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Gand contre Bruges. Les Brugeois n'eurent pour eux, outre le Franc de Bruges, qu'Ypres, l'Écluse, Newport, Berghes, Furnes, et Gravelines, qui les suivirent de gré ou de force. Ils avaient mis à la tête de leurs milices un fils du comte de Flandre, et un de ses petits-fils, qui était clerc, et qui se défroqua pour se battre avec eux.

Ils étaient dans Courtrai, lorsque l'armée française vint camper en face. Ces artisans, qui n'avaient guère combattu en rase campagne, auraient peut-être reculé volontiers. Mais la retraite était trop dangereuse dans une grande plaine et devant toute cette cavalerie. Ils attendirent donc bravement. Chaque homme avait mis devant lui à terre son gullentag ou pieu ferré. Leur devise était belle: Scilt und vriendt, Mon ami et mon bouclier. Ils voulurent communier ensemble, et se firent dire la messe. Mais, comme ils ne pouvaient tous recevoir l'eucharistie, chaque homme se baissa, prit de la terre et en mit dans sa bouche1. Les chevaliers qu'ils avaient avec eux, pour les encourager, renvoyèrent leurs chevaux; et en même temps qu'ils se faisaient ainsi fantassins, ils firent chevaliers les chefs des métiers. Ils savaient tous qu'ils n'avaient pas de grâce à attendre. On répétait que Châtillon arrivait avec des tonneaux pleins de cordes pour les étrangler. La reine avait, disait-on, recommandé aux Français que quand ils tueraient les porcs flamands, ils n'épargnassent pas les truies flamandes 2.

Le connétable Raoul de Nesle proposait de tourner les Flamands et de les isoler de Courtrai. Mais le cousin du roi, Robert d'Artois, qui commandait l'armée, lui dit brutalement : « Est-ce que vous avez peur de ces lapins, ou bien avez-vous de leur poil? » Le connétable, qui avait épousé une fille du comte de Flandre, sentit l'outrage, et répondit fièrement : « Sire, si vous venez où j'irai, vous irez bien avant! » En même temps il se lança en aveugle

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à la tête des cavaliers dans une poussière de juillet (14 juillet 1302). Chacun s'efforçant de le suivre et craignant de rester à la queue, les derniers poussaient les premiers; ceux-ci, approchant des Flamands, trouvèrent, ce qu'on trouve partout dans ce pays coupé de fossés et de canaux, un fossé de cinq brasses de large 1. Ils У tombèrent, s'y entassèrent; le fossé étant en demi-lune, il n'y avait pas moyen de s'écouler par les côtés. Toute la chevalerie de France vint s'enterrer là, Artois, Châtillon, Nesle, Brabant, Eu, Aumale, Dammartin, Dreux, Soissons, Tancarville, Vienne, Melun, une foule d'autres, le chancelier aussi, qui sans doute ne comptait pas périr en si glorieuse compagnie.

Les Flamands tuaient à leur aise ces cavaliers désarçonnés; ils les choisissaient dans le fossé. Quand les cuirasses résistaient, ils les assommaient avec des maillets de plomb ou de fer 2. Ils avaient parmi eux bon nombre de moines ouvriers 3, qui s'acquittaient en conscience de cette sanglante besogne. Un seul de ces moines prétendit avoir assommé quarante chevaliers et quatorze cents fantassins; évidemment le moine se vantait. Quatre mille éperons dorés (un autre dit sept cents) furent pendus dans la cathédrale de Courtrai. Triste dépouille qui porta malheur à la ville. Quatre-vingts ans après, Charles VI vit les éperons, et fit massacrer tous les habitants.

Cette terrible défaite, qui avait exterminé toute l'avantgarde de l'armée de France, c'est-à-dire la plupart des grands seigneurs, cette bataille qui ouvrait tant de successions, qui faisait tomber tant de fiefs à des mineurs sous la tutelle du roi, affaiblit pour un moment sa puissance militaire sans doute, mais elle ne lui ôta rien de sa vigueur contre le pape. En un sens, la royauté en était plutôt for

Oudegherst ne parle pas du fo sé, sans doute pour rehausser la gloire des Flamands.

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tifiée. Qui sait si le pape n'eût trouvé moyen de tourner contre le roi quelques-uns de ces grands feudataires qui avaient signé, il est vrai, la fameuse lettre; mais qui, revenant tous de la guerre de Flandre, revenant riches et vainqueurs, eussent moins craint la royauté?

Il renonçait à confondre les deux puissances, comme il avait paru vouloir le faire jusque-là. Mais lorsqu'on eut appris à Rome la défaite de Philippe à Courtrai, la cour pontificale changea de langage; un cardinal écrivit au duc de Bourgogne que le roi était excommunié pour avoir défendu aux prélats de venir à Rome, que le pape ne pouvait écrire à un exeommunié, qu'il fallait avant tout qu'il fit pénitence. Cependant les prélats, ralliés au pape par la défaite du roi, partirent pour Rome au nombre de quarante-cinq. C'était comme une désertion en masse de l'église gallicane. Le roi perdait d'un coup tous ses évêques, de même qu'il venait de perdre presque tous ses barons à Courtrai 1.

Ce gouvernement de gens de loi montra une vigueur et une activité extraordinaires. Le 23 mars, une grande ordonnance très-populaire fut proclamée pour la réfor mation du royaume. Le roi y promit bonne administration, justice égale, répression de la vénalité, protection aux ecclésiastiques, égards aux priviléges des barons, garantie des personnes, des biens, des coutumes. Il promettait la douceur, et il s'assurait la force. Il releva le Châtelet et sa police armée, ses sergents; sergents à pied, sergents à cheval, sergents à la douzaine, sergents du guet.

Les deux adversaires, près de se choquer, ne voulurent laisser rien derrière eux. Ils sacrifièrent tout à l'intérêt de cette grande lutte. Le pape s'accommoda avec Albert d'Autriche, et le reconnut pour Empereur. Il lui fallait quelqu'un à opposer au roi de France. Le roi acheta la paix

1 1 App., 27.

aux Anglais par l'énorme sacrifice de la Guyenne (20 mai). Quelle dut être sa douleur, quand il lui fallut rendre à son ennemi ce riche pays, ce royaume de Bordeaux!

Mais c'est qu'il fallait vaincre ou périr1. Le 12 mars, l'homme même du roi, le successeur de Pierre Flotte, ce hardi Gascon, Nogaret lut et signa un furieux manifeste contre Boniface 2.

a Le glorieux prince des apôtres, le bienheureux Pierre, parlant en esprit, nous a dit que, tout comme aux temps anciens, de même dans l'avenir, il viendra de faux prophètes, qui souilleront la voix de la vérité, et qui, dans leur avarice, dans leurs fallacieuses paroles, trafiqueront de nous-mêmes, à l'exemple de ce Balaam qui aima le salaire de l'iniquité. Balaam eut pour correction et avertissement, une bête qui, prenant la voix humaine, proclama la folie du faux prophète... Ces choses annoncées par le père et patriarche de l'Église, nous les voyons de nos yeux réalisées à la lettre. En effet, dans la chaire du bienheureux Pierre, siége ce maître de mensonges, qui, quoique Malfaisant de toute manière, se fait appeler Boniface3. Il n'est pas entré par la porte dans le bercail du Seigneur, ni comme pasteur et ouvrier, mais plutôt comme voleur et brigand... Le véritable époux vivant encore (Célestin V), il n'a pas craint de violer l'Épouse d'un criminel embrassement. Le véritable époux, Célestin, n'a pas consenti à ce divorce. En effet, comme disent les lois humaines : Rien de plus contraire au consentement que l'erreur... Celui-là ne peut épouser, qui, du vivant d'un premier mari non indi

Déjà on avait mis en avant un Normand, maître Pierre Dubois, avocat au bailliage de Coutances, qui donna contre le pape une consultation triplement bizarre pour le style, l'érudition et la logique. App., 28.

Dans la suscríption, il se fait appeler Chevalier et vénérable professeur en droit. Il s'était fait faire chevalier, en effet, par le roi, en 1297. Mais il n'a pas osé ici, dans une assemblée de la noblesse, signer lui-même cette qualité. - 3 App., 29.

gne, a souillé le mariage d'adultère. Or, comme ce qui se commet contre Dieu fait tort et injure à tous, et que dans un si grand crime on admet à témoigner le premier venu, même la femme, même une personne infâme; moi donc, ainsi que la bête qui, par la vertu du Seigneur, prit la voix d'homme parfait pour reprendre la folie du faux prophète prêt à maudire le peuple béni, j'adresse à vous ma supplique, très-excellent Prince, seigneur Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, pour qu'à l'exemple de l'ange qui présenta l'épée nue à ce maudisseur du peuple de Dieu, vous qui êtes oint pour l'exécution de la justice, vous opposiez l'épée à cet autre, et plus funeste Balaam, et l'empê chiez de consommer le mal qu'il prépare au peuple. »

Rien ne fut décidé. Le roi louvoyait encore. Il permit à trois évêques d'excuser la défense qu'il avait faite aux prélats. Le pape envoya un légat, sans doute pour tâter le clergé de France, et voir s'il voudrait remuer. Mais rien ne bougea. Le roi dit au légat qu'il prendrait pour arbitres les ducs de Bretagne et de Bourgogne; c'était flatter la noblesse et s'en assurer; du reste il ne cédait rien. Alors le pape adressa au légat un bref dans lequel il déclarait que le roi avait encouru l'excommunication, comme ayant empêché les prélats de se rendre à Rome.

Le légat laissa le bref et s'enfuit. Le roi saisit deux prétres qui l'avaient apporté avec le légat et les ecclésiastiques qui les copiaient. Le bref était du 13 avril. Deux mois après (jour pour jour), les deux avocats qui succédaient à Pierre Flotte, agirent contre Boniface. Plasian accusa, Nogaret exécuta. Le premier, en présence des barons assemblés en États au Louvre, prononça un réquisitoire contre Boniface, et un appel au prochain concile. Aux accusations précédentes, Plasian ajoutait celle d'hérésie 1. Le roi souscrivit à l'appel, et Nogaret partit pour l'Italie.

⚫ App., 30.

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