucher seulement et de garder les places; la campagne devenait ce qu'elle pouvait. Ces chefs de Compagnie ne connaissaient que le succès; les plus braves aimaient mieux employer la ruse. Quant à l'honneur du royaume, ils ne savaient ce que c'était. Il fallait que le due de Bourbon vit, sans bouger, passer devant le front de son armée, sa mère, mère de la reine de France, que les Anglais avaient prise,, et qu'ils firent chevaucher sous ses yeux dans l'espoir d'entrainer le fils au combat. Il leur proposa un duel, mais leur refusa la bataille 4.

A Noyon, l'outrage fut plus sanglant. L'Ecossais Seyton sauta les barrières de la ville, ferrailla une heure avec les Français, et sortit sain et sauf 2. L'armée anglaise vint aussi jusqu'en Champagne, jusqu'à Rlieims, jusqu'à Paris, détruisant et brûlant tout ce qu'elle trouvait, cherchant s'il y aurait quelque ravage assez cruel, quelque piqûre assez sensible, pour réveiller l'honneur de l'ennemi. Pendant un jour et deux nuits qu'ils furent devant Paris, le roi, de son hôtel Saint-Paul, voyait sans s'émouvoir la flamme des villages qu'ils incendiaient de tous côtés. Une nombreuse et brillante chevalerie, les Tancarville, les Coucy, les

1 App., 254.

2

Seigneurs, je vous viens voir; vous ne daignez issir hors de vos barrières, et j'y digne bien entrer. Froissart.

Clisson, étaient dans la ville, maiş il les retenait. Clisson, dont la bravoure était connue, encourageait cette prudence cruelle: « Sire, vous n'avez que faire d'employer vos gens contre ces enragés; laissez-les se fatiguer euxmêmes. Ils ne vous mettront pas hors de votre héritage, avec toutes ces fumières. >>

Au moment du départ, un Anglais approcha de lá barrière Saint-Jacques qui était toute ouverte et pleine de chevaliers. Il avait fait vou de heurter sa lance aux barrières de Paris. Nos chevaliers l'applaudirent et le laissèrent aller 1. Cet outrage aux murailles de la cité, à l'honneur du pomarium, chose si sainte chez les anciens, ne touchait pas les hommes féodaux. L'Anglais s'en allait au petit pas, quand un brave boucher avance sur le chemin, et d'une lourde hache à long manche lui décharge un coup entre les deux épaules; il redouble sur la tête et le renverse. Trois autres surviennent, et à eux quatre ils frappaient sur l'Anglais << ainsi que sur une enclume. » Les seigneurs qui étaient à la porte, vinrent le ramasser pour l'enterrer en terre sainte.

Le prince de Galles ne trouva pas plus d'obstacles pour assiéger Limoges que Knolles pour insulter Paris. Duguesclin avait lui-même conseillé de dissoudre l'armée du midi et n'avait gardé que deux cents lances pour courir le pays. Le prince en voulait d'autant plus cruellement aux gens de Limoges, que l'auteur de la défection de cette ville, l'évêque, était sa créature et son compère. Il avait juré l'âme de son père qu'il ferait payer cher à la ville cette trahison. Les bourgeois, fort effrayés, auraient voulu se rendre. Mais les capitaines français les en empêchèrent. Cependant le prince ayant fait miner une partie des murailles, les fit sauter et entra par la brèche. Il était trop

4. Allez-vous-en, allez-vous-en, vous vous êtes bien acquitté. » Frois

sart.

D

malade pour chevaucher, mais se faisait traîner dans un chariot. Il avait donné ordre de tuer tout, hommes, femmes et enfants. Il se donna le spectacle de cette boucherie. « Il n'est si dur cœur que, s'il fut adonc en la cité de Limoges, et il lui souvint de Dieu qui n'en pleurat tendrement. Le prince de Galles ne s'en souvint pas. Cet homme blême et malade, qui était si près de rendre compte, ce mourant ne pouvait se rassasier de voir des morts. Des femmes, des enfants, se jetaient à genoux sur son passage, en criant: « Grâce, grâce, gentil Sire!» Il n'écoutait rien. Il n'épargna que l'évêque, c'est-à-dire le seul coupable, et trois chevaliers français qui lui plurent pour s'être défendus à outrance.

Cette extermination de Limoges, qui rendit le nom anglais exécrable en France, apprit aux villes à se bien défendre. C'était un adieu de l'ennemi. H traitait le pays comme la terre d'un autre, comme n'y comptant pas revenir. Peu après se sentant plus malade, le prince se laissa persuader par les médecins d'aller respirer le brouillard natal, et se fit embarquer pour Londres. Son frère, le duc de Lancastre, commençait sans doute à lui porter ombrage. Le prince de Galles, qui ne pouvait espérer de succéder, voulait au moins assurer le trône à son fils.

Le roi fit plaisir à tout le royaume en nommant Duguesclin connétable 2. Le petit chevalier breton investi de cette première dignité du royaume, mangea à la table du roi, distinction faite pour étonner, quand on voit, dans Christine de Pisan, que le cérémonial de France était que le roi fùt servi à table par ses frères.

Le nouveau connétable entendait seul la guerre qu'il fallait faire à l'Anglais. Les batailles étaient impossibles;

1 Plus de trois mille personnes y furent décollées cette journée. Dieu en ait les âmes; car ils furent bien martyrs. Froissart.

Pour le plus vaillant, mieux taillé et idoine de ce faire, et le plus vertueux et fortuné en ses besognes. » Ibid.

III.

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